Avec le temps, c’est-à-dire à l’approche du 13 juillet, il devient de plus en plus évident qu’en annonçant son projet de l’Union pour la Méditerranée lors d’un discours de campagne électorale, celui qui n’était alors qu’un candidat de l’UMP à la présidentielle française, Nicolas Sarkozy, avait en fait "mis la charrue avant les bœufs". Ce qui n’est pourtant pas dans la tradition des hommes politiques français. Habituellement, ceux-ci ne prononcent pas de discours démagogiques, mais font plutôt dans le pragmatisme. Dans la realpolitik, pour user d’un terme des temps modernes, ils n’usent pas de la langue de bois comme il est de coutume chez leurs homologues du Sud et ainsi donc ils n’avancent des choses que lorsqu’ils sont certains d’être écoutés et leurs conseils suivis à la lettre.
Il faut dire que ça n’a pas été le cas de Nicolas Sarkozy qui s’est empressé d’annoncer un projet qui, même s’il est très louable dans ses intentions, n’a pas été d’emblée accepté à l’unanimité par ses partenaires de l’Union européenne. S’il a peut-être été très facile à Nicolas Sarkozy de convaincre Espagnols et Italiens de l’utilité et de l’intérêt qu’il y a à fédérer tous les pays riverains de la Méditerranée autour de cette noble idée, parions qu’il a dû éprouver toutes les peines du monde à vendre sous cet emballage le produit de sa réflexion politique à l’Allemagne d’Angel Merkel.
Preuve en est le changement de l’appellation de ce projet qui, de "l’Union méditerranéenne", s’est transformé en un tour de main en une "Union pour la Méditerranée" et cela juste après une réunion à Hanovre, en Allemagne, de Nicolas Sarkozy avec la chancelière allemande. Sans être linguiste chevronné, il est aisé de comprendre que l’adjonction de la préposition "pour" à l’intitulé initial du projet change du tout au tout la donne. En effet, dans ce projet, il est beaucoup plus question des problèmes de l’environnement qui se posent à la Méditerranée elle-même et des embarcations de fortune qui y naviguent à l’assaut de la citadelle Europe que d’une réelle volonté des Européens de s’unir avec le Maghreb ou d’aider les pays du Sud à se développer. Proposer une coopération dans la lutte des incendies de forêts à un pays aussi désertique que l’Egypte ou la Libye n’a aucun sens à mon avis. Ceci est un exemple parmi tant d’autres. Ça fait peut-être sourire, mais c’est ce que j’ai lu quelque part dans une chronique d’un grand hebdomadaire français ! Car de l’avis des hommes politiques et des spécialistes des relations internationales qui s’expriment un peu partout dans les médias tant français qu’autres, le projet de cette fameuse union tel qu’il se présente actuellement, c’est-à-dire axé en grande partie sur les problèmes d’ordre écologique, est d’un flou total : personne ne sait exactement en quoi il consiste réellement sur le plan politique. Sauf peut-être son promoteur, Nicolas Sarkozy, et son "porte-plume", Henri Guaino. Au départ d’ailleurs, certains analystes politiques ont vu, dans ce projet, une ruse politique de Nicolas Sarkozy qui voulait en quelque sorte faire d’une pierre deux coups : proposer une alternative à la Turquie [il est contre l’adhésion de ce pays à l’Union européenne] et obliger les pays arabes à normaliser leurs relations avec l’Etat d’Israël sans que celui-ci ne soit à son tour tenu par l’obligation de permettre la création d’un Etat palestinien viable.
Alors que certains pays du Sud ont vécu dernièrement des émeutes de la faim conséquemment à la cherté des produits de première nécessité sur le marché international, l’on nous convie, en quelque sorte, et ce n’est pas exagéré de le dire, à un débat sur la pollution marine et l’écologie d’une façon générale. Alors que les pays du Sud attendent une coopération dans les domaines scientifiques et technologiques, l’on nous propose que des thèmes en rapport avec l’environnement. Je ne dis pas par-là que l’environnement ne doit pas attirer notre attention, mais force est de reconnaître qu’il y a mille et une priorités pour les pays du Sud. Pour des populations démunies de tout ou presque, pour des populations au ventre creux, il n’est pas facile de leur faire avaler la pilule amère de l’environnement en leur disant qu’on va s’unir avec l’Europe pour colmater la brèche de l’ozone au-dessus de l’Antarctique. Ils n’en ont rien à cirer.
Ainsi, le projet est vidé de toute sa substance bien avant d’avoir vu le jour et on se retrouve au bout du compte avec un "processus de Barcelone bis", processus qui, il faut en convenir, n’a pas donné les résultats escomptés. Et c’est ce qui d’ailleurs laisse les pays de la rive Sud de la Méditerranée sceptiques quant à l’aboutissement de ce second projet. Et c’est pour cela aussi qu’ils sont loin d’accueillir avec "enthousiasme", comme le dit un professeur de sociologie, "l’idée avancée par Nicolas Sarkozy". Du moins l’accueil qu’ils lui ont réservé, par politesse et non par calcul politicien comme on a tendance à le faire croire, reste mitigé. De l’Egypte à l’Algérie en passant par la Tunisie, c’est toujours le "wait and see" même si lors de chaque escale dans l’un ou l’autre de ces pays Nicolas Sarkozy ou ses émissaires promettent monts et merveilles, coprésidence à Hosni Moubarak et secrétariat à Zine El Abidine Ben Ali. Il faut bien reconnaître que ceux-ci ne sont pas assez dupes pour croire au père Noël, ils savent bien que, même si le père de ce projet est bien Nicolas Sarkozy, la tâche de distribuer les rôles dans cette future union ne lui incombe pas à lui tout seul et que Bruxelles veille au grain c’est-à-dire sur tout au sein de l’Union européenne. Rien ne se fait sans son accord. Bruxelles l’a déjà fait savoir : elle n’entend pas laisser le champ libre à Sarkozy de manœuvrer à sa guise. Tous les pays de l’Union se sentent concernés par cette affaire même s’ils ne sont pas tous riverains de la Méditerranée et même si le regard de certains d’entre eux est plutôt tourné vers l’Est : c’est le cas de l’Allemagne. Ainsi donc faire adhérer à ce processus un pays qui, comme la Norvège par exemple, n’a rien à voir ni de près ni de loin avec la Méditerranée est une bien belle façon de torpiller ce processus. C’est une belle façon de noyer le poisson dans l’eau de la grande bleue !