mercredi 14 mai 2008 - par Tristan Valmour

L’école, des clichés à la réalité - (I) l’adolescent, la famille et la société

« Tous les professeurs et tous les examinateurs de France (et pas seulement du baccalauréat) sont d’accord là-dessus : les jeunes Français n’écrivent pas en français. La déchéance progressive est, en cette affaire, d’une prodigieuse rapidité… » Ce constat de Faguet n’est pas nouveau ; il date du… 18 février 1909 !

Qui s’intéresse sérieusement à l’enseignement produira un nombre incalculable de documents – on peut remonter jusqu’à Platon – témoignant de son inévitable dégradation. Cette insatisfaction permanente conduit l’humanité vers plus de performance, alors qu’elle est née imparfaite et nue. D’un autre côté, le critique se grandit aux yeux de la communauté en apparaissant particulièrement concerné par le problème. Il ne prend toutefois aucun risque à dénoncer les imperfections d’un système puisque l’humanité entame à peine son histoire.

Si les problématiques scolaires nous concernent tous, il convient néanmoins de les exposer hors des querelles partisanes. C’est ce que nous tenterons au travers d’une série d’articles, en limitant d’abord le champ à l’enseignement secondaire. L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de s’ouvrir sur l’économie de la connaissance.

L’un des faits remarquables de ces trente dernières années est la place grandissante de l’adolescent dans la famille et la société. Il a gagné en autonomie et pouvoir ce qu’il a perdu en innocence et protection. Cela n’est pas sans provoquer des problèmes dans son parcours scolaire.

D’abord, l’adolescent-copain recueille les confidences de ses parents qui ne lui épargnent aucun de leurs soucis. Il est informé de tout ce qui se passe et participe à maintes décisions familiales alors qu’il n’est pas suffisamment mûr sur les plans cognitif et affectif pour comprendre la situation qui lui est soumise. Il emmène alors dans son cartable les problèmes familiaux.

Les médias offrent également l’image d’un monde effrayant par le biais de films, documentaires ou informations. Comment pouvons-nous, dans ces conditions, attendre de nos ados une motivation à participer au fonctionnement d’une société qui n’a que la peur et la précarité pour récompenses ?

Parallèlement, les loisirs, dont l’offre a explosé, mobilisent une grande partie de son emploi du temps. Il est ainsi très fréquent de trouver des ordinateurs, télévisions et consoles de jeux dans une chambre de jeunes gens. Quand on se couche à deux heures du matin après avoir joué ou chatté, on ne peut être disposé à travailler. Cette absence d’encadrement familial conduit les enfants-rois à délaisser l’école, milieu où l’on attend de la discipline et du travail.

De même, le désœuvrement comme l’absence de perspectives et de valeurs mènent un nombre croissant d’adolescents à se réfugier dans la violence*, la drogue ou l’alcool. En la matière, l’école n’est plus un oasis. Les surveillants ramassent ainsi régulièrement des bouteilles de « Despé » ou d’alcools forts dans les cours de récréation, et les odeurs de cannabis envahissent d’improbables lieux. Les parents se rendent parfois complices, comme cette maman qui a offert à sa fille, scolarisée dans un collège catholique très prisé, une bouteille de whisky pour ses 15 ans ! Ces faits, qui ne sont pour la plupart pas consignés, touchent donc toutes les catégories sociales, tous les établissements.

Ensuite, l’ado est la cible privilégiée des agences de marketing ; on lui attribue une responsabilité dans les dépenses familiales, de 30 à 50 % selon les sources. Ce rôle de prescripteur lui confère un pouvoir énorme dont il ne jouissait pas lorsque son argent de poche se montait à 5 ou 10 francs par semaine et qu’il n’avait pas à donner son avis sur l’emploi des ressources familiales. L’adolescent participe ainsi activement à une société consumériste aux valeurs incompatibles avec le milieu scolaire. Les parents, de leur côté, résistent difficilement aux messages publicitaires sous peine d’être ringardisés ; ils ne peuvent lutter contre un budget de plusieurs milliards d’euros. Comment l’école, austère, pourrait-elle transmettre le goût de l’effort quand les publicités attractives – dont les ados sont friands – vantent le contraire ? On ne s’étonnera donc pas de trouver des élèves dans les commerces entre deux cours.

L’enfant-roi qui n’aime pas l’école est avant tout l’enfant d’une société mercantile qui voulait augmenter le nombre de clients ! L’école et la famille en paient aujourd’hui le prix.

