mercredi 30 janvier 2008 - par Argoul

Simone Veil, Une vie

Simone Jacob était issue d’une double famille juive, laïque et républicaine, établie en France depuis le XVIIe siècle en Lorraine d’un côté et depuis le XIXe siècle à Paris. Elle était d’une famille heureuse et studieuse, aux nombreux enfants. Son père lui disait : « Les Juifs et les aristocrates sont les seuls qui savent lire depuis des siècles, et il n’y a que cela qui compte. » p.18 Elle définit le « profil social et culturel » de sa famille : « des Juifs non religieux, profondément cultivés, amoureux de la France, redevables envers elle de leur intégration. » p.120simone-veil-une-vie.1201683622.jpg

Simone passe son enfance à Nice, jusqu’à son arrestation par la Gestapo et son envoi au camp d’Auschwitz-Birkenau à 16 ans et demi. Elle sera sauvée par une kapo juive, ancienne prostituée qui la trouve « trop jolie pour mourir ». p.76. Elle l’affectera aux cuisines, avant la libération par l’armée anglaise avec ses deux soeurs. Sa mère y laissera la vie, atteinte du typhus. De son père et de son frère, elle ne saura rien, sinon qu’ils ont été envoyés en Lettonie et qu’ils y ont disparu. Le chapitre sur le camp, s’il est le plus poignant, est écrit avec retenue. Simone y montre déjà un regard aigu sur les autres, perçant à jour les comportements humains. Non, personne ne savait ce qui les attendait. Non, les Allemands n’étaient pas tous des tortionnaires fanatiques : « la folie de la pureté les hantait » p.67. Non, reprocher aux Alliés de ne pas avoir bombardé les camps est inepte : « J’ai eu, parfois, le sentiment que certains maîtres à penser s’intéressaient plus à montrer du doigt l’abstention ‘coupable’ de Roosevelt et de Churchill qu’à dénoncer les horreurs concentrationnaires des nazis » p.94. Peut-être parce que Staline en faisait autant de son côté (pour la ‘bonne cause’) ? La solidarité communiste des camps : « Cette solidarité a certes existé, mais essentiellement entre communistes, et encore avec des nuances (...) il importait d’abord de sauver les cadres » p.97. Quand on est devenue « Sarah-78651 », viande tatouée destinée à servir jusqu’à élimination, on n’a que faire des grands mots et autres promesses de l’aube.

De retour en France, certains s’étonnent qu’elle ait pu en réchapper, « sous-entendant même que nous avions dû commettre bien des turpitudes » p.108. Envie, ressentiment, xénophobie sont le fond français indécrottable ; certains le disent ‘pétainiste’, c’est probablement plus grave. Ceci posé, Simone trouve Le Chagrin et la Pitié, film encensé dans les années 1970 par la gauche, excessif dans l’autoflagellation et l’accusation polémique de presque tous. Elle s’opposera à l’achat de ses droits pour l’ORTF, le jugeant trop partial. « Une réalité indéniable : nombreux étaient les Français qui avaient caché des Juifs ou n’avaient rien dit lorsqu’ils savaient qui en protégeait. Or, le film n’en disait mot » p.328. Elle-même a été accueillie par les Villeroy, des aristocrates niçois, durant les quelques semaines où elle se cachait. Après la Libération, la communauté juive n’a pas fait mieux : elle « s’était peu impliquée, au moins directement, dans l’aide morale et matérielle que les familles, souvent étrangères, amputées par la Shoah pouvaient espérer » p.118.

Simone Jacob a été reçue au bac juste avant sa déportation. En 1946, elle peut donc s’inscrire en droit et à Science Po. Elle y fait la connaissance d’Antoine Veil, qui deviendra son mari et avec lequel elle aura trois garçons. De quoi reconstituer une famille heureuse. Antoine réussit à l’ENA, Simone devient magistrat, malgré la résistance familiale et le machisme d’époque qui la verrait plutôt torcher et cuisiner à la maison. Elle est chargée de l’inspection de l’Administration pénitentiaire de 1957 à 1964. Puis Jean Foyer l’affecte à la Direction des Affaires civiles, où elle prépare durant cinq ans les projets de lois sous la direction de Jean Carbonnier. Elle traverse Mai-68 avec le sentiment de voir remettre en cause de façon juste « une société figée » : « Mai-68 fut très largement la contestation des patrons d’universités, des pontes de la médecine, des ministres, des chefs d’entreprise, de tous les mandarins qui croyaient détenir leurs pouvoirs d’une sorte de droit divin » p.153. Croyez-vous qu’en 2008 les choses aient réellement changé ? Simone est lucide : « Le conservatisme de gauche succéda à celui de droite, et rien ne changea véritablement » p.155.

