jeudi 16 février 2006 - par Olivier FRIGOUT

Clémenceau : symbole du pouvoir de l’information

Inimaginable il y a un demi-siècle, ce fiasco politique est le symbole de l’avènement du contre-pouvoir le plus puissant jamais généré par la démocratie : l’information.

Combien de navires militaires démantelés ou de vieilles coques de la marine marchande ont fini leur carrière par le fond ? Le France, que Michel Sardou "souhaitait" dans une chanson voir "coulé le cul tourné vers Saint-Nazaire", pourrait faire bientôt route pour un obscur chantier de démolition au Bangladesh, une démarche qui, comme pour le Clémenceau, dénote des "accidents" qui réglaient jusqu’alors le sort de ces encombrants. Les associations écologistes veillant au grain, puissamment armées de vecteurs de communication, rappellent dorénavant à l’ordre les Etats démocratiques, et s’appuyant sur la presse et Internet, informent les citoyens de leurs combats.

Le Clémenceau a ainsi tenté un dernier voyage vers le Tiers-monde, franchissant cahin-caha les obstacles dressés sur sa route, juridiques, économiques et politiques. Ce feuilleton tragi-comique eut son cortège de situations ubuesques. Indignations d’autorités indiennes sur le sort sanitaire des ouvriers-esclaves d’Alang, protestations, puis bienveillant accord de l’Egypte lors du franchissement du canal de Suez, cris de vierges effarouchées des leaders socialistes en France, incapables de régler le sort du Clémenceau lorsqu’ils avaient le pouvoir, et pour certains "responsables mais pas coupables" d’autres scandales sanitaires. Sans oublier l’étonnant comportement du PDG de la société en charge du désamiantage du bateau, sortant du chapeau pour "cracher dans la soupe".

Indiscutablement, cette affaire relève de l’amateurisme politique, et montre encore une fois que l’entêtement n’est plus une méthode de gouvernement. Face à des déferlantes d’informations contradictoires, un bon marin rentre au port et ne cherche pas à dominer le gros temps. Le gaullisme a vécu, cédant la place à la démocratie participative, le jour où la télévision d’Etat devint la télévision de service public. L’avènement d’Internet a tourné définitivement la page de cette politique, certes plus efficace, mais ô combien autoritaire. L’ère politique qui s’annonce sera peut-être ingérable, comme elle l’est aujourd’hui, mais cette vague de liberté de pensée devrait emporter les derniers bastions totalitaires. La fronde récente contre un certain moteur de recherche soupçonné de complaisance à l’égard de la Chine le prouve avec éclat.

Quant au Clémenceau, prions qu’aucun "accident" regrettable n’en fasse une épave de plus.



9 réactions


  • BB (---.---.217.74) 16 février 2006 16:35

    L’information n’est plus un contre pouvoir aux politiques, c’est un pouvoir supérieur aux politiques.

    La France n’est même pas capable de démonter ou de couler un bateau...

    C’est la France qui prend l’eau, c’est vrai que le trio chichi, mam, douste blbla, c’est un peu le radeau de la méduse.

    Pour mémoire, le premier acte politique de Chirac fut de reprendre les essais nucléaires avec les conséquences que l’on sait.

    En attendant des jours pires...


  • ALD (---.---.46.210) 16 février 2006 18:07

    Je suis entièrement d’accord avec vous, MAIS le contre-pouvoir demande de donner des informations complètes et sérieuses.

    Exemple : J’aimerai que l’on fasse une enquête approfondie sur le P.D.G. et sa société de désamiantage. Son attitude me laisse perplexe et semble cacher quelque chose (d’important !), mais quoi ?

    Les journalistes d’investigation n’existent plus. Les journalistes ne font plus leur travail, tout reste superficiel, avec une inculture qui frise l’indécence. Nous pouvons tous le constater, écouter les commentaires sur un sujet que vous connaissez bien, alors sur les sujets que vous ne maîtrisez pas, vous avez une idée de la désinformation.

    Exemple :
    - Pouquoi les journalistes n’ont-ils pas été interroger Mr Jospin au pouvoir (2 juin 97), lorsque le clémenceau a été désarmé en octobre 97 ?