En effet, l’espace et le temps marchands progressent, et prônent la facilité quand l’école promet l’effort. Facilité pour acheter (téléphone, internet, magasins toujours achalandés), comme pour utiliser les produits rendus plus « intelligents » par l’électronique. Au final, l’utilisateur n’aura même plus à presser un bouton. En revanche, apprendre nécessite du temps, de la patience et des révisions car aucun savoir n’est définitivement acquis. L’élève est confronté à un acte douloureux et ingrat puisque la récompense n’est ni automatique ni immédiate ni définitive. Au contraire des jeux vidéo qui sont si prisés parce qu’ils récompensent sans délai les efforts et valorisent ainsi le joueur. Apprendre est aussi un acte qui place l’adolescent en situation de profonde solitude alors qu’il est avide de communiquer, de découvrir l’autre et se révéler à son contact.

Enfin, les adolescents ont besoin de s’identifier à une image idéale. Ce peut être un héros, une profession réputée pour ses valeurs. Le héros, qu’il soit sportif, acteur ou chanteur est complètement décrédibilisé. Il se drogue, s’exile pour des raisons fiscales, est capable de l’inavouable pour réussir. Le pharmacien vole la sécurité sociale, le médecin s’apparente à un commerçant, l’enseignant et le prêtre sont accusés de pédophilie, le pompier est pyromane, le policier viole les prostituées, le juge se trompe, l’humanitaire détourne l’argent de son association, etc. Les déviances précédentes ne constituent naturellement pas une généralité, mais ce sont celles que l’on retiendra puisque sur-médiatisées. Le monde auquel les adolescents sont confrontés décrédibilise le discours moralisateur que tient le personnel enseignant, quand celui-ci n’a tout simplement pas abdiqué.

L’école est aussi un espace de sociabilité où l’on apprend la solidarité et l’humilité, où l’on encourage les meilleurs à aider les plus faibles. L’inverse de la société individualiste et égoïste qui désigne l’autre comme un parasite, un adversaire, un ennemi qu’il faut écraser ou assujettir.

Mais l’école est un espace qui n’a pas évolué depuis plus de deux cents ans quand le monde de l’entreprise a adapté l’environnement au travail, sous les conseils d’ergonomes. Ce n’est pas pour rien que les adolescents confondent volontiers environnement scolaire et milieu carcéral. Peut-on raisonnablement attendre de nos enfants qu’ils écoutent, lisent et étudient en silence, sept heures par jour dans un environnement sobre quand un adulte ne tiendrait pas deux heures assis dans les mêmes conditions ? On comprendra aisément qu’un tel environnement ne prédispose pas les élèves à fournir le travail nécessaire.

On serait alors tenté d’idéaliser les sociétés précédentes, mais la lecture de différents documents scolaires prouve qu’elles connaissaient leur lot d’élèves indisciplinés et fainéants, en l’absence d’une démocratisation de l’enseignement. Certes, le nombre et la gravité des faits étaient moindres, mais la discrétion surtout mieux assurée : on ne parlait pas, n’enquêtait pas, ne rapportait pas. En réalité, c’est l’exposition de l’adolescent d’aujourd’hui aux maux de la société qui constitue la différence majeure. Ce dernier est davantage informé, il participe plus à la vie de la famille et aux valeurs de la société consumériste. Il a en quelque sorte troqué sa naïveté et son innocence contre une plus grande responsabilité. Tout cela n’est pas sans incidence sur l’école.

Il y a donc urgence à redéfinir le statut de l’adolescent – cet adulte en devenir qui n’en est pas encore un – comme à transformer notre société afin qu’elle épouse les valeurs de l’école, héritière d’une vieille tradition républicaine. Ce n’est donc pas à l’école de s’adapter à la société, mais à la société de s’adapter à l’école.

* Sur la violence à l’école, on peut se reporter à ce texte d’Eirick Prairat qui expose les données avec grande simplicité : http://cpe.paris.iufm.fr/spip.php?article1265



20 réactions


  • tvargentine.com lerma 14 mai 2008 10:22

    Si nous parlons mal notre langue et que nous faisons des fautes d’orthographes il convient de remettre en cause la formation des professeurs dont le budget de l’éducation nationale a explosé ces dernières années et dont le résultat sont vraiment mauvais

    Quand à vouloir "donner" le bac à tous les éléves pour ne pas avoir le reproche de la selection ou la discrimination,nous en supportons les conséquences par un nivellement par le bas

    Triste résultat quand on connait le nombre de fonctionnaires dans l’éducation nationale et ce que cela coûte à la nation

     


    • pseudo pseudo 14 mai 2008 11:11

      Le Bac à tout le monde ?

