jeudi 19 janvier 2006 - par Pierre Bilger

Ras-le-bol, ou l’imminence de la nouvelle Révolution française

Denis Castel, l’auteur de Ras-le-bol ou l’imminence de la nouvelle Révolution française a sans doute trouvé chez Albert Soboul, l’historien de la Révolution qu’il cite dans sa postface, l’une des sources de son inspiration : « Dans l’immédiat, la Révolution française est bien née d’une crise financière due à la dette contractée à l’occasion de la guerre d’indépendance des colonies anglaises d’Amérique ».
Sans doute aussi la connaissance des mécanismes financiers que ce jeune banquier de trente-sept ans développe chez l’un des principaux établissements de la place l’a-t-elle particulièrement sensibilisé à la menace que constitue pour notre pays sa course à l’endettement, jusqu’à ce que le rapport de Michel Pébereau n’en révèle à l’opinion la perversité dramatique.
Ou alors a-t-il simplement imaginé de pousser à son extrême, en l’appliquant à la France, le processus qui a conduit les agences de rating à noter A ou AA des pays comme l’Italie ou la Grèce, « dégradation » dont l’un des personnages de ce roman de finance-fiction dit « qu’il ne fallait pas (la) prendre pour une infâmie. »

Le scénario que déroule Denis Castel est en tout cas implacable :
« Un ménage qui ferait preuve de la même inconséquence que l’État français, en dépensant chaque année 10 à 20% de plus que ses revenus, serait amené à puiser dans son épargne, puis à recourir aux multiples crédits à la consommation proposés par les enseignes de distribution. Les dettes ne sont pas extensibles à l’infini. Il faut bien les rembourser un jour. Donc arrêter de dépenser plus qu’on ne gagne. Ou alors, on finit en commission de surendettement. La France pourrait connaître cette mésaventure d’ici quelques années, si elle persiste à vivre au-dessus de ses moyens. Ce sont les agences de notation financière qui feront office de commission de surendettement : quand la montagne "dettes publiques" deviendra disproportionnée, elles dégraderont le rating de la France. Elles lui retireront le AAA, la meilleure notation, dont elle bénéficie aujourd’hui. Alors les investisseurs internationaux prendront peur et vendront en masse les obligations du Trésor. Les taux d’intérêts atteindront vite des sommets. L’État français ne pourra plus refinancer ses déficits et ses caisses se videront inexorablement. Il ne pourra plus payer les salaires et les pensions des fonctionnaires. Comme dans les pays d’Amérique latine, la crise financière se doublera d’une crise économique. Prébendes et privilèges, miséreux et laissés-pour-compte... la France est en situation de faillite potentielle et prérévolutionnaire. »
François Puyssange, le héros de notre auteur, pose la question à laquelle beaucoup d’entre nous attendent une réponse :
« Quand aura lieu en France le battement d’ailes du papillon ? Selon la fameuse théorie de Lorentz, le battement d’ailes d’un papillon au Japon peut provoquer quelques jours plus tard un ouragan au Mexique. Autrement dit, un évènement initial, qui peut paraître négligeable, peut provoquer d’énormes changements au bout d’un certain temps. En France, quel sera donc l’évènement, s’il arrive un jour, à partir duquel notre pays prendra le chemin des réformes, si difficiles soient-elles, et quittera la voie du déclin ? ».
Je ne décrirai pas la mécanique infernale ni la trame romanesque qui conduiront François Puyssange, à travers une réplique modernisée des évènements de Mai 1968, d’une situation de révolte individuelle à la position de président de la République et de sauveur du pays. Sa démarche populiste et protestataire en fait un mélange de Pierre Poujade et de José Bové, à ceci près qu’il la met au service d’idées bien différentes des leurs.
Ce qui le scandalise est par exemple que « ceux qui travaillent, que ce soit dans le privé, en créant de la richesse comme le disent les économistes, ou dans le public, en assumant de véritables missions de service public, doivent entretenir une partie de la population : ceux qui disposent de privilèges exorbitants sans subir en contrepartie de véritables contraintes qui puissent les justifier : les cheminots, les salariés de la RATP et d’EDF, les fonctionnaires de la Banque de France ou ceux en poste dans certains DOM-TOM, pour ne citer que les plus scandaleux. Ou ceux qui profitent, indûment dans certains cas, des transferts sociaux : les accrocs de l’arrêt-maladie de complaisance, les faux chômeurs et d’autres encore. Les impôts, taxes et charges sociales acquittés par les entreprises et les salariés pour financer ces privilèges et ces transferts sociaux abusifs sont autant de salaires ou d’emplois en moins. »
