Ces « connards » de Bretons (3) : les marins-pêcheurs
"La récente collision entre un cargo et le Sokalique, caseyeur de Roscoff, entraînant la disparition du patron pêcheur dans le naufrage de son bateau, nous rappelle douloureusement que le métier de marin-pêcheur reste toujours un métier dangereux." (Pierre Maille, président du Conseil général du Finistère).
"En Bretagne, il ne pleut que sur les cons", dit un pêcheur en plaisantant et la mine enjouée, pour répliquer gentiment à une allusion de Sarkozy au temps qu’il fait. Il ne fait en cela que citer Kersauson et un dicton désormais célèbre (dont les Bretons en font même des tee-shirts). Sarkozy rétorque en lui murmurant ces termes : "Il doit pleuvoir souvent alors !" Et voilà que notre président n’a pu se contrôler une fois encore. C’est une récidive. Il avait déjà traité de "connards" les Bretons. Voir la vidéo de cette récidive ici (très courte). Le candidat UMP d’alors avait pourtant choisi délibérément de visiter le Cross Corsen, à Plouarzel (Finistère). Il venait rendre un hommage appuyé "à la France qui travaille, même le 1er mai". Or, c’est le contraire qui se produisit : il vint insulter ces travailleurs ! Et tous les Bretons par la même occasion. "Qu’est-ce qu’on va foutre dans un centre opérationnel sinistre à regarder un radar ?, tonne-t-il, visiblement désintéressé par le nombre de vies humaines épargnées par ce dispositif technique. "Qui a eu cette idée de demeuré (ndlr : c’est lui !) ?... Je me fous des Bretons. Je vais être au milieu de dix connards en train de regarder une carte ! (...) D’où lui vient ce mépris profond envers ce peuple en particulier ? Nul ne sait.
Malgré toute cette affaire, c’est avec le plus grand sérieux que nous allons traiter ce troisième volet sur les Bretons "connards" par un article consacré aux marins-pêcheurs.
Le drame du Sokalique
Le caseyeur Sokalique a sombré durant la nuit du 16 au 17 août 2007, au nord d’Ouessant, après avoir été heurté par le cargo Ocean Jasper.
"Je ferai tout pour que (le procès) ait lieu en France. On va se battre (...) On a obtenu l’enquête en France, on a obtenu le maintien de l’équipage et du bateau en France (ndlr : le cargo battait pavillon des îles Kiribati). Pour l’instant, on n’a pas obtenu le dépaysement. C’est mon objectif", avait déclaré le chef de l’Etat, qui s’était rendu aux obsèques du marin disparu, ajoutant toutefois qu’il n’était "pas sûr d’y arriver". En effet, le droit maritime impose qu’une affaire soit jugée dans le pays auquel appartient le navire concerné, en l’occurrence les îles Kiribati, un archipel de 100 000 habitants situé dans le Pacifique.
Bernard Jobard, le patron pêcheur du Sokalique, a sauvé la vie de son équipage en restant jusqu’au bout à bord du bateau pour lancer par radio des appels au secours. L’hommage de Sarkozy se justifiait dès lors pleinement. Des personnes présentes aux obsèques ont néanmoins déploré la tournure people donnée par Sarkozy à la sortie des obsèques. Souriant à l’excès aux nombreux photographes sous les applaudissements nourris, il semblait venu faire un show ! Mais on ne change pas le président...
Nicolas Sarkozy avait rencontré la veuve de Bernard Jobard. Il avait aussi rencontré les six marins rescapés du naufrage. "Le bateau qui a percuté le Sokalique, semble-t-il, n’a pas porté secours aux hommes qui étaient à la mer et on a un marin qui est mort. Ma place était donc d’être aux côtés de la famille. J’ai voulu être là pour manifester la solidarité de la nation à l’endroit du monde de la pêche. J’ai voulu également dire combien je suis choqué qu’on puisse se comporter de cette façon", avait déclaré le président. On apprécie ce geste envers une profession qui souffre et travaille durement. On le préfère à cette agression vulgaire d’un marin-pêcheur du Guilvinec qui avait osé une plaisanterie de second degré et s’était fait sommer de descendre pour s’expliquer. Mais là encore, on ne change pas le président...
