Lorsque la liberté de religion se limite à une peau de chagrin
Empruntons la « légèreté » de notre titre à Balzac dont l’ouvrage permet, à juste titre, de nous rendre compte du poids de cette expression, si bien choisie, « la peau de chagrin ».
La liberté de religion occupe une place essentielle sinon fondamentale dans toute société démocratique ; elle est une liberté chérie par tous les défenseurs des droits de l’Homme. Force est toutefois de constater que certains pays, dont le Pakistan, ne la perçoivent que de manière contingente. Pourtant, beaucoup d’analystes s’autorisent à penser que le Pakistan serait en « transition démocratique ». La démocratie au Pakistan est un nouveau né à peine conçu ; mais on ne peut s’empêcher de penser que ce rendez-vous avec la démocratie est manqué et que l’enfant qui en est issu souffre de multiples handicape.
Le rêve brisé de Jinnah
La Constitution pakistanaise prévoit la liberté de religion qui y occupe une place essentielle. Cette liberté est également à l’origine de la création du Pakistan de sorte qu’elle en a été, aux yeux de son fondateur, la condition sine qua non à son indépendance. Le très charismatique Muhammad Ali Jinnah, fondateur du Pakistan, affirmait lors de son éloquent discours, le 11 août 1947, devant l’Assemblée constitutive du Pakistan que :
« Vous êtes libre d’aller à vos temples. Vous êtes libre d’aller à vos mosquées ou à n’importe quel autre endroit de culte dans cet Etat du Pakistan. Vous pouvez appartenir à n’importe quelle religion ou caste ou foi ce qui n’a rien à voir avec les affaires de l’Etat. Nous commençons par ce principe fondamental que nous sommes tous les citoyens et les citoyens égaux d’un Etat. Je pense que nous devrions garder cela devant nous comme notre idéal et vous constaterez qu’entre temps les hindous cesseraient d’être des hindous et les musulmans cesseraient d’être des musulmans, pas dans le sens religieux, parce que c’est la foi personnelle de chaque individu, mais dans le sens politique comme citoyens de l’Etat ».
Très tôt, avec le putsch de Zia Ul Haq, l’Islam va servir d’instrument aux différents fondamentalistes religieux – qui n’ont, en réalité, aucune religion puisque l’Islam n’autorise aucunement ce genre d’atrocités – pour imposer une oppression sans précédent sur les minorités. La corruption va peu à peu prendre s’enraciner dans la société pakistanaise et le déclin du pays, rongé par l’injustice, va commencer à s’amorcer. Ce Pakistan, loin d’être celui tant espéré par son fondateur, va également introduire, au sein de la Constitution, un amendement, l’article 260 clause C rédigé dans les termes suivants :
Le terme « non Musulman » désigne une personne qui n’est pas Musulman (tel qu’il est défini dans le paragraphe précédent) dont, notamment, une personne appartenant aux religions chrétienne, hindouiste, sikhisme, bouddhisme ou un membre de la communauté Parsi ou une personne membre des groupes ‘Qadianis’ ou ‘Lahori’ se nommant « Ahmadis » ou par toute autre appellation ou un Bahaï ou une personne appartenant à l’une des Castes figurant en Annexe. »
Outre la stigmatisation constitutionnelle dont font l’objet les minorités religieuses, une communauté va être particulièrement visée par ces discriminations ; la communauté musulmane ahmadiyya. En effet, le 26 avril 1984, une ordonnance anti-Ahmadiyya XX sera adoptée par Zia Ul-Haq qui entrainera plusieurs interdictions, sanctionnées par des dispositions pénales. Le Code pénal pakistanais se trouve ainsi modifié en insérant les articles suivants (articles 295-B et 295-C de l’ordonnance) qui interdit aux ahmadis toute assimilation à l’identité musulmane sous peine d’emprisonnement.
Quel(s) droit(s) pour les ahmadis au Pakistan ?
Parler de droit pour les ahmadis au Pakistan relève de l’oxymore. Les ahmadis ne peuvent pas prononcer le salut islamique, ils ne peuvent pas prononcer la profession de foi ou exercer tout acte en rapport avec la religion musulmane. Au delà de leur religion, on leur a retiré leur identité musulmane.
Les persécutions des ahmadis prennent des formes de plus en plus diversifiées ; elles ne se limitent plus à des actions locales limitées. Désormais, au côté des meurtres en pleine rue ou des dégradations des cimetières, l’accès à l’éducation est entravé et certains étudiants sont contraints de ne plus indiquer leur appartenance à cette communauté sur le rôle par peur d’une éventuelle d’expulsion.
Ils pourraient espérer un changement si le droit de vote leur était concédé ; contraints de voter dans la catégorie des « non musulmans », ils doivent laisser dans les urnes leur identité religieuse au prix d’un vote. Au nom de la liberté de conscience et de la liberté religieuse, les ahmadis refusent de voter et martèlent l’absence indirecte d’accès aux urnes.
Les lieux de culte sont également la cible quotidienne des fondamentalistes religieux. Cette année, alors que les musulmans du monde fêtaient, il y a seulement quelques jours, la fête de l’Eïd, les musulmans ahmadis du Pakistan n’ont pas pu se rendre dans un lieu de culte pour pouvoir observer la prière. Cette impossibilité n’est pas une première ; l’année précédente, dans plusieurs localités, de telles entraves ont également été relatées. Pourtant les ahmadis mettent en avant l’article 20 de la Constitution Pakistanaise garantissant à chacun le droit à un lieu de culte ; rien n’y fait, la Constitution n’a plus de valeur juridique en présence d’ahmadis.
Constamment relayées par les grands organismes internationaux de protection des Droits de l’Homme (UNHCR, Human Rights Watch, Amnesty International), les limites à la liberté de religion se poursuivent sans qu’une action internationale ne puisse concrètement être adoptée. L’ensemble de ces éléments en tête, est-il encore décent de parler de « transition démocratique » ?