L’homme paraît à l’aise pourtant, débitant la majeure partie de son texte par cœur. C’est faux. En devant de scène, des "bains de pieds" (des baffles) censés lui renvoyer le son de ce qu’il dit dans son micro HF dissimulent des écrans qui lui servent de prompteur. Un bon vieux procédé d’artiste sur scène : JP Capdevielle, en son temps, faisait déjà pareil, étant incapable de retenir une seule chanson de bout en bout. Il y a déjà un côté fabriqué à l’exposé de notre homme : il suffit de le regarder baisser les yeux au même endroit, régulièrement, pour s’en rendre compte. Ça sent maintenant la prétention pure et simple, au bout de quelques minutes. Car, très vite, son propos devient assez surprenant : l’homme nous dicte sa vision des choses et non une analyse véritable.
Bellanger a une vision bien à lui de l’internet : il a toujours vendu de la soupe et l’internet est son nouveau sachet lyophilisé, après celui de la radio. Il nous mitonne donc un discours qui sent le réchauffé. Il imite Jobs, mais est loin d’en avoir le charisme. Bellanger fait dans le représentant de commerce et dans le faux gourou, pas dans le visionnaire. On pense à une conférence d’un autre bonhomme qui se prend lui aussi pour celui qui a tout compris : Claude Vorilhon, alias... Raël. Lui en blanc intégral, Bellanger, le fils de Claude Bellanger, cofondateur du Parisien libéré, en noir absolu. Il n’est pas vraiment bon orateur ni bon organisateur et, comme Raël, il nous assène tout de suite un titre qui fiche par terre toutes les grandes et belles idées qui vont suivre : "communiquer sur internet quand on a quelque chose à vendre, tel est le thème de cette conférence", nous dit le fondateur de Skyrock. Bing, c’est déjà fichu, dès l’intro : tout ce qu’on va entendre après sert donc à alimenter la caisse de pub de sa radio, et de son site internet, dont les scores sont assez faramineux... chez les jeunes de moins de 15 ans. Selon lui, en effet ; sa radio a toujours été seule "la libre expression populaire de la jeune génération". C’est gentil pour la concurrence... FunRadio ou Energie vont drôlement apprécier.
Commence alors une longue, très longue énumération de chiffres, plus un autre côté gourou avec sa classification toute théologique des
"7 enseignements de l’internet". Bellanger nous expose sa Bible, et surtout en revient à son ancien Testament tout d’abord avec le rappel de l’ascension de sa radio. Il fait son évangéliste forcené. Très vite, on en vient au titre de la "
conf" et au seul thème de ce long monologue
: "La conversation sur le net est présentée comme un intermédiaire entre le produit et la décision d’achat"... ah, voilà ça devient plus clair... Les
"utilisateurs", selon Bellanger, deviennent ceux qui "
analysent les nouveaux produits"... car
"l’internet est multiplicateur de l’émancipation individuelle"... Ouch, ça devient de moins en moins clair, question internet, de plus en plus question revenus possibles engendrés par ce même internet,
en récupérant la
loi de Metcalfe à l’occasion, pour faire plus sérieux. Le texte de Bellanger, c’est un condensé de l’intégrale de
Science et vie informatique, pas moins. Un accéléré des vingt dernières années en forme de plaidoyer pour son seul site d’ados en manque avant tout de communication parentale... Le gourou mélange allègrement les maths et son propos, pour faire donc plus "sérieux. Et finir par lâcher que l’
"internet est la plus grande machine à création de valeurs de tous les temps"... Ah, on y revient encore une fois : ce n’est plus un discours, c’est un véritable entonnoir : au bout, on n’a plu qu’à signer chez Skyrock pour un mirifique contrat de pub... le gourou capte toute son audience vers... son tiroir-caisse, et rien d’autre. Le Steve Jobs du pauvre confond exposition et récupération. Là où Jobs nous émerveille, Bellanger nous endoctrine. Le Raël du net nous sort ces
"révélations" comme s’il avait été touché par la grâce de la baguette magique de Microsoft. Il s’emballe, monte d’un cran et en deviendrait presque lyrique. Il se prend vraiment pour un devin. Au lieu de séduire, il fait peur, avec ses idées tout arrêtées sur le net et son avenir. On se dit qu’avec des gens comme ça au pouvoir, ça en sera fini des réseaux sociaux à très court terme. Les écrans de pub seront devenus longs comme ceux de TF1 et auront vite dissuadé les candidats à s’exprimer un tant soit peu... allez donc taper votre post avec un pop-up constant devant les yeux, vous verrez...
