mercredi 19 juin 2013 - par Pelletier Jean

L’homme toxique…

J’ai passé mon enfance, du moins une partie, aux confins de la Haute-Marne et des Vosges au bord d’une rivière magnifique : la Meuse. Ce long fleuve qui s’écoule à traverse la Lorraine, long de 950 km, traverse la Belgique, puis les Pays-Bas pour se jeter en mer du Nord. Mais à quelques dizaines de kilomètre de sa source, elle se présente comme une douce rivière, aux crues parfois insolentes. Ce point de références porte de plus un nom un peu extravagant : Harréville-les-Chanteurs. La Meuse, fleuve, ici encore rivière se prête un peu plus loin à quelques facéties : « Les pertes de la Meuse », elle s’infiltre d’un seul coup pour disparaitre et resurgir à quelques pas de là. C’est à Bazoilles, village voisin qu’elle nous fait le coup de l’absence, pour réapparaitre bienveillante à Neufchâteau.

Bref, tout comme les hirondelles, aujourd’hui raréfiées, la Meuse a dessiné à la fois, de part et d’autres de mon village, une vallée rythmée de fosses, de gués et de petits courants, mais aussi une histoire tout court. C’est une longue balade en compagnie d’amis et de fantômes, qui pour la pêche (à la ligne ou à la main…), qui pour la baignade à la fosse à Totor, qui pour conforter ici et là un barrage ou un passage pour améliorer un gué. Les prairies et les coteaux tout proches de la rivière bruissent de nos passages enfantins et de nos rires perlés, qu’étouffent à peine les sous-bois. Jeux de piste, cabanes dans les arbres, trésors de pacotille enfouis sous les mousses, montée du « mont » le courage au cœur pour s’éloigner de la rivière mère de toutes les batailles et passer le petit col pour marcher enfin jusqu’au village voisin au nom charmant de Pompière et sa rivière rivale le Mouzon.

Bref, le remords, et c’est le retour à pas cadencés au « cœur » de notre existence, la Meuse. J’aime ce fleuve, il porte aux hasards de mes pas, le souvenir de ces rencontres fortuites avec les canards de ma grand-mère. Libres comme le vent, ils allaient chaque jour à la rivière pour s’en retourner le soir venu à leur pastoral logement à deux pas de la grange familiale. C’est un univers qui bruit sagement du temps qui passe et porte un regard bienveillant sur ces générations qui, le temps de l’enfance, viennent s’y essayer à la vie.

Si aujourd’hui, je jette un regard sur cette vallée, mon cœur s’emballe, je n’y reconnais plus grand chose, les joncs propice à la pêche à la main ont presque tous disparu, l’étalement des nénuphars et leurs fleurs en étoile jaune se sont fait discrets, les herbes ondulantes des courants se sont étiolés, et les bords de l’eau si peuplés autrefois (ragondins, poules d’eaux, hérons pourpres et martin pêcheurs etc..) sont désormais silencieux.

Un responsable : celui-là même qui régit la symphonie de mes souvenirs, l’homme… Un homme qui aurait perdu le fil de sa vie, un homme sans horloge solaire, un homme qui ne voit ni le Nord, ni le Sud, un homme pour qui les nuages ne parlent pas, un homme sans aurores, ni couchers de soleil, un homme toxique.

Il est dit que ce sont bien les pesticides (invention du même homme) qui perturbent, troublent, effacent bien souvent cette biodiversité qui s’éteint au crépuscule de ma vie.

Plusieurs chercheurs ont analysé le fait et conclu à la responsabilité humaine dans la disparition de 42 % des populations d’insectes, mouches, libellules et d’une manière plus générale autres forme de vie des sources, ruisseaux et rivières. Ces chercheurs,sont Mikhail Beketov du Helmholtz Centre for Environmental Research à Leipzig en Allemagne et Ben Kefford de la University of Technology à Sydney. Ils ont établi le lien entre présence de pesticides et mise en péril de la plupart des espèces dépendant de la chaine alimentaire de ces insectes.