      Ce n’est pas tout à fait exact, en 2007, seulement 63,6 % des élèves en âge de passer le bac l’ont obtenu.

      De plus, je remarque qu’on a la fâcheuse habitude de dire "le bac", comme s’il n’en existait qu’un. Car ce n’est pas tout à fait la même chose d’obtenir un bac général (S, L ou ES), un bac technologique ou un bac professionnel. Le bac général ne touche que 34 % d’une génération.


    • 5A3N5D 14 mai 2008 11:34

      @ Lerma,

      On continue de recruter des policiers pour les envoyer dans les banlieues. C’est une lourde charge pour l’Etat et les finances publiques.

      Et le résultat n’est pas au rendez-vous. Conclusion ?


    • arroc 14 mai 2008 19:41

      Terrifiant, autant de connerie dans une seule personne.


  • LE CHAT LE CHAT 14 mai 2008 10:46

    Ce n’est donc pas à l’école de s’adapter à la société, mais à la société de s’adapter à l’école.

    Heureusement , sinon on remplacera l’orthographe par le langage sms et beethoven par grand corps malade !


  • Bulgroz 14 mai 2008 11:24

    Bravo, Tristan Valmour, pour vos réflexions lucides.

    Vous citez Faguet :“ les jeunes Français n’écrivent pas en français.”

    Par ailleurs, dans votre CV, vous précisez : “Mes auteurs « agoravoxiens » préférés” et suit une liste d’auteurs dont Sylvain Reboul.

    Ca tombe bien, justement, j’ ai longuement et à plusieurs reprises, en vain, interrogé cet auteur sur le sens de son avant propos dans son dernier article : »De Bergson à Nicolas Sarkozy : la place du religieux dans le cité »

     http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=39179

    Je cite cet avant propos qui, je présume, est fait pour résumer l’article et aussi attirer le chaland :

    « La position de NS, comme l’a excellemment souligné l’auteur de l’article publié dans AV, intitulé « Derrière le rideau du néo-sarkovatisme » (lien à la fin de l’article), est un compactage purement rhétorique d’une pseudo-rationalité économiste automatique dans laquelle la société se dissoudrait dans un individualisme de l’intérêt privé sans aucune perspective d’ensemble qui serait liée à une définition quelconque de la justice en termes de rapports de forces sociaux et de réduction des inégalités réelles et sa compensation fantasmatique par la truchement de valeurs traditionalistes afin de faire diversion vis-à-vis de la frustration que génèrent ces inégalités. Comment comprendre un syncrétisme aussi baroque, que d’aucuns appelleraient post-moderne ? »

    Cet avant propos contient 2 phrases dont la première qui a 100 mots.

    C’est quoi un « compactage purement rhétorique d’une pseudo-rationalité économiste automatique«  ? Un «  syncrétisme baroque » qui en fait est « post moderne ».

    Je ne voudrais pas mourir idiot, merci, Tristan Valmour, de me traduire en langage « désenfumé » les propos de cet auteur ex enseignant qui fait partie de vos "favoris" et qui, je n’en doute pas, a constamment oeuvré à éveiller la curiosité intellectuelle de nombreux petits enfants.


  • orange orange 14 mai 2008 11:37

    Que j’aime beaucoup votre article, " il est fréquent de trouver des ordinateurs.....". Vous avez raison de dire cela, je posède cet outil que depuis ( 5 ans) environ. Ma dernière l’a utilisée au moment de sa recherche d’emploi qui lui a été bénéfique. Les plus pauvres , je dis bien les plus pauvres n’en possède pas.


  • Yannick Harrel Yannick Harrel 14 mai 2008 14:34

    Bonjour,

    Au risque de me faire taper dessus (mais la vie ne vaut que par les efforts et le risque dit-on), j’oserais émettre que l’une des causes de cette évolution est en directe provenance de mai 68. C’est en effet la sacralisation de l’enfant-roi par le fameux il est interdit d’interdire, et la destruction de la transmission du savoir comme un moyen de pérenniser une société bourgeoise qui est à l’origine de la situation actuelle. Sans omettre l’avilissement de la figure du père symbole de l’autorité, c’est à dire du fascisme, par les thuriféraires du sanctuaire soixante-huitard. Ainsi tout ce qui pouvait faire obstacle à une société purement consumériste a été sapé par une génération d’enfants gâtés, sans que celle-ci ne dagine pour le moment faire son auto-critique, préférant se réfugier dans son auto-promotion médiatique.

