lundi 31 août 2015 - par Jordi Grau

La pitié est-elle nocive ?

Le mot pitié, à notre époque, est presque toujours employé de manière péjorative. Il faut dire que son sens s’est appauvri. Toutes les valeurs positives qu’il véhiculait semblent s’être réfugiées dans le mot compassion. Mais cette explication n’est pas tout à fait satisfaisante, car la compassion est à peine mieux traitée que la pitié, malgré la sympathie suscitée par le bouddhisme en occident. Pourquoi est-ce le cas ? Peut-être parce que nous vivons dans une société très inégalitaire, où la dureté est érigée en vertu par les « élites » et ceux qui leur sont soumis….

Pitié et compassion

Si on lit l’article pitié dans le Petit Robert (édition 2000), on constate que ce mot a deux significations :

« Sympathie qui naît de la connaissance des souffrances d’autrui et fait souhaiter qu’elles soient soulagées. »

« Sentiment de commisération accompagné d’appréciation défavorable ou de mépris. »

La première définition, on le voit n’a pas de connotation péjorative. Elle correspond assez bien à ce que nous appelons aujourd’hui la compassion. On pourrait la rapprocher de celle donnée par Rousseau dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (cf. le texte 1 en annexe).

En réalité, Rousseau n’est pas le premier à avoir jugé positivement la pitié. Cette dernière, bien avant lui, était considérée comme une vertu – une vertu mineure, plus « féminine » que virile, sans doute, mais une vertu tout de même. J’en veux pour preuve l’origine même du mot : pitié, vient de pietas, la piété, c’est-à-dire le respect envers tout ce qui est sacré (Dieu, la famille, etc.). La pitié était sans doute considérée au Moyen âge comme un contrepoids indispensable à la brutalité des seigneurs. En ces temps-là, les classes dirigeantes ne prenaient pas leur pied en jouant au golf ou en Bourse. Leur hobby favori était la guerre, et il fallait bien quelques règles morales pour atténuer un peu leur cruauté. La pitié était donc – dans une certaine mesure – valorisée. Même aujourd’hui, d’ailleurs, ce n’est pas vraiment un compliment que de dire de quelqu’un qu’il est « impitoyable » ou « sans pitié ». Cependant, il semble bien que le mot pitié se soit considérablement dévalué. La plupart du temps, quand on l’emploie, on sous-entend le mépris : « Tu fais vraiment pitié, ma pauvre fille », « Mieux vaut faire envie que pitié », etc. La seconde définition du mot pitié a largement supplanté la première.

Comment expliquer ce fait ? Il me semble qu’il y a à cela deux raisons principales. Tout d’abord, on peut penser que le mot pitié a subi la concurrence d’un synonyme : pour désigner la pitié au sens positif du terme, on emploie désormais le mot compassion. Mais il est une autre raison, sans doute plus profonde : c’est qu’il est très facile de passer du sens positif au sens négatif. En effet, si on éprouve pour un être vivant de la pitié (au sens n°1), cela veut dire qu’on souffre de sa souffrance. On retrouve d’ailleurs cette idée dans le mot compassion : com-patir c’est pâtir avec (« cum ») autrui. Or, un être qui souffre est un être faible (au moins provisoirement). Il peut certes avoir aussi des points forts par ailleurs (intelligence, bonne santé, argent, courage, etc.), mais en tant qu’il souffre, il est faible, vulnérable, diminué. Donc, si on considère un être vivant uniquement comme digne de pitié, on ne voit que ses faiblesses. Autrement dit, on a pour lui du mépris. On comprend dès lors comment on passe du sens n° 1 au sens n° 2 : lorsque la pitié au sens n° 1 est toute nue, lorsqu’elle n’est pas accompagnée de respect ou d’admiration, alors elle se confond avec la pitié au sens n° 2. Et comme l’être humain est doué d’une immense paresse intellectuelle, il a souvent du mal à se souvenir qu’on peut avoir sur autrui un point de vue complexe. Cédant à la tentation du simplisme, il s’imagine alors qu’on ne peut pas à la fois considérer quelqu’un comme faible et fort, digne de pitié et de respect, voire d’admiration.

Tout cela ne serait pas très grave si nous nous rappelions à temps que la pitié – rebaptisée compassion – n’implique pas nécessairement le mépris. Malheureusement, j’ai peur que nous n’ayons pas toujours cette sagesse. Même si nous n’avons que le mot compassion à la bouche, nous nous montrons souvent très durs avec les autres comme avec nous-mêmes.