Mais ce qui m’a le plus intéressé dans l’approche de Denis Castel, ce sont les solutions qu’il imagine. Il prête certes aux dirigeants, confrontés à la situation financière, les démarches habituelles de fuite en avant, emprunts supplémentaires, assortis de dégrèvements fiscaux et décalage des paiements des fournisseurs de l’État et des collectivités publiques. Mais, très vite, son héros prend conscience des choses et explique que les réformes indispensables et le crédit-relais massif nécessaire de l’Union européenne ne suffiront pas, et que les Français devront se résigner à un effort fiscal aussi substantiel que pénible.
Qu’une telle perspective soit désormais reconnue comme nécessaire et plausible dans un discours, inspiré par l’initiative et la liberté économiques, illustre le changement progressif des esprits. Certes, il faut réduire les dépenses publiques, certes, il faut réformer les retraites et la sécurité sociale, certes, dans cette circonstance critique, il faut s’attaquer aux privilèges publics et privés, mais ferait-on tout cela avec la plus extrême détermination qu’il faut néanmoins se poser la question d’un effort fiscal exceptionnel et temporaire, permettant de casser sans délai la spirale infernale des intérêts et de la dette et retrouver plus rapidement une situation normale.
La stratégie, retenue par la plupart des dirigeants politiques, est celle d’une action de réduction des déficits, continue, progressive, et s’inscrivant dans le long terme. Avec François Puyssange, et derrière le personnage, Denis Castel, on peut penser que le corps social ne supportera pas la lenteur ni la durée d’une telle démarche et qu’il s’accommoderait plus volontiers d’une thérapeutique de choc, expliquée avec honnêteté et sincérité et mise en œuvre avec équité.
Notre pays aurait-il agi il y a cinq ans ou dix ans que cette option aurait peut-être pu être évitée, mais aujourd’hui, n’est-il pas trop tard ? L’exemple d’Angela Merkel en Allemagne montre qu’il est temps de regarder les réalités en face, et qu’il ne s’agit plus de s’interroger sur des baisses d’impôt ou sur leur stabilisation, mais de savoir quand, comment et pour quelle durée ils devront être augmentés.
Reste à espérer que le happy end, imaginé par Denis Castel, n’est pas seulement un effet de style, destinée à ne pas désespérer ses lecteurs :
« Les réformes nécessaires au redressement financier du pays avaient été menées, avec le souci constant de parvenir à une certaine équité entre les Français. Parce que ces réformes remettaient en cause des situations acquises et des privilèges, elles avaient parfois fait grincer des dents et j’avais dû menacer à plusieurs reprises de démissionner si elles n’étaient pas acceptées en l’état. Mais la France disposait de suffisamment d’atouts économiques pour retrouver une dynamique de croissance qui a largement atténué les aspects les plus douloureux des réformes. Comme souvent lors des crises que le pays avait pu connaître dans le passé, les Français avaient trouvé dans l’adversité la force du sursaut. Finalement, et comme je l’avais toujours pensé, il avait juste suffi qu’ils prennent conscience qu’ils ne pouvaient pas vivre éternellement à crédit, et qu’ils en acceptent les implications, pour que tout s’arrange. »



10 réactions


  • goyard (---.---.52.38) 19 janvier 2006 15:54

    Bonjour Monsieur, Ma modeste contribution pour signaler une analyse qui s’interroge sur les causes de l’augmentation de la dette et qui suggére (si j’ai bien compris) que celà pourrait bénéficier à quelques uns (diable). Tout le monde est d’accord : la dette croît : 57 % du PIB en 2002, 66% aujourd’hui. Mais pourquoi cela ? « Le déficit ne provient pas d’un excès de dépenses, mais d’une politique délibérée de baisses de recettes » soutient Michel Husson dans un article de la revue Regards (Dette : les gros sabots). Et l’auteur de donner des chiffres qui laissent pantois : « La part des dépenses de l’Etat dans le PIB est en effet restée à peu près fixe : 22,8% du PIB en 2003, contre 23% en 1980. En revanche, celle des recettes a baissé de 22,3% du PIB en 1980 à 18,8 % en 2003 »

