mercredi 25 avril 2012 - par Georges Yang

Egocentrisme et libre-arbitre

Je m’aime, moi non plus !

L’homme arrive dans sa vie à un moment où il lui devient impératif de se demander quelle est la meilleure façon de jouir et pourquoi. Comment réussir sa vie de jouisseur sans tomber dans les pièges et les inconvénients que ce choix d’existence peut produire ? L’immense majorité des individus est égoïste. Il est difficile de confesser que l’on possède ce travers, il est tout aussi pénible de se l’avouer à soi-même. Pourtant, la générosité pure n’existe pas, sinon elle aboutirait à l’anéantissement de l’individu. Quand elle donne l’impression d’exister, elle masque le plus souvent un désir de réciprocité et de retour sur investissement. La société n’a pas besoin d’une morale figée en apparence altruiste, et si la morale possède sa raison d’être, elle doit être réfléchie et critiquée et non ânonnée. Le détachement spirituel face à l’égoïsme et au matérialisme n’est souvent que posture ou une dérive, soit hypocrite soit faussée niant l’existence du corps. Car l’harmonie n’est pas dans la recherche du bien contre le mal, mais dans son dépassement par l’ironie et l’abandon des certitudes gravées dans le marbre. Il ne peut y avoir Dix Commandements, ou douze ou trois mille deux cents cinquante-neuf. Car chacun d’entre eux possède son reflet en miroir qui est tout aussi valable et pertinent. Dans l’absolu, des prescriptions comme « tu ne tueras point », « tu ne convoiteras point la femme de ton voisin », ou « tu ne mentiras pas » n’ont aucun sens. Il existe autant de bonnes raisons que de mauvaises de liquider un adversaire, de piquer la femme d’un autre ou de dissimuler la vérité.

L’individu se développe nettement plus harmonieusement dans le relativisme moral qu’en s’astreignant à un quelconque décalogue qu’il soit judéo-chrétien, islamique, communiste ou écologiste. La liberté passe par l’interprétation large de la Loi et souvent par son contournement, qu’elle soit divine ou humaine. Les cercles vertueux, quand ils ne sont pas créés pour masquer les turpitudes de leurs instigateurs, sont d’abominables mouroirs de la liberté individuelle. Dans cette optique, l’écologie politique quand elle se drape dans un moralisme strict fait irrémédiablement penser à un robespierrisme rigoureux avide de têtes à faire tomber. Si pour les extrémistes de la Terreur, la Révolution n’avait pas besoin de savants, pour les défenseurs de la nature, la planète n’a pas besoin d’hommes libres.

Le principal point de faiblesse de tout système de pensée religieuse, politique ou philosophique est de se vouloir à la fois universel et tendre vers un idéal. Aucun système ne peut être universel et s’appliquer à tous et il ne peut encore moins être parfait. Et Fourier et Proudhon, bien moins dogmatiques que Marx malgré son utopie altruiste, n’ont pas échappé pour autant à ce travers. La philosophie, tout comme la religion poussée à l’extrême, débouche sur un totalitarisme (dans le sens d’interprétation globale du monde et de la société) qu’il soit dans les mains des prêtres, des sages, des législateurs, des justes ou des masses. En cela, le Royaume de Dieu sur terre, le Khalifat universel, tout comme la Dictature du Prolétariat et l’hégémonisme américain se ressemblent beaucoup. Aucune cause ne justifie de s’imposer aux peuples même avec leur consentement et leur approbation. Une idéologie qui y parvient par la ruse ou l’endoctrinement est bien plus dangereuse que celle qui y arrive par la force. Et un système sain, même et surtout quand il parait idéal et sans faille, se doit d’avoir ses opposants et ses détracteurs. De nos jours, la terreur stalinienne a été remplacée par le matraquage télévisé, la main mise sur les grands groupes de presse et le contrôle des instituts de sondages. Cela fait moins de victimes physiques, mais les moutons engendrés sont bien plus obéissants car ils n’ont pas l’impression d’être forcés, ils avancent comme des chiens dociles attachés derrière la charrette de leur maître et subiront leur destin comme les stoïciens. C’est nettement moins violent mais beaucoup plus efficace. On peut plus facilement se révolter face à un dictateur que face à un poste de télévision.