L’homme a en fait déjà expliqué sa méthode il y a trois ans au
JDN :
"L’interactivité représente plus de 20 % de notre chiffre d’affaires et contribue positivement au résultat de notre groupe. Les revenus proviennent principalement de la publicité. Celle-ci ne prend pas seulement la forme de campagnes classiques : nous faisons de plus en plus souvent bénéficier nos annonceurs de l’expertise, tant technique que marketing, que nous avons acquise sur notre cible d’internautes, en leur proposant des opérations plus globales, pouvant aller jusqu’à la création et l’animation de sites internet et mobiles, en synergie avec des campagnes web et radio". En résumé, le Skyblog des ados fait du phishing, et détecte les habitudes de consommation à leur insu... Le mot magique est alors lancé : les gamins sont harponnés à la radio et ferrés... sur le net. Un bon coup de chalut, et c’est dans la poche : "
cette synergie se fait naturellement via les canaux de chat, ou les interfaces web et mobiles d’envoi de messages dans les studios, ou via les reprises par les auditeurs et les animateurs de leurs Skyblogs respectifs lors de leurs interventions à l’antenne. Tout se fait naturellement à partir des auditeurs et des internautes." De l’ineffable Difool on passe au chat, du chat on passe au skyblog, du skyblog on passe à la musique... et retour à la radio. Le gamin ne s’est aperçu de rien : il fait partie d’un "panel" sans s’en apercevoir. Super ! Belle manipulation !
Chez la secte bellangerienne, ce discours confus, ça devient "
La convergence c’est le code"... Car, chez les grands gourous, on ne peut pas faire un livre (sorti en 2003) qui s’intitule bêtement
Co
mment vendre de la soupe à la radio, faut bien trouver un titre... plus obscur, et qui fasse surtout
plus intello. On dirait du
Thierry Breton, qui n’avait pas écrit une seule ligne du livre qui avait fait sa fortune. Déjà, à son propos, notre gourou parlait essentiellement... fric : "
Le rejet de la publicité sur internet est en ce sens significatif. Actuellement, c’est un média clairement sous-valorisé. Pourtant, il a un potentiel extraordinaire. En fin d’année dernière, nous avons fait une campagne publicitaire sur internet pour environ 100 000 euros. Ce fut une campagne tout à fait efficace." Lors de la même interview, notre nouveau Raël du net déclarait sa flamme pour la prose de
Cory Doctorow, un bloggeur, et auteur à ses heures de... science-fiction. Branchouillard, geek, mais sans idées nouvelles véritables, le type même du gars qu’on aura oublié dans cinq ans. Régulièrement enthousiaste... à ses propres œuvres, l’homme sied à Bellanger comme un gant : les deux travaillent dans l’esbrouffe totale. Tout juste bons à séduire les politiques, qui ne comprennent rien aux nouvelles technologies.
Et comme Thierry Breton, ce vendeur de vent, Bellanger a l’oreille des grands de ce monde, car il est l’un des rares à avoir tous les soirs des milliers de gamins de 13-14 ans. Et ça, c’est démagogiquement fort recherché par les pouvoirs en place. On avait déjà eu le cas de l’inepte
Benoit Sillard, ancien recruteur de Cauet et Arthur devenu
Monsieur Nouvelles technologies dans le
gouvernement Raffarin... notre homme du Sky et du Rock commence à être lui approché par les hommes du pouvoir... au point de débouler au
"Conseil d’analyse stratégique des industries culturelles et de communication"... où il est nommé par Renaud Donnedieu de Vabres
le 30 septembre 2006. Juste à côté de Denis Olivennes, ou de Michael Boukobza... l
’homme de Free, qui avait bien été moqué à une époque par un
facétieux têtu. Les politiques sont fascinés par les faiseurs d’argent.
Tout cela n’augure rien de bon. Le réseau social sous les doigts d’un Bellanger, 50 ans, ancien animateur de Radio-Mongol à l’université Paris-VIII, ça se résume vite à un choix à deux entrées pas plus : c’est soit un lupanar soit une caisse enregistreuse. Question caisse, on a compris les vues du gourou : à 400 000 euros annuels pour sa pomme, il détrône facilement Steve Jobs (qui est bien plus futé que lui et vole gratis en Gulfstream IV). Question lupanar... c’est en cours. Cauet-le-veule n’a qu’à bien se tenir. Le 9 août 2008, l’animateur David Massard, alias Difool, se voyait condamné à verser 200 000 euros de dommages et intérêts pour avoir diffusé
“des propos décrivant des actes sexuels de façon crue, détaillée et banalisée”. Dans le point de mire du CSA depuis des années, notre post-ado de 39 balais avait franchi un cap, malgré de nombreuses injonctions. Sous le pseudo de Robert le Pervers, il sévissait façon Cauet depuis des mois avec des blagues...
lamentables. Autant il avait pu être porte-étendard d’une jeunesse en mal de s’exprimer, autant il vieillit fort mal. Pipi-caca à près de 40 balais, notre animateur est en pleine régression. Mais il n’a rien à envier à son patron, en réalité.