    Croyez vous qu’on puisse mettre un trait d’égalité entre le contribuable moyen que je suis (et qui paie une partie des 40 milliards d’ intérêts de la dette) et les très riches qui ont vu leur impôts baisser de manière significative. C’est sans doute à cela que vous faîtes alusion quand vous voulez abolir des priviléges. J’ajoute que selon l’article sus cité , ces riches « possèdent l’essentiel des obligations du Trésor émises pour couvrir le déficit. Autrement dit , les riches gagnent sur les deux tableaux : ils voient leur impôts baisser, et l’État leur propose un placement sûr qui équivaut à une véritable rente » Pour ma part je suis contre la diminution des impôts, et prêt à accepter des réformes comme vous dîtes, mais à une condition, qu’on ne continue plus à nous prendre pour des gogos , les priviléges c’est surtout vers le haut qu’il faut regarder.


  • JF Berne (---.---.50.85) 19 janvier 2006 18:08

    Votre argumentation, ou celle que vous rapportez, repose sur la comparaison entre un ménage qui s’endette et l’État qui s’endette, et à partir de là vous extrapolez.

    Or cette hypothèse de base est fausse : il n’y a pas comparaison possible entre un ménage et l’État. Car l’État ayant toujours le même âge, il n’a pas les mêmes contraintes de solvabilité qu’un ménage. Un ménage doit avoir remboursé ses dettes endettement avant sa mort alors que l’État peut ne jamais rembourser. Cela ne signifie pas qu’il est insolvable, cela signifie simplement qu’il peut maintenir constant son niveau d’endettement.

    Castel parvient donc à une conclusion fausse.


    • R Deloin (---.---.173.93) 19 janvier 2006 20:18

      Il est facile de nier une argumentation par un simple : « l’Etat peut ne jamais rembourser », sans dire d’où sort ce principe ni vers quels buts il tend.

      Mais le commun des mortels peut aisément comprendre :

      1- que la dette publique n’a jamais existée avant Valéry Giscard d’Estaing, qui l’a fait passer de 0% à 20% du PIB entre 1974 et 1981, suivi par Mitterand, qui ayant compris le fameux principe, l’a fait passer de 20% à 55% entre 1981 et 1995. Seul Chirac (avec Jospin) l’a fait diminué vers 50% entre 1995 et 2002, avant de la faire monter à nouveau au niveau d’aujourd’hui (66% du PIB) ;

      2- que le principe de cette dette publique, emprunts mis sur la tête de TOUS les français mais signés que par les politiciens et payés que par la moitié des foyers fiscaux, profite surtout aux BANQUES qui ont ainsi accédé à un moyen de tremper leurs mains dans le TRESOR PUBLIC à hauteur de 85% de l’Impôt sur le Revenu, chaque année ! ;

      3- que la France compte maintenant trop de personnes ou d’organismes tentés par l’argent du TRESOR PUBLIC.

      Il me semble qu’un mouvement ample se dessine contre cette dette publique et ceux qui la soutiennent.

      Merci de votre attention.


    • Sylvain Reboul (---.---.151.241) 23 janvier 2006 19:00

      « Cela ne signifie pas qu’il est insolvable, cela signifie simplement qu’il peut maintenir constant son niveau d’endettement. »

      Vous semblez négliger deux choses :

      1) L’endettement n’est plus constant, mais il est croissant.

      2) Le remboursement de la dette dépend non de nous, mais de ceux à qui nous empruntons sur le plan mondial, car nous sommes dépendants d’eux pour nous fournir en ressources énergétiques par exemple et notre monnaie s’échange contre d’autres ; Or cette monnaie c’est l’Euro et un déficit croissant creuserait la défiance vis-à-vis de l’Euro, monnaie commune, et nos partenaires n’auraient certes pas envie de renflouer sans limite notre déficit pour préserver la valeur d’une monnaie qui est aussi la leur ; ils nous menaceraient de nous mettre au ban de l’UE, ce qui serait la catastrophe immédiate : tous les capitaux extérieurs et intérieurs fuiraient la France en quelques jours..