Le dogmatisme est l’ennemi juré du plaisir et de la liberté. Un dogme n’a le mérite d’exister que pour être enfreint, car en dehors des lois physiques, biologiques et mathématiques, aucune affirmation ne peut être absolue et immuable. Il n’existe pas de théorème et d’axiomes de l’esprit. De plus, tout système génère une hérésie et une contre-révolution et la sagesse et le vrai ne se retrouvent jamais dans un seul camp, fût-il composé d’intellectuels, de sages ou de philosophes. La norme n’existe qu’au regard de la déviance, elle lui est consubstantielle. L’homme libre est donc un déviant potentiel et éclairé quel que soit le régime politique en place, l’environnement culturel, religieux et social. La foi génère l’hérésie, donc la religion n’est envisageable qu’au travers de celle-ci. Dans une société de pureté écologique, le sommet de la dissidence et de l’hérésie serait de continuer à s’éclairer avec des ampoules à incandescence volontairement en considérant cela comme un raffinement, quitte à s’approvisionner auprès d’un milieu interlope de trafiquants peu recommandables important de Chine l’objet du délit à des prix prohibitifs. Aucune Weltanschauung n’est concevable, à moins d’être paradoxalement intimiste et partielle, laissant des blancs sur la carte où elle ne s’applique pas. Tout système devrait autoriser si ce n’est créer une sorte de face cachée de la Lune idéologique, où le système n’existerait pas et où le dissident pourrait se cacher et y vivre en paix sans qu’on ait besoin de le traquer. Tout philosophe et politique ayant un minimum de responsabilité et de bon sens devrait imaginer et mettre en place dans son système des « espaces fumeurs de l’esprit et du corps » ou la norme ne serait pas applicable, des sortes de zones de non-droits apaisées, des terres d’asile du délit d’opinion, des no man’s lands ou des sin cities où ce qui est permis nulle part ailleurs serait autorisé. Hélas, aucun système de pensée ne repose sur l’exception, au mieux les plus libéraux la supportent-ils. Les sociétés dites tolérantes érigent des murs autour des minoritaires qu’elles n’osent pas éliminer par la force. Le minoritaire est soit un animal de foire qu’il faut conserver dans un zoo, soit un déviant qu’il faut museler et rendre inaudible. La société est grégaire et n’aime pas les différences. Les proverbes sont méprisés par les intellectuels, mais ils traduisent souvent une réalité sociologique. Qui se ressemble s’assemble est bien souvent la règle, tout comme son antonyme, le mariage de la carpe et du lapin traduit l’incongruité du mélange des différences. L’optique de non universalisme des théories s’applique bien évidement au plaisir, car le plaisir absolu érigé en dogme est un contresens, pour ne pas dire un non-sens. Le plaisir ne peut être le même pour chacun ; il ne peut être codifié et mis en mode d’emploi. Le but n’est donc pas la recherche d’une dictature du plaisir, mais une ouverture de l’esprit et du monde de la pensée à autre chose que la sagesse, le civisme, l’altruisme ou le sacré.