Où en est l’affaire ?
On apprend le 22 juillet, de source judiciaire, que le juge en charge du dossier du naufrage souhaite se rendre en Azerbaïdjan pour demander la mise en examen des deux marins qui commandaient le cargo Ocean Jasper. Une commission rogatoire internationale a été transmise aux autorités d’Azerbaïdjan par l’ambassade de France à Bakou. Cela ne veut pas dire que les marins comparaîtront devant un tribunal correctionnel en France, car il n’existe pas d’accord d’extradition entre la France et l’Azerbaïdjian.
Pour voir l’affaire en vidéos.
L’oeuvre de Jacques de Thézac
Jacques de Thézac (1862 - 1936) n’est pas Breton. Il est natif d’Orléans. Mais il se passionne très tôt pour la voile et participe à des régates bretonnes. C’est à l’issue d’une de ces régates qu’il épouse une fille de Concarneau et s’installe à Sainte-Marine, à l’embouchure de l’Odet, près de Bénodet. Ce qui le fascine, c’est moins la mer que de voir de près les pêcheurs à l’oeuvre. Il adhère aux idées du catholicisme social et fera dès lors preuve d’un grand humanisme en oeuvrant très concrètement pour améliorer la vie des pêcheurs. Rentier, il aspire à se rendre utile. Voici les oeuvres qu’on lui doit :
- L’Almanach du marin breton : il s’agit d’un ouvrage professionnel regorgeant de renseignements sur le métier comme les techniques de construction navale, l’usage du morse, les moyens de se protéger de la mer des leçons de repérage en mer et de cartographie marine, les horaires des marées... Il contenait aussi des croquis amusants et de chansons de marins. C’est aussi un travail pédagogique pour inculquer des notions de modération pour l’alcool et des conseils santé. L’Almanach, parut dès 1899, connaîtra un immense succès.
- Les abris du marin : il s’agit d’"endroits sains, bien chauffés, convenables aménagés" où les marins pouvaient se réunir "sans être la proie des débitants (d’alcool)". Entre 1900 et 1933, 11 abris ont été créés sur les côtes du Finistère. Parfois ces abris portent sur leur fronton des messages évangéliques en breton "Karet an eil egile" ("aimez-vous les uns les autres"). Ces abris comportent toujours : une grande salle de jeux au rez-de-chaussée, une bibliothèque et un poste de couchage à l’étage, un préau abritant une coquerie et des chaudières à tanner les voiles et les filets. Le poste de gardien des lieux est réservé à des marins-pêcheurs au comportement irréprochable (sobriété, esprit de conciliation).
En 1988, L’OEuvre des abris du marin a fait don au musée départemental de Quimper de plus de 4 000 clichés, pris par Thézac, représentant la vie de tous les jours des marins du début du XXe siècle : la vie à bord des chaloupes, le travail du port, les fêtes et les pardons, les jeux des enfants, la veillée d’un noyé... J’ai pu regarder une partie de ces photos lors d’une exposition ; elles suscitent des impressions très fortes. Les visages graves et burinés, les regards durs sont particulièrement fascinants. Malheureusement, on ne trouve pas ces photos sur internet. On peut les voir au musée breton ou les trouver dans l’ouvrage Marins-pêcheurs, photographies de Jacques de Thézac (éditions Palantines/Musée départemental breton, 2007).
Quelques liens cependant :
Abri du marin Audierne.
Histoire de Jacques de Thézac
Site de la marine marchande
Témoignage en vidéo d’anciens (illustré de plusieurs photos de Thézac)
L’oeuvre humaniste, efficace et concrète du discret Jacques de Thézac tranche singulièrement avec l’action de Sarkozy faite de populisme et de promesses non tenues à l’égard des pêcheurs.