samedi 16 mai 2015 - par Laurent Simon

Cycles de 22 ans. Pertinence ? Utilité ? D.Cameron vs F.Hollande ? Printemps arabes ?

En France, de quelles dates vous souvenez-vous au 19e siècle ? 1848, 1870, 1804 (sacre de Napoléon empereur),assurément, et 1815 (retour et abdication de Napoléon) très probablement. Et 1789 - 1793 pour la fin du 18e siècle. Ou l'histoire était déjà mal enseignée ?

Et au 20e siècle, en France toujours ? 1914-1918, 1939-1945, 1968. Ce qui correspond systématiquement à un écart de 21 à 23 ans.

Si l'on étend au monde, la Chute du Mur de Berlin (1989) et l'effondrement de l'URSS (1990) est incontestablement une autre date majeure, et entre 1917 et 1990 le délai est de 73 ans, soit 3 fois 24 ans. Et 69 = 3 x 23 ans si l'on tient compte de la durée de la 2e guerre.

Et (Wikipedia) "le « Mai français » s'inscrit par ailleurs dans un ensemble d'événements dans les milieux étudiants et ouvriers d'un grand nombre de pays. Il ne se comprend pas sans ce contexte d'ébullition générale de part et d’autre du Rideau de fer, notamment en Allemagne, en Italie, aux États-Unis, au Japon, au Mexique et au Brésil, sans oublier la Tchécoslovaquie du printemps de Prague ou la Chine de la Révolution culturelle."

Cette durée de 22 ans n'est-elle pas un peu troublante ? Surtout si un travail d'historiens, sur plusieurs siècles, au Royaume Uni et aux Etats-Unis aboutit à la même durée de 20-22 ans ?

Cycles de Kondratiev, économisteCe court article prolonge deux articles récents sur Agoravox (la situation en Israel, et le crash A400M), et les commentaires correspondants.

Car ces réactions montrent une certaine incompréhension. Certains commentaires semblent même épidermiques, sans référence précise à l'article, laissant entendre que l'article n'a été que survolé. Mais supposer qu'une partie significative des lecteurs allait lire les articles cités en référence était probablement une erreur de notre part.

Nous répondons ici brièvement à deux questions fondamentales.

1. Les cycles sont-ils mécaniques, inéluctables ? Avec des effets garantis ?

François Hollande.Parler de cycles n'est pas nouveau, c'est d'ailleurs une évidence dans le domaine économique ou financier. Mais la durée de ces cycles fait l'objet de débats.(3 à 4 ans, 8 à 10 ans, 15 à 25 ans, 40 à 60 ans).

Et surtout certains ont cru qu'il suffisait d'attendre le retournement du cycle, notre Président notamment, pour constater une amélioration significative des données économiques fondamentales.

Alors que les économistes savent bien, et disent depuis des années, que la reprise arrivant à la fin d'un cycle profitera d'abord et surtout aux pays qui auront fait des réformes structurelles. David CameronRéformes qui leur permettent de profiter à plein de l'amélioration des paramètres économiques dès qu'elle se concrétise, alors que les autres pays sont nécessairement freinés par leurs pesanteurs héritées d'un autre âge.

D'ailleurs les succès économiques de Cameron en Grande Bretagne incontestables depuis plusieurs mois, et son éclatante réélection il y a quelques jours, ne montrent-ils pas que faire des réformes drastiques, et impopulaires, au début d'un mandat est la manière la plus efficace de redresser l'économie d'un pays ? Malgré les mesures de Cameron 'cassant la croissance', le PIB britannique est revenu à un niveau plus haut qu'avant la crise de 2008, alors que ce n'est pas encore le cas en France.