    Le résultat est là, et franchement moi je ne reproche pas grand chose à ces enfants mais beaucoup à leurs parents qui abdiquent un peu trop facilement face à leur propre devoir en se réfugiant trop commodément derrière l’école. Un peu facile comme attitude que de sans cesse tout remettre sur le dos de celle-ci...

    Cela ne veut pas dire que l’école ne doit pas être réformée, elle en a besoin car elle privilégie bien trop la tête bien pleine que la tête bien faîte pour plagier un célèbre phiosophe. Mais elle ne peut être tenu entièrement responsable de la gabegie actuelle, et n’est au final qu’un miroir de notre époque, et non plus le temple inviolable de la connaissance (il suffit de constater le nombre exponentiel d’incivilités au sein des établissements, certains perpétrés par les parents d’élèves eux-mêmes !).

    Mes parents ont heureusement compris que l’école c’était une chance, pas toujours très glamour il est vrai, mais une chance tout de même à saisir. Et je les en remercie !

    Cordialement


    • 5A3N5D 14 mai 2008 16:55

      @ Yannick Harrel,

      Au risque, moi aussi, de me faire battre comme plâtre, je fais cette réponse.

      Franchement, si demain la terre changeait brutalement de sens de rotation, je pense que certains n’hésiteraient pas à en rendre responsables les gôchistes de mai 68. Il faudrait peut-être s’arrêter et réfléchir un peu.

      Ainsi tout ce qui pouvait faire obstacle à une société purement consumériste a été sapé par une génération d’enfants gâtés,

      Vous prétendez que la génération de 68 a été gâtée ? Prouvez-le ! Ce n’est pas vrai, mais comme c’est dans l’air du temps, on fait écho à cette rengaine : un des principaux mots d’ordre de mai 68 était justement le refus de la société de consommation. J’ose même formuler cette évidence que le changement des mentalités ne se fait pas en un jour ni même en une année, et il a fallu attendre encore bien longtemps avant qu’elles ne changent. Une génération, pour être plus précis.

      •  Les gens de mai 68 sont des gens qui ont en gros entre 55 et 70 ans. Ils sont plus que parents, grands-parents. C’est donc la 2° génération après 1968 qui pose problème et non les enfants nés de 1968 à 1980. Curieusement, c’est aussi la 2e génération d’immigrés qui pose problème en ce moment.
      • On a adopté une "Charte des Droits de l’Enfant", qui peut mener en garde à vue, puis en prison, un enseignant, un parent ayant eu un "mouvement d’humeur". Il est regrettable que, dans ce joli texte, personne n’ait pas cru de définir les obligations des enfants. Aucun adulte actuellement ne peut concevoir une société dans laquelle seuls les droits prévaudraient, sans aucune contrepartie. C’est pourtant ce qu’on fait croire aux enfants et ce qu’on impose aux enseignants.
      •  Les parents sont souvent bien trop présents à l’école. Globalement, le niveau d’instruction en France à quand même progressé depuis 68, malgré ce que vous prétendez. Certains parents en arrivent même à vouloir se mêler un peu trop d’éducation (surtout hors de leur domicile), et ne conçoivent pas que l’enseignant puisse avoir un avis différent du leur en la matière, ou même qu’il lui est impossible de mener une éducation "individualisée." Le constat est simple : c’est souvent le "clash" entre parents et enseignants, et la multiplication des "incivilités" à l’égard des derniers. Je pense même que la perte d’autorité des enseignants se fait au domicile des enfants qui entendent systématiquement leurs parents dénigrer les enseignants. Conclusion : dehors les parents. A chacun son métier et... 

      Enfin, je trouve dans votre commentaire une contradiction flagrante : 

      et la destruction de la transmission du savoir comme un moyen de pérenniser une société bourgeoise qui est à l’origine de la situation actuelle. 

      Si je ne m’abuse, vous êtes partisan de la transmission du savoir (moi aussi, je vous rassure tout de suite.) Mais comment peut-on préconiser cette voie, tout en vantant les vertus de la "tête bien faite plutôt que bien pleine" :

      elle (l’école) privilégie bien trop la tête bien pleine que la tête bien faîte pour plagier un célèbre phiosophe.

      Vous n’y êtes pas du tout ou alors, votre souhait est réalité depuis longtemps déjà : depuis l’arrivée dans le primaire des "professeurs des écoles" et les réformes des années 90-2000, le savoir n’est rien. L’élève n’est plus à l’école pour apprendre, sous la férule du maître. Il est à l’école pour "s’approprier des compétences." Donc, ça demande beaucoup de temps, et comme tous ces chers bambins ne comprennent pas tous avec la même rapidité, on s’arrête de produire l’effort pour que tout le "peloton" réussisse à suive. Les connaissances, on verra plus tard. Ou jamais.

