La curée
Franz-Olivier Giesbert a écrit, dans Le Point, un éditorial où il vante la presse écrite dont l’aptitude à la dérision et l’esprit critique seraient irremplaçables. Je me demande si nous lisons les mêmes publications. Je crois que nous pouvons déjà nous estimer heureux quand des informations fiables nous sont communiquées et qu’elles nous permettent à peu près d’appréhender la réalité de notre pays et du monde. Mais j’avoue que, pour le reste, je ne vois pas dans la presse écrite, en dehors du sérieux dont elle se pare, la moindre tentation de briser les idoles, de se moquer des "vaches" et des idées sacrées, de pourfendre la bêtise et l’arrogance. Certes, FOG cite Le Canard enchaîné qui demeure en fait l’unique référence pour cette causticité-là mais il ose mentionner aussi Jean-Marie Rouart qui a du talent mais dont les capacités polémiques restent dans un champ raisonnable et de bon ton. Si toute analyse qui met un peu de noir ou de gris dans le rose est qualifiée de provocatrice et de dissidente, je comprends que FOG congratule la presse écrite et s’émerveille de ce qui m’apparaît comme un indiscutable minimalisme.
La dérision, la moquerie, les sarcasmes, les boutades, les anecdotes montées en épingle et révélatrices de bien plus qu’elles, les indiscrétions, les échos, les dévoilements parfois insignifiants, on les trouve sur la Toile. La presse écrite constitue un appareil trop encombrant pour suivre à la trace le cheminement de l’apparemment futile et du léger lourd de sens. Elle agit mais ne réagit pas. Elle n’a pas l’envie ni le temps de mettre en oeuvre un droit de suite qui consisterait à ne jamais tenir quitte quelqu’un pour ses contradictions, ses absurdités ou ses reniements. Elle ne va jamais véritablement à l’affrontement avec les autres médias de sorte qu’une immense chape de complaisance, en dépit des troubles et des controverses superficiels, est épandue sur le monde de la communication. La rectitude et la vérité sont trop explosives pour être maniées sans précaution et les précautions prises sans cesse font que ce qui crève l’esprit n’est plus dit ni écrit.
Deux exemples qui m’ont conduit à ce billet et qui sont unis par une même curée facile à l’égard d’un homme et d’un camp qui ont perdu lors des élections européennes.
Je lis dans Marianne un article d’Alain Minc étrangement qualifié de "conseiller" en plus de l’essayiste qu’il est. Conseiller mais de qui et de quoi ? On devine derrière ce terme si riche et si vague des murmures et des coups fourrés, la modestie ostensible de celui qui prétend se montrer en affectant de se cacher, le confort d’une personnalité qui n’est jamais jugée véritablement puisqu’elle n’accomplit rien mais suggère tout. Décidément, je n’aime pas ces parasites de l’ombre.
Alain Minc soutient que les électeurs ont "tiré sur l’ambulance Bayrou" et qu’il n’a pas besoin de le faire. Pourtant, sans élégance, il en "rajoute" et vient accabler encore davantage une personnalité déjà blessée. Dans cette attitude, il y a tout ce que je n’aime pas. Conseiller des puissants et des riches mais sicaire de haute volée intellectuelle qui ne dédaigne pas les coups de main.
Le "conseiller" en vient à l’essentiel qui consiste à imputer à nouveau à François Bayrou d’être un "Le Pen light" et de se situer dans la lignée de "la vieille droite nationaliste, catholique, inconsciemment xénophobe". Quel mélange des genres qui signifie beaucoup sur celui qui le pratique ! Stupéfiant comme Alain Minc va chercher, dans le champ infini de ce qui aurait pu être reproché à François Bayrou au cours de cette récente campagne et auparavant, le seul grief absurde en "gonflant" son dérapage si vicieusement provoqué par Daniel Cohn-Bendit ! Paradoxal de s’enivrer d’une comparaison avec un Le Pen "soft ou light" quand Nicolas Sarkozy - dont Minc n’est pas éloigné, il le "conseille" - n’a pas hésité, et heureusement pour la droite classique, à vider le Front national de sa substance "sécuritaire" pour engager une vraie et efficace politique de sécurité ! Faudrait-il alors baptiser Nicolas Sarkozy de "Le Pen dur ou lourd" ? Alain Minc aurait plus fait progresser la lucidité politique et l’introspection de François Bayrou s’il avait été plus inventif.
Bizarrement, à l’émission Ripostes de Serge Moati où son invité était Guy Bedos, j’ai ressenti le même malaise. Certes traité à mon sens avec une révérence excessive puisque, paraît-il, emblématique du "peuple de gauche", il s’est contenté, avec condescendance et sans véritable profondeur, de pourfendre le parti socialiste qui avait eu le tort de ne pas l’écouter et tous ces citoyens qui n’avaient rien compris. N’oubliant pas au passage la promotion artistique familiale, il a tenu certains propos qui auraient scandalisé dans la bouche d’un amuseur ou d’un politique de droite. Pour rire, comme il l’affirme à chaque fois que sa roublardise lui signifie qu’il a été trop loin, il a exprimé son mépris à l’égard d’un électorat qui ne mériterait pas, trop bête, de voter. Derrière cette gouaille et ces grincements, beaucoup de contentement de soi intime. Avec quelle volupté n’a-t-il pas répété qu’il avait été reçu à plusieurs reprises par Nicolas Sarkozy, oscillant entre le désir de dénigrer et la vanité de la proximité ! J’ai été déçu par cet histrion amer et conscience surestimée dans cette mélancolique avant-dernière émission. Nicolas Demorand va venir sur France 5 - et c’est une consolation - mais quelle médiocre conception du changement que de supprimer ce qu’il y a de meilleur !
La presse écrite se serait-elle moquée d’Alain Minc qui se repaît de la défaite de François Bayrou ? Aurait-elle jugé ridicule l’intervention de Guy Bedos qui ridiculise volontiers les autres ? Je ne crois pas. Ce sont des tâches subalternes pour des journalistes qui prétendent ne pactiser qu’avec l’intelligence et laissent le menu fretin de la vie et de la pensée, la comédie sociale, politique et médiatique, à l’instantanéité d’Internet et des blogs.
Mais il y a une grande force dans notre faiblesse. On ne se plaint pas.