Audition du juge Burgaud, les Juges tombent de leur piédestal
Première dans la vie démocratique française, l’audition du juge Burgaud (34 ans) devant une commission d’enquête parlementaire a eu lieu le 8 février 2006 à 16 h 45 Les magistrats instructeurs, et par résonance tous les magistrats, prennent enfin un visage humain.
L’apparence du jeune juge casse l’image solennelle attachée au sérieux des magistrats. Son discours est parataxique, pendant 50 minutes le jeune juge a enfilé les arguments les uns derrière les autres. Sur la défensive, on a pu même se dire que le juge se croyait plaidant sa cause devant le conseil Supérieur de la Magistature.
On ne voit pas bien la méthode qui a pu présider au cheminement de sa pensée durant l’instruction de cette affaire, dont ses supérieurs auraient pu penser, à cette époque, mais plus encore aujourd’hui, qu’elle était sûrement trop lourde pour son peu d’expérience magistrale (27 ans). La silhouette a l’air fragile, le ton paraît naïf même, et de son discours ressort un véritable "fouillis". Les avocats, entendus la semaine dernière mais c’est une déformation professionnelle, étaient plus éloquents et quelquefois semblaient mieux connaître le suivi de l’affaire.
On a pu remarquer aussi que M. Fabrice Burgaud utilise maladroitement le terme de "mise en examen" pour désigner une personne amenée à comparaître devant lui. On peut ainsi, dans les termes utilisés 5 fois, dénicher l’état d’esprit du fonctionnaire, pour qui toute personne comparaissant est déjà privée de sont statut de personne, de citoyen, de présumé innocent. Il dit "Mme Delay... je la considérais comme une mise en examen..".
Cela en dit long sur une certaine caste, les magistrats en l’occurrence, frais émoulus des grandes écoles, et le peu de considération qu’ils ont pour ceux qu’on appelait au XIX° siècle "la classe dangereuse".
Il a commencé son audition par un geste de compassion envers les acquittés "je mesure la souffrance de ceux qui ont été entendus" ... et un mea culpa de circonstance : "Je n’ai pas la prétention d’avoir fait l’instruction parfaite... des erreurs, peut-être... d’ailleurs quel juge d’instruction n’en commet pas ? ". On a pu noter un grand contrôle de sa personne, certainement du fait que Fabrice Burgaud a dû jongler entre sa volonté de se livrer complètement, et les rappels à l’ordre du conseil Supérieur de la Magistrature.
Puis, il a tenté de faire diversion en rappelant le contexte quasi quotidien dans lequel les juges sont baignés, et les affaires de pédophilie, notamment l’ignoble affaire contextuelle dite "Dutroux", nombreuses affaires qui confirment une fois de plus l’importance de la pornographie utilisée ou prise comme modèle (sic) dans les propos du jeune magistrat.
Avec beaucoup d’autorité le rapporteur de la commission lui demande : "Selon votre impression aujourd’hui, étiez vous suffisamment armé pour affronter un tel dossier ?" "Non. Les juges sont nommés et ils ne savent pas de quels dossiers ils vont être saisis, avec le recul je ne procéderais pas de la même façon aujourd’hui" répond-il. La teneur des réponses de l’homme Burgaud sera évidemment jugée, sans pour autant qu’il soit obligé de juger le juge, et l’on se dira peut-être que les "moyens" de la classe peuvent plus sûrement que d’autres apparemment plus brillants se frayer un chemin jusqu’aux plus hautes écoles de la république.
Après les experts voici un mois, ce sont à présent les magistrats qui tombent de leur piédestal.
Mais de façon plus générale, et sans tenir les hommes pour responsables disciplinairement, la fonction du juge unique est de toute façon mise en cause au travers la publicité donnée aux suites de l’affaire d’Outreau. -En affaires civiles, concernant les dettes par exemple, mais bien pis en Affaires Familiales, les parents d’un enfant sont face à un juge unique en première instance. Et les investigations sont nulles... alors que les conséquences sont quelquefois dramatiques.
Deux exemples : le Juge aux Affaires Familiales de Troyes en 2004 a pu laisser la résidence principale à une mère qui menaçait de partir à l’étranger, malgré une enquête sociale défavorable et une expertise psychiatrique inquiétante. Cette femme allait kidnapper son enfant un an plus tard (situation actuelle). Ou encore au tribunal de Tours, (réformée par la cour d’Appel) qui envoie un père rencontrer son enfant de deux ans seulement 2 heures tous les quinze jours et dans un local fermé, sous surveillance, sans aucun motif, sur une simple présomption, pour ne pas dire le mot tabou, sur un simple "parti pris"...
Dans ces conditions, à des échelles différentes, civiles ou pénales, il y a des Outreau silencieux partout en France, et malgré les recommandations d’associations sérieuses qui réclament depuis des années des assesseurs, attachés au juge unique en affaires familiales, de manière à éviter les abus judiciaires si nombreux, que les audiences soient entendus par témoins. Mais ces acteurs associatifs ne sont pas entendus depuis vingt ans. La justice à des temps de latence que le temps ignore.
C’est donc au-delà des Affaires pénales que la question du pouvoir d’un seul homme face à la dignité des personnes accusées, ou face à l’avenir des enfants par rapport à leurs parents, qui doit être posée. À la lumière des dysfonctionnements de l’affaire d’Outreau l’opinion publique attend de profondes réformes des procédures de justice.