      Oui, il faut sans doute que l’école se réforme, mais je crains que vous ne vous soyez trompé de sens : la réintroduction d’une certaine portion de la "tête bien pleine" est à mon sens souhaitable, l’école ne privilégiant justement que la "tête bien faite", mais malheureusement vide. Apprendre une poésie n’a jamais tué personne. Une table de multiplication pas davantage. Et le goût de l’effort y trouve son compte. 

      Pour terminer, je vous rassure : je suis, moi aussi issu d’une famille plus que modeste, et le seul moyen de m’en sortir était aussi à l’école. Ça vaut n’importe quelle autre motivation. 


    • Yannick Harrel Yannick Harrel 14 mai 2008 18:51

      @5A3N5D

      Bonjour,

      Vous prétendez que la génération de 68 a été gâtée ? Prouvez-le ! Ce n’est pas vrai, mais comme c’est dans l’air du temps, on fait écho à cette rengaine : un des principaux mots d’ordre de mai 68 était justement le refus de la société de consommation. J’ose même formuler cette évidence que le changement des mentalités ne se fait pas en un jour ni même en une année, et il a fallu attendre encore bien longtemps avant qu’elles ne changent. Une génération, pour être plus précis.

      Le prouver, mais rien de plus simple ! Ma génération galère pour trouver du travail, empile les CDD comme jamais et sait très bien que l’emploi à vie dans une boîte c’est terminé. Son lendemain n’est fait que de précarité, et il ne faut pas dire que les jeunes ne veulent pas se sortir les doigts du cul (passez moi l’expression) car la volonté, la créativité et le courage existent. D’un point de vue socio-économique, entre 68 et 2008 c’est le jour et la nuit. Le choc pétrolier de 73 était encore loin et l’explosion du chômage une pure fiction à l’époque.

      Pour le reste, n’avez pas remarqué l’étrange collusion entre les libertaires de 68 et les libéraux de 2008 ? Moi je trouve qu’ils s’entendent très bien et ce n’est pas un hasard : le refus de l’autorité et du savoir colle très bien aux deux idéologies. Tiens l’ami Daniel pour prendre un bon exemple...

      Si je ne m’abuse, vous êtes partisan de la transmission du savoir (moi aussi, je vous rassure tout de suite.) Mais comment peut-on préconiser cette voie, tout en vantant les vertus de la "tête bien faite plutôt que bien pleine

      Tout simplement parce qu’il n’y a pas antinomie ! Il y a un savoir universel qui doit se transmettre, le tout étant de bien séparer le bon grain de l’ivraie (là j’admets que c’est tout sauf évident) et que sur ma propre expérience, je me souviens de cours surchargés où l’on n’avançait que tête baissée sans même savoir ce que l’on apprenait, juste pour l’interrogation de la prochaine séance. Il doit y avoir une modulation plus accentué des matières autour d’un socle de granit que sont l’étude du Français (celui qui ne connait que mal sa langue risque d’avoir de sérieux problèmes à en apprendre d’autres), des Mathématiques (un peu moins abstraites dans la mesure du possible) et de l’Histoire/Géographie/Education Civique (redonner un coup de fouet aux valeurs républicaines ne serait pas de trop).

      Voilà, en espérant avoir apporté une clarification de ma pensée... Ne pensez pas que je brocarde mai 68 dans son ensemble mais il y a eu des effets pervers dont on paye dorénavant les pots cassés.

      Cordialement


    • Yannick Harrel Yannick Harrel 14 mai 2008 19:04

      J’allais oublier encore ce point

      Enfin, je trouve dans votre commentaire une contradiction flagrante : et la destruction de la transmission du savoir comme un moyen de pérenniser une société bourgeoise qui est à l’origine de la situation actuelle.

      Il est vrai que ça peut laisser prêter à confusion, disons que le but des révolutionnaires de 68 était de mettre à bas la transmission d’un savoir qui n’était perçu que comme la résultante d’une éducation bourgeoise dont il fallait se débarrasser. Or, ce savoir était peut-être par trop académique mais il était une base de la méritocratie républicaine, n’oublions pas que le but premier était de former des citoyens à l’école. Ce même savoir a été dévalorisé, foulé aux pieds, en laissant la porte ouverte à la consommation la plus avide et dangereuse pour l’environnement. Un citoyen bien formé résiste mieux aux sirènes de la société de consommation, c’est pour cela que libéraux et libertaires se sont trouvés en phase pour détruire cette culture classique (qui avait besoin d’être secouée mais pas éradiquée).

