samedi 25 juillet 2020 - par Orélien Péréol

La nécessaire prescription des crimes contre l’humanité

Ce que je dis là va au rebours de tout ce qui se dit en ce moment. Le temps est au victimisme : c'est toi qui as fait mon malheur, tu dois le payer, au moins le reconnaitre. Un moment, il faut casser le déterminisme, plus ou moins vrai, que constitue cette façon de dire. C'est la tâche de chacun de se battre et lutter même quand les conditions sont mauvaises. C'est une des grandeurs humaines de résilier, passer à la suite, y arriver malgré toutes les difficultés.

Dépasser le trauma est une des tâches de la justice. Elle y contribue aussi par la prescription.

Michel Serres fait de la prescription le premier acte de Droit, l’acte fondateur du Droit.

Cela paraît étrange que le fondement du Droit soit une limitation de son champ d’action, une limitation de son pouvoir.

Le Droit est une institution qui commence par définir son champ de compétence, ce qui est rare, voire exceptionnel.

La prescription a un but pratique : si les faits sont trop vieux, on ne peut pas retrouver les preuves. Il vaut mieux ne pas s’en mêler et passer à la suite, se forcer à passer à la suite.

Dans cette lignée, Michel Serres se montrait dubitatif sur le caractère imprescriptible des crimes contre l’humanité. Comment vont faire les descendants des victimes avec les descendants des bourreaux (même dans les cas, rares, où la ligne de démarcation entre bourreaux et victimes est claire et nette) ?

Il y a une autre limitation fondamentale du Droit : la non rétroactivité des lois.

L’esclavage est devenu, en France, un crime contre l’humanité, en 2001. Il est donc devenu, en France, imprescriptible. C’est l’intitulé. En fait, le crime contre l’humanité ne concerne que les actions de la France. Voici l’article 1 de cette loi : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité. » Les programmes scolaires doivent en faire état.

Cette loi apparait comme un perfectionnement des droits de l’Homme qui ont été écrits et dont les esclaves n’ont pas bénéficié. C’est l’inverse : elle rallume le cycle des meurtres et des vengeances et des situations impossibles, sans issues, comme nous voyons maintenant.

Les décoloniaux sont apparus 15 ans après environ. Le récit des décoloniaux est univoque, violent, donne tout le mal à l’Occident, à la France, tout le bien aux anciens colonisés-esclavagisés. Être victime rend pur et parfait. C’est une tendance lourde du moment dont ils bénéficient et qu’ils augmentent.

Ces différents traitements de l’information représentent le même mouvement qui produit le même effet : dénigrement de le société occidentale et valorisation absolue des descendants d’esclaves. Nous sommes toujours des colonisateurs dans notre esprit et nos ex-colonisés ont raison par identité, quoiqu’ils fassent.

Quand on prend une « grille de lecture » idéologique, comme celle-là, elle colore les faits, et les range selon ses prescriptions, de telle sorte qu’elle trouve (a l’air de trouver) confirmation de son bien-fondé partout. Je lis dans la presse : « George Floyd a été tué comme un esclave ». L’interprétation est là avant le fait. Si un noir meurt, c’est « comme un esclave ». A l’inverse, Cédric Chouviat, pourtant mort dans des circonstances comparables à celles de George Floyd n’a droit à aucune reconnaissance, aucune citation ; aucune empathie ne va vers sa famille. Deux poids deux mesures. La mort de Philippe Monguillot, chauffeur de bus de Bayonne, ne suscite pas autant d’indignation. Or, il est question tout de même que tous les hommes soient égaux. Le victimisme de ces discours décoloniaux apporte la concurrence des victimes, on est obligé d’y passer, il ne faut pas en rester là et voir la perte du Droit qui s’y niche.

On en arrive à déboulonner les statues d’hommes morts il y a deux siècles et délaisser les 40 millions d’esclaves vivant en ce moment ! Les deux principes du Droit énoncés ici amèneraient à faire cesser les pratiques actuelles d’esclavage et sanctionner juridiquement les coupables.

Arte présente quatre documentaires « les routes de l’esclavage ». A la toute fin, Vincent Brown, universitaire noir américain, vient dire qu’il faut que nous nous situions tous, comme descendants de l’esclavagisme et non pas, descendants d’esclave ou descendants de négrier. Que c’est à cette condition que nous sortirons de cette ignominie qu’est l’esclavage. Comment dire mieux ?