Attaquer les grands philosophes, sans faire partie du sérail est donc une tentative osée et déraisonnable. Il parait très présomptueux de contester la pensée, souvent contradictoire, de ceux qui font référence, au risque de passer pour un béotien qui n’a rien compris, d’être l’imbécile. Dénoncer l’esprit de caste et de corps est encore plus mal venu, car s’il faut des connaissances médicales et juridiques pour critiquer la médecine et la justice, il faut assurément un niveau intellectuel et culturel établi et reconnu pour s’attaquer aux philosophes. Seuls ceux qui ont été qualifiés de nouveaux, car encore contemporains peuvent essuyer les lazzis, surtout quand leur comportement d’histrion s’y prête admirablement. La philosophie médiatisée aux heures de grande écoute n’est hélas plus un enseignement mais une exposition aux feux de la rampe de nouveaux catcheurs de l’esprit, plus petits barons que petits marquis. Bernard-Henri Lévy, André Gluksmann et Alain Finkielkraut peuvent regarder Eric Zemmour de haut, il n’empêche qu’ils chassent sur les mêmes terres et pas forcément mieux. Mais toucher aux monuments que sont les grands penseurs du sérail tient de la folie ou de l’outrecuidance pour l’individu lambda. Une folie déjà attribué à Diogène par Platon.

Le plaisir est indissociable de la vie et il dérange par essence. Mais le jouisseur doit faire face à d’autres obstacles que le rejet social, et en premier lieu la tentation du sectarisme, de l’hypocrisie et de l’ésotérisme. L’humain ne peut s’épanouir seul, mais la compagnie des autres rend moutonnier et imitateur. Le groupe est à la fois indispensable à l’épanouissement de l’individu, mais il fait tout pour tuer son originalité et le rendre insipide. Le but de toute civilisation est la domestication de ses membres. Le bonheur tempéré est une idée d’intellectuel, de religieux ou de philosophe qui reste devant son clavier et s’oppose à la jouissance et au plaisir des sens. L’excès est le luxe de la jeunesse et s’il est pardonnable de s’y laisser aller dans le plus jeune âge, ce comportement est qualifié d’immature et de superficiel une fois installé dans l’âge adulte. Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait, nous serine le proverbe qui sortit brièvement Henri Estienne de l’anonymat ! Mais le vieux ne fait que compenser par l’argent et l’expérience, la fougue et la spontanéité de sa jeunesse disparue.

Le plaisir est aussi indissociable de sa régulation et du châtiment de ses déviances quand elles deviennent nuisibles aux autres. Bien avant le christianisme, Socrate considérait que le mal était le fruit de l’ignorance et qu’il devait être puni du fait de la valeur éducative du châtiment. Le concept est contestable, car l’intelligence peut fort bien mener au mal, les dictateurs stupides ne sont pas restés longtemps au pouvoir et les imbéciles commettant un délit se font rapidement cueillir par la police. Or, la loi ne peut être un frein moral, mais uniquement un régulateur et ceux qui dépassent ses limites ne doivent pas être jugés moralement, mais selon un code accepté par la majorité pour se protéger. Chacun a le droit de se considérer à la fois au-delà de la loi, du bien et du mal, à condition d’en assumer les conséquences. L’honneur et l’amour-propre devraient dans l’idéal être à la fois des moteurs et des freins suffisants, mais l’idéal n’existe pas plus que le risque zéro. Le respect qui était jadis une valeur classique est devenu un terme obscène tombé désormais dans la bouche de la canaille pour justifier ses exactions. La dissociation du lien entre justice et morale ne déboucherait pas obligatoirement sur une explosion de la criminalité ou sur l’arbitraire. Car il ne s’agit en aucun cas de remplacer la loi par le laxisme et la tolérance excessive, mais d’instaurer une autre façon de juger ne tenant compte que de l’interdit et du préjudice causé. En d’autres termes, tuer un enfant à coup de hache après l’avoir sodomisé et ensuite en faire un goulasch n’est ni mal ni bien, c’est tout simplement illégal, donc interdit et punissable, passible d’une lourde condamnation. En sortant du concept du bien et du mal pour en rester à celui de l’application stricte et unique de la loi, la justice peut être aussi sévère, voire même plus rigoureuse, car débarrassée de sa composante moralisatrice, même si on la qualifie de morale ouverte comme chez Bergson. Cette vision purement légaliste autorise d’assainir la mentalité des juges en sortant le compassionnel de la sphère juridique et des prétoires, avec tout son théâtralisme qui fait depuis trop longtemps le beurre des avocats de la défense et des parties civiles. Le coupable doit-il être puni pour ses actes ou être rééduqué s’il le faut contre sa volonté ? Cette optique sert-elle à diminuer les récidives ou est-elle une forme de dictature de la pensée ? De toute façon, comme le soulignait avec fougue et lucidité Léo Ferré, N’oubliez jamais que ce qu’il y a d’encombrant dans la Morale, c’est que c’est toujours la Morale des autres. Pour être libre et heureux, l’humain doit penser individuellement. Et pour citer encore le poète anarchiste, La pensée mise en commun est une pensée commune. (Préface de l’album, Il n’y a plus rien). La liberté étouffe dans le collectif, l’action commune n’a de sens politique que lorsqu’elle débouche une fois aboutie sur un retour à l’individualisme. Les solidarités de lutte n’ont de justification légitime que pour chasser un tyran qui entrave notre liberté individuelle ou obtenir l’application de nos droits.

