mercredi 30 avril 2008 - par François Guillot

Créer l’événement ou l’accompagner : la une de Libé sur GTA IV

Entendu dans Place de la Toile sur France Culture le 18 avril, par le médiateur de Radio France Patrick Pépin (à propos de la grève dans les collèges et les lycées, mais ce n’est pas important ici) :

“La rédaction a attendu pour lui porter un plus large écho que le mouvement s’affirme et a choisi de le traiter à la mesure de l’importance de son développement et de l’accompagner au fur et à mesure qu’il se développait. En effet, il faut, selon les explications du directeur de la rédaction, ne pas anticiper l’événement car sinon, et ça se produit souvent, les journalistes participent à sa constitution, de fait, ils le créent.”

Le journaliste doit raconter l’événement, pas le créer : une idée simple mais ô combien difficile à mettre en pratique.

Une bonne illustration de cette idée me semble être la une de Libé samedi dernier sur Grand Theft Auto IV :

Incroyable cette une, non ? Si on connaît le goût de Libé pour des unes inattendues, souvent en rapport à l’actualité culturelle, ma première réaction a été de me dire que c’était un exemple de ce que mon camarade Bruant appelle le renouveau du consumérisme. Renouveau du consumérisme qui se traduit notamment par cette propension que prennent certains médias d’opinion à livrer des articles consuméristes (on en avait parlé ici, un nouvel exemple récent dans le Monde ).

Ma deuxième réaction fut de me dire que c’était un gigantesque coup de relations presse : quatre pages dont la une dédiées à la sortie d’un jeu vidéo ! Il aurait fallu se montrer sacrément persuasif pour que la rédaction de Libération en fasse un tel événement (même pour le journal du samedi), se décide à créer l’événement.

Mais à la lecture de ces quatre pages, le seul sentiment qui se dégage est celui que Libé ne fait qu’accompagner l’événement, notamment car celui-ci est annoncé. Verbatims :

“Le jeu vidéo est devenu un vrai produit culturel. C’est même le produit culturel qui se vend le mieux ces temps-ci. Plus que la musique ou les films.”

“Le jeu vidéo Grand Theft Auto IV sort mondialement mardi.”

“Il s’annonce comme le produit culturel le plus vendu au monde.”

“Des records annoncés

“Take Two, l’éditeur et diffuseur de GTA IV, escompte en écouler plus de 4 millions sur le territoire américain pour le seul mois d’avril.”

“6 millions d’exemplaires pourraient être vendus mondialement la semaine du lancement. Cela équivaut à un chiffre d’affaires de 400 millions de dollars, c’est-à-dire presque autant que le record atteint et toujours détenu par le film Pirates des Caraïbes : jusqu’au bout du monde.”

Avant même sa mise en bacs officielle, le titre n’a cessé de crever tous les records, les précommandes par les grands réseaux de distribution et les réservations par les joueurs ayant outrepassé toutes les prévisions.”

On le voit bien : il s’agit de records (d’où l’événement) qui sont à la fois annoncés ou ont déjà eu lieu. Le message de Libé  : GTA IV fait la une car c’est déjà un phénomène. Libé accompagne, Libé ne crée pas l’événement.

Reste que - et il y a là une énorme complexité - ce choix éditorial est aussi un accélérateur d’événement. Et de ce point de vue, le média ne peut jamais être tout à fait neutre.

Dans le genre “phénomène”, je serais curieux de retracer la couverture médiatique de Bienvenue chez les Ch’tis et de la comparer à la courbe d’entrées en salles. Médias oeufs et/ou médias poules ?

Et au fait : GTA IV est sorti hier.



8 réactions


  • bobbygre bobbygre 30 avril 2008 10:56

    Quel dommage de ne pas pousser plus loin l’analyse... Mais en tout cas, cette Une est en effet particuliérement symptomatique de l’état des médias.


  • Forest Ent Forest Ent 30 avril 2008 13:13

    C’est ce que l’on pourrait appeller un "publi-journal", et c’est effectivement la tendance. Rappellons que la presse française avait il y a quelques années la particularité de n’être financée qu’à 50% par la publicité, contre 66% de moyenne occidentale et 90% aux Etats-Unis. Nous rejoignons, donc.