Les décoloniaux sont là parce que nous avons quitté le domaine du Droit, dans le traitement de cette question. La méthode qui peut ramener la paix est de reconstituer l’examen de ces faits esclavagistes dans les règles du Droit : prescription des faits et non rétroaction des lois.



21 réactions


  • JPCiron JPCiron 25 juillet 2020 16:22

    La nécessaire prescription des crimes contre l’humanité > ?

    .

    N’est-ce pas une forme de négation de l’humanité ????

    .


    • Orélien Péréol Orélien Péréol 25 juillet 2020 16:38

      @JPCiron
      De quoi parlez vous ? Qu’est-ce qui est négation de l’humanité selon vous, les crimes contre l’humanité ou leur prescription ?


    • JPCiron JPCiron 25 juillet 2020 18:55

      @Orélien Péréol
      .
      Mais les deux, bien entendu.
      Le crime nie l’humanité, et la prescription aussi donc.
      .
      En dehors de la « technique », il n’en reste pas moins que les bénéficiaires objectifs seront ceux qui la pratiquent : ceux que l’on dénonce comme ceux que l’on protège.
      .
      S’il y a prescription, il conviendra de condamner sévèrement ceux qui s’amuseraient à commémorer ces crimes prescrits.

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  • Décroissant 25 juillet 2020 18:52

    Bonjour,


    J’ai l’impression que vous sautez allégrement une une étape dans votre rejet du « victimisme » qui se manifeste par des revendications évidemment déraisonnables : en général avant de prescrire un crime d’état, on attend que celui-ci ait été abondement inventorié, reconnu dans ses moindres détails et porté à la connaissance de tous. Alors peut venir le temps de la clémence et de l’oubli. Or c’est là que le bât blesse, l’Etat français, pour ne citer que lui, a longtemps pratiqué le déni, le refus de déclassification de certaines archives, l’oubli ou le travestissement. Si l’histoire est selon l’adage toujours écrite par les vainqueurs, le moins que l’on puisse dire c’est que nos manuels (mon expérience date un peu, cela dit) comme l’histoire officielle étaient plutôt lacunaires ou étrangement laxistes sur bon nombre de sujets dérangeants (des dérives de l’empire colonial au pourcentage de réels résistants dans la population lors de la deuxième guerre mondiale).

    Il semble manquer un récit commun, heureusement exploré par les productions artistiques (romans, films et pièces de théâtre) mais dont on sait qu’elles ne touchent qu’une fraction très minoritaire de la population. Adolescent, j’ai vu revenir des conscrits de ce qu’il était convenu d’appeler des opérations de maintien de l’ordre en Algérie et qui ont eu les pires difficultés à se réinsérer dans la société d’alors. Et il est probable qu’il faudra attendre la disparition de cette génération (comme la stabilisation des relations avec le régime algérien) pour obtenir une vision officielle enfin assumée et pacifiée.

    Lydie Salvatore dans bon nombre de ses écrits (majoritairement portés au théâtre) a su rendre compte de la diaspora des républicains espagnols exilés en France, apportant cette nécessaire connaissance et réappropriation.

    En l’absence de récit national (on expédie généralement la question par des déclarations emphatiques, une loi censée trancher définitivement la question et puis on referme le placard), dans un mouvement pendulaire qui passe d’un extrême à l’autre, apparaissent les soubresauts que vous dénoncez. Peut-être sont-ils nécessaires (y compris dans leur exagération) pour faire émerger une vérité plus nuancée. Mais j’ai la faiblesse de penser que le Droit ne fait rien à l’affaire.


  • McGurk McGurk 26 juillet 2020 01:02

    L’esclavage est devenu, en France, un crime contre l’humanité, en 2001. Il est donc devenu, en France, imprescriptible. C’est l’intitulé.

    Et lorsqu’on a tué 30 000 personnes et qu’en plus on s’est amnistié (et fait réélire pour certains), c’est quoi au juste ?

    Imprescriptible d’avoir commis un meurtre de masse alors que « la République » efface l’ardoise ? Un double crime d’avoir en plus protégé lesdits meurtriers ?

    Que veulent dire les droits de l’Homme lorsqu’on a un passe-droit ?


    • Et hop ! Et hop ! 26 juillet 2020 18:52

      @McGurk

      En France il y a séparation entre le pouvoir du législateur et celui du juge.

      Le législateur peut décider qu’à l’avenir le trafic et l’exploitation d’esclaves est un crime contre l’humanité.

      Le juge doit alors juger et condamner ceux qui ont commis ce crime.

      Mais le législateur n’a pas le pouvoir de juger et de condamer des personnes.