      Cordialement


    • 5A3N5D 15 mai 2008 08:59

      Le prouver, mais rien de plus simple ! Ma génération galère pour trouver du travail,

      Quel rapport entre mai 68 et le chômage ? Non, vous ne prouvez rien : vous affirmez.

      En revanche, on peut effectivement trouver un rapport entre le premier choc pétrolier, l’inflation, et le chômage. Mais on se garde de le faire.

       


  • Bulgroz 14 mai 2008 15:27

    Oh que c’est villain, mon post a été plié, je le republie donc. Dommage que personne n’ait pu m’expliquer.

    Bravo, Tristan Valmour, pour vos réflexions lucides.

    Vous citez Faguet :“ les jeunes Français n’écrivent pas en français.”

    Par ailleurs, dans votre CV, vous précisez : “Mes auteurs « agoravoxiens » préférés” et suit une liste d’auteurs dont Sylvain Reboul.

    Ca tombe bien, justement, j’ ai longuement et à plusieurs reprises, en vain, interrogé cet auteur sur le sens de son avant propos dans son dernier article : »De Bergson à Nicolas Sarkozy : la place du religieux dans le cité »

    http://www.agoravox.fr/article...

    Je cite cet avant propos qui, je présume, est fait pour résumer l’article et aussi attirer le chaland :

    « La position de NS, comme l’a excellemment souligné l’auteur de l’article publié dans AV, intitulé « Derrière le rideau du néo-sarkovatisme » (lien à la fin de l’article), est un compactage purement rhétorique d’une pseudo-rationalité économiste automatique dans laquelle la société se dissoudrait dans un individualisme de l’intérêt privé sans aucune perspective d’ensemble qui serait liée à une définition quelconque de la justice en termes de rapports de forces sociaux et de réduction des inégalités réelles et sa compensation fantasmatique par la truchement de valeurs traditionalistes afin de faire diversion vis-à-vis de la frustration que génèrent ces inégalités. Comment comprendre un syncrétisme aussi baroque, que d’aucuns appelleraient post-moderne ? »

    Cet avant propos contient 2 phrases dont la première qui a 100 mots.

    C’est quoi un « compactage purement rhétorique d’une pseudo-rationalité économiste automatique«  ? Un «  syncrétisme baroque » qui en fait est « post moderne ».

    Je ne voudrais pas mourir idiot, merci, Tristan Valmour, de me traduire en langage « désenfumé » les propos de cet auteur ex enseignant qui fait partie de vos "favoris" et qui, je n’en doute pas, a constamment oeuvré à éveiller la curiosité intellectuelle de nombreux petits enfants.


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 14 mai 2008 19:02

    Mois j’ trouves que temps qu’ on aicrirat pat comifo ce serat mové sign .


    • pifo 14 mai 2008 20:42

      On ne peut mieux vu.

       

      Nous pouvons maintenant spéculer sur le temps restant à courir avant la privatisation de tout enseignement.

       

      Je dis trois ans. Qui dit mieux ?


    • pifo 14 mai 2008 20:44

      Bravo à l’auteur pour cet article plein de bon sens et de lucidité.

       

      "A qui profite le crime ?"


  • Bulgroz 14 mai 2008 19:24

    Oh que c’est villain, les démocrates ont plié mon post, je le republie donc. Dommage que personne n’ait pu m’expliquer ce que ce sublime Reboul, favori de Valmour a voulu dire..

    Bravo, Tristan Valmour, pour vos réflexions lucides.

    Vous citez Faguet :“ les jeunes Français n’écrivent pas en français.”

    Par ailleurs, dans votre CV, vous précisez : “Mes auteurs « agoravoxiens » préférés” et suit une liste d’auteurs dont Sylvain Reboul.

    Ca tombe bien, justement, j’ ai longuement et à plusieurs reprises, en vain, interrogé cet auteur sur le sens de son avant propos dans son dernier article : »De Bergson à Nicolas Sarkozy : la place du religieux dans le cité »

    http://www.agoravox.fr/article...

    Je cite cet avant propos qui, je présume, est fait pour résumer l’article et aussi attirer le chaland :

    « La position de NS, comme l’a excellemment souligné l’auteur de l’article publié dans AV, intitulé « Derrière le rideau du néo-sarkovatisme » (lien à la fin de l’article), est un compactage purement rhétorique d’une pseudo-rationalité économiste automatique dans laquelle la société se dissoudrait dans un individualisme de l’intérêt privé sans aucune perspective d’ensemble qui serait liée à une définition quelconque de la justice en termes de rapports de forces sociaux et de réduction des inégalités réelles et sa compensation fantasmatique par la truchement de valeurs traditionalistes afin de faire diversion vis-à-vis de la frustration que génèrent ces inégalités. Comment comprendre un syncrétisme aussi baroque, que d’aucuns appelleraient post-moderne ? »

    Cet avant propos contient 2 phrases dont la première qui a 100 mots.

