Moyen-Orient : le contexte de l’attente
Contexte d’expectative et d’attente, le professeur Khalifa Chater revient sur l’Etat du Moyen-Orient et inscrit les problèmes de l’aire, dans un redessin de la carte géopolitique et des alliances et contre-alliances, induite par la guerre d’Irak et ses effets sur la région. Est-ce que les élections américaines annonçant l’après-Bush peuvent inscrire, en dépit de la pousuite de l’escalade, de la succession des tragédies, l’apaisement au Moyen-orient dans le domaine des probabilités ?
Il y a quatre ans, l’invasion de l’Irak... L’événement qui a tout fait basculer... L’ouverture de la boîte de Pandore ... L’éloquente illustration d’un nouvel Etat du monde ... La grande désillusion, après la chute du mur de Berlin, et l’émergence d’un réseau de murs, virtuels, immatériels ou physiques, qui enserrent désormais l’humanité : mur israélien, murs ethniques en Irak, mur de la Méditerranée, murs des guerres de civilisations et j’en oublie sûrement... !
Les élections américaines avaient fissuré l’ordre consensuel américain, pris en considération l’opinion publique mondiale et américaine, redimensionné les visions des ultraconservateurs... Est-ce à dire qu’elles tournent résolument la page ? Le Moyen-Orient vit dans un contexte d’attente. « Le plus difficile, affirme un observateur désespéré de la région, c’est lorsqu’on ne peut rien faire, qu’il ne reste plus qu’à attendre. » Vivre dans l’expectative, dans une attente fondée sur un espoir, une promesse ou une probabilité, triste programme d’action ! Or, il ne peut s’agir, dans les relations internationales, d’attendre le sifflet de la fin de partie de l’acteur influent, sur la scène de jeu. Une nouvelle donne américaine n’est plus en mesure de restaurer, en « un tour de mains de magie », l’ordre consensuel d’antan. Est-ce qu’un nouvel establishment américain, confirmant les vœux des électeurs, peut sacrifier « les prises de guerre » des USA, la maîtrise du pétrole irakien, la situation hégémonique dans l’aire arabe, le renforcement de l’allié privilégié, etc. ? D’autre part, le jeu des autres acteurs, puissances et Etats, y compris ceux de la région, s’inscrit nécessairement dans ce nouveau contexte, pour traiter des questions exacerbées par la conflictualisation des relations, induite par la guerre d’Irak, ses effets à court et le lointain termes et les dynamiques intérieures, qu’elle a développées, bloquées, ou détériorées. Désormais, le Moyen-Orient a connu, par la conjugaison des acteurs extérieurs et internes, les interventions hégémoniques et les actions défensives et offensives, en réaction, une extension des pôles de conflits.
La question irakienne : anarchie, guerre civile, occupation, point de solution en vue. Dans la tradition de l’histoire de la colonisation, les intervenants n’avaient pas mis au point de programme de sortie de crises. Comment rétablir la stabilité et l’insécurité, dans ce pays meurtri ? Comment fermer cette parenthèse tragique, alors que les équilibres fondateurs de l’Etat-nation irakien ont subi une érosion destructrice ? Comment reconstruire le consensus alors que l’intervention a institué par des élections accomplies hors contexte de droit, de coexistence, de souveraineté, l’ordre confessionnel et ethnique et exacerbé les passions, dans un environnement de guerres, avec la mise sur pied des réseaux d’alliances et de contre-alliances ? Comment garantir à l’Irakien le droit à la vie et à la sécurité, et la quiétude du quotidien, faute de mieux ?
Effets et suivi de la guerre d’Irak : l’implosion de l’Irak a établi l’Iran comme puissance régionale exclusive au Moyen-Orient. Il était dans la nature des choses qu’elle tire les conclusions de la disparition de la puissance régionale concurrente, qu’elle mette au point une politique volontaire pour faire face à l’établissement sur ces frontières d’une puissance ennemie, qu’elle tente de construire un ordre régional alternatif, intégrant ses alliés : les Syriens, le Hizballah au Liban et le nouveau pouvoir émergeant en Irak, partagé entre le choix de la raison (la puissance protectice) et du cœur (le ralliement aux chiites). Alliances et contre-alliances, la question du nucléaire irakien doit s’inscrire dans cette problématique. Redimensionné par l’alliance fondatrice de la guerre contre l’Irak et l’émergence du pouvoir chiite, en puissance sinon en tant qu’ambition virtuelle, l’Arabie séoudite tente de sauver la mise, de restaurer le statu quo, d’assurer la défense de l’ordre de l’aire du Golfe, inquiète des nouvelles velléités mais craignant une nouvelle guerre, qui risquerait d’accomplir l’irréparable et de remettre tout en cause, par le rejet inéluctable de l’agresseur. Le « retour diplomatique » de l’Arabie, illustré par l’Accord de la Mecque, relève plutôt de la symbolique. Le Liban, en guerre civile larvée, reste aux abois, bien fragilisé par la montée des périls. Alors que la Jordanie œuvre pour consolider son équilibre instable - voisinage israélien, effets des questions palestinenne et irakienne - l’Egypte pratique une diplomatie démonstrative, dans la marge. Son souci de ménager tout le monde n’est pas en mesure de lui assurer l’audience recherchée auprès de l’opinion arabe. Elle subit, d’autre part, les effets érosifs, de la politique du Grand Moyen-Orient et ses mesures applicatoires d’ingérence.
Conclusion : triste constat, ou plutôt rappel des évidences. La guerre d’Irak a bel et bien montré l’absence d’armes de destruction massive, censées la légitimer... Le remplacement de l’Etat-nation d’Irak par des unités territoriales ethniques et/ou confessionnelles, le refus d’entériner les élections palestinienes, expressions d’un état de colère et de ressentiment, la remise en cause de l’establishment consensuel libanais par l’invasion israélienne, le refus effectif de traiter la question palestinienne ont montré que « le discours démocratique », loin des droits, n’avait pour unique objectif que de conflictualiser les relations, de justifier la nécessité d’instituer des « gendarmes du monde », tout en défendant des intérêts évidents.
Comment dissiper les illusions du discours et voir la réalité des faits ? La géoplitique est une question de rapports de forces, d’intérêts. Elle tient compte aussi de l’appréciation de l’opinion publique et exige, de ce fait, la mise sur pied d’une pédagogie d’analyse et d’explications. La prise de distance par rapport aux discours de légitimité des guerres préventives, des conflits de civilisations, permet de mettre en échec les discours guerriers, l’exclusion de l’autre et sa culpabilisation, dans une recherche obstinée de l’ennemi extérieur, pour détourner l’opinion des enjeux intérieurs. Saluons le sursaut salutaire américain, lors des dernières élections. Il inscrit, en dépit de la pousuite de l’escalade, de la succession des tragédies, l’apaisement au Moyen-Orient dans le domaine des probabilités.