mardi 3 août 2010 - par
Bettencourt, une affaire d’Etat
Bettencourt, Woerth, Sarkozy, tout s’emboite, comme ces poupées russes, les matriochkas, qui sont les unes dans les autres, la plus petite étant imbriquée dans une plus grande.
Mais on pourrait aussi évoquer le « château de carte » dont il suffit qu’une seule carte bouge, pour que tout s’écroule.
S’ils ont cru un instant s’être tirés d’affaire, Bettencourt, Woerth et Sarkozy risquent une rentrée difficile.
La plus petite des « poupées russes », c’est d’abord l’ex-majordome des Bettencourt, qui en révélant à la presse d’investigation, les 28 cd d’enregistrements clandestins qu’il a réalisés de mai 2009 à mai 2010, fait apparaitre le scandale au grand jour. lien
Ensuite apparait Liliane Bettencourt, la femme la plus riche de France, (lien) dont divers témoignages laissent apparaitre qu’elle n’a plus toutes ses facultés.
D’autres témoignages voient le jour, et la Cour d’Appel nomme enfin une juge afin d’enquêter sur cette affaire.
Celle-ci, Isabelle Prévost-Desprez, se voit refuser par Philippe Courroye l’accès aux enregistrements clandestins, alors qu’elle doit enquêter sur ceux-ci.
Dominique Gaspard l’ex-femme de chambre, et Henriette Youpatchou l’ancienne infirmière de Liliane de Bettencourt, ont témoigné auprès de la juge Isabelle Prévost-Desprez de la dégradation de l’état de santé de leur ex-patronne :
« Elle avait de graves problèmes d’équilibre (…) elle n’avait aucune notion de l’endroit où elle se trouvait : par exemple, quand elle devait aller dans la salle-à-manger, il fallait l’y conduire (…) il fallait lui dire où était sa chambre sinon elle partait en sens inverse dans le couloir ». lien
La 3ème « matriochka » c’est François-Marie Banier, un artiste mégalo, qui est devenu « l’ami » de Liliane Bettencourt.
Son nom est sur la liste des 500 « évadés fiscaux » du Liechtenstein. lien
Liliane Bettencourt, dont la lucidité est à éclipse (dixit le point.fr) semble être sous son influence : elle lui offre près d’un milliard d’euros, et même une ile, l’ile d’Arros, dont Banier devient propriétaire par un tour de passe-passe.
Elle en fait même son « légataire universel ».
Cette Ile d’Arros lève d’ailleurs d’autres questions, puisqu’évaluée entre 500 millions et 1 milliard d’euros, elle s’est vendue entre 11,5 et 15 millions d’euros. lien
La 4ème « poupée russe » c’est Patrice de Maistre qui gère l’argent de la milliardaire.
Grâce à son aide, Liliane Bettencourt a pu soustraire de l’argent au fisc, celui-ci se trouvant bien au chaud dans plusieurs paradis fiscaux, comme ces 65 millions d’euros sur un compte à Vevey. vidéo
Au passage, il se fait offrir par la vieille dame un yacht de 21 mètres, demandant à celle-ci de le cacher à sa fille.
Celle-ci, Françoise a été toujours très proche de sa mère, et s’en est trouvée écartée, suite aux manœuvres de Banier.
Elle est inquiète de sentir sa mère sous l’influence de cet homme, dénonce un « abus de faiblesse », et saisit la justice, mais un magistrat, nouvelle « matriochka » Philippe Courroye nommé par le pouvoir, tente d’éteindre l’incendie, justifiant la fin de l’action judiciaire par des vices de forme.
On peut en toute logique s’interroger son attitude dans cette affaire.
C’est là qu’Eric Woerth apparait, faisant le lien entre l’UMP dont il est à ce moment le trésorier, et Nicolas Sarkozy dont il est devenu ministre.
Woerth est mis en cause par Claire Thibout, l’ex-comptable des Bettencourt, qui, le 5 juillet 2010 confirme à la police financière avoir consigné dans 3 carnets les retraits d’espèces qu’elle effectuait, à la demande des Bettencourt, carnets qui ont été remis à Liliane Bettencourt par l’entremise de Fabrice Goguel, ex-avocat fiscaliste des Bettencourt, lequel à confirmé ses dires.
Elle déclare : « Dédé (André Bettencourt) et il ne s’en cachait pas, a toujours financé la droite. C’était un vrai défilé d’hommes politiques dans la maison, ils venaient surtout au moment des élections. Dédé arrosait large. Chacun venait toucher son enveloppe. Certaines atteignaient même parfois 100 000, voire 200 000 € ».lien
Pour échapper à la curiosité du fisc, les Bettencourt financent la campagne présidentielle 2007 de Sarkozy : il est question de 150 000 euros, alors que la loi ne permet pas de dépasser 7500 €.