Evolution récente du PIB britannique

Et François Hollande a eu bien tort d'écouter les conseils de Karine Berger, adepte d'une lecture mécanique des cycles économiques et auteur en 2011 avec Valérie Rabault, du livre "Les Trente glorieuses sont devant nous". Come nous le lecteur a pu constater la puissance des nouvelles Trente Glorieuses depuis le retour de la gauche au pouvoir... Car "les choix audacieux" que demandaient les auteurs sont trop marqués par l'ultra-keynesianisme des années 1981, dont nous payoins le prix en France depuis plus de 3 décennies. Et la France, dans un système globalisé, ne peut se permettre de raisonner comme si les frontières existaient encore.

Donc non, les théories des cycles ne sont pas à prendre comme mécaniques. Inéluctables, et donnant à penser qu'il serait impossible d'agir sur leurs fondamentaux. Bien au contraire !

Ainsi, sur un autre registre, dans notre article récent, nous disions que la société israélienne était prête au changement, ce que nous maintenons. Mais cela n'a pas empêché B. Netanyaou de se faire réélire aux dernières élections législatives..Car le Premier Ministre sortant a pu se servir d'évéments tragiques quelques jours avant l'élection, pour faire peur et justifier sa politique 'sécuritaire'. Ce qui malheureusement risque fort de mener à de bien plus graves problèmes dans la région, un peu plus tard.

Remarquons aussi que nous avons élargi la question sur (tous) les cycles économiques, et pas sur notre durée 'historique' d'environ 22 ans, qui correspond exactement à la théorie de Strauss-Howe, qui résulte de l'analyse sur plusieurs siècles en Grande Bretagne et aux Etats Unis.

2. A quoi donc peut bien servir la théorie des 22 ans ?

Pour nous il s'agit surtout de mieux percevoir ce qu'un peuple attend, ce qu'une situation économique permet. Et donc de prendre des décisions plus adaptées.

Par exemple, les hommes politiques en 1967 en France auraient pu être plus attentifs à ce qui se passait en France, dans la société. Et les événements de Mai 68 auraient probablement pu être gérés de façon plus adaptée. Lorsque le journaliste du Monde écrivait "La France s'ennuie" quelques jours avant les événements, cela aurait pu attirer l'attention des décisionnaires, et les interpeler.

Printemps arabesAutre exemple, plus récent, et surtout plus adapté puisque nous avions depuis 2005 la connaissance de ces cycles, et que nous nous attendions à des événements majeurs vers 2010-2012 : nous avions annoncé lors des 'printemps arabes' que la Libye (60 ans après l'indépendance et 42 ans sous Khadafi) et l'Egypte (89 ans après l'indépendance et 38 ans après la guerre de 1973) pouvaient basculer, après la Tunisie, alors que cela ne serait sûrement pas le cas dans les autres pays (arabes, ou Iran) où des révoltes existaient.

Le cas de l'Iran est d'ailleurs très intéressant : nous avions annoncé que les révoltes suite à la réélection (truquée) de Ahmadinejad en 2009 ne déboucheraient probablement pas sur un changement Manifestation en Iran-2009, car elles arrivaient trop tôt. En revanche l'élection de 2013 (62 ans après 1951, 25 ans après la guerre avec l'Irak et 35 ans après la révolution de 1978) nous semblait propice à des changements durables. Ce qui semble se confirmer, même si ce n'est pas encore gagné.

Encourager l'Iran à bouger, en le dédiabolisant, nous semblait donc de plus en plus pertinent, au fur et à mesure que l'on s'approchait de 2012 (61 ans après l'indépendance, et 24 ans après la fin de la guerre). Et a contrario le faire dès 2008, comme l'a essayé Barak Obama, était un peu trop tôt.

Une bonne utilisation de cette théorie des cycles consiste donc à encourager, dans un sens conforme à sa propre politique, des évolutions qui semblent probables, et ne pas faire de mouvements à contre-temps.