    Il y a par ailleurs de moins en moins de cloisonnement entre d’un côté publicité, et de l’autre information et entertainment. Aujourd’hui, l’information est publicitaire. L’entertainment aussi : il n’y a qu’à voir la quantité de marques mises en évidence au cinéma.

    Plus anecdotiquement, GTA a au moins l’avantage d’avoir été dans ses versions précédentes effectivement le produit "culturel" le plus vendu au monde. Il est donc logique que les précommandes soient élevées, et ça ne prouve pas que le produit doive se planter. J’avais été plus choqué par le battage fait autour de Noël sur l’I-Phone, produit débile présenté comme la dernière merveille.

    Sans vouloir trop ajouter au buzz, je trouve personnellement que GTA 3 était un plutôt un bon jeu. Mais le présenter comme "violent, amoral et addictif" est un gag publicitaire : c’est un jeu de baston, c’est tout. Si on veut parler d’addiction, il faut regarder plus vers WoW, où il y a des cas sérieux.


  • Loic 30 avril 2008 15:53

    Je ne suis pas un grand fan de cette série que je découvre réellement avec ce quatrième opus, mais je suis très content de son succès, qui n’a aucun besoin de publicité négative pour fonctionner. Les personnes l’ayant en leur possession actuellement sont des gens qui l’ont réservé depuis des semaines, or les medias en dehors de la presse spécialisée n’en parlent que depuis hier. 

    Le succès de ce jeu à plusieurs effets positifs pour l’éditeur propriétaire de la licence à savoir « Take Two ».  

    Premièrement la manne financière créée par les ventes juteuses de galettes estampillées GTA va permettre de financer tout un tas de jeux très intéressants qui n’ont pas forcement beaucoup d’impacte sur le grand public. 

    Ensuite, Take Two est la cible d’un éventuel rachat par le leader mondial de l’édition du jeu vidéo, le très vénal EA Games, qui avec ses crocs et ses gouts de chiottes, tente de « challenger everything »… Il va sans dire que la réussite de GTA 4 pèsera lors des négociation du prix de rachat, rendant Take Two peut être inaccessible à EA comme ce fut le cas récemment avec UBISOFT, cocoricooo ! ^^ 

    De mon point de vu, c’est l’avenir de pas mal de licences qui se joue aujourd’hui dans les rayons des revendeurs, notamment celle des « Civilisation » du génial Sid Meyer. J’ose à peine imaginer les dégâts sur ces jeux si ils tombent dans l’escarcelle de EA.

     


  • Yannick Harrel Yannick Harrel 30 avril 2008 20:55

    Bonjour,

    Comme le précise fort à propos Forest Ent, la distance dorénavant entre information et publicité est ténue pour de plus en plus de gazettes (la presse écrite en général), ces dernières ayant un besoin cruel de fonds au fil du tarissement de ses lecteurs. Alors pourquoi ne pas parfois mettre du beurre dans les épinards ? Du reste, il me semble que Libération n’est pas le premier à consacrer une première page à un jeu vidéo, Le Parisien aussi de mémoire (à vérifier toutefois).

    Maintenant concernant GTA, je suis resté sur une très bonne impression après des heures passées sur GTA : Vice City surtout avec cette ambiance à la Deux flics à Miami (ce qui est logique lorsque l’on connait le titre original de la série TV) couplée à des références aux bons vieux films sur la mafia des années 70/80... Si GTA 4 est de cette trempe alors je pense que son succès est assuré !

    Cordialement


  • Forest Ent Forest Ent 1er mai 2008 14:39

    Dans le même genre, sur le site du "monde" aujourd’hui, le titre : "GTA 4 s’annonce déjà comme un succès" renvoyant vers ... un clip de pub.


  • CoinCoinWC 4 mai 2008 04:17

    J’ai beaucoup de mal a etre en accord avec l’auteur.

    Je m’explique.

    Tout ce qui libé rapporte dans les extraits mentionnés sont des faits. Ni plus ni moins. Il n’y a rien d’inventé, rien qui ne serve a creer un quelconque buzz. Tout du moins a la lecture des extraits copier coller (je n’ai malheureuement pas eu l’occasion de lire l’article).

    Je crois que beaucoup sont totalement dépassé par le phénomene GTA et surtout par le fait que grace a lui le jeux vidéo s’affirme un peu plus au pres du grand publique en tant que loisir. On devrait justement se réjouir de voir libé faire une couv’ sur un énevement pareil. Se réjouir de voir que le jeu vidéo quitte peu a peu sa place reservée (a savoir au pres des gosses) pour rallier le cinema, la litterature et la musique.

