De la solidarité comme du choléstérol
En politique, les choses sont rarement simples. Comme pour ce qui est du cholestérol, certains concepts (la croissance, l'emploi...) regroupent sous le même nom une face claire et une face obscure.
Au nom de la sécurité et de l'efficacité, on tolère les violences policières et les contrôles au faciès ; maintenant, c'est au tour du terme "solidarité" d'être confronté à son double maléfique.
Les Soviétiques étaient passés maitres dans l'art de dévoyer de grandes et belles idées pour aboutir à un système injuste et sclérosé. C'est maintenant au tour de l'UMP de reprendre à son compte ce mode de gouvernance. Et c'est aujourd'hui à la solidarité d'être tordue et malmenée par nos législateurs pour rentrer dans le moule néolibéral qui lui est réservé.
La logique est imparable : puisque les riches sont solidaires entre eux (facilités pour accéder aux emplois les mieux rémunérés, niches fiscales, meilleur partage des informations...) pourquoi ne pas faire en sorte que les pauvres suivent leur exemple ? Ils n'ont pas grand-chose à offrir. Raison de plus pour les inciter à mieux partager, à condition que cela n'empiète pas sur les revenus et les privilèges des plus nantis.
Ce qu'on a le droit ou pas de partager.
Il ne faut pas non plus que cela aille trop loin. Il n'est pas question que les pauvres se partagent des films ou des musiques sur le web, les majors et maisons de disque y verraient un manque à gagner.
Pas question non plus d’adopter une class action qui permettrait aux victimes d’une escroquerie d’envergure de bénéficier des réparations obtenues par ceux qui ont eu le temps, les moyens et le courage de porter l’affaire en justice. Les banques et les opérateurs téléphoniques auraient trop à y perdre.
Si la solidarité entre pauvres peut être encouragée, elle doit se limiter à ce qu’ils peuvent se partager sans faire trembler le système. Ainsi, ce seront les RTT qui serviront de ballon-sonde à ce qui pourrait devenir un nouveau système de gouvernance. L’État a déjà, et depuis longtemps, abandonné sa mission redistributrice en laissant les associations s’occuper des plus nécessiteux. Chaque fois, la technique est la même, d’abord on délègue à des associations subventionnées, et ensuite on coupe les subventions. À aucun moment, une institution officielle ne se retrouve en face des laissés pour compte. Pour les quelques sujets qui restent parce qu’ils ne sont pas assez populaires pour justifier de la création d’une association (comme les difficultés rencontrées par les parents d’enfants handicapés) le gouvernement vient d’inventer une nouvelle parade : la solidarité entre pauvres.
Comment ça marche ?
Et puisqu’ils n’ont pas d’argent, on va leur permettre d’offrir quelque chose d’autre : leur temps libre.
Il est donc maintenant possible de donner des ses RTT ou de ses jours de congé à des collègues dans le besoin. Cela soulagera les parents sur lesquels s’abat un drame familial, accessoirement, cela permettra aussi de fidéliser les employés, et de dédouaner l’État dans son refus de prendre en compte de tels drames. Dans les pays qui ne disposent pas de système de retraite, les enfants prennent soins de leurs parents ou grands-parents dès qu’ils sont en âge de travailler. Est-ce de cette solidarité dont nous voulons ? Parce que si c’est le cas, le modèle est facile à trouver, c’est celui de la France du début du vingtième siècle. Ce n’est pas si vieux que ça, mais ça reste un grand bond en arrière.