Le crime le plus grave : l’auto-apitoiement

À défaut de preuve – j’avoue n’avoir pas mené d’enquête scientifique sur le sujet – je vais proposer un exemple de cette dureté. Dans plusieurs films – notamment américains, mais pas seulement – j’ai entendu l’expression : « apitoiement sur soi ». Et toujours, cette expression est employée dans un sens très négatif. Imaginez la scène. Le héros de l’histoire a été viré de son boulot parce qu’il a refusé d’être complice des magouilles de son patron. Sa femme l’a quitté. Comme il est devenu alcoolique, il n’a plus le droit de voir ses enfants. Il a un cancer de l’intestin. En ouvrant une boîte de conserve, il s’est méchamment entaillé le doigt. La canicule aidant, la plaie s’est infectée. Bientôt, une gangrène galopante corrompt la chair de son doigt, de sa main, de son avant-bras. Finalement, c’est tout le bras droit qu’il faut amputer. Repensant à tous ces petits malheurs, notre héros laisse échapper une petite larme. Heureusement, son meilleur ami passe juste à cet instant pour lui rendre visite. Et comme il fait partie de ces « gens bien intentionnés » si merveilleusement décrits par Brassens, il va donner à notre héros un excellent conseil : « Arrête de t’apitoyer sur ton sort ». En anglais : « Don’t wallow in self-pity ». Autrement dit : ne te vautre pas comme un porc dans la fange abjecte de l’auto-apitoiement. Il en a, de la chance, notre héros ! C’est sûr que ça aide vachement, quand on est malheureux, de se rappeler qu’il faut être impitoyable envers soi-même. Au fait, pourquoi faut-il être impitoyable envers soi ? On ne sait pas. Ce n’est pas expliqué. Et c’est là qu’est tout le raffinement de la chose : votre meilleur ami souffre le martyre, il a l’impression d’avoir tout perdu, et vous essayez de le priver de sa seule et maigre consolation (l’attendrissement sur soi) sans lui proposer autre chose en échange.

Vous me direz peut-être que cet exemple ne prouve pas grand-chose. Les films dont je parle ne sont pas forcément représentatifs de la réalité. Je vous propose donc une expérience. À l’aide d’un moteur de recherche bien connu, cherchez des articles portant sur la « self-pity ». Le premier site que vous allez trouver est Wikipedia, qui propose un article bref et relativement équilibré sur la « self-pity ». Malheureusement, Wikipedia est l’arbre qui cache la forêt. Pratiquement tous les autres sites suivants présentent la « self-pity » sous un jour exclusivement négatifs : elle serait une émotion dangereuse, destructrice, opposée à l’estime de soi. Dans certains cas, cette même « self-pity » fait aussi l’objet d’une condamnation morale : on l’associe à l’égoïsme et au refus d’assumer ses responsabilités.

Maintenant, si vous pensez que cette manière de penser est typiquement anglo-saxonne, portez votre recherche sur la traduction française de self-pity : « apitoiement sur soi ». Le premier site sur lequel vous allez tomber est celui de Diane Borgia, « bachelière en criminologie-psychothérapeute – Spécialiste en gestion des émotions – Traitement de la dépendance affective et codépendance » (cf. le texte n° 2 en annexe). Même si elle s’efforce d’avoir un discours nuancé, madame Borgia a globalement un jugement très négatif sur la pitié : qu’elle soit dirigée sur soi-même ou sur les autres, la pitié serait nuisible, car elle ferait croire aux gens qu’ils sont de pauvres victimes impuissantes et les empêche de se prendre en main. Ce que madame Borgia oublie d’écrire, c’est qu’il est tout à fait possible de considérer quelqu’un qui souffre comme une victime (victime de la maladie, du chômage, d’une violence physique ou verbale, etc.) sans la réduire à cela.

Comme on l’a vu tout à l’heure, la pitié méprisante n’est pas mauvaise en elle-même : elle est mauvaise parce qu’elle est seule, parce qu’elle n’est pas complétée par du respect et de l’admiration. Si elle est « accompagnée de mépris », pour reprendre la formule du Petit Robert, ce n’est pas parce qu’elle a quelque chose en plus par rapport à la bonne pitié : c’est au contraire parce qu’elle exclut tout autre sentiment. La personne dont on a pitié (au sens négatif du terme) n’est plus vue que comme souffrante, donc faible, donc méprisable. Il suffirait d’avoir un point de vue plus complet sur cette personne, de percevoir ses qualités morales et intellectuelles, pour cesser de la mépriser.

La même remarque vaut pour la pitié qu’on éprouve à l’égard de soi-même. Ce n’est pas mauvais d’avoir de la sympathie pour soi-même et de souhaiter mettre fin à ses souffrances. Ce n’est pas mauvais non plus d’exprimer cette souffrance, de demander de l’aide à ses proches. Ce qui est mauvais, c’est de ne voir que ses souffrances et sa faiblesse. Donc, au lieu de condamner quelqu’un qui s’apitoie sur son sort, on ferait mieux de lui dire : « Certes, l’auto-apitoiement soulage momentanément. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi. Seulement, c’est loin d’être une solution suffisante. Pour te sortir de ton malheur, il te faut prendre conscience de tes points forts, et ne pas te focaliser exclusivement sur tes souffrances. Si tu veux, je peux essayer de t’aider à trouver ces points forts. » Voilà, me semble-t-il, une parole vraiment réconfortante. Se contenter de condamner l’apitoiement sur soi, c’est enfoncer la personne dépressive dans le sentiment qu’elle est nulle, ou monstrueusement égoïste. Rien de tel pour prolonger et aggraver la dépression. Au mieux, si la personne n’est pas trop dépressive, elle suivra ces « bons conseils » et s’efforcera de ne pas tenir compte de ses souffrances. Elle serrera les dents virilement, arrêtera de se plaindre et accomplir courageusement ses devoirs. Mais, tôt ou tard, la souffrance risque de la submerger à nouveau, la replongeant dans un nouveau cycle de désespoir.

