Après le nazisme et le stalinisme, l’écofascisme ?

Tracer un portait critique d’une société ne semble pas hors de portée pour un intellectuel aguerri, sauf que l’impartialité de la description n’est pas garanti. Un lacanien demanderait à cet intellectuel : d’où parles-tu ? Cette question est légitime car toute pensée est marquée par différentes tonalités qui finiront par se mêler à l’analyse si bien qu’aucune description n’est impartiale. Ces tonalités se scindent en trois catégories déclinées à parti de la triade platonicienne, beau, vrai, bien. La critique de la société peut se faire en « calant » la pensée sur des considérations esthétiques, idéologiques ou morales. Le portait de l’homme festif et de la société du divertissement par Philippe Muray est marqué par une vision esthétique. La fréquentation des mauvaises nouvelles peut infléchir l’appréciation morale et faciliter le dessin d’un monde gagné par le mal et la corruption. L’idéologie peut aussi altérer la compréhension du monde en axant le portrait sur des catégories d’individu ou d’institution, par exemple la finance rapidement jaugée comme axe du mal. Aussi, le portrait fidèle d’un monde complexe en plein bouleversement n’est pas une tâche aisée. Il faut chercher les données, les trier, rassembler les faits, replacer les événements, contextualiser les images. Et puis face au défi de la philosophie, savoir jeter l’éponge en reconnaissant l’objectif inaccessible pour se placer dans la situation modeste de l’intellectuel spécifique, notion chère à Foucault.
Où va le monde ? Il y a 50 ans, l’évolution des sociétés semblait déterminée, visible, intelligible. Consultez Nisbet ou Aron pour quelques études accordant un sens au développement des sociétés modernes. Maintenant, le sens s’est diffracté pour ne pas dire effiloché. Depuis mon point d’observation de faux agent secret, je crois déceler des tendances totalitaires liées à plusieurs lieux de pouvoir ; le politique, les experts, les gestionnaires, les bureaucrates, les médias de masse sans oublier les possibilités inouïes de la technique pour façonner un ordre éco-fasciste. Mais au fait, c’est quoi l’éco-fascisme ? Cette notion composite désigne par « éco » un ensemble de pratiques et de discours liés à l’écologie et à l’économie. L’écologie étant prise dans une acception élargie, incluant en premier lieu non pas les questions environnementales mais le milieu social et l’usage des technologies dans différents secteurs, la production, la culture, les loisirs, la santé. La révolution induite par le numérique est un secret de polichinelle. Mais savons-nous où conduit cette révolution ? Je ne le pense pas.
Je dois avouer quelques difficultés pour appréhender ces évolutions, n’étant pas un « bon usager » de toutes ces smartologies et autres applications permettant de dévorer le monde et d’être sous perfusion d’image et de messages. Néanmoins, cette position de retrait permet un point de vue critique et complémentaire de celui des dévots du numérique célébrant avec Michel Serres l’avènement de la petite poussette. L’homme passe du statut de sujet conscience face au monde à celui d’objet connecté au monde. Les avancées réalisées par les leaders du numérique comme Google laissent augurer un monde inédit qui pour certains fait frémir.
Doit-on craindre l’avenir ? Cette question est pour ainsi dire consubstantielle à l’existence humaine. Il y a des siècles, les sectes millénaristes redoutaient la fin du monde. Au 21ème siècle, les anciens plus que quinqua craignent la fin d’un monde, nombreux se souvenant de la parenthèse enchantée il y a quarante ans. Les jeunes ne semblent pas redouter les évolutions numériques. Ils craignent seulement de ne pas pouvoir participer au jeu avec suffisamment de jetons. Quant à moi, je dois avouer ne pas pouvoir livrer un point de vue complet ni neutre, mon esprit étant tenaillé par une précarité m’inclinant à absorber telle une éponge pensante les mauvaises nouvelles livrées par les médias et le cortège d’information anxiogènes que les rédactions se plaisent à diffuser. Ne pouvant projeter un avenir à titre personnel il m’est impossible d’envisager le futur avec une impartialité et une fidélité intellectuelle infaillible.
Voilà pourquoi j’ai apposé un point d’interrogation dans l’intitulé de ce billet. Le fascisme est un phénomène sociopolitique vieux d’un siècle. Une chose est certaine, parmi les populations, nombreux sont ceux qui se sont sentis à leur aise dans un système fasciste, les uns en jouant avec aisance, les autres se sentant protégés. Mais tout aussi nombreux sont ceux qui n’apprécièrent pas ce genre de régime, les uns étant laissé de côté ou exploités, réduits à une vie miséreuse, alors que les opposants au régime ont eu des soucis à se faire, dans les geôles du pouvoir ou même face au peloton d’exécution.
Si le fascisme se dessine en 2016, c’est dans une figure inédite. Les opposants au système n’ont aucun souci à se faire sur le plan de la liberté d’expression. Ils ne risquent que la précarité et quelques embûches placées en travers de leur carrière professionnelle. Le terme fascisme ne semble pas approprié. Dans nos sociétés de droit, le pouvoir ne s’exerce pas face à des opposants politiques mais sous forme de contraintes d’ordre économiques, sanitaires et technologiques. Le pouvoir règne sur des populations réduites à l’état de mammifères considérés comme un troupeau dont il faut prendre soin mais pas dans le sens platonicien. L’élevage de l’homme au 21ème siècle n’élève pas l’homme dans le sens de l’instruction ou de l’éducation. Il élève l’homme comme un animal rationnel inséré dans un système productif biotechnologique. Un animal souvent craintif et coléreux mais bien docile. Pour preuve le résultat du référendum en faveur du nouvel aéroport de Nantes.
Ecologie et développement durable. L’homme étant élevé sous serre, les grands de ce monde ont mis en place un projet de thermorégulation de la serre lors de la Cop-21. De plus, après avoir rivalisé avec le Créateur à travers les figures lucifériennes et faustiennes, l’homme prétend agir du la biodiversité en s’attribuant les compétences de la Nature et de sa sélection naturelle.
Et si je dressais une liste caractérisant ce que j’entends par écofacisme ? J’ai la conviction que ce thème est d’une actualité criante dans la philosophie. Si les nouveaux philosophes des années 1970 ont glosé sur les systèmes totalitaires politiques par essence au 20ème siècle, alors l’horizon s’ouvre pour une « nouvelle philosophie » qui ose affronter les questions physiologiques, scientifiques, technologiques et surtout technocratiques. Sans éleveur de bétail, il n’y a point de bestiaux, sans technocrates, il n’y a point d’anthropotechnique et d’homme du « biocosme numérique ». Ces propos sont peut-être caricaturaux mais ils ont le mérite de traduire la tendance du système dans le sens du contrôle technique des populations. Je pourrais vous soumettre quelques réflexions sur les traits de ce concept inédit, le « biocosme numérique ». Si cela vous intéresse. J’espère lire quelques commentaires constructifs sur ce sujet que je laisse dans mes cartons en vue d’un essai à écrire.