Si un romancier ou un scénariste est capable de comprendre qu’un assassin n’est pas obligatoirement un être frustre vivant dans l’erreur et dans l’ignorance, mais possiblement quelqu’un d’intelligent et doué de raison, pourquoi les philosophes ont-ils tant de mal à le reconnaître, en se réfugiant derrière l’axiome que celui qui possède l’intelligence et la connaissance devrait impérativement être bon, probe et respectueux des autres ? Une même approche peut être appliquée au totalitarisme et à celui qui est considéré comme le pire, le nazisme. Mais là encore, pourquoi voir dans le nazisme le mal absolu, pourquoi moraliser le débat ? Il fallait indubitablement éradiquer le nazisme, non pour des raisons morales mais par simple esprit de légitime défense. Et cela concernait tout homme libre, car après s’en être pris d’abord aux opposants allemands, puis aux juifs, aux tsiganes ou aux homosexuels, ce régime se serait attaqué à tous ceux qui le dérangeaient dans sa résistible ascension. Tout système totalitaire est par essence hégémonique, même quand désormais il avance sous le masque de la tolérance.

La rigueur de la loi varie selon les époques et selon les délits. Jean Valjean n’irait plus aujourd’hui au bagne pour le vol d’un pain. Son avocat commis d’office plaiderait le vol par nécessité. Cependant, la tolérance est une question de curseur qui se déplace en fonction de l’acceptabilité des comportements par la société. Tant pour le plaisir que pour le délit, la société est comme une glaise malléable, une pâte à modeler capable de se déformer en fonction des pressions qu’elle subit. Seules quelques exactions particulièrement graves entraînent un point de rupture qui fait qu’une fois durcie en porcelaine par la haine ou la peur, la glaise se rompt au choc. Ainsi, Hitler, qui n’aurait été guère plus qu’un sanguinaire parmi tant d’autres sous l’Antiquité ou durant le Moyen-âge, est devenu l’archétype du tyran, car né à une époque supportant nettement moins les exactions. En admettant une « victoire » universelle de la démocratie, on peut de façon optimiste imaginer une diminution des monstruosités. Mais comme il faudra toujours des monstres et des comportements à blâmer, le curseur se déplacera vers des phénomènes de société actuellement banals qui deviendront intolérables. Le seuil d’acceptabilité diminuant dans une société sécuritaire et craintive, il est facile d’imaginer quels seront les nouveaux interdits et qui seront les monstres de demain. Ce qui était tout juste répressible ou simplement mal vu il y a une cinquantaine d’années est devenu insupportable désormais comme les chauffards, les pédophiles, les parents et les maris violents, les fumeurs, les racistes et bientôt les chasseurs, les toréadors, les boxeurs et tous ceux qui ne trieront pas leurs poubelles.

