jeudi 10 décembre 2009 - par Mathieu Bédard

Copenhague et les pauvres


Le débat actuel autour de la réduction des émissions de CO2 ne prend pas en compte les effets pervers des politiques publiques qui sont en train de se mettre en place pour les combattre. Alors que la poursuite du réchauffement climatique pourrait faire peser certains risques sur les pays du sud, et tout particulièrement les pays pauvres, certaines politiques publiques qui seront étudiées à Copenhague les exposent à des risques bien plus grands. Le développement du Sud serait en effet sacrifié sur l’autel d’un réchauffement climatique d’origine hypothétiquement anthropique (pour des résultats négligeables dans la lutte contre ce réchauffement qui plus est).
 
L’une des mesures négociées au sommet de Copenhague est l’instauration de droits de douane sur le CO2. En effet, depuis déjà plusieurs mois il se discute la taxation des importations provenant des pays avec des réglementations CO2 moins sévères. Pour convaincre les dirigeants des PED d’accepter une politique aussi dévastatrice pour leur croissance et développement, un autre des mécanismes importants est discuté durant ce sommet : les transferts des pays riches vers les pays pauvres.
 
Les droits de douane environnementaux sont annoncés comme complémentaires aux taxes carbone internes et autres permis négociables actuellement en discussion. Ces « droits de douane carbone » (défendus par le Président Sarkozy au niveau européen, et débattus au Congrès américain, ainsi qu’en Australie, en ce moment même) seraient mis en place pour ne pas désavantager les pays ayant adopté une taxe carbone. La principale crainte, et c’était l’objet du rapport Keller de juin dernier remis à l’UE, est la fuite des emplois vers des juridictions plus permissives en matière d’émissions carbone. Ce mécanisme devrait être efficace pour… condamner les PED à la pauvreté.
 
Au bas mot, le sort d’environ 4 milliards de personnes dépend du commerce international pour espérer voir leur condition s’améliorer. Ce nouveau protectionnisme les empêchera donc dans une large mesure d’échanger avec les pays (riches) adoptant une taxe carbone aux frontières. Ces pays du sud subiront donc une isolation économique encore plus grande du fait de ce protectionnisme carbone. Leur industrialisation est ainsi fortement compromise du fait de leur impossibilité d’accéder réellement aux marchés du Nord. Et le protectionnisme agricole européen et américain empêche déjà les PED du Sud d’exploiter leur avantage comparatif agricole. La taxe carbone aux frontières est donc le chemin vers un sous-développement avancé du Sud.
 
Le contre-argument des tenants de Copenhague est ici que le système de compensation permettra à ces pays d’innover en technologies à faible carbone. En effet, pour rallier les pays pauvres, le sommet de Copenhague précisera les bases du système de transferts entre pays riches et pays pauvres pour mitiger les émissions de CO2. C’est ce que vient de détailler par exemple le Plan Justice Climat du Ministre Borloo, qui parle de 410 milliards de dollars sur 10 ans, financés par des taxes mondiales (taxe carbone mondiale, taxe Tobin, taxe maritime, taxe sur le baril de pétrole) et par un fonds dédié alimenté par les pays riches. Mais ce contre-argument tient-il ?
 
Ces transferts posent en effet de graves problèmes. Ils utiliseraient des canaux identiques à ceux de l’Aide humanitaire internationale actuelle, dont l’efficacité est très contestée, notamment du fait de la corruption à laquelle elle donne lieu. C’est un problème majeur en économie du développement : des spécialistes de l’économie de l’Aide humanitaire comme William Easterly expliquent qu’on ne connait toujours aucune manière satisfaisante de s’assurer que l’Aide des États profite réellement aux nécessiteux et aux projets les plus efficaces et urgents. Selon l’OCDE, les nécessiteux ne voient que 50 centimes sur chaque euro d’Aide. Mais on peut craindre que cette évaluation soit très optimiste.
 
Ainsi, l’aide internationale depuis un demi-siècle représente 2300 milliards de dollars, dont près du quart officiellement pour l’Afrique avec un résultat catastrophique. Parce que dans de nombreux pays l’argent de l’aide a une fâcheuse tendance à disparaître et à ne pas atteindre les plus nécessiteux. Cela s’explique par les incitations bureaucratiques d’un côté comme de l’autre du tunnel de l’aide, ainsi que les problèmes d’information sur quelles urgences traiter... avec l’argent qui reste. Ces aides au développement durable seront attribuées de la même manière et… atterriront donc probablement dans les mêmes comptes en banque en Suisse ou dans les poches de riches bureaucrates d’organisations internationales.
 
Certains mécanismes d’aide mis sur la table permettraient par ailleurs aux pays de récupérer des « crédits carbones ». C’est donc dire qu’un pays riche réalisant un investissement dans une technologie propre dans un pays pauvre pourra s’affranchir de ses promesses de réduction de production co2. Comment aller vérifier que les investissements ont bien été réalisés de manière pérenne ? Comment éviter la corruption ici aussi ? Aucune piste de réflexion réaliste ne semble s’attaquer à ce problème de taille. Il s’agit tout bonnement de la construction d’une autoroute de la corruption pour acheter l’accord des dirigeants des pays pauvres.
 