Simone Veil devient conseiller technique du ministre de la Justice René Pleven sous Pompidou, puis secrétaire du Conseil supérieur de la magistrature et administrateur de l’ORTF. Giscard l’appelle comme ministre de la Santé où sa grande œuvre est la loi sur l’interruption volontaire de grossesse en novembre 1974. La misère sociale était grande et les mentalités mûres. Elle porte, à la demande du président, la liste UDF aux élections européennes de 1979 et est élue présidente du Parlement européen. Elle y découvre la légèreté française sur les dossiers, l’esprit buté de la bureaucratie sur les trois lieux de réunion (Bruxelles, Strasbourg, Luxembourg), la division gauloise des partis proches... A nouveau ministre de la Santé sous Balladur durant la cohabitation, en prise avec « le Trou », celui de la Sécurité sociale, creusé tant par les abus (de médicaments, d’arrêts maladie, de diagnostics techniques, de rétention à l’hôpital, de carte hospitalière...) que par l’allongement de la durée de la vie et le vieillissement de la population. Pas de solution miracle, mais l’examen humble de comment les autres réussissent sur le sujet et le débat de société nécessaire au financement : « En soi, l’impôt est économiquement indispensable et socialement moral » p.275.

Sous Chirac, elle préside le Haut Conseil à l’intégration, puis est nommée au Conseil constitutionnel, « contre-pouvoir réel » p.295, depuis que Giscard a permis que 60 députés ou sénateurs puissent le saisir. Elle achève son mandat en mars 2007, délivrée désormais de tout devoir de réserve. Ses mémoires se lisent facilement ; elles sont le fait d’une grande dame à qui « on ne la fait pas » parce que les épreuves traversées lui donnent le recul nécessaire à juger des choses et des hommes. Le lecteur tranchera en lisant demain les citations de la note suivante. Elles sont pour moi une jubilation de lecture. Pour cette femme élevée dans l’esprit des Lumières, ayant traversé le pire de ce que le XXe siècle a pu produire, les libertés, la modération et l’humanisme sont des raisons de vivre. Elle se trouve donc libérale, ne croyant pas aux injonctions d’Etat ni aux vérités révélées. Elle aime Pompidou plus que de Gaulle, Chaban-Delmas plus que Giscard, Rocard plus que Mitterrand et Sarkozy plus que Chirac. « Au fond, tout au long de ma vie, j’ai eu la chance de pouvoir m’investir à ouvrir des brèches dans le conformisme ambiant » p.261. Et c’est cette lumière qui nous éclaire.



16 réactions


  • Jason Jason 30 janvier 2008 11:37

    Confrontée à la veulerie et à la bêtise nationales, cette grande dame a eu bien du courage de rester en France. On dit qu’il n’y a que la foi qui sauve. Elle doit avoir la foi républicaine chevillée au corps.

    Avec toute mon admiration et respect.


  • pallas 30 janvier 2008 12:40

    Ont ne connai pas sa vie sexuel, etait elle lesbienne, une femme volage ? car ont connaient la vie de Sarkozy et de tout le gratin, alors ont peut m’eclairer. A t’elle coucher avec simone Debeauvoir ?.


  • maxim maxim 30 janvier 2008 13:48

    une républicaine ,une vraie,point final .


  • anny paule 30 janvier 2008 15:08

    Cet article pose bien des questions : comment une femme qui a un tel passé, dont vous dites "élevée dans l’esprit des Lumières", dont "la modération, la liberté et l’humanisme sont des raisons de vivre" peut-elle adhérer à la "pensée" sarkozienne, (si tant est qu’il en existe une) ?

    Cette femme a fait beaucoup à un certain moment, notamment pour le droit des femmes, mais depuis 2006, il semblerait qu’elle renie ses engagements passés... J’ai beaucoup de mal à comprendre comment une "humaniste" cultivée et convaincue puisse soutenir la politique de notre actuel président...


    • Yohan Yohan 30 janvier 2008 17:19

      Je le vois comme une méfiance vis à vis des grands idéaux de gauche dont les juifs ont trop souvent fait les frais, à cause d’un rapport à l’argent (donc au capital) , jugés coupable, statut qui leur a été d’ailleurs imposé il y a bien longtemps.


  • brieli67 30 janvier 2008 17:21

    PDG de MANURHIN vendeurs d’armes et de mines anti personnelles

    grand commis de l’Etat tenant salons à Paris lançant pouliches et poulains sur l’avant-scène politique

    dont Lalonde Lepage Borloo et d’autres à gauche dont je tairai les noms

    et surtout le Bayrou ........ avant un revirement final vers NS.