Claire Thibout raconte : « Dédé m’a convoqué pour me demander d’aller retirer à la banque une somme trois fois supérieure à l’habitude, à savoir 150 000 € (…) c’est pour financer la campagne présidentielle de Sarkozy ! Je dois donner de l’argent à celui qui s’occupe du financement de la campagne, Eric Woerth »
Elle a daté ce retrait : c’était le 26 mars 2007, quelques semaines avant l’élection présidentielle. lien
Woerth, toujours lui, suivant des témoignages convergents, à demandé à Patrice de Maistre d’engager son épouse dans une filiale de l’entreprise Bettencourt, même s’il le nie. lien
Le même Woerth est suspecté de conflit d’intérêt dans l’affaire de la vente illégale sans appel d’offre d’un hippodrome dans sa « bonne ville » de Chantilly. lien
Son prix a été sous-évalué. lien
Objet de tant d’accusations, il est obligé de démissionner de son poste de trésorier de l’UMP, (Union de la Majorité Présidentielle) et échappe de peu à la perte de sa place de ministre.
En effet, dans la réunion du conseil des ministres du 21 juillet 2010 Sarkozy avait envisagé de le démissionner. (« Le Point » n° 1976, page 17)
A part Eric Woerth, il existe un autre lien entre Sarkozy et Bettencourt, il s’agit de Patrick Ouart.
Celui-ci est à ce moment conseiller de Sarkozy. Il est nommé à plusieurs reprises dans les enregistrements clandestins, et c’est lui que De Maistre contacte régulièrement dès le début de l’affaire :
« Patrick Ouart, le conseiller juridique à l’Elysée, que je vois régulièrement pour vous (…) il m’a dit que le procureur Courroye allait annoncer le 3 septembre, normalement, que la demande votre fille était irrecevable. Donc classer l’affaire. Mais il ne faut le dire à personne, cette fois-ci. Il faut laisser les avocats travailler. Voilà. Il vaut mieux que j’entende cela qu’autre chose. Donc je suis de bonne humeur ». lien
La dernière des « matriochkas » n’est autre que le Chef de l’Etat, qui a été élu en partie grâce à la générosité des Bettencourt.
L’affaire devient donc une affaire d’état.
Claire Thibout, au sujet de Sarkozy affirme :
« Il venait déjeuner ou diner avec Cécilia » (entre 1983 et 2002). « Nicolas Sarkozy recevait aussi son enveloppe (…) c’était un habitué (…) tout le monde savait dans la maison que Sarkozy aussi allait voir les Bettencourt pour récupérer l’argent ».lien
La boucle est bouclée.
Les médias aux ordres se cristallisent sur des affaires de « roms » et de banlieues incontrôlables, occultant pour l’instant l’essentiel.
En effet, Liliane Bettencourt, qui vient d’être condamnée par la Cour d’Appel (lien) a été enfin auditionnée, de retour de ses vacances à St Jean Cap Ferrat, ainsi qu’Eric Woerth.
Xavier Bertrand qui accusait Médiapart d’utiliser des « méthodes fascistes » se trouve désavoué par la justice, et menacé par une plainte que Médiapart à déposé contre lui le 6 juillet.
Eric Woerth, même s’il continue à se défendre comme un beau diable, voit ses déclarations contredites par le témoignage de Patrice de Maistre, qui confirme que Woerth lui a demandé d’engager sa femme Florence dans une filiale de l’Oréal, Clymène.
Ce même Eric Woerth est menacé dans une nouvelle affaire de conflit d’intérêt.
Il semble, d’après un article du Point (l’autre affaire qui menace Eric Woerth, le Point N° 1976, page 18) que « la justice et le fisc se soient montrés plutôt bienveillants avec les héritiers Wildenstein ».
Guy Wildenstein, membre fondateur de l’UMP est un proche de Sarkozy qui l’appelle « mon ami Guy ». Il est membre du « Premier Cercle », l’association crée par Woerth pour financer la campagne 2007 de Sarkozy.
A la mort en 2001 de Daniel Wildenstein, Sylvia la seconde épouse de celui-ci, accuse ses beaux fils d’avoir tenté de la flouer, en lui faisant croire que son mari était criblé de dettes, alors que sa fortune se monte à 3 ou 4 milliards d’euros, et non 42 millions comme le prétendaient ses beaux fils.
Le magot serait bien au chaud dans des paradis fiscaux.
Alors on comprend mieux la volonté du chef de l’Etat d’agiter le drapeau rouge de l’insécurité, relançant ainsi le débat malsain sur l’identité nationale, faisant le lit du front national dans le double but manifeste de déplacer l’attention médiatique loin de l’affaire Bettencourt, et tentant de refaire de l’insécurité le sujet central de la présidentielle de 2012.
Mais les français seront-ils dupes une deuxième fois ?
Car comme dit souvent mon vieil ami africain :
« Quelle que soit la longueur de la nuit, le jour finit toujours par arriver ».
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