Le bilan de ces propositions fait émerger une situation assez surréelle : les populations pauvres des pays pauvres verront leur production se heurter à des droits de douane, ne toucheront qu’une infime partie de la contrepartie financière qui leur est destinée, et seront tenues de suivre un sentier de développement écologique que même les pays riches n’ont pas encore su trouver ! Le fantôme de l’aide réapparait pour donner une tonalité de bonne conscience et de justice, mais pour paraphraser Shakespeare, il semble qu’en réalité il y ait quelque chose de pourri au royaume de Copenhague.
 
Mathieu Bédard est analyste sur www.UnMondeLibre.org
 


11 réactions


  • LeGus LeGus 10 décembre 2009 11:54

    Et ça y est encore un libertarien....
    http://www.unmondelibre.org/
    En partenariat avec la « Fondation Atlas » :
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Fondation_Atlas


  • Annie 10 décembre 2009 13:37

    « Au bas mot, le sort d’environ 4 milliards de personnes dépend du commerce international pour espérer voir leur condition s’améliorer »
    C’est un fait contesté, et en premier par beaucoup d’experts des pays en développement qui ne voient dans le commerce international qu’un mécanisme qui avantage principalement les pays occidentaux, et qui ne répond pas aux problèmes d’insuffisance alimentaire des pays en développement.


    • Mathieu Bédard Mathieu Bédard 10 décembre 2009 18:10

      L’échange est indéniablement créateur de valeur pour les deux parties. En économie on dit que l’échange est un jeu à somme positive. Si vous m’échangez votre chapeau contre ma cravate, c’est que ma cravate a plus de valeur à vos yeux que votre chapeau, et inversement pour moi. Il ne peut y avoir échange entre deux parties que si les deux sont gagnants, sinon elles ne s’y adonneraient pas.


    • Radix Radix 10 décembre 2009 19:10

      Bonsoir

      Les échanges du commerce mondial ne sont pas seulement inéquitables mais contribuent fortement à accroitre la pauvreté et propage la famine.

      Lorsque le FMI reconverti toute l’agriculture vivrière d’un pays pour planter du coton ou du soja elle met ce pays à la merci d’un effondrement des cours et qui ne lui permettra plus d’acheter ailleurs la nourriture qu’ils produisaient avant.

      Les bénéfices avant effondrement s’étant évaporés dans quelques poches profondes et pas toujours de natifs du coin.

      Ignorer cela vous place au mieux dans la catégorie des imbéciles, au pire dans celle des salauds !

      Radix


    • Mathieu Bédard Mathieu Bédard 10 décembre 2009 21:55
      Bonsoir,

      En effet, les droits de propriété en Afrique sont souvent mal définis, très difficiles à défendre et en proie à la corruption. Nous avons traduit et publié plusieurs articles sur ce sujet par le passé.


    • Croa Croa 11 décembre 2009 23:54

      « L’échange est indéniablement créateur de valeur pour les deux parties. » Vrai.... entre gens du même monde !

      Mais le petit paysan se fait partout voler sa terre pour que ce « monde » fasse de bonnes affaires !

      Relocaliser l’économie c’est abolir la faim, alors vive les droits de douanes !


  • Le péripate Le péripate 10 décembre 2009 17:17

    Quand les effets de ces politiques auront créé de nouveaux pauvres par millions, les niaiseux qui dénoncent aujourd’hui la « propagande » gémiront : c’est la faute au capitalisme.

    Aussi sûr que un et un font deux.

    Les pièces au dossier s’accumulent.


  • Brice MATINGOUT 11 décembre 2009 07:55

     Le comble, c’est les dirigeants des pays pauvres qui vont signer tous les traités de Copenhague comme des idiots. Déjà à peine un foyer sur 340 était électrifié au moment où la source d’énergie était la plus accessible. Que deviendra l’Afrique à l’heure des éoliènnes et et de l’énergie solaire si coûteuse, elle qui a le taux des pauvres le plus élevé de la planète ? Ici , nous comprenons aisément qu’à cette allure tout est fait pour que l’Afrique privée d’électricité sous sa forme actuelle s’embourbe dans la pauvreté. Car, sans électricité, il n’y a pas de développement possible. Maîtriser l’électricité, c’est un élément clef dans le processus du développement. 
     


    • Croa Croa 12 décembre 2009 00:01

      Erreur ce ne sont pas des idiots car ils font carrière !

      Ces gens sont des fantoches qui obéissent à leurs maitres et ne font que faire semblant de servir leur peuple... Bref les dirigeants des pays pauvres sont tout simplement identiques aux nôtres !


    • Croa Croa 12 décembre 2009 00:09

      « on vivra pas à 7 milliards comme les occidentaux » TOUT à FAIT !

      Les occidentaux devront apprendre la sobriété et les « pauvres » (nous devrions dire les « volés ») seront heureux lorsqu’on leur aura rendu leurs terres tout simplement !

      à part ça tout est lié, notamment la déforestation et le CO2 !


    • Marc Bruxman 12 décembre 2009 16:33

      Ben non on n’a pas envie d’êtres sobres ;) Alors oui arrêtons de culpabiliser et de dire des bétises. Il y a des inégalités on a de la chance d’être du bon coté, alors profitions en ! ! !


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