      Conclusion : l’état peut être mis en faillite par ses préteurs étrangers comme cela s’est vu par exemple en Argentine. Vous oubliez donc que notre économie est dépendante des autres ; mondialisation oblige !

      Vous semblez ne pas vouloir comprendre qu’il n’y a plus d’économie nationale indépendante et encore moins d’économie d’état économiquement souverain. Peut-être le regrettez vous, mais vous n’avez pas de baguette magique pour changer une réalité qui échappe de plus en plus à vos croyances en forme de rêves illusoires.


  • jeff88 (---.---.253.30) 19 janvier 2006 20:28

    La révolution
    - Le 18 ème a été l’époque la plus dispendieuse de l’histoire de France - construction de châteaux tous azimuts - guerres exotiques A l’époque la richesse du pays dépendait des productions agricoles. Le peuple qui travaillait la terre restait dans la misère avec le coût des fermages et des impots. A la fin des années 1780 les récoltes ont été mauvaises La misère du peuple a augmenté et a commencé à toucher les « classes moyennes ». C’est la que le drame a commencé et que la bourgeoisie a pris la mouche, on connait la suite.

    Dans notre 21ème siécle on approche de ce schéma:la fonction « assisté » tend à augmenter, le pouvoir d’achat des « classes moyennes » tend à diminuer et quand cette dégringolade aura atteind un certain seuil, vers 2010-2015, nous serons en situation révolutionnaire.


  • BB (---.---.194.175) 19 janvier 2006 22:19

    Ce qui me chagrine c’est que l’on fasse travailler les fonctionnaires de Bercy pour expliquer que cette terrible situation est due à la gestion socialo-communiste de l’état. trois facteurs expliqueraient cette hausse :

    - l’augmentation du nombre de fonctionnaires
    - la retraite à soixante ans
    - et bien sur, les 35 heures

    Bref la gauche nous a encore fait croire au père noel, la mondialisation ne nous permet pas de vire avec tant d’avantages, il faudra se remettre au travail, patati et patata, le prèche libéral désormais habituel.

    Alors que le gouvernement Jospin avait stabilisé cette dette (voir le site de l’INSEE) et que les interets ( 2ième buget apès l’éducation nationnale) vont directement dans les poches des prècheurs et de leurs amis.


  • (---.---.177.27) 19 janvier 2006 23:24

    Un pays n’est pas un couple, une personne vie environ 75 ans, un état couvre des dizaines de générations. La France est un des pays du G8 le moins endetté. Si la France fait faillite, les USA, l’Alemagne, l’Italie seraient aussi en crise. 10 % des francais les plus riches possedent 80 % des richesses du pays, voila le scandale. L’article resemble à l’idéologie FN et MNR.


  • www.jean-brice.fr (---.---.8.192) 24 février 2006 18:40

    Je pense que la comparaison entre l’Etat et un ménage est fausse... Par contre, il est effectif que la dette pèse sur l’activité économique, mais qui en est responsable : d’abord, la mafia qui s’est emparée du pouvoir, il y a une trentaine d’années, et qui, par anti ou a-gaullisme primaire, nous a mené là où nous en sommes...


  • Ras le bol est un plagiat d’un livre suédois (---.---.252.32) 21 avril 2006 23:47

    Plusieurs mois avant la sortie de ce livre est sorti en Suède un livre qui s’appelle « Nog » (ras-le-bol) par l’auteur Tomas Linnala. Il s’agit d’un comptable qui a ras-le-bol de la société et qui crée sa révolution en Suède.

    Un Viking du nord


  • karina 3 juin 2012 11:33
    une France au bord de la Faillite, une haute et petite élite privilégiée et méprisée qui bloque tout effort de réforme. Un chef d’état qualifié de « mou » dont les humoristes se gaussent en assurant que c’est sa femme qui le mène par le bout du nez.

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