Créer l’événement ou l’accompagner : la une de Libé sur GTA IV
Entendu dans Place de la Toile sur France Culture le 18 avril, par le médiateur de Radio France Patrick Pépin (à propos de la grève dans les collèges et les lycées, mais ce n’est pas important ici) :
“La rédaction a attendu pour lui porter un plus large écho que le mouvement s’affirme et a choisi de le traiter à la mesure de l’importance de son développement et de l’accompagner au fur et à mesure qu’il se développait. En effet, il faut, selon les explications du directeur de la rédaction, ne pas anticiper l’événement car sinon, et ça se produit souvent, les journalistes participent à sa constitution, de fait, ils le créent.”
Le journaliste doit raconter l’événement, pas le créer : une idée simple mais ô combien difficile à mettre en pratique.
Une bonne illustration de cette idée me semble être la une de Libé samedi dernier sur Grand Theft Auto IV :
Incroyable cette une, non ? Si on connaît le goût de Libé pour des unes inattendues, souvent en rapport à l’actualité culturelle, ma première réaction a été de me dire que c’était un exemple de ce que mon camarade Bruant appelle le renouveau du consumérisme. Renouveau du consumérisme qui se traduit notamment par cette propension que prennent certains médias d’opinion à livrer des articles consuméristes (on en avait parlé ici, un nouvel exemple récent dans le Monde là).
Ma deuxième réaction fut de me dire que c’était un gigantesque coup de relations presse : quatre pages dont la une dédiées à la sortie d’un jeu vidéo ! Il aurait fallu se montrer sacrément persuasif pour que la rédaction de Libération en fasse un tel événement (même pour le journal du samedi), se décide à créer l’événement.
Mais à la lecture de ces quatre pages, le seul sentiment qui se dégage est celui que Libé ne fait qu’accompagner l’événement, notamment car celui-ci est annoncé. Verbatims :
“Le jeu vidéo est devenu un vrai produit culturel. C’est même le produit culturel qui se vend le mieux ces temps-ci. Plus que la musique ou les films.”
“Le jeu vidéo Grand Theft Auto IV sort mondialement mardi.”
“Il s’annonce comme le produit culturel le plus vendu au monde.”
“Des records annoncés”
“Take Two, l’éditeur et diffuseur de GTA IV, escompte en écouler plus de 4 millions sur le territoire américain pour le seul mois d’avril.”
“6 millions d’exemplaires pourraient être vendus mondialement la semaine du lancement. Cela équivaut à un chiffre d’affaires de 400 millions de dollars, c’est-à-dire presque autant que le record atteint et toujours détenu par le film Pirates des Caraïbes : jusqu’au bout du monde.”
“Avant même sa mise en bacs officielle, le titre n’a cessé de crever tous les records, les précommandes par les grands réseaux de distribution et les réservations par les joueurs ayant outrepassé toutes les prévisions.”
On le voit bien : il s’agit de records (d’où l’événement) qui sont à la fois annoncés ou ont déjà eu lieu. Le message de Libé : GTA IV fait la une car c’est déjà un phénomène. Libé accompagne, Libé ne crée pas l’événement.
Reste que - et il y a là une énorme complexité - ce choix éditorial est aussi un accélérateur d’événement. Et de ce point de vue, le média ne peut jamais être tout à fait neutre.
Dans le genre “phénomène”, je serais curieux de retracer la couverture médiatique de Bienvenue chez les Ch’tis et de la comparer à la courbe d’entrées en salles. Médias oeufs et/ou médias poules ?
Et au fait : GTA IV est sorti hier.