C’est ainsi que nous concluions, il y a peu à la disparition partielle des hirondelles. L’agriculture industrielle, l’élevage forcé, les forces internationales du marché ont pesé sur les jardiniers de nos paysages que sont les paysans. Parfois ils en payent directement le prix, l’usage des ces produits toxiques ont multiplié toutes les formes de cancer.

Poissons, oiseaux et libellules, animaux des forêts si présents et familiers se sont presque tous enfuis… je le voie à l’aune de ma vie, sans études scientifiques. Il me suffit de regarder avec au cœur une tristesse sans nom, ces paysages de mon enfance qui peu à peu se « simplifient », d’un vaste concert de couleurs et de formes, ils filent, courbés, jusqu’à finir en lignes qui se perdent juste en un seul point du monde. L’homme toxique avance à grand pas, il s’est emparé de la faux de ses ancêtres et marche au milieu des blés, mais l’orage approche, obscurcissant l’horizon d’encres noires et profondes. C’est la grande faucheuse qui s’annonce sans cris…

 



19 réactions


  • clostra 19 juin 2013 17:39

    Prise de conscience évidemment et témoignage indispensable : comment le saurait-il, nos enfants, si nous omettions de leur dire comment c’était « avant ».

    Mais dans la symbolique, l’orage n’est pas annonce de la grande faucheuse. Bien au contraire, il est signe d’une possible régénération. La vie sur terre est d’une extraordinaire force et elle saura (saurait ?) renaître, pourvu qu’on dise « comment c’était avant ».

    Je n’oserais même pas descendre en contre-bas de ce champ que nous avons été plusieurs enfants à labourer juste derrière cette maison de Charente qui accueillit certains membres de ma famille lors de l’Exode. Je n’oserais pas, de peur que le ruisseau ne s’y trouve plus, de perdre l’eau ruisselante sur nos pieds nus et la main du petit camarade de jeu, dans ces ombrages chamoirés.

    Merci pour ce récit d’enfance et son rire étoilé.


    • Pelletier Jean Pelletier Jean 19 juin 2013 19:44

      @Clostra,


      Merci pour votre commentaire en harmonie avec ce que j’ai tenté d’écrire.
      Oui la nature à encore des ressources, malais nous sommes à un moment clef de l’histoire, il va falloir changer beaucoup de nos habitudes si nous ne voulons pas laisser à nos héritiers un mde bien triste, nous qui avons eu encore la chance de connaître le monde encore à l’aube de l’humanité 
      Bien à vous 

  • itshould itshould 19 juin 2013 20:21

    Oui, bel article de mon point de vue car écrit par quelqu’un qui s’appuie sur son expérience et sa vie d’homme et qui parvient à ouvrir tout simplement les yeux, à se souvenir de comment c’était avant, à mettre les choses en perspective, et qui fait, me semble-t-il, confiance à une sorte d’instinct... instinct que nous perdons, à vivre dans nos sociétés d’abondance... mais instinct qui revient pour peu qu’on prenne la peine d’aller arpenter les coulisses, les lieux que « l’homme (toxique) » a fini de consommer... Bien à vous
    http://postindustry.over-blog.com/article-les-rivages-de-l-anthropocene-76437154.html


    • Pelletier Jean Pelletier Jean 19 juin 2013 20:44

      Merci pour ce complément, vous avez raison, il faut faire appel à l’instinct... C’est ce qui permet d’ouvrir les yeux, d’être plus attentif, plus compréhensif 


  • Mr Dupont 19 juin 2013 22:56

    Mr Pelletier

    Hier ou avant hier j’ai lu votre article sur les hirondelles

    C’est vrai qu’elle sont partie aussi du sud -seine et marnais de mon adolescence

    Elles nous annonçaient les jours de beaux temps en volant haut dans le ciel et les jours de pluies en volant au ras du sol : elles suivaient le vol des insectes