    Il suffit de connaitre un peu le milieu du jeu vidéo pour savoir que GTA n’a nullement le besoin de se faire de la pub ou de négocier des coups de pubs ; GTA fait partie de cette caste de grosses licences qui valent le détour, qui sont connues et reconnues de part un large publique et dont le succes se batit seul.

    Cet opus était désiré et attendu depuis des mois, des lors il est normal que sa sortie provoque un engouement sans pareil.

    Petit jeu :

    “Le jeu vidéo est devenu un vrai produit culturel. C’est même le produit culturel qui se vend le mieux ces temps-ci. Plus que la musique ou les films.”

    Apres des années d’explosion le CA du secteur continue sa croissance a un rythme de folie, il est bon de le rappeller histoire de. Cela fait dix ans que cette industrie brasse plus d’argent que le cinema, il serait peut etre temps que les gens en prennent conscience. Merci libé.

     

    “Le jeu vidéo Grand Theft Auto IV sort mondialement mardi.”

    L’europe a toujours été la derniere roue du carosse mais cela change, il est toujours bon de rappeller que pour une fois nous ne sommes pas lésés.

    “Il s’annonce comme le produit culturel le plus vendu au monde.”

    Prévision de marabout, ils y vont pour le coup un peu fort.

    “Des records annoncés

    Oui dans cette industrie il est facile d’entre voir le succes de tel ou tel jeu. Il y a des grosses licences, des licences solides, qui se vendent a coup sur selon les territoires. Chaque sortie du rpg dragon quest au japon s’accompagne de folles queues devant les magasins nippons. Les enfants sechent leurs cours pour aller se le procurer et c’est une véritable petite folie. Tout le monde sait que le succes sera la. De plus la base de joueurs ne cessant de s’agrandir il est normal que de nouveaux records tombent lors de chaque nouvelle sortie. Ce passage ne peut donc choquer personne.

    “Take Two, l’éditeur et diffuseur de GTA IV, escompte en écouler plus de 4 millions sur le territoire américain pour le seul mois d’avril.”

    Je ne pense pas que lorsque renault annonce vouloir vendre x centaines de miliers de twingo cela choque qui que ce soit. Ils envisagent des résultats en se basant sur des études. Take two en fait de meme. Ou est le sensationnalisme ? Ou cela fait il monter le hype ?

    “6 millions d’exemplaires pourraient être vendus mondialement la semaine du lancement. Cela équivaut à un chiffre d’affaires de 400 millions de dollars, c’est-à-dire presque autant que le record atteint et toujours détenu par le film Pirates des Caraïbes : jusqu’au bout du monde.”

    cf au dessus. Etudes analyses prévisions et on rappelle que l’industrie vidéoludique est une énorme machine.

    Avant même sa mise en bacs officielle, le titre n’a cessé de crever tous les records, les précommandes par les grands réseaux de distribution et les réservations par les joueurs ayant outrepassé toutes les prévisions.”

    On s’appuye sur des chiffres et on informe le grand publique. La encore je ne vois pas le mal.

     

    En fait plus que de publi-article je vois la une une qui fait plaisirs au joueur que je suis. Un quotidien qui ose faire sa une sur un jeu vidéo cela dénote tout simplement un début de reconnaissance du média. Et c’est agréable. En outre il est peu surprenant de voir libé oser cela car c’est a ma connaissance le seul quotidien qui s’interesse vraiment au jeu vidéo, et dépasse les relais de sorties tel la wii ou wiifit. Car comme consoles et softs overhypé on ne fait pas mieux a l’heure actuelle mais cela ne choque personne.

    Il faut savoir que libé s’interesse sérieusement a ce microcosme et ce depuis plusieurs années. Il me semble meme, si ma mémoire ne me fait pas défaut, que Raggal (Co-fondateur du site web gamekult et ex redac chef de gamekult) officie régulierement lors de l’émission audio d’un journaliste de libé, j’ai nommé Erwan Cario.

    Tout ca pour en venir ou me direz vous ?

    Et bien pour en arrivez au fait que cette une de libé m’a plus l’air d’etre dicté par l’actualité et qu’a aucun moment ils ne cherchent a participer au buzz ou a la créer.

     


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