Pour enfoncer le clou, je proposerai une métaphore médicale. Supposons qu’une personne ait dû porter un plâtre pendant quelques semaines. Une fois le plâtre enlevé, il sera facile de voir que l’une des deux jambes s’est amaigrie alors que l’autre s’est musclée de manière inhabituelle. Maintenant, que faudrait-il penser d’un médecin qui, voyant ce spectacle, tiendrait les propos suivants : « O la la ! Mais cette jambe est beaucoup trop musclée ! Vite, il faut la plâtrer, pour la rendre aussi maigre que l’autre ! » Il ne faut aucun doute que de tels propos vaudraient à son auteur d’être enfermé dans un hôpital psychiatrique. Pourquoi n’en va-t-il pas de même lorsque qu’on entend quelqu’un dénigrer la pitié ou l’auto-apitoiement ? Pourquoi dit-on si rarement que la pitié est une bonne chose, plus nécessaire à la vie qu’une jambe, à condition d’être complétée et modérée par le respect et l’admiration ? Pourquoi tant de haine à l’égard de la pitié ?

Pourquoi tant de haine ?

L’hypothèse que je propose, c’est que nous sommes intoxiqués par une idéologie dont la fonction est de protéger l’ordre établi. La société où nous vivons est dure : il y a de fortes inégalités, du chômage, de la précarité, une concurrence acharnée entre les travailleurs…. Pour des raisons historiques qu’il serait trop long de détailler ici, les discours qui critiquaient le capitalisme (marxisme, anarchisme, catholicisme social…) ne suscitent plus l’adhésion des masses. Il n’y a donc plus guère de contrepoids face au discours dominant, dont le rôle est bien évidemment de justifier le système économique et politique en place. Certes, quelques abus particulièrement criants suscitent l’indignation. Beaucoup de gens se plaignent, à droite comme à gauche, de l’impunité dont jouissent les « banksters », ou encore des salaires indécents des stars du football et des patrons des multinationales. Mais le cœur du système – les rapports de domination qui structurent le monde du travail, la vie politique, mais aussi la famille et le couple – ne sont pas fondamentalement mis en cause. Autrement dit, les opprimés se résignent à l’oppression dont ils sont victimes. Cela peut être parce qu’ils se sentent incapables de changer le système ou parce qu’ils espèrent monter un peu dans l’échelle sociale, ne serait-ce que par procuration, à travers leurs enfants. Toujours est-il qu’ils ne vont pas chercher à critiquer radicalement l’injustice du système qui les fait souffrir. Consciemment ou non, ils ont intériorisé le discours des dominants, selon lequel chacun est « responsable » de son sort. Chacun doit être « autonome », devenir l’ « entrepreneur » de sa propre vie. Si t’es dans la merde, donc, tu n’as qu’à t’en prendre qu’à toi-même. Soit tu n’as pas fait assez d’efforts, soit tu n’es qu’un looser, un être inférieur dont la place est en bas de l’échelle sociale.

On comprend bien qu’un tel discours ne laisse guère de place à la pitié – que ce soit la pitié envers soi-même ou la pitié envers les autres. De ce point de vue, nous vivons dans une époque très nietzschéenne. On sait que Nietzsche méprisait la pitié et toutes les idéologies qui accordent une large place à ce sentiment : christianisme, bouddhisme, rousseauisme.... À l’inverse, il faisait souvent l’éloge de la dureté, vertu aristocratique par excellence (cf. à ce sujet le texte n° 3 en annexe). Mais on ignore généralement l’arrière-plan sociopolitique de cette morale « aristocratique ». Les « maîtres », pour Nietzsche, ne doivent pas seulement être durs envers eux-mêmes, s’efforcer de se dépasser constamment : il leur faut aussi être durs envers la masse des pauvres, des ouvriers, de cette répugnante canaille qui grouille en bas de l’échelle sociale. Si on commence à prendre ces gens en pitié, à souffrir de leur misère, alors l’ordre social est foutu. Il est mal venu, de nos jours, de critiquer Nietzsche. Nietzsche, paraît-il, était un type bien. La preuve, il avait le plus grand mépris pour les antisémites et les nationalistes. Certes ! Mais on n’a pas besoin d’être un précurseur du nazisme pour être un penseur réactionnaire. Non seulement Nietzsche vomissait le socialisme et l’anarchisme (comme les « élites » d’aujourd’hui), mais ses opinions étaient ouvertement sexistes et antidémocratiques. Si quelqu’un, de nos jours, était intégralement fidèle à la pensée politique de Nietzsche, il serait à bon droit rangé dans la droite