Genève s’attaque au crime d’honneur
Tuée pour l’honneur*, qui ouvrait ce week-end à Genève un colloque consacré à la pratique, aura marqué par sa violence une volonté d’affronter ce qui, d’après l’Office des droits humains, « reste un tabou tant en Orient qu’en Occident ». Le documentaire, assorti d’interviews, montre la lapidation à mort et publique, filmée au portable, d’une jeune Kurde coupable d’avoir parlé avec un garçon. Tourné en Irak et en Suisse, il voudrait ouvrir les yeux d’Européens plus concernés qu’ils ne le pensent.

Les 5000 victimes annuelles de crimes dits d'honneur répertoriées dans le monde par l'ONU ne seraient que "la pointe de l'iceberg", pour la directrice de l'Office, Fabienne Bugnon : "Que sait-on des autres, séquestrées chez elles ou renvoyées dans leur pays pour y être tuées ?" Les mutilations, mieux chiffrées, sont évaluées à 7000 par an, dont 1200 à Genève. "Une femme peut être mutilée, défigurée, assassinée, au nom de l'honneur de la famille, simplement parce qu'elle a parlé à un homme." Circonstance aggravante si l'homme est d'une autre ethnie...
Tous concernés
L'intérêt de cette journée, initiée par le Comité de l'ONU pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes - migrantes au premier chef -, est d'interpeller les intéressées, les acteurs sociaux, mais aussi une population engourdie par la peur de "stigmatiser une culture", ou simplement par ignorance : "Les gens doivent réaliser que ces drames existent aussi chez nous ; qu'ils doivent intervenir ", rappelle Anne-Marie von Arx-Vernon, responsable du Cœur des grottes, centre de lutte contre les mutilations, mariages forcés et crimes d'honneur, qui tente d'obtenir pour les victimes des permis de séjour humanitaires dont l'urgence n'est pas toujours simple à évaluer, faute de preuves ou parce que les lois du pays d'origine garantissent une protection de fait illusoire, la loi du terrain l'emportant sur l'écrit.
Tous victimes
Cette loi tribale, ou tradition, cette conception de l'honneur qui change en assassins de braves lambdas auparavant pleins d'affection pour leur mère, sœur ou enfant, la journaliste Ariane Bonson** a tenté de les décrypter en donnant la parole à ceux que leur acte a menés en prison**, et qui souvent se révèlent eux aussi prisonniers d'un étau : "Je ne pouvais plus sortir."(...)"Il fallait faire taire les autres." On se rend compte au fil des témoignages, uniformes, que de leur crime dépendait l'avenir de chacun des membres restants de la famille, laquelle serait restée pestiférée jusqu'à exécution du sacrifice, dût-il attendre vingt ans comme dans le cas d'un fils d'adultère : "Tout le monde me regardait d'un mauvais œil, personne ne voulait des autres filles"...
Celles que leur village voient revenir pourvues d'un métier, d'un bon salaire, échapperaient aux critiques. Ce qui contredit l'absolue nécessité clamée par leur clan de l'allégeance, et confirmerait qu'éducation, emploi, indépendance financière restent les meilleurs armes de celles qui ne sont pas nées dans le bon camp, ni résignées à le payer de leur vie. Des colloques tel celui de Genève, s'ils débouchent sur une (ré)éducation obligatoire pour tous, pourraient aider à (ré)harmoniser les relations h/f, ainsi qu'entre cultures.