Le plaisir réside dans la provocation, nous l’avons vu chez Diogène. La provocation peut déboucher sur le rejet, l’insulte et la violence de la part de ceux qui se sentent agressés par une forme de pensée qui n’est pas la leur. Elle peut utiliser plusieurs voies allant de l’obscénité en passant par l’exhibitionnisme ou la grossièreté. Une forme subtile et non violente de provoquer serait celle de puer, car si cela est fort gênant pour les narines d’autrui, le fait d’empester comme un bouc ne tombe pas encore sous le coup d’aucune législation ou interdit. Les clochards l’ont très bien compris, en puant ils s’isolent tout en provocant leur entourage. Puer sera peut-être demain notre ultime liberté individuelle quand tout aura été aseptisé. Nous en revenons encore et toujours à Diogène, qui du fond de son amphore ne devait pas sentir très bon quand il apostropha Alexandre. D’ailleurs, si ce dernier avait eu de la répartie, il aurait très bien pu répondre à son interpellation par « Et toi, vieux dégueulasse, ôte-toi de mes narines ! ». Mais le maître du monde antique, qui n’avait pas lu Charles Bukowski, ne le fit pas et resta impressionné par l’arrogance de ce clochard impertinent.

Celui qui cherche le plaisir s’expose et prend inéluctablement des risques, sinon, il reste dans sa chambre, comme le professait Blaise Pascal. La sagesse, ce n’est pas renoncer pour éviter le risque, mais faire à certains moments le choix de passer outre la prudence si l’occasion se présente et qu’elle vaille le coup d’être tentée. Chacun est l’artisan de son bonheur à condition de ne pas être excessif et irraisonnable. La question qui se pose alors est la suivante : Le plaisir absolu, sans limites et tabous, est-il l’apanage de la déraison ? Il n’est tout au moins pas compatible avec la modération et la prudence. Ce concept grec sera repris bien longtemps plus tard par Barbey d’Aurevilly « Le plaisir est le bonheur des fous. Le bonheur est le plaisir des sages ». En d’autres termes, peut-on jouir avec mesure, sagesse et modération ou le plaisir extrême se retrouve-t-il uniquement dans la démesure et le dépassement des bornes ? Et si le plaisir est le bonheur des fous, alors lançons-nous-y à corps perdu avant d’être devenu complètement dément !

Depuis l’apparition de l’Histoire et de la Civilisation, chaque époque de liberté relative est suivie d’une période de répression feutrée ou féroce. Après des siècles de pouvoirs monarchiques absolus, le monde a vu des révolutions libératrices qui ont souvent fini dans la terreur et le sang. Le XXème siècle a connu l’émergence du communisme, du nazisme, du goulag et des camps de concentration. Des dictatures perdurent, alors que l’hyper libéralisme asservit les peuples d’une manière plus subtile que les dictatures classiques. L’échec des mouvements libertaires est flagrant, ils ont tous été matés dans le sang ou la répression. La Commune, le spartakisme, les révolutions française, russe ou mexicaine ont subi le même sort. Et les mouvements qui n’ont pas été étouffés par la violence et dans le sang ont été récupérés par le marché comme la beat generation, le mouvement hippie, Mai 68 ou la mouvance punk. Actuellement en Occident, la liberté est menacée par une hydre à deux têtes, celle du fanatisme religieux et celle de l’écologie. Après le rouge, le noir et le brun, le vert est devenu actuellement la couleur de l’intolérance. L’homme heureux cependant n’a pas besoin de chemise de cette tonalité.

La sexualité est probablement le domaine qui pose le plus d’interrogations et d’interdits concernant l’expression du plaisir. Certains parlent d’amour, d’autres à l’opposé de pornographie. Or les deux ne sont point incompatibles, ils peuvent même être complémentaires. Il en est de même pour l’art culinaire. On peut cuisiner pour soi seul, ce qui pourrait être l’équivalent de la masturbation. On peut préparer le repas pour son conjoint ou ses amis, on parle alors d’amour ou d’amitié. Il est enfin possible d’avoir recours aux mains mercenaires des traiteurs et des professionnels de la table et là, comme pour la prostitution, on peut s’adresser aux fast-foods ou aux restaurants étoilés et à toute une gamme de professionnels. Si l’on considère l’acte sexuel comme une nécessité, alors il peut être pratiqué bénévolement ou bien rémunéré. Une telle approche éviterait bien des malentendus et des querelles inutiles. Le sexe est une activité comme une autre.