     

    la star du barreau de Fils défendre DSK et Chichi

     

    http://www.nouveleconomiste.fr/Portraits/1226-Veil.html

     

    pas très appréciée la Simone dans certains milieux juifs...............

    http://www.trdd.org/CP050127E.HTM

     

     

     

     

     


  • Sébastien Sébastien 30 janvier 2008 18:23

    Merci pour votre article. Je trouve que vous avez reussi a restituer la pudeur de cette femme en parlant de sujets graves sans pleurnicheries. Bravo.


  • Xerxès Xerxès 30 janvier 2008 20:54

    Simone Weil , celle qui a toute mon estime et admiration , est celle qui est l’auteur de ces lignes :

    « On meurt pour ce qui est fort, non pour celui qui est faible. Mourir pour ce qui est fort fait perdre à la mort son amertume. »

    « L’extrême grandeur du christianisme vient de ce qu’il ne cherche pas un remède surnaturel contre la souffrance, mais un usage surnaturel de la souffrance »
     
    « Ce monde est la porte d’entrée. C’est une barrière. Et, en même temps, c’est le passage. »
     
    Paix à son âme.
     
    Xerxès

     


  • Didier B Didier B 30 janvier 2008 21:57

    Chapeau bas, Mme Veil !

    C’est une sacrée bonne femme (si vous me permettez l’expression) ! Et je le dis avec d’autant plus de plaisir que je ne suis d’accord avec certains des choix politiques qu’elle a pu faire.

    Mais, je ne peux qu’etre admiratif devant sa vie et sa ténacité.

    Et bravo à Argoul pour l’article.


  • haddock 31 janvier 2008 08:48

    Total respect Madame SIMONE .


  • morice morice 31 janvier 2008 09:24

    Pallas : vous vous sentez fier de votre post immonde ?


  • Christoff_M Christoff_M 1er février 2008 09:34

    c’est vrai qu’on peut se poser la question après un tel parcours du soutien à Sarkozy, communautarisme....

    ou peut etre mauvais souvenir des integristes de gauche qui l’insultaient quand elle présentait sa loi sur l’IVG appuyée par Giscard jeune président.... il existait une tendance radicale incarnée par monsieur Chevènement qui a presque disparu maintenant, heureusement.... et certains de ces radicaux étaient pire que la plus caricaturale bourgeoisie de droite...

    en attendant son fils avocat de Chirac de Strauss Kahn dans l’affaire Clearstream et maintenant de Daniel Bouton ne seùble pas défendre les memes valeurs !! et est ryal pour faire étouffer les affaires d’état....


  • vivelecentre 1er février 2008 11:26

    il y a pas de bonne ou de mauvaise cause, un avocat se doit de defendre toute les causes et c’est tout a leur honneur.

    et puis ce n’est pas elle l’avocat, c’est son fils. donc hors sujet ! 


    • Christoff_M Christoff_M 4 février 2008 22:39

       Je n’aime pas les articles dégoulinants de complaisance, la aussi ça n’apporte rien puisqu’il n’y a pas d’analyse des personnages.... je ne vois pas l’interet !!

      est comme Drucker pour augmenter les ventes d’un livre ou pour évoquer vraiment un personnage avec du recul....depuis un moment il apparait une tendance leche botte qui devient inquiètante sur Agoravox...

      Surtout si la personne sort d’une grande école "référence", il ne manque plus que le mausolée....


  • illana31 3 février 2008 00:08

    Bonjour,

    Je me permet d’intervenir dans cet espace de commentaires car il n’y a apparemment aucun moyen de contact privé.

    Je suis étudiante en Master de communication à Marne-la Vallée et je réalise un mémoire ayant pour thème le journalisme sur Internet. Je me pose notamment la question de la représentation que le internautes-journalistes se font d’eux-mêmes. De la place, du rôle qu’il s’octroie au sein de la profession journalistique.

     Si vous êtes disponible pour un entretien, contactez-moi sur ma messagerie [email protected]

    Merci par avance

    Illana Attali


  • GBA92 7 février 2010 21:26

    Je partage l’étonnement d’autres personnes au fait que Mme S.Veil ait pu succomber aux sirènes du Sarkozisme, cela m’étonne vraiment.
    Est-ce une question de génération ? On voit en effet que N.Sarkozy est vissé sur un socle d’électeurs d’un certain âge, je crois en majorité de plus de 65 ans, mais vu le passé de Mme Veil c’est fort troublant.


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