La sexualité des malades : Baiser avec une trachéotomie ou autre fantaisie du genre
Etre malade, ce n’est pas uniquement souffrir dans sa chair, c’est aussi être diminué, limité dans ses mouvements et sa capacité d’intervention dans la vie quotidienne. La sexualité faisant parti de la vie, la maladie interfère aussi de façon intempestive dans cette activité. Avant d’entrer dans la pathologie lourde et invalidante qui pénalise les grands malades, faisons un petit tour d’horizon des petits inconvénients sexuels induits par la maladie. Et puis, l’impact psychologique de la maladie peut certes déprimer, mais n’entraine pas obligatoirement une baisse de la libido. Le problème devient alors de continuer à l’assouvir, ce qui est difficile pour ceux qui n’ont pas de partenaire régulier d’avant la maladie invalidante. Heureusement ( ?), la plupart des malades sont tellement endoloris ou assommés par les traitements que la préoccupation sexuelle s’efface momentanément. Certains cependant, restent excités malgré les douleurs, les handicaps et les antalgiques.
A moins d’avoir une libido intense, une courte hospitalisation ne peut vous pourrir la vie. Le malade ou le blessé peut se passer de flûte traversière pendant les quelques jours qu’il passe à l’hôpital ; cela se gâte lorsque le séjour se prolonge. Les infirmières qui entrent sans frapper pour administrer une injection et les aides-soignantes qui vous balancent un plateau d’alimentation tiédasse ne sont pas rassurantes quand vous avez une visite. Tout juste pouvez-vous vous autoriser une petite masturbation en solitaire, si vous n’avez pas trop honte de vous souillez le drap. Et même si vous avez la chance d’avoir une chambre individuelle, la fellation et la copulation sur un lit d’hôpital n’a rien d’évident, sauf dans le cabinet de toilette avec votre partenaire, si vous avez encore la force de vous lever. Certes, beaucoup de malades sont trop faibles pour penser à la gaudriole, d’autres aimeraient bien, mais son devenus mous du piston, et même avec du Viagra, il est assez aléatoire d’envisager une étreinte torride avec un fixateur externe au tibia et un plâtre scapulo-huméral. Pourtant, un jeune motard rétamé, ça doit bien avoir envie de baiser. On peut certes rester dans le furtif et rester au niveau tactile, avec demande de palpation discrète. Mais il faut connaitre quelqu’un de dévoué. L’infirmière sans culotte qui par compassion va vous manipuler avec l’ostentation professionnelle, ça ne se voit que dans les films pornos.
Beaucoup moins invalidantes, mais tout aussi problématiques sont les hémorroïdes. Pas question de sodomie ou d’utilisation de sex-toys en pleine poussée aigue. Pas question non plus de demander un anulingus en cas de prolapsus hémorroïdaire ; il y va de sa dignité et du respect de l’autre. Quant aux dermatoses, si elles ne sont pas mortelles, elles dissuadent souvent les nouveaux partenaires. Beaucoup ressentent de la réticence, voire du dégout face à un eczéma, un lupus, un psoriasis, même si ce n’est point contagieux.
Mais le pire, c’est tout de même l’insuffisance respiratoire chronique, que l’on soit hospitalisé ou de retour à domicile. Tirer un coup avec la bouteille d’oxygène et le masque à portée de main entrave gravement toute tentative d’acrobatie et de fantaisie sexuelle. Pas de cigarette après l’amour, quand on est sous oxygène ! Cela est aussi valable pour le partenaire qui ne peut non plus en griller une du fait du risque d’explosion. Mais le pire avec l’emphysème et autre diminution de la capacité respiratoire, avec la trachéotomie ou la fracture des os du nez, c’est que l’on s’essouffle rapidement. Et si jamais vous arrivez encore à remuer en haletant, il vaut mieux s’abstenir de parler. Cela devient tout à fait ridicule de dire « je t’aime, mon petit poussin » ou « suce-moi un peu plus profond » avec la voix métallique et caverneuse du trachéotomisé ou entre deux sifflements et halètements de celui qui respire avec peine.
Le cancer, maintenant on en guérit ou on s’éternise mollement sous chimiothérapie, et pour une femme ce n’est pas du tout évident de se déshabiller quand on a subi une mammectomie, que l’on est couverte de cicatrices de laparotomie et de drains ou que l’on est obligé de porter une perruque après la chute des cheveux. Pour l’homme, l’aspect physique est aussi peu reluisant après un « bon cancer » mais tant qu’il arrive à bander, il ne renonce pas. Concernant la prostate, tout le monde n’a pas la chance de tomber sur un urologue honnête qui ne lui proposera pas d’emblée une chirurgie rémunératrice (et sexuellement invalidante) qui le mènera à l’impuissance, mais un traitement hormonal qui lui autorisera encore quelques érections en dépit de quelques métastases. Mitterrand a tenu des années avec la sexualité qu’on lui attribue, car il a eu la chance de ne pas être opéré. Par contre, à la suite d’une tumeur du colon ou du rectum, on se retrouve quelquefois avec un anus artificiel, et dans ce cas, on a intérêt à être marié depuis des années, car on ne drague pas avec une poche de colostomie au risque de désillusions.
Pour les malades mentaux, cela se gâte encore plus, quand ils ne sont pas abrutis par les neuroleptiques et qu’ils ont encore une certaine vigueur, il n’est pas question de les laisser s’accoupler. Cela est encore plus tragique pour les femmes, car celui qui oserait tripoter ou encore pire pénétrer une malade mentale serait considéré comme un violeur, pratiquant au minimum un abus de faiblesse. Une femme, même encore jeune présentant des troubles psychiatriques est donc souvent condamnée à l’abstinence avant tout pour des raisons légales. La morale religieuse qui interdisait toute sexualité aux « fous » a été remplacée par la judiciarisation de la société et le principe de précaution. De nombreux psychiatres se sont penchés sur le problème posé par la sexualité des malades mentaux allant de la contraception, à la définition du libre-arbitre en passant par l’expression de la pulsion sexuel et du désir. Inutile de dire que ce n’est pas simple. Doit-on enfermer une érotomane sans accès à la sexualité et doit-on condamner pénalement celui qui profite de son état mental, du fait du manque de discernement de la malade, même si elle éprouve des orgasmes ? La question qui se pose alors est la suivante : le corps médical, les travailleurs sociaux et la justice ont-ils des droits sur la vie sexuelle des malades mentaux. Comment les protéger des prédateurs sans leur brimer la libido ?
Le rôle du médecin n’étant pas moral mais curatif, il n’y a donc aucune raison à ce qu’il intervienne dans la vie sexuelle de ses patients sauf pour les protéger moralement et physiquement. Malgré tout, il ne peut que conseiller la mesure et la précaution à ceux qui sont fragilisés physiquement et psychologiquement ainsi qu’à leur entourage. Ainsi, on déconseillera les acrobaties des acteurs pornos aux porteurs de drain pleural ou de fixateur externe, dans ces cas, il n’y a rien de déshonorant de baiser « à la papa ». Pour les malades mentaux, les autistes, les trisomiques, cela devient plus complexe, car un médecin ne peut être un censeur.
Enfin, il serait judicieux d’ajouter dans la liste des activités d’aide à la personne, la dernière masturbation ou fellation au lit du mourant encore capable d’une érection.
PS : Si j’avais abordé le thème dans une revue médicale, j’aurais été obligé à un ton plus neutre accompagné d’une bibliographie autant étoffée qu’ennuyeuse, c’est l’avantage d’écrire sur Agoravox, on n’est pas obligé de sortir des statistiques roboratives !