Le plaisir est potentiellement partout, il n’est pas monolithique ni univoque. Il suffit de le chercher sans le théoriser ni le thésauriser. Il est à la fois facile d’accès si l’on ne se prend pas la tête et complexe car il fait intervenir aussi des pulsions et des peurs archaïques. La jouissance est une fin en soi, un but dans l’existence à condition de ne pas en être le prisonnier. Le plaisir s’arrête plus quand la dépendance commence que lorsque l’intérêt des tiers interfère. Or, il est très difficile de ne pas dépendre de ce que l’on aime et apprécie par-dessus tout. C’est en ce sens que la mise en garde bouddhiste ou stoïcienne est acceptable, à condition qu’elle ne remette pas en cause la légitimité de la recherche de la jouissance ni le concept de prise de risque calculé et tolérable. L’ataraxie des Anciens n’est donc pas la solution, pas plus que de foncer tête baissée derrière le cul d’une femme comme n’importe quel canidé écervelé le fait en présence d’une chienne. Le plaisir est un objectif bien plus difficile à atteindre et à assumer que le travail et les responsabilités, car il parait subalterne et non prioritaire quelle que soit la morale en cours dans une civilisation. Or amoralisme ne veut pas dire manque du sens de la responsabilité. Pour vivre à plein son existence, il faut être calculateur, savoir anticiper, dissimuler, bref assurer ses arrières pour pouvoir continuer à jouir en limitant les inconvénients.

Et contrairement à Kant qui pensait que l’on ne peut être heureux car on ne peut tout assouvir, il vaut mieux jouir de ce que l’on peut se permettre en en repoussant progressivement les limites. Fais ce que pourras garde donc un sens actuel et reste ainsi une manière intelligente et raisonnable de penser et d’agir qu’aucun être humain, philosophe ou non ne devrait réfuter. Un penseur du XVIIIème siècle aurait très bien pu écrire que le plaisir est une futilité indispensable qui nous fait pourtant un bien incommensurable pour nous mener moins tristement à la tombe.

Les principales limites du plaisir sont l’argent, l’âge et l’interférence des autres, tant au niveau individuel que légal, moral ou religieux. Paradoxalement, un excès de raison et de lucidité est un frein majeur dans l’expression du plaisir qui est avant tout fait d’audace et quelquefois de précipitation. Malgré son versant égoïste et égocentrique, le plaisir est aussi un partage. Mais le principal obstacle à sa réalisation est d’ordre psychologique et tient avant tout de l’amour-propre et de l’image que l’on a et de celle que l’on veut donner de soi. Le plaisir, en fin de compte, ne se trouve ni en Dieu, ni dans la morale, la raison ou la vérité, encore moins dans la communauté ou Cité si chère aux Grecs. Ses moyens d’expression sont multiples et protéiformes. Il est partout et nulle part, futile et fugace aussi difficile à attraper qu’un poisson à la main. Le plaisir reste cependant l’unique si ce n’est l’ultime choix qui s’offre à nous pour ne point trop souffrir.



18 réactions


  • Georges Yang 25 avril 2012 12:44

    Cet article me sert à la fois d’expérience et confirmation
    Je vous laisse juges de ses qualité et ses défauts, ce n’est pas le problème,mais il sort du cadre répétitif du site : élections, complots, prises de positions partisanes
    Il a donc fort peu de chance d’être lu ou coomenté, cela confirme ce que j’exprimais dernièrement sur le lectorat d’Agoravox
    PS
    Quand on veut faire le puriste, on écrit toute oxymorique soit-elle et non « toute oxymorique qu’elle est »


  • LeGus LeGus 25 avril 2012 13:08

    Le Bien et le Mal n’existent pas en tant que concept immanent, je l’admet volontiers en tant qu’athée.