Ce dernier avait commencé une carrière fort rémunératrice dans les années 80 à la tête de Téléfun, une société de "
services minitel", dont bien entendu le célèbre Minitel rose, son code d’alors étant 3615 Geraldine). Un service qui le conduira tout naturellement à se rapprocher de France Telecom et à éditer pour... l’Education nationale des manuels scolaires sur le Minitel, ou carrément en 2001 de créer Yazata.com, un réseau d’entraide scolaire. Faudra un jour m’expliquer comment on passe aussi facilement du Minitel rose à l’Education nationale. Ça, ou d’avoir le temps encore d’aller faire une conférence chez Nestlé en 2003 sur le thème du "
réseau social, avenir des télécoms"... la soupe, toujours la soupe à vendre aux vendeurs de déjeuners pour enfants. Depuis, remarquez, bizarrement, je scrute les boîtes de céréales, certain d’y trouver un jour un portable au nom de la "
convergence". Question convergence, justement... notre homme y connaît un rayon semble-t-il. En 1999, il arrivait à faire converger à lui tout seul quatre femmes dans son lit. Libre à lui, pense-t-on, à part que la dernière arrivée, sœur de la précédente, était mineure au moment des faits qui lui sont aujourd’hui reprochés (neuf ans après, sans qu’on n’en ait jamais entendu parler avant). Le PDG de la radio des ados vivait une vie sexuelle compliquée, relatée dans un a
rticle assez effrayant de L’Express qui n’enjolive pas vraiment notre presque ministrable. Lors de l’audience, le masque du clown obsédé est tombé, Bellanger se défendant fort mollement :
"On me présente comme un gourou, mais vous connaissez beaucoup de gourous qui ont de l’humour, qui comme moi vont à Disneyland en se mettant des frites et de la mayonnaise dans le nez ?" Encore un qui visite Disneyland, me direz-vous... mais qui cite Socrate dans son incroyable conférence (et non pas Sade, plus approprié y semble en ce qui le concerne). Cette attitude ambiguë se complique encore lorsqu’on trouve dans la déposition de la belle la citation d’un nom d’individu ayant eu un rôle dans ses relations sexuelles présentées comme un "jeu" par Bellanger. Il s’agit de
Claude Deplace, un voyant, le
"Monsieur Horoscope" de Skyrock, le dimanche de 18 à 20 heures. L’homme n’est pas totalement inconnu : il a été cité dans un ouvrage (
Messe rouge et romantisme noir, de JP Bourre) comme étant
"un acteur majeur du mouvement luciférien auprès des jeunes en France dans les années 70". Il a participé activement à deux films de
Mario Mercier décrits ailleurs comme "ésotériques", entre Max Pecas, le "roi de la comédie sexy" et Alfred Baillou, auteur de
Plaisir à trois ou
Les Chatouilleuses. L’aspect sectaire s’en retrouve d’autant renforcé. Pour mémoire, Mercier avait aussi réalisé
La Papesse en 1975, présenté par lui comme étant du "
witch cinéma". Au moment où l’on trouve des jeunes arpentant les cimetières en quête d’émotions fortes, on peut s’étonner de voir un tel gourou qui se présente aussi comme le "
Christ Noir" au beau milieu d’une radio pour adolescents...
On passe sur les détails du calvaire de la dernière arrivée dans le harem, décrit dans le détail dans L’Express. Et on ne retient que cette phrase fort juste du journaliste François Koch : "Impossible de ne pas sentir au cours de cette longue audience de huit heures un persistant parfum de dérive sectaire, le businessman de la FM, aux 400 000 euros de revenus annuels, semblant jouer parfois au « petit-Raël »". Vous pouvez encore le vérifier, cette terrible impression. Sur son site perso, Bellanger arpente toujours la scène comme le damné qu’il est, à nous parler de SON monde et du "MONDE REEL", en mettant les deux dos à dos constamment. Le 3 novembre prochain, il sera fixé sur son sort. Un an de prison avec sursis... ou la relaxe. Pour le poste de ministre, ça paraît de toute façon râpé. Il n’y a plus de ministre du culte, encore moins ésotérique. Les gamins continuant pendant ce temps à blogger comme des fous sur Skyblog ou à écouter Skyrock. Etablissant le "réseau de fans"... des consommateurs de la pub fourguée par les marques à notre directeur-gourou. Sans s’apercevoir du danger à le faire... La "glace au potiron d’Halloween" de notre faux-devin, cité à la fin de sa surprenante prestation, a encore un bel avenir chez eux... hélas ! Ne vous étonnez donc pas trop si votre petite nièce, un jour, commence à se déguiser en petite sorcière, prend subitement un teint blafard et se colorie les ongles en noir, et vous parle soudainement satanisme. Elle écoute très certainement Skyrock et a rencontré "comme par hasard" sur Skyblog quelqu’un pour lui parler de ça. Au royaume du marketing à la Bellanger, tout est bon pour faire de l’argent. Y compris l’esprit des gamines et des gamins.