La toute récente affaire Treiber, qui vient de se conclure par le décès par suffocation du principal suspect, pose certes le problème du suicide en prison, mais de façon plus générale celui du droit de quiconque de mettre fin à sa vie. Il ne sera pas question ici de juger Treiber, de le déclarer coupable ou innocent. L’action de la justice est éteinte avec la mort du détenu, et seul des éléments nouveaux impliquant des complices, des commanditaires ou une autre piste disculpant le prévenu, jusqu’à présent supposé innocent, car non jugé, peuvent rouvrir le dossier. Le suicide comme quelquefois les aveux ne sont pas des preuves irréfutables de la culpabilité en droit français. Certes, les familles des victimes sont en droit de connaitre la vérité, mais Treiber est mort et ne pourra ni avouer, ni se disculper. A l’annonce de son décès, les déclarations officielles ont été faites dans la précipitation, l’émotion et la démagogie dans le sens d’une surveillance accrue des détenus pour les empêcher de passer à l’acte. Et d’évoquer les draps indéchirables, le renforcement des rondes et des fouilles de cellules. S’il est légitime et même du devoir de l’administration pénitentiaire de prévenir les suicides, cela n’enlève en rien le droit de chacun, même en prison de mettre fin à ses jours.
La France n’étant pas une théocratie, le suicide n’y est plus pénalisé depuis le code Napoléon et il est de la décision de chaque être humain de pouvoir décider d’en finir. Le cas des détenus est à part, car ils sont sous la surveillance de l’administration pénitentiaire. Il est évident que tout doit être fait pour éviter que des malades mentaux, pris d’hallucinations ou de bouffée délirante en arrivent à se pendre, se défenestrer ou se mutiler. Les actuels services psychiatriques des prisons sont au minimum insuffisants, au pire, inadaptés. D’autres part, il faut aussi protéger les détenus contre les humiliations, les sévices physiques ou sexuels de la part de codétenus, ce qui est une cause évidente de dévalorisation de l’individu, de dépression et de crainte pouvant développer des tendances morbides chez les plus faibles.
Mais pour ceux qui sont pris de remords, qui sont rongés par la culpabilité, pour ceux qui n’ont aucun espoir de sortie avant des décennies sans possibilité de remises de peine, pour ceux qui ne voit aucun avenir après leur libération, il est envisageable qu’ils puissent passer par le suicide comme solution définitive à leur angoisse et leur désespérance. Surtout quand l’avenir est bouché, qu’il n’y a que peu de chance de réinsertion, ou que l’estime de soi a disparu. Les vrais caïds et truands ne se suicident pas ou alors, on les y aide, mais parmi les autres, certains doivent ressasser l’idée du fond de leur cellule. Pourquoi ce qui est accepté pour les hommes « libres » serait dénié à ceux qui sont derrière les barreaux.
D’autre part, la frénésie de surveillance, aiguillonné par la presse et l’opinion publique qui digère mal les 115 cas de l’an dernier, va rendre la vie encore plus intenable pour tous ceux qui seront soupçonnés d’avoir des tendances suicidaires. Les fouilles itératives, la lumière en permanence dans les cellules, les rondes horaires ne peuvent qu’aggraver l’état mental, perturber le sommeil et déstabiliser encore plus ceux qui sont déjà las de la vie. Le risque est de pourrir la vie de ceux qui n’ont pas envie de mourir, mais qui supporteront de plus en plus mal les contrôles tatillons.
Et puis, rien ne peut arrêter la détermination de quelqu’un farouchement décidé à passer à l’acte. Un drap indéchirable noué autour de la tête est aussi efficace qu’un sac en plastique, même plus car on ne peut le trouer avec les dents. Une cuillère à café aiguisée sur le ciment peut très bien trancher une carotide. Enfin, le recours à la grève de la faim totale, comme l’ont pratiqué les Irlandais, prisonniers politiques au temps de Margaret Thatcher, a montré son efficacité. Dix morts dont Bobby Sands, du fait de l’intransigeance du gouvernement britannique, mais se souvient-on, encore que ces dix ne voulaient pas être libérés ou innocentés mais sortir du régime du droit commun et accéder à celui de prisonniers politiques ? Si des détenus y ont recours en France, devra-t-on les nourrir de force ou respecter leur choix ?
Le nombre de 115 suicide pour une population carcérale d’environ 60.000, correspond à peu près à 2/1000, en réalité beaucoup moins car de nombreux détenus ne restent pas un an complet en prison. Il faut donc ramener ce chiffre au nombre de personnes ayant séjourné en prison dans l’année écoulée et qui doit atteindre environ les 100.000, ce qui ramène le taux à environ 1,2/1000 détenus.
Le taux moyen pour la population des gens libres en France était de 24,6/100.000 en 2008 parmi la population masculine, on se suicide donc 4 à 5 fois plus en prison qu’en liberté. En arrivant à un travail de prévention et de soins sur les cas psychiatriques et en empêchant les sévices contre les détenus, générateurs de suicides, on pourrait facilement ramener le taux à un chiffre assez proche de la moyenne nationale, bien que légèrement supérieur, c’est-à-dire à un niveau concernant des individus farouchement déterminés. Mais nous sommes dans une société qui se veut (souvent à juste titre) répressive, mais qui ne se donne pas les moyens de cette répression. Condamner quelqu’un pour un crime ou un délit est totalement justifié, le maintenir en détention est aussi normal, mais l’incarcérer dans des conditions indignes d’insalubrité, de promiscuité et d’insécurité ne l’est par contre pas
Car l’approche de la société concernant le suicide est passée d’une condamnation de type religieux à une psychiatrisation des suicidaires, même en dehors du milieu carcéral. Certains veulent le médicaliser en le considérant comme un déséquilibre passager, voire une maladie mentale. C’est faire fi bien vite du libre arbitre, ou alors donner une valeur morale ou religieuse à cette critique. Les détenus, quelque soit le crime qu’ils aient commis, reste des êtres humains à part entière et leur droit à l’autodestruction doit être respecté. Le rôle des administrateurs, des gardiens des éducateurs doit être de leur donner la possibilité de vivre le moins mal possible leur détention, mais le choix de la mort est un acte volontaire qui ne dépend que du concerné. Bien sûr les pouvoirs publics font tout pour minimiser leur part de responsabilité, les directeurs de prisons et les gardiens pensent à leur carrière et à leur avancement et se rabatte sur les manques de moyens et les coupes budgétaires. Ils pourraient faire mieux, même avec des ressources limités, mais à leur décharge, ils ne peuvent être dans la tête des condamnés. Une surveillance accrue, tatillonne, empoisonnant la vie quotidienne des prisonniers ne peut qu’avoir l’effet inverse à celui escompté.
Quoi qu’il ait fait, et cela ne pourra sûrement jamais être prouvé, Treiber a fait un choix et ce choix est respectable. Quant à ceux qui osent parler de lâcheté, ils ne savent pas quelle volonté il faut pour s’étrangler avec une ficelle, se trancher la gorge avec un couteau en plastique, ou au dehors de se jeter sous un train ou du vingtième étage.