    Mais alors le libre arbitre non plus car il est forgé pour expliquer l’existence du Mal dans la pensée chrétienne...

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Libre_arbitre#L.E2.80.99origine_augustinienne_du_concept

    Par contre si pour vous la morale est surtout l’interdit de la masturbation des cul-bénits, je vous suggère de passer à l’éthique de réciprocité.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thique_de_r%C3%A9ciprocit%C3%A9


    • Georges Yang 25 avril 2012 16:00

      Le Gus
      Quand vous n’encensez pas Morice vous devenrez (presque) intéressant


    • LeGus LeGus 25 avril 2012 17:24

      Ceci était une critique de votre texte...

      Pas de libre arbitre, une grande partie de votre texte décousu est bon pour la poubelle.
      Je regrette qu’il ne soit plus structuré, j’en aurais fait de même dans ma critique.

      Je n’encense personne, cependant les rares occasions où je suis en désaccord avec morice, je garde pour moi ce différent, car je ne doute pas qu’un individu capable de poster des centaines de commentaires haineux, insultant, mensongers, ou sans objet, en ferait ses choux-gras.

      Et je ne compte pas vous faire se plaisir Yang.


  • Suldhrun Suldhrun 25 avril 2012 14:51

    Hello Yang !

     de ma poire , tout comme Newton , de pomme sur la tronche , j ai appris !

    l étincelle , Eurêka
     

     ah ! dis .......................


  • Vipère Vipère 25 avril 2012 16:36

    Bonjour Georges

    Sans plaisir, la vie serait bien fade ! et le plaisirs est partout et de toute nature. A chacun ses vices et ses plaisirs !!! Il y en a qui sont avouables et d’autres moins.

    Sans cela, comment jouir de la vie ? Mais, là, n’est pas votre propos, j’imagine. 

    Vous vous demandez comment jouir sans entrave et y avez répondu au moins partiellement, en évoquant des limites. Conscient que l’homme physique est limité non seulement par les lois physiques et physiologiques, mais aussi par les interdits de la société. 

    Tous les plaisirs ne sont pas interdits dans les lieux publics. Ainsi, m’adonner au péché de gourmandise, en me goinfrant d’une glace indécente, à la vue de tous, n’est pas interdit par les moeurs. Ce que la loi n’autorise pas, en revanche, est de se tripatouiller la nouille, pantalon baissé, à peine caché derrière un arbre, lorsque qu’une dame passe en vélo, du vécu !

    Qu’il se nomme Diogène ou Marcel, tout individu qui s’adonne en public à la masturbation est pris pour un gros lubrique !




  • Vipère Vipère 25 avril 2012 16:54

    Georges Yang

    Concernant, les nouilles chinoises, tout le raffinement est dans l’art de les déguster publiquement et à la baguette !


  • epicure 25 avril 2012 20:38

    Toujours le même problème de ceux qui font l’apologie du plaisir, de la jouissance :
    la confusion entre l’égocentrisme et l’égoïsme, et avec l’individualisme.

    L’individualiste pense à soi, mais pense aussi aux autres individus.
    l’égocentriste pense tout à partir de soi, tout tourne autour de lui.
    l’égoïste méprise le mal qui peut causer à autrui en toute connaissance de cause.

    Un individualiste n’est pas forcément égocentrique : il ne ramène pas tout à lui, il ne pense pas que tout le monde pense comme lui, ni que le monde tour,e autour de lui. Et il n’est pas forcément égoïste, il n’est pas forcément indifférent au mal qui peut causer à autrui.

    L’égocentrique, lui pense à lui uniquement, pense que tout le monde pense comme lui, que le monde tour,ne autour de lui. Un égocentrique écrira donc des articles en disant que tout le monde est égocentrique, alors que tout le monde n’est pas égocentrique. Si l’égocentriste en n’agissant que pour soi cause du tord à autrui, et qu’il est indifférent du mal qu’il peut causer alors il est un égoïste.