    Nous habitions à l’orée de la forêt de Fontainebleau, nous allions à nos coins de châtaignes à l’automne ; elles étaient énormes : j’y suis retourné depuis : elles sont grosses comme l’ongle et desséchées sur l’arbre

    Je me souvient des nappes de trompettes de la mort que nous foulions aux pieds pour nous amuser sans en ramasser aucune, nous préférions les ceps que nous trouvions aux bonnes saisons à foison

    Il faut croire que les mauvaises saisons s’accumulent , adieu mes coins secrets

    Les fourmilières aussi ont disparues , tous les 100m il s’en trouvait toujours une ; certaines faisaient 1 m de haut : plus aucune aujourd’hui

    « Aprés nous la fin du monde »dit-on

    Il ne nous survivra que de quelques décennies


    • Pelletier Jean Pelletier Jean 19 juin 2013 23:59

      Sur les champignons je pourrais aussi en raconter, ma grand mère nous emmenait ramasser les rosés des près et j’allais avec un de mes oncles aux jaunottes comme on dit dans mon pays à moi, l’enfance c’est ce qui peut rapprocher le plus les hommes....


  • Profil supprimé Jean-Michel Lemonnier 19 juin 2013 23:40
    "Peuples, sachez donc une fois que la Nature a voulu vous préserver de la Science, comme un père arrache une arme dangereuse des mains de son enfant."

    Jean-Jacques Rousseau


  • alinea Alinea 20 juin 2013 00:06

    Il n’y a que ceux qui savent voir qui voient ; les autres savent avec leur tête, mais ça ne suffit pas ! Il n’y a que le coeur qui peut provoquer une révolte, le coeur ou la faim ! Mais le coeur nous rend triste quand on est impuissant ; trouver les mots, un à un ! l’espoir c’est qu’il y a des paysans qui bougent ! sans être bio babas cools, ils se détournent de tout ce bazar ; cela commence à être visible.. La nature possède une force extraordinaire, la conscience du désastre peut nous amener à l’éviter !
    Ma rivière à moi ! c’était la Loue ! ( dans le Jura) ; merci pour cette balade dans le temps.


  • kergen 20 juin 2013 11:20

    D’ailleurs, ton copain Hollande est entrain de participer à un accord de soumission avec les multinationales des USA.

     les socialos font les beaux en s’arquant sur l’exception culturelle. Pendant ce temps là, pas d’exception OGM, Hormones, pollution, ect...

    ça va bien de jouer la pleureuse environnementaliste et à la bonne dame de charité.

    Putains de socialos.


  • Jean-Marc B 20 juin 2013 14:06

     La Meuse ne bruit plus de sa population ailée. Les libellules, les hirondelles ne font plus votre printemps... Votre style ne manque pas de poésie. Chacun peut se retrouver dans les lignes que vous écrivez. Je pourrais à mon tour évoquer le miroir des eaux de la Marne , la voisine de votre rivière bien que la ligne de partage des eaux les destinent à des horizons différents. Le miroir de la rivière de ma Haute-Marne n’a plus rien de magique. Il n’y a plus de surprises à espérer dans les flots sombres des profondeurs. Les bêtes d’eau ont disparu. Les sociétes de pêcheurs ne savent que procéder à l’apport forcé de populations déportées des piscicultures....
     Les cartes de permis de pêche ont un coût prohibitif. Les hommes désertent les rives de la Marne.. et ils font bien car les rares gardons qui survivent encore sont empoisonnés .
     Oui, le poète peut hurler avec le citoyen qui s’insurge. Une politique agricole et environnementale meurtrière est à l’oeuvre ... Pour le profit des céréaliers, administrés avantageusement par l’Union européenne avec la complicité de certains syndicats agricoles. ...
     Oui il y a des responsables et des coupables , actuellement à la manoeuvre . ....


  • Alois Frankenberger Alois Frankenberger 20 juin 2013 14:20

    Tant qu’il reste les forêts rien n’est perdu vu qu’on utilise pas de pesticides en forêt.

    Les animaux reviendront des forêts.


