jeudi 8 octobre 2015 - par
Ce faisant, l’affaire Morano en dit sans doute long sur notre époque, une époque qui raidit les positions sur les questions identitaires. On peut sans doute voir dans le traitement de la question des migrants une raison légitime de la crispation d’une partie de la population. Et il est intéressant de noter qu’au raidissement des uns (dans toutes leurs variétés), correspond finalement un raidissement des opposants à la défense d’une certaine identité et d’une certaine tradition, qui condamnent paradoxalement le manque de tolérance de leurs adversaires tout en versant en fait dans une intolérance à leur égard guère moins extrême que celle des plus extrêmes de ceux qu’ils dénoncent, en y ajoutant une dose de snobisme enfantin assez dérisoire dans le cas du combat de Libération contre les réactionnaires.
Fallait-il exclure Nadine Morano ?
Après la polémique déclenchée par le fait qu’elle ait dit que la France « est un pays de race blanche », la Commission Nationale d’Investiture des Républicains a décidé d’exclure la députée européenne de la tête de liste départementale pour les élections régionales. Bonne ou mauvaise décision ?

Juste sanction ou police de la pensée ?
Bien sûr, sur le fond, comme je l’ai écrit la semaine dernière, je pense que Nadine Morano a dérapé. Si on peut dire que la France était à l’origine un pays de race blanche, il n’est pas juste de le dire au présent car cela exclut une part non négligeable de nos concitoyens. Et elle a repris des termes qu’affectionne la droite la plus extrême, emboîtant le pas à Marion Maréchal Le Pen, sur les idées délirantes de remplacement, ou d’invasion. Ce faisant elle a cumulé démagogie et xénophobie. On peut aussi penser que les Républicains peuvent définir des règles, et que l’ancienne ministre, actuelle députée européenne, les a enfreintes et doit donc être sanctionné pour cette raison, ce qui justifierait son exclusion de la tête de liste départementale en Meurthe-et-Moselle pour les élections régionales de décembre.
D’abord, même si on condamne ces propos, il est un peu gênant que ce soit le parti de Nicolas Sarkozy qui sanctionne de tels propos, sachant qu’il a tenu des propos guère plus reluisants quand il était président de la République. Son discours de Dakar sur l’homme Africain était inacceptable, et parce qu’il était écrit en amont peut-être bien plus inexcusable. Ensuite, cette affaire pose quand même la question de la liberté de pensée et de parole. Je ne fais pas partie de ceux pour qui il faudrait interdire d’interdire : les Etats-Unis ne sont pas un exemple. Mais ici, ne tombons-nous pas dans une forme de police de la pensée et la parole, un nouvel aspect orwellien à notre époque ? Si la démagogie n’est pas sanctionnable, faut-il vraiment sanctionner la xénophobie, et plus encore la xénophobie seulement implicite ?
Ce que cela dit de notre époque
Même si je pense que l’on ne peut pas absolument tout dire en démocratie, j’ai quand même l’impression que depuis quelques années, on va trop loin dans les restrictions à la liberté de parole. Cela est d’autant plus troublant que la parole des grands médias tend souvent à l’uniformité sur de nombreux sujets qui devraient être ouvert au débat public, notre époque étouffant un peu le débat démocratique. D’ailleurs, quel paradoxe de noter cela alors que ceux qui dénoncent le temps de parole de leurs opposants, condamnent aussi les restrictions (certes plus graves) à la liberté d’expression en Russie, au Vénézuela ou en Chine ! Pourtant, s’ils étaient logiques, ils devraient pouvoir débattre sereinement avec leurs opposants, sans tomber dans l’excommunication et le recours à une censure !
Voilà pourquoi, même si les propos de Nadine Morano me semblent condamnables, et que les Républicains peuvent établir des règles, j’ai le sentiment qu’aujourd’hui, nous allons trop loin dans ce qui ne peut pas être dit et qu’une forme de censure insidieuse et peu démocratique se met en place.