      Il ne peut pas décider que ceux qui ont possédé ou vendu des esclaves sont coupables d’un crime, seul un tribunal peut le faire.

      Donc cette loi est un excès de pouvoir, elle est nulle, une loi ne peut pas juger pénalement des gens, les déclarer coupables.

      Un tel jugement, si il était fait par un juge, serait aussi aberrant pour quatre raisons :
      c’était une pratique qui n’était pas interdite au moment de la commission des faits,
       les poursuites sont prescrites au bout de 30 ans, et éteintes lorsque la personne décède,
       la condamnation est collective,
       il n’y a ni possibilité de débat contradictoire, ni possibilité d’appel.

      Les conséquences qui sont tirées de cette condamnation sont encore plus aberrantes : les populations de couleur des Antilles françaises sont toutes métisses, descendantes à la fois des anciens maîtres et des anciens esclaves.

      Je propse que le Parlement déclare que l’usure est un crime contre l’humanité, et que tous ceux qui l’ont commis doivent restituer toutes les sommes volées, et tous leurs descendants jusqu’à 77 générations.


    • Orélien Péréol Orélien Péréol 26 juillet 2020 19:49

      @Et hop !
      Tout-à-fait.


  • Jonas Jonas 26 juillet 2020 01:18

    « L’esclavage est devenu, en France, un crime contre l’humanité, en 2001. Il est donc devenu, en France, imprescriptible. »

    L’esclavage ne peut pas être reconnu comme un crime contre l’humanité, puisque à l’époque où il était pratiqué par la France, IL N’EXISTAIT PAS DE LOIS sur le « crime contre l’humanité » interdisant l’esclavage !
    En gros, le législateur créé de nouvelles lois qu’il applique de manière rétroactive sur des actions passées, c’est absurde, et c’est purement politique, cela l’a rien à voir avec la justice, l’ordre et la vérité.

    C’est d’ailleurs le même procédé appliqué lors du procès de Nuremberg, les nazis ont été condamnés de manière rétroactive pour crime contre l’humanité contre le peuple juif, mais il ne viendrait évidemment pas à l’esprit de ces législateurs de condamner pour crime contre l’humanité les Américains lorsqu’ils ont rayé de la carte en deux minutes des centaines de milliers de femmes, enfants, vieillards, civils japonais qui n’avaient rien fait et rien demandé à personne, en lançant deux bombes atomiques.
    De même, les dizaines de milliers de civils français assassinés sans procès après la libération, les milliers de civils allemands exterminés lors du bombardement de Dresde par les Alliés, les civils allemands torturés et leurs femmes violées par milliers, traités comme du bétail, spoliés de leurs biens après l’arrivée des Alliés américains et russes en Allemagne, les camps de concentration soviétiques où ont été torturés et anéantis des centaines de milliers de personnes n’ont pas donné lieu à des procès pour « crimes contre l’humanité ».

    On voit bien que tout cela n’est que pure propagande politique.


    • babelouest babelouest 26 juillet 2020 06:53

      @myrrhe-lit-on
      Il faut dire que de tout temps depuis sa création, le Pouvoir aux States a été criminel. Mais il n’est pas recommandé d’en faire mention. C’est clair, le crime contre l’humanité, en son essence, est une aberration.
      .
      J’ajoute autre chose. La peine de prison est requise dans certains cas, pas forcément de façon adéquate, il s’en faut de beaucoup ! La prison, c’est le retrait d’une personne de la vie normale. Cela ne DOIT PAS être considéré comme une punition, mais comme un moyen d’empêcher de nuire à nouveau.Ce qui implique que la prison ne devrait être appliquée que quand l’on se rend compte que la personne recommencera. Donc : la perpète, totale et à l’isolement total, ou d’autres peines à la fois pour aider à ne plus recommencer, à s’amender, et pour contribuer à réparer les torts faits C’est là où l’on se rend compte à quel point ce qu’on appelle encore « la Justice » en France est perverse, puisque beaucoup de détenus ne sont pas encore jugés. Un grand coup dans les jambes de la présomption d’innocence !
      .
      Pour conclure, ceux qui devraient subir la détention à perpétuité, à part quelques criminels de sang dignes de la psychiatrie, ce sont ceux qui détiennent le Pouvoir, et surtout ceux qui se cachent derrière ceux-là. C’est d’ailleurs TOUJOURS à ceux-là que l’on doit les guerres.


