Covid : le risque interdit
Le risque d’une pandémie mondiale s’est donc réalisé, et nous n’étions donc pas prêts. Retour sur un épisode tellement symbolique de nos économies contemporaines.
« Le réel c’est quand on se cogne ». Lacan ne croyait pas si bien dire. Evidemment, il ne pensait pas à la Covid, mais on y pense pour lui. A force de faire comme si le pire ne pouvait pas arriver, et bien nous l’avons cru.
Finalement, cette crise révèle ce que nous savions déjà : nos économies fonctionnent tambour battant, et malheureusement sans filet. Résultat : la Covid provoque un véritable séisme social et économique. Trop douillettes nos économies ? Certes, il y a un peu de la princesse à petit poids chez notre homo œconomicus. Mais il est possible aussi que nous aurions traité la menace pandémique par-dessus la jambe, par impuissance ou aveuglement.
Assurance Covid, pourquoi faire ?
Mais pourquoi donc n’avons-nous pas fait en sorte de nous couvrir contre le risque d’une pandémie géante ? Pourquoi n’a-t-on pas constitué une méga-cagnotte à n’utiliser qu’en cas de coup dur ? Pourquoi donc ce risque XXL n’a-t-il pas été couvert ?
Parce que l’on ne se couvre pas contre l’arrivée des extraterrestres, nous est-il expliqué. Il est vrai que l’on a aucune idée de leur arrivée prochaine… Oui mais quand même, dans le cas d’un risque pandémique, on imagine sans peine les pertes humaines, sociales, économiques, incommensurables qui pourraient avoir lieu. Le problème, c’est que la théorie a un mal fou à traiter ces risques hors catégorie. Qui peut assurer de tels risques ? Qui l’accepte ? On parle le plus souvent de réassurance : l’assureur qui assure l’assureur qui assure l’assureur… ; voire de méta - assureur : l’autorité qui prélève, s’endette, voire crée la monnaie nécessaire afin de socialiser les pertes.
Mais bon, lorsque le risque semble tellement improbable, pourquoi mettre de côté une somme d’argent si considérable ? Pourquoi se faire fourmi quand on peut être cigale ? Pourquoi se priver ? Autant utiliser la cagnotte pour financer ou consommer de l’utile et de l’agréable. C’est ainsi, les risques qui envisagent le pire sont récusés d’office : leurs dommages incommensurables ne leur donnent pas le droit d’exister, leur réalisation serait aporétique : non sequitur. Nos agents économiques doivent accepter l’idée que ce risque ne peut pas se réaliser puisqu’il ne doit pas se réaliser, sous peine d’insulte au bon sens. On peut ainsi invoquer l’impitoyable preuve par l’absurde : supposons que le méga-risque se réalise, ce serait un drame indigne de notre époque 2.0, donc ce risque ne peut pas se réaliser. Inattaquable.
Pourtant, ce n’est pas parce qu’on ferme les yeux, que les choses n’arrivent pas. Ce n’est pas parce qu’on fait comme si on était pas là, qu’on y est pas. On peut ainsi rappeler cette fameuse énigme sur laquelle on bute encore : « lorsque l’arbre tombe et qu’il n’y a personne, fait-il du bruit ? », peut être pas, mais il tombe quand même. Autrement dit, ce n’est pas parce que l’on se refuse d’entendre le risque Covid que ça l’empêche d’arriver. Mais ces réserves n’ont pas été jugées convaincantes, en tous les cas insuffisantes pour inciter nos autorités à souscrire une assurance Covid. Bon, mais peut être n’est-ce pas totalement de leur faute ? Peut-être, sommes-nous aussi un peu responsables ?
Le mythe du super héros
Parmi les explications à l’aveuglement, il y a celle du super-héros. Nous savons que l’être humain a tendance à sous-estimer le risque de sa mort. Il se croit plus fort qu’il ne l’est vraiment, et plus adroit que son voisin pour passer à travers les gouttes. Ainsi, il aura tendance à moins épargner qu’il ne devrait pour ses vieux jours, et ne se couvrira donc pas assez contre les risques auxquels lui aussi, commun des mortels, est soumis. D’où les campagnes de Nudging des autorités bienveillantes de part le monde, afin d’inciter les futurs retraités à financer leurs futurs problèmes de santé. Peut être alors notre homo œconomicus n’a-t-il pas jugé opportun de se couvrir contre un risque finalement pas si probable et somme toute assez supportable.
Plus fumeux, il y a le fameux problème de la non-identité invoqué par la philosophie, qui s’interroge sur cette curieuse manie que nous avons de toujours nous soucier des générations futures. En effet, ces dernières nous mettraient en demeure d’agir aujourd’hui afin de corriger le tir (climat, environnement). Mais si nous agissions ainsi, ces mêmes futures générations aujourd’hui accablées ne pourraient pas voir le jour, puisque justement d’autres générations auraient pris leur place grâce à nos actions ! D’où la question qui dérange : pourquoi sauver des générations futures qui ne seront pas là pour nous remercier... Quel rapport avec la Covid ? Eh bien, les adeptes du principe de non-identité pourraient toujours se dire qu’il n’y a pas de raison de nous couvrir contre ce risque, puisqu’en faisant cela on privilégierait une génération de malades plutôt que de biens portants… Effectivement, de quel droit.
Tous ces arguments militent donc pour ne pas nous couvrir contre les risques insupportables. Le problème, c’est que l’un de ces risques s’est finalement réalisé : la Covid. Alors que faire maintenant ?
La galette de secours
Le confinement a fait office d’un clou, l’autorité du marteau, et le pneu éclaté de nos économies baudruches. L’efficacité des mesures d’urgence dépend alors de la béance du trou. Evidemment si le pneu a éclaté, il n’y a pas grand-chose à faire. Nos autorités n’ont rien d’autre à nous proposer que la fameuse galette afin de reprendre le trajet (la roue de secours est devenue un luxe encombrant), moins rapide donc mais ça roule : car il n’est évidemment pas question de faire du surplace, pas question de se contenter de ce que l’on a plus, et se satisfaire du nécessaire n’est pas suffisant.
Terminé les plaintes élégiaques. Les centres urbains ou autres lieux de travail ont été vidés de leur substance, et commencent à ressembler à de véritables cénotaphes. Il est vraiment temps de repartir de l’avant, et de présumer de ses forces, comme au bon vieux temps. Il est vrai que le vide est une sensation bizarre qui vous donne l’impression que le plein c’est mieux.
Et le prochain risque pandémique ? Chat échaudé craint-il l’eau froide ? Pas sûr. Le futur est un présent encore malléable qui ne prendra sa forme finale qu’à la lumière des évènements qu’on laissera survenir diront les interventionnistes, qu’à la contingence des faits diront les fatalistes.
Bref, il n’est pas impossible que l’on continue à rester à découvert contre les risques insupportables. Dans ce domaine, l’Histoire nous enseigne que l’autorité pratique une politique prétorienne, faite de cas de jurisprudence plutôt que de grands principes. Pas la peine donc d’espérer un Kairos du risque, un genre de prise de conscience opportun, le bon acte au bon moment.
En attendant, apprenons à danser sous la pluie, puisqu’on ne sait pas quand l’orage sera passé (Sénèque).