    C’est quoi un « compactage purement rhétorique d’une pseudo-rationalité économiste automatique«  ? Un «  syncrétisme baroque » qui en fait est « post moderne ».

    Je ne voudrais pas mourir idiot, merci, Tristan Valmour, de me traduire en langage « désenfumé » les propos de cet auteur ex enseignant qui fait partie de vos "favoris" et qui, je n’en doute pas, a constamment oeuvré à éveiller la curiosité intellectuelle de nombreux petits enfants.


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 14 mai 2008 21:30

    Le mot truchement est la clé de l’ énigme ,

     

    Un peu comme dans " tant va la truche à l’ eau "


  • Tristan Valmour 15 mai 2008 10:08

     

    Bonjour à tous, et merci pour vos interventions. Je vais tenter de répondre à vos remarques.

     

    Les Révolutions Industrielles du XIXè ont marqué une rupture capitale dans nos sociétés occidentales et permis le développement du capitalisme, de l’économie de marché. Le facteur d’intégration sociale est devenu le travail, au détriment de la foi et de la citoyenneté. Le salariat a constamment progressé au détriment des petits producteurs, qu’ils soient paysans, artisans ou commerçants. L’augmentation des capacités de production a entraîné une augmentation de la consommation, et la matière a pris progressivement le pas sur la chair. La meilleure illustration est donnée par une publicité pour une automobile : c’est la voiture qui nous possède.

     

    1. L’émancipation des femmes, une extension de la clientèle

     

    Au XIXè encore, les sociétés occidentales étaient largement patriarcales. Ces sociétés ne sont pas bonnes pour le commerce car un homme consomme moins fréquemment qu’une femme. Mais les femmes ne sont pas vénales pour autant puisque si elles consomment, c’est parce qu’elles sont des mères potentielles, aussi faut-il assurer le confort de ses enfants, qui s’obtient par des biens de consommation. Il fallait donc émanciper la femme pour en faire une cliente. La seconde guerre mondiale a accéléré le processus puisque les hommes au combat ou dans les camps de prisonniers, il fallait que les femmes travaillent… comme salariées.

     

    1. L’émancipation des adolescents, une extension de la clientèle

     

    Le capital qui n’est pas investit perd de sa valeur. Il faut donc le faire fructifier, et proposer davantage de produits et services marchands. On glisse ainsi progressivement d’une économie de marché à une société de marché. Il faut donc inciter les gens à consommer. Cela passe par plusieurs procédés : proposer de nouveaux produits et services (invention/innovation), des crédits, détruire les services publiques. Sans extension du volume de consommation, c’est tout le système qui s’écroule.

     

    Il fallait donc émanciper les adolescents, briser la famille. Le procédé pour changer de société est toujours le même : décrédibiliser la société précédente en la ringardisant, s’attaquer aux institutions qui la protègent, entrer la nouvelle société par la petite porte, la rendre attractive, puis s’installer durablement parce qu’on en est devenu prisonnier.

     

    Méritons-nous un retour de bâton ? Je ne le crois pas. Quelle responsabilité individuelle avons-nous ? Quelle est notre poids face à la pression sociale ? Que peuvent les parents quand les pubs et la société leur renvoient l’image d’has been, de loosers ? Les parents sont souvent dépassés. Ils ont une vie déstructurée : on vit dans un endroit, on travaille dans un autre, on ne connaît plus personne, on rentre tard, on ne peut pas s’occuper de ses enfants, on a perdu son compagnon/ sa compagne, etc.

     

    Pouvons-nous changer la donne ? A notre petite échelle, oui. Il suffit de se rendre service, de se parler, de dépasser nos différences pour s’accorder sur nos ressemblances. Bref, il faut aller vers l’autre, écouter l’autre, redécouvrir la chair, développer la solidarité. Ne plus se traiter de gôchiste, de droitiste, de sarkozyste, de catho, d’islamiste, de fonctionnariste, de négrier, etc. Faire tout le contraire de ce que nous faisons actuellement.