    • Et hop ! Et hop ! 26 juillet 2020 08:55

      @myrrhe-lit-on : «  deux bombe atomique sur des flotte japonaise aurais eu le meme impacte psychologique ... sur les japonais. »

      En réalité, il ne s’agissait pas d’impressionner le Japon mais les Soviétiques, leur faire une déponstration des deux nouvelles armes des USA : Bome A (Iroshima) et H (Nagazaki).

      Les Japonais étaient déjà vaincus, ils avaient déjà fait des offres de paix via l’ambassade de Russie, mais les USA tergiversaient en exigeaient des choses impossibles, comme d’emprisonnner l’empereur et de le juge aux USA.


  • caillou14 rita 26 juillet 2020 06:45
    Pas de prescription des crimes contre l’humanité..l’Allemagne aurait du être rayée de la carte depuis longtemps ?

    • babelouest babelouest 26 juillet 2020 06:55

      @rita : bien sûr que non, mais les dirigeants anglo-saxons, oui, depuis Cromwell


    • caillou14 rita 26 juillet 2020 14:30

      @babelouest...Je vois, vous êtes du genre à soutenir les assassins genre Staline ou Hitler ?


    • babelouest babelouest 26 juillet 2020 19:25

      @rita
      Vous le faites exprès ? Hitler a été manœuvré, comme d’habitude, par les huiles anglo-saxonnes, et s’il est si décrié, c’est parce qu’il s’est rebellé (comme souvent), quant à Staline, s’il fit des purges, et je le regrette, elles étaient nécessaires pour éliminer l"équivalent des horribles personnages du genre d’une certaine dame qui récemment voulait (et veut toujours) devenir POTUS.


    • babelouest babelouest 26 juillet 2020 19:28

      @rita
      Je vous défrise ? Ce qui est dit, répété, à satiété, est tellement FAUX le plus souvent, qu’on a tendance à tomber à la longue dans le panneau. Se ressaisir demande un réel effort.


  • Michel VIDAL Michel VIDAL 26 juillet 2020 07:08

    Les Lois sur les crimes contre l’Humanité sont des marqueurs idéologiques pour les femmes et hommes politiques des partis qui les ont fait voter...

    michel197


    • Et hop ! Et hop ! 26 juillet 2020 19:05

      @Michel VIDAL

      Le crime contre l’Humanité est une invention des anglo-américaine lorsqu’ils ont créé le Tribunal pénal de Nuremberg afin de ne pas poursuivre les Allemands pour crimes de guerre qui étaient très bien définis par les accords de Genève.

      Parce que tous leurs bombardements sur les villes étaient, eux, vraiment des crimes de guerre, et tous ceux qui les ont commandés auraient dû être poursuivis et condamnés à mort.

      Le non respect par les Américains du statut de prisonnier de guerre était aussi un crime de guerre.


  • DLaF mieux que RN ou Z / Ukraine vraidrapo 27 juillet 2020 09:13

    Prescription de Crimes contre l’Humanité ????

    Si tu le dis Pourquoi pas ? Il y en a au moins un qui est d’accord avec toi ...

    il n’est que de voir la photo associée au texte (cf lien)

    https://www.armenews.com/spip.php?page=article&id_article=59823

    Après Chypre, la Grèce, l’Irak, la Syrie, la Libye, la Méditerranée orientale, l’Égypte… revoilà le tour de l’Arménie. Quoi que, en y réfléchissant, l’Arménie n’est jamais sortie du viseur d’Ankara dans la mesure où cette dernière refuse toujours de reconnaitre le génocide arménien perpétré au début du siècle dernier, génocide qui a causé la mort de plus d’un million et demi d’Arméniens. L’énumération du début de ce papier n’est pas exhaustive et fait référence aux agressions directes ou aux menaces de la Turquie contre ses voisins.

    Donc, après son soutien à Daech au Proche-Orient, les violations illégales de l’espace aérien et maritime de la Grèce, la nouvelle invasion de Chypre (après celle de 1974), cette fois dans la zone économique exclusive de l’Etat insulaire, l’intervention illégale en Libye, le soutien à l’extrême droite turque (Loups Gris) en Europe et son instrumentalisation pour faire pression sur les Etats qui accueillent de fortes communautés turques, la prise en otage de Sainte-Sophie avec sa transformation en mosquée, maintenant elle verse de l’huile sur le feu au Sud Caucase en encourageant ouvertement l’agresseur azéri (contre l’Arménie) en lui fournissant les drones de combat «  Bayraktar  ».


  • Traroth Traroth 27 juillet 2020 13:34

    Marrant comme le droit se théorise, se fait toujours au profit des oppresseurs...


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