8 réactions


  • Laurent Simon 17 mai 2015 07:35

    Cet article a été écrit avant la surprise des +0.6% de croissance, et publié après... Le fond reste valable, mais nous aurions écrit l’article un peu différemment.
    Car ces +0.6% illustrent à la fois la pertinence de l’approche des cycles économiques et les limites d’une compréhension trop mécanique : le surcroît de croissance est essentiellement dû à la consommation des ménages, très peu à l’investissement, et un coup de mou à l’export. Donc on est loin d’une ’saine croissance’, porteuse d’avenir.
    Et de toute façon une tendance se mesure avec au moins deux trimestres consécutifs, puisque de nombreux facteurs jouent, dans un sens ou dans l’autre.


  • Laurent Simon 17 mai 2015 07:47

    Au passage, merci à l’équipe d’AgoraVox, qui a fait quelques changements qui peuvent contribuer à sortir AV de l’impasse extrêmement minoritaire.
    - Mettre des étoiles (de 1 à 5) permettra à certains de donner un avis non binaire (exemple sur cet article, entre deux consultations, il y a eu deux votes, de somme 6, qui peuvent être 1+5, ou 2+4, ou 3+3.
    - Enlever les + et - aux commentaires (qui auraient pu être utilement changés en étoiles) évitera de trop cliver les commentaires, et permettra, sur la durée, aux lecteurs de lire vraiment les commentaires, au lieu de s’arrêter aux commentaires les plus cochés d’un +. Mais il ne faut pas s’attendre à des changements importants rapidement visibles : AV a progressivement chuté vers un site extrêmement clivé, il ne va pas rapidement redevenir plus divers dans les points de vue exprimés. il est facile de chuter, il est plus difficile, et beaucoup plus lent, de remonter la pente.


  • zygzornifle zygzornifle 17 mai 2015 11:57

    Au contraire d’Hollande Cameron défend son pays, il ne s’est pas vendu .....


    • Laurent Simon 17 mai 2015 18:13

      @zygzornifle anti UE apparemment ?
      Il y a des points de divergence, et des points de ressemblance.
      Tous les deux ont voulu être habiles, FH pour son élection, sur un programme de ’gôche’ dont il savait qu’il serait inappliquabe, Cameron pour sa réélection, en promettant ce référendum, sur le maintien ou non dans l’UE, dont il savait qu’il serait une épreuve pour lui, en cas de succès..
      Mais au moins Cameron s’est fait élire la première fois sur un programme impopulaire, et il a appliqué son programme, avec détermination, et avec le succès que l’on sait. (Comme le gouvernement Barre en 1978 en Frace, dont les sondages disaient que la gauche allait l’emporter, mais cela n’a pas été le cas, c’est un peu le même phénomène ici : la rigueur économique a payé dans les deux cas).
      FH et Cameron sont tous les deux très conscients de ce que l’UE apporte à leur pays,
      FH fait semblant d’essayer de demander à l’UE des choses qu’il savait impossible à obtenir
      , et il n’ a effectivement rien obtenu (parce que c’était vraiment impossible, par simple constatation que l’UE est constituée de pays où les chefs d’Etat prennent très souvent des décisions responsables, même s’ils font semblants de n’en être pas cosignataires.. voir plus bas)).
      Cameron ne parle pas beaucoup de ce que l’UE apporte, mais il avait clairement dit qu’il ferait campagne pour le maintien dans l’UE.
      Toute la question est de savoir comment il va faire face désormais, avec cette promesse qu’il doit tenir, et ce grand risque que le RU s’en aille.
      Mais que l’on ne s’y trompe guère : Cameron, avec tous les moulinets qu’il fait face à l’UE, s’est marginalisé par rapport à ses collègues des autres pays, et n’a guère d’influence dans l’UE désormais. Vous avez l’impression qu’il défend son pays, avec des attitudes du genre Thatcher, mais les faits ne montrent pas beaucoup de résultats : donnez m’en donc !
      Ca vous plait, cette attitude très verbale, cette posture qui ne mène à rien ? (dans les deux cas, FH comme Cameron)

      Bref, ici comme dans le RU, l’UE n’est pas populaire, en grande partie parce que les hommes politiques ont pris l’habitude de dire : « quand c’est bien, c’est grâce à moi, quand c’est moins bien, c’est la faute à Bruxelles... » alors que dans 90% des cas chaque chef d’Etat a cosigné les décisions européennes !


