Ras-le-bol, ou l’imminence de la nouvelle Révolution française
Denis Castel, l’auteur de Ras-le-bol ou l’imminence de la nouvelle Révolution française a sans doute trouvé chez Albert Soboul, l’historien de la Révolution qu’il cite dans sa postface, l’une des sources de son inspiration : « Dans l’immédiat, la Révolution française est bien née d’une crise financière due à la dette contractée à l’occasion de la guerre d’indépendance des colonies anglaises d’Amérique ».
Sans doute aussi la connaissance des mécanismes financiers que ce jeune banquier de trente-sept ans développe chez l’un des principaux établissements de la place l’a-t-elle particulièrement sensibilisé à la menace que constitue pour notre pays sa course à l’endettement, jusqu’à ce que le rapport de Michel Pébereau n’en révèle à l’opinion la perversité dramatique.
Ou alors a-t-il simplement imaginé de pousser à son extrême, en l’appliquant à la France, le processus qui a conduit les agences de rating à noter A ou AA des pays comme l’Italie ou la Grèce, « dégradation » dont l’un des personnages de ce roman de finance-fiction dit « qu’il ne fallait pas (la) prendre pour une infâmie. »
Le scénario que déroule Denis Castel est en tout cas implacable :
« Un ménage qui ferait preuve de la même inconséquence que l’État français, en dépensant chaque année 10 à 20% de plus que ses revenus, serait amené à puiser dans son épargne, puis à recourir aux multiples crédits à la consommation proposés par les enseignes de distribution. Les dettes ne sont pas extensibles à l’infini. Il faut bien les rembourser un jour. Donc arrêter de dépenser plus qu’on ne gagne. Ou alors, on finit en commission de surendettement. La France pourrait connaître cette mésaventure d’ici quelques années, si elle persiste à vivre au-dessus de ses moyens. Ce sont les agences de notation financière qui feront office de commission de surendettement : quand la montagne "dettes publiques" deviendra disproportionnée, elles dégraderont le rating de la France. Elles lui retireront le AAA, la meilleure notation, dont elle bénéficie aujourd’hui. Alors les investisseurs internationaux prendront peur et vendront en masse les obligations du Trésor. Les taux d’intérêts atteindront vite des sommets. L’État français ne pourra plus refinancer ses déficits et ses caisses se videront inexorablement. Il ne pourra plus payer les salaires et les pensions des fonctionnaires. Comme dans les pays d’Amérique latine, la crise financière se doublera d’une crise économique. Prébendes et privilèges, miséreux et laissés-pour-compte... la France est en situation de faillite potentielle et prérévolutionnaire. »
François Puyssange, le héros de notre auteur, pose la question à laquelle beaucoup d’entre nous attendent une réponse :
« Quand aura lieu en France le battement d’ailes du papillon ? Selon la fameuse théorie de Lorentz, le battement d’ailes d’un papillon au Japon peut provoquer quelques jours plus tard un ouragan au Mexique. Autrement dit, un évènement initial, qui peut paraître négligeable, peut provoquer d’énormes changements au bout d’un certain temps. En France, quel sera donc l’évènement, s’il arrive un jour, à partir duquel notre pays prendra le chemin des réformes, si difficiles soient-elles, et quittera la voie du déclin ? ».
Je ne décrirai pas la mécanique infernale ni la trame romanesque qui conduiront François Puyssange, à travers une réplique modernisée des évènements de Mai 1968, d’une situation de révolte individuelle à la position de président de la République et de sauveur du pays. Sa démarche populiste et protestataire en fait un mélange de Pierre Poujade et de José Bové, à ceci près qu’il la met au service d’idées bien différentes des leurs.
Ce qui le scandalise est par exemple que « ceux qui travaillent, que ce soit dans le privé, en créant de la richesse comme le disent les économistes, ou dans le public, en assumant de véritables missions de service public, doivent entretenir une partie de la population : ceux qui disposent de privilèges exorbitants sans subir en contrepartie de véritables contraintes qui puissent les justifier : les cheminots, les salariés de la RATP et d’EDF, les fonctionnaires de la Banque de France ou ceux en poste dans certains DOM-TOM, pour ne citer que les plus scandaleux. Ou ceux qui profitent, indûment dans certains cas, des transferts sociaux : les accrocs de l’arrêt-maladie de complaisance, les faux chômeurs et d’autres encore. Les impôts, taxes et charges sociales acquittés par les entreprises et les salariés pour financer ces privilèges et ces transferts sociaux abusifs sont autant de salaires ou d’emplois en moins. »
Mais ce qui m’a le plus intéressé dans l’approche de Denis Castel, ce sont les solutions qu’il imagine. Il prête certes aux dirigeants, confrontés à la situation financière, les démarches habituelles de fuite en avant, emprunts supplémentaires, assortis de dégrèvements fiscaux et décalage des paiements des fournisseurs de l’État et des collectivités publiques. Mais, très vite, son héros prend conscience des choses et explique que les réformes indispensables et le crédit-relais massif nécessaire de l’Union européenne ne suffiront pas, et que les Français devront se résigner à un effort fiscal aussi substantiel que pénible.
Qu’une telle perspective soit désormais reconnue comme nécessaire et plausible dans un discours, inspiré par l’initiative et la liberté économiques, illustre le changement progressif des esprits. Certes, il faut réduire les dépenses publiques, certes, il faut réformer les retraites et la sécurité sociale, certes, dans cette circonstance critique, il faut s’attaquer aux privilèges publics et privés, mais ferait-on tout cela avec la plus extrême détermination qu’il faut néanmoins se poser la question d’un effort fiscal exceptionnel et temporaire, permettant de casser sans délai la spirale infernale des intérêts et de la dette et retrouver plus rapidement une situation normale.
La stratégie, retenue par la plupart des dirigeants politiques, est celle d’une action de réduction des déficits, continue, progressive, et s’inscrivant dans le long terme. Avec François Puyssange, et derrière le personnage, Denis Castel, on peut penser que le corps social ne supportera pas la lenteur ni la durée d’une telle démarche et qu’il s’accommoderait plus volontiers d’une thérapeutique de choc, expliquée avec honnêteté et sincérité et mise en œuvre avec équité.
Notre pays aurait-il agi il y a cinq ans ou dix ans que cette option aurait peut-être pu être évitée, mais aujourd’hui, n’est-il pas trop tard ? L’exemple d’Angela Merkel en Allemagne montre qu’il est temps de regarder les réalités en face, et qu’il ne s’agit plus de s’interroger sur des baisses d’impôt ou sur leur stabilisation, mais de savoir quand, comment et pour quelle durée ils devront être augmentés.
Reste à espérer que le happy end, imaginé par Denis Castel, n’est pas seulement un effet de style, destinée à ne pas désespérer ses lecteurs :
« Les réformes nécessaires au redressement financier du pays avaient été menées, avec le souci constant de parvenir à une certaine équité entre les Français. Parce que ces réformes remettaient en cause des situations acquises et des privilèges, elles avaient parfois fait grincer des dents et j’avais dû menacer à plusieurs reprises de démissionner si elles n’étaient pas acceptées en l’état. Mais la France disposait de suffisamment d’atouts économiques pour retrouver une dynamique de croissance qui a largement atténué les aspects les plus douloureux des réformes. Comme souvent lors des crises que le pays avait pu connaître dans le passé, les Français avaient trouvé dans l’adversité la force du sursaut. Finalement, et comme je l’avais toujours pensé, il avait juste suffi qu’ils prennent conscience qu’ils ne pouvaient pas vivre éternellement à crédit, et qu’ils en acceptent les implications, pour que tout s’arrange. »