     

    1. L’école, la cible privilégiée de la société de consommation

     

    La société de consommation est celle du présent, de l’information, de l’émotion, du spectacle : tout est beau, attractif, joli, il me faut les posséder sans délai ! L’école, est la société du savoir, de la pondération, du passé (cf Hannah Arendt). « On ne rencontre que des morts » avait dit un ado. Cela n’a donc rien de sexy.

     

    Le temps passé à l’école n’est pas un temps de consommation et de production : ça n’est donc pas bon pour le business. On comprend donc que l’école, l’un des derniers bastions de l’ancienne société, soit la cible privilégiée des commerçants. L’école n’est pas parfaite, on peut améliorer beaucoup de choses, c’est vrai. Il faut même le faire sans délai. Mais on ne changera peut-être pas les bonnes choses. Plus de discipline ? D’accord. Mais comment réhabiliter la discipline à l’école quand les ados ont les clés de bourse et maîtrisent la télécommande ?

     

    1. Mai 68 et le conflit générationnel

     

    Mai 68 a correspondu à une attente des jeunes de l’époque. Ce mouvement n’était pas circonscrit à la gauche, même si les leaders provenaient de ce courant politique. Comme toute révolution, il y a eu bien entendu des débordements, des excès. L’émancipation des ados se serait produit, Mai 68 ou pas. Le mouvement a été amorcé au XIXè. D’autre part, il ne faut pas tomber dans le gros piège de monter les uns contre les autres. Il n’y a pas de lien logique entre la situation difficile des jeunes d’aujourd’hui et celle plus « favorable » de nos parents ou grands-parents. J’ai mis des guillemets car il ne faut quand même pas oublier les missiles de Cuba, la guerre froide, le Vietnam, l’Algérie, etc. La vraie question à se poser sur la situation économique de la jeunesse actuelle est : pourquoi un pays qui voit le PIB par habitant augmenter voit également augmenter le nombre de ses pauvres ?

     

    5. A Bulgroz

     

    M. Reboul est un intellectuel, et comme ses pairs, il lui arrive effectivement de ne pas communiquer clairement. Et encore, vous n’avez pas entendu les plaisanteries des philosophes du CNRS à Paris ! Sinon, pour comprendre une phrase complexe longue (au moins deux propositions, soit une proposition par verbe conjugué), il faut la découper en phrases simples (une proposition par verbe conjugué). Mettez donc des points.

     

    6. A Yannick Harel

     

    Il est vrai que la situation professionnelle des jeunes est inquiétante, mais c’est plus largement le cas de tous. En fait, il faut dépasser les messages négatifs que la société nous renvoie de nous-mêmes. S’entraider, reprendre confiance en soi… et entreprendre ! Une société équilibrée n’est pas une société de multinationales et de salariés, de très riches et de très pauvres. C’est une société de petites et moyennes entreprises.

     

    Si on appauvrissait les multinationales en ne consommant plus les produits et services qu’elles vendent, en ne travaillant pas pour elles, on créerait de nombreux emplois. Elles sont uniquement mues par la logique du profit, au contraire des TPE/PME qui prennent davantage en compte la dimension humaine.

     

     

     

     

     

     


  • CAMBRONNE CAMBRONNE 15 mai 2008 10:11

    BONJOUR A TOUS

     

    Excellent article de tristan Valmour . Les interventions contradictoires de 5a3N5d et Yannick Harrel apportent également matière à réflexion ;

    La vérité qui n’est jamais simple se trouve au milieu de tout ça .

    Je retiendrai un point : il est dommage que l’adolescent d’aujourd’hui n’aie plus le temps d’être un adolescent ni l’enfant d’être un enfant . Il faut du temps pour faire un homme ou une femme .

    Autre phénomène de notre époque si la phase adolescence a presque disparu l’état d’adulte parfois n’arrive jamais . Nous avons donc une nouvelle espèce  : les adulescents .

     

    Mai 68 a bien sur bouleversé le paysage mais pourquoi ne pas voir mai 68 plutôt comme une conséquence de l’histoire que comme une cause .

    s’il n’y avait pas eu Mai 68 commment les choses auraient elles évolué ? Si vous pouvez me répondre , allez y ! Tout a changé dans le monde à la même époque et dans le même sens et ce n’est quand même pas la france qui a fait tout ça . Il y a eu la guerre , puis la reconstruction qui a demandé tous les efforts et puis comme après tout effort une phase de dépression .

    Si je regarde notre pays je vois un être en pleine dépression . Où est donc le psy qui nous guérira ?

    Apparemment le médecin n’a pas encore trouvé la bonne thérapie . c’est difficile car il n’a que peu de moyens à sa disposition et le patient est gravement atteint .

     

    vive la république quand même .


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