    - Pourquoi un parti écologiste dont je ne rappelle plus le nom, n’a-t-il pas eu droit à la parole ? Simplement parce qu’il était pour. (J’aurai aimé lire leurs arguments)

    Le problème actuellement, c’est une information parcellaire, manipulée, et l’exemple le plus récent ce sont les caricatures.


  • Roues Libres Claude DP 16 février 2006 19:30

    L’ association écologique qui avait vu l’intérêt de la création d’une filière « propre » par la Marine et avait soutenu son action s’appelle Robin des Bois sauf erreur. La pauvre les medias ne se sont bien entendu pas interessés à elle. Ils sont forcément vendus. Les agissements de Technopure sont en effet très suspects. Mais s’agissant de deals entre entreprises privées on peut imaginer que la Société SDI qui a traité le marché avec les Domaines et l’a sous-traité à Technopure est en contentieux avec cette dernière. Les travaux de désamiantage n’ayant pas été fait de manière correcte par Technopure, le chantier a en effet été terminé par Prestocyd. A l’arrivée il ya un différentiel de 35t entre les matériaux déclarés enlevés par Technopure et ceux qui ont été enfouis...Trouvez l’erreur. Le PDG de Technopure dont la réputation semble établie s’est ensuite répandu en rumeurs diverses avec les conséquences que l’on sait. Sur le fond, je vois plus de pouvoir de désinformation dans cette affaire que de pouvoir d’information. Pas de quoi y voir un tsunami de la pensée libérée...


  • French Cat (---.---.120.139) 17 février 2006 05:00

    Bonjour à tous,

    [« Sur le fond, je vois plus de pouvoir de désinformation dans cette affaire que de pouvoir d’information. Pas de quoi y voir un tsunami de la pensée libérée... »]

    en réaction à cette phrase que Claude DP a écrit dans son précédent commentaire, je poste un intéressant lien sur lequel figure un rapide récit de « l’affaire Brent Spar » (en milieu de page), dont les ressemblances avec ce « scandale du Clémenceau » me paraissent nombreuses et qui nuance quelque peu l’article publié plus haut, notamment sur le beau rôle des écologistes pourfendeurs de la désinformation -la falsification de la vérité (pour reprendre cette expression Sacha Guitry) ne vient pas forcément de ceux à qui l’on attribue le rôle du « méchant »...

    http://www.profbof.com/ecologie/greenpeace.htm


  • Olivier FRIGOUT Olivier FRIGOUT 17 février 2006 08:09

    Bonjour, Comme tous l’auront certainement remarqué, l’article est intitulé « pouvoir de l’information » et non « pouvoir médiatique » ou encore « pouvoir de la presse ». C’est dans cette nuance sémantique que ce tient l’ensemble du propos, peut-être, je vous l’accord, pas assez clairement pour sauter au yeux.

    Aussi, vos réactions et enrichissements viennent conforter ma tribune libre (car j’aurais souhaité qu’elle soit publier dans cette rubrique...). En effet, l’information se construit dorénavant sur l’ensemble des sources auxquelles chacun de nous a accès, elle est donc polymorphe, et ne peut plus aussi facilement que par le passé générer une pensée unique, nationale, partisane.

    La démocratie devra résoudre cette problématique pour perdurer, car aujourd’hui et encore pour longtemps, ce sont les minorités majoritaires qui gouvernent, ne pouvant ainsi emporter l’adhésion du plus grand nombre.

    La liberté de pensée libère le citoyen mais enchaîne l’action publique, en cela réside le trouble sociétal dans lequel nous nous débattons. A nous de construire un nouveau modèle capable de concilier les deux.