    Dans ton texte, on peut difficilement faire la différence.

    En défendant une vision uniquement égocentrique, tu ne défend pas la liberté, mais la licence, c’est à dire faire tout ce qu’on peut.
    Une vrai vision de la liberté, ne peut tenir compte que du plaisir de chaque individu.
    SInon d’une façon ou d’une autre tu défends le fait que certaines personnes peuvent arbitrairement imposer leurs plaisirs égoïstes aux autre sans tenir compte des autres. D’où ta remarque sur la dénonciation ces dernières années contre le tabac, les violences conjugales ou familiales, les chauffards, etc.. toutes sortes de pratiques et violences qui peuvent causer du mal voire causer des morts.

    Mais d’un autre côté tu énonces des choses qui vont à l’encontre de cette mentalité, ce qui fait que tout cela semble partir dans tous les sens au final.


  • Claire29 Claire29 26 avril 2012 09:42

    « Si un romancier ou un scénariste est capable de comprendre qu’un assassin n’est pas obligatoirement un être frustre vivant dans l’erreur et dans l’ignorance, mais possiblement quelqu’un d’intelligent et doué de raison, pourquoi les philosophes ont-ils tant de mal à le reconnaître, en se réfugiant derrière l’axiome que celui qui possède l’intelligence et la connaissance devrait impérativement être bon, probe et respectueux des autres ? »

    Parce que celui qui possède l’intelligence,la connaissance,la raison,a un niveau de conscience et de responsabilité plus élevé que celui de l’assassin !

    « La liberté consiste à choisir entre deux esclavages : l’égoïsme et la conscience. Celui qui choisit la conscience est l’homme libre. »

    de Victor Hugo

    « La conscience est la lumière de l’intelligence pour distinguer le bien du mal. »

    de Confucius


    • Claire29 Claire29 26 avril 2012 12:25

      Le ou les moinseurs semblent avoir choisi leur camp et leur esclavage !
      Je vais donc leur faire plaisir en leur donnant l’occasion de moinser d’autres citations :

      « On peut tout fuir, sauf sa conscience. » de Stefan Zweig

      « Il ne faut être redevable qu’à sa conscience. » de Geneviève de Gaulle-Anthonioz

      « La conscience, c’est Dieu présent dans l’homme. » de Victor Hugo
      « Le goût n’est que la conscience du beau, comme la conscience n’est que le goût du bon. » de Joseph de Maistre
      « Qui masque ses fautes se voit, en fin de compte, démasquer par sa conscience. » de William Shakespeare

      « Ne fais jamais rien contre ta conscience, même si l’Etat te le demande. »

      de Albert Einstein


    • Georges Yang 27 avril 2012 10:48

      Réponse tardive, panne de serveur Orange de 24 heures
      Lisez Jack London, le bureau des assassinats
      et Thomas de Quincey, de l’assassinat considéré comme l’un des beaux arts
      pour sortir du manichéisme binaire du bien et du mal


    • Claire29 Claire29 27 avril 2012 18:36

      Un enfant de maternelle SAIT ce qui est bien et ce qui est mal.
      Quand il frappe un autre enfant qui ne lui a rien fait,il SAIT que ce n’est pas bien
      tout simplement parce qu’il n’a pas envie qu’on lui fasse la même chose !
      Bien sûr,des criminels peuvent chercher l’esthétisme et toutes sortes d’autres motivations dans leurs crimes et un écrivain s’en inspirer pour une oeuvre littéraire
       mais cela ne veut pas dire que le bien et le mal n’existent pas !
      Nous savons tous ce qui est BIEN pour nous,pour notre famille,nos amis etc.
      Le mal c’est l’individu sans scrupules qui sème le malheur autour de lui,
      Le bien,c’est tout ce qui contribue à améliorer la vie autour de soi.

      Quelles que soient les apparences,le bien finit toujours par l’emporter sur le mal !


Réagir