  • ZenZoe ZenZoe 20 juin 2013 14:56

    Très bel article, merci !
    Triste en effet, mais il n’y a pas que les agriculteurs pour polluer, il y a aussi les jardiniers amateurs qui, eux, n’y connaissent que pouic dans tous les produits et ne sont même pas tenus de respecter les instructions sur le paquet - ils inondent les nappes phréatiques de traitements variés et en surdose la plupart du temps. Et si on met bout à bout toutes les villes, les zones résidentielles, les lotissements, ça en fait des petites bêtes qui pourraient être épargnées.
    J’ai la chance d’avoir un grand jardin. Quand je suis arrivée, il n’y avait rien, et comme je ne suis pas fan de produits chimiques, je n’en mets pas. Maintenant, mon jardin attire plein d’oiseaux, d’abeilles, coccinelles, papillons. J’ai même des écureuils, des hérissons et sans doute d’autres animaux que je n’ai pas encore remarqués. C’est un grand plaisir de les voir et les entendre, et j’aime à me dire que, peut-être, ils ont pris mon jardin comme un refuge... C’est mon action écologique à moi.


    • Pelletier Jean Pelletier Jean 20 juin 2013 16:22

      bravo, la semaine dernière en netoyant une banquette de fleurs je suis tombé sur un gros crapeau, j’ai eu peur de l’avoir blessé. Ce n’était pas le cas et j’ai eu le plaisir de le voir partir par petits bonds tranquilles dans un endroit plus calme du jardin...

      http://jmpelletier52.over-blog.com/

       


  • Jean-Marc B 20 juin 2013 15:21

    C’est la fin des haricots....


  • Abou Antoun Abou Antoun 20 juin 2013 15:34

    Très beau texte qui ne peut laisser insensible. C’est d’ailleurs remarquable de voir comment quand des auteurs comme vous parlent de choses intimes, profondes, importantes, ils trouvent naturellement les mots pour le dire.
    Oui, nous sommes nombreux, vieillissant pour ne pas dire vieux, à constater la dégradation de notre environnement, la transformation des rivières en égouts, des campagnes en banlieues, comme vous dites si bien à l’aune de nos vies.
    Bien sûr Monsanto et alt. ont leur part de responsabilité, la cupidité des hommes aussi. Mais le facteur déterminant c’est la pression démographique. L’agriculture à haut rendement ne peut être que toxique et seule une agriculture toxique peut nourrir des milliards d’humains. Le retour à des pratiques respectueuses de l’environnement nous ramènerait à des rendements d’il y a un siècle et à une famine mondiale. C’est ce que nos écolos ont beaucoup de mal à comprendre.
    Dans nos contrées la vie sauvage était déjà limitée aux animaux de très petite taille, il y a bien longtemps que nous avions réduit à rien le territoire des loups et des ours. Il subsistait donc les libellules, les papillons, les grenouilles, les hirondelles et cela suffisait à notre émerveillement. Mais voilà que cela apparaît aujourd’hui encore comme un luxe. Bye, bye escargots, limaces, hérissons ....
    Là où il nous a fallu 5 siècles pour se débarrasser de toute vie sauvage, il ne faudra à l’Afrique que 50 années. L’histoire s’accélère. L’homme doit restreindre ses effectifs et partager la planète avec des espèces aussi légitimes que la sienne. Faute de quoi il court à sa perte.
    Bien à vous.


  • Jean-Marc B 20 juin 2013 17:04

    Oui, on nous trompe. Les intérêts des industriels de l’ agro-alimentaire et de leurs actionnaires ne sont pas du tout ceux des petits consommateurs que nous sommes. Eux, le savent bien et sont capables de corrompre les « experts » .... Ils favorisent ainsi l’industrie agricole destructrice de l’environnement , engrangent les bénéfices.... et, avec ces bénéfices, ils achètent des produits bio ( ou vont dans des restaurants de qualité )...
    Regardez cette enquête d’ARTE.....

    http://www.youtube.com/watch?v=Gpp7b0oCjI4


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