    • Claude DP (---.---.161.18) 17 février 2006 12:50

      Je pourrais être d’accord avec vous si vous-même ne contribuiez pas d’une certaine manière à la désinformation dans votre propos sur le Clemenceau. Par exemple, vous laissez entendre qu’une sorte d’usage voudrait qu’on en envoie par le fond des navires militaires obsolètes mais que les courageuses associations écologistes auraient obtenu qu’il soit mis un terme à ces pratiques. C’est bien entendu inexact. La Marine se réserve en effet le droit de procéder de temps à autre (très rarement en fait) à des essais sur cible réelle pour homologuer de nouveaux systèmes d’armes. Ces expérimentations sont strictement règlementées. C’est la seule manière aujourd’hui d’envoyer un navire militaire par le fond. C’est bien entendu inenvisageable pour le Clemenceau. La difficulté pour une démocratie, compte-tenu de la multiplication des vecteurs d’information et de désinformation qui la nourissent, c’est probablement d’y survivre...D’autant que la parole des politiques, des militaires ou des fonctionnaires est à ce point dévaluée qu’elle ne permet plus d’être entendue dans le bruit ambiant. Or ce bruit est bien celui des medias. Vos distinctions sont à ce titre probablement un peu subtiles.


  • ernesto (---.---.150.124) 17 février 2006 10:45

    Eh oui l’information justement, mais qu’en est -il du recyclage des déchets nucléaires (y compris les sous-marins) qui lui se fait dans l’opacité la plus totale ?


  • Olivier FRIGOUT Olivier FRIGOUT 17 février 2006 16:47

    Permettez moi de préciser que j’ai usé du passé composé et de l’imparfait au début du texte. Peut-être le « jusqu’alors » est-il ambigü, je le concède.

    Evidemment, j’aurai pu être très précis, mais l’objet de mon propos était de montrer combien l’action politique était devenue difficile dans un monde « sur »-informé. Le clémenceau est un exemple du pouvoir de l’information (ou désinformation, les canaux sont les mêmes), il est surtout d’actualité.

    La distinction que je fait entre information et médias, c’est vous qui en êtes l’expression même. Vous informez de votre point de vue, le média informe selon d’autres critères, ligne éditoriale, relations avec le pouvoir, relations avec les annonceurs... Comme moi, vous êtes libre, ce qui vous permet de désinformer si vous le souhaitez d’ailleurs, le média lui à des contraintes.

    Là se situe toute la distinction que je mets entre informations et médias, une distinction qui a pris tout son sens avec l’arrivée du concept « blog », donnant à tous ceux qui possèdent une connexion internet la possibilité de se transformer en « journaliste citoyen ». Et ce réseau d’information, incontrôlable, est le prochain défit politique à relever, tant il remet en cause la démocratie telle qu’elle existe aujourd’hui. Mais cette démocratie pourrait peut-être y survivre, si l’explosion d’internet conduit à noyer l’information. Trop de démocratie tue la démocratie disaient certains, trop d’informations tue l’information finirai-je.


  • Claude DP (---.---.161.18) 18 février 2006 07:17

    Mais nous sommes un media. La seule différence de nature est que le blog est un media individuel. Mais dès lors que nos écrits sont numériques et publiés, ils ne présentent aucune différence du point de vue du lecteur avec un article écrit par un journaliste du Monde, objectivité comprise..En regroupant les blogs sous une bannière collective, Agoravox en renforce l’audience et parvient donc d’une certaine manière à amener nos blogs à un niveau où ils peuvent effectivement entrer en compétition avec un journalisme d’opinion, carte de presse en moins. Donc, je ne vois pas réellement de différence. Si ce n’est qu’en effet, notre société surmédiatisée, rend particulièrement difficile l’exercice de l’autorité, ou tout au moins qu’elle l’oblige à tant de précautions qu’elle en devient inefficace. Tant que les politiques dirigeront avec des sondages d’opinions. Ils faudra donc qu’ils apprennent à s’en abstraire en risquant l’impopularité immédiate contre un succès global à moyen terme, ce que la droite semble s’être décidée à faire. Sauf Chirac, qui en bon radical, n’y parviendra jamais. Le Clemenceau aurait dû être arrêté à La Réunion, en attendant que l’ Inde prenne une position définitive et le problème aurait probablement été réglé dans les 6 mois. Je conclus donc que Chirac, encore traumatisé par 68 et obsédé par sa propre trajectoire dans l’inconscient collectif n’est plus en état de gouverner.


Réagir