  • Laurent Simon 18 mai 2015 14:32

    je cherchais des graphiques très parlants sur l’évolution comparée du chômage en France et au Royaume Uni,, depuis l’accession au pouvoir de François Hollande,
    l’article Bientôt la Cameronmania en Europe ? répond excellent à cette question !

    Malheureusement pour la France, mais peut-être que des gens de gauche vont finir par ouvrir les yeux ! Comme quoi ceux qui font des réformes pertinentes, même si impopulaires, au moins au début, peuvent se faire réélire.
    C’est ce qui s’était produit en France, en 1978, quand Barre était premier ministre, et que Chirac faisait campagne contre lui et sa politique de rigueur.
    Avec 12 ans de Chirac comme président, et trente ans de politique anti entreprises (par le poids des charges sociales, des dépenses publiques, de la dette croissante qui ont mis les intérêts de la dette au premier poste du budget de l’Etat !!!) on voit bien la différence, en nombre de chômeurs...
    La droite + centre l’avait donc emporté en 1978, alors que les sondages donnaient la gauche comme probable gagnante ...


  • Laurent Simon 27 septembre 2022 19:56

    Iran : 2009 nous semblait trop tôt pour que des évolutions significatives puissent avoir lieu, 2013 nous semblait plus favorable. Mais 2022 est beaucoup plus favorable : 71 ans (3x24) après 1951 et 44 ans (2x22) après la révolution de 1978. Personne ne peut affirmer que cette fois-ci sera la bonne, mais de nombreux facteurs, objectifs,confirment cette possibilité.

    Voir Cdansl’air d’aujourd’hui Iran : un régime face au courage des femmes qui évoquait par exemple la coagulation de plusieurs protestations, le fait que 80% des Iraniens n’aient connu que le régime actuel (ce qui d’ailleurs confirme l’aspect ’générationnel’ de cette protestation, après 44 ans).

    L’avenir dira si ces protestations, dans tout l’Iran, et potentiellement suivies de grèves, sonneront le glas de ce régime si autoritaire. Et si ce sera un nouvel exemple, très parlant, de ce constat de cycles de 22-24 ans. (et aussi de la théorie de Strauss-Howe, qui résulte de l’analyse d’historiens sur plusieurs siècles en Grande Bretagne et aux Etats Unis).

    Rappel : notre interprétation de ces cycles de 22-24 ans, c’est qu’une génération après un événement marquant la société d’un pays, un autre événement majeur est possible, et même probable. Et que c’est également le cas deux générations après. Cet article de 2015 donne des dates très instructives, pour la France (et aussi l’Europe, ou le monde, avec mai 68, les deux guerres mondiales, et la chute du Mur), comme les deux articles précédents sur Agoravox (la situation en Israel) ou notre premier article de 2005.


  • Laurent Simon 30 octobre 2022 14:48

    Iran, cette fois-ci semble être la bonne.Une révolution est en marche. Et ce n’est pas l’avertissement des gardiens de la révolution : « Ne descendez pas dans les rues ! Ce jour est la dernière journée des émeutes », ce 29 octobre.22 qui est de nature à arrêter les manifestations, de toutes sortes 43 ans (2 générations) après la révolution islamique. Les manifestantes qui enlèvent leur voile ne reprochent pas le port du voile (volontaire), mais son obligation.

    Et les manifestant(e)s ne craignent pas la mort, tellement la vie quotidienne en Iran est devenue synonyme de négation de la liberté, à laquelle chaque être humain aspire.

    L’ennui c’est qu’il n’y a pas d’opposition organisée, tout a été fait pour l’empêcher, plus encore qu’au temps du Shah, avec la Savak (service secret). Ce qui limite beaucoup les possibilités pacifiques, et peut faire craindre des bains de sang à venir, et de très grandes difficultés pour arriver à sortir d’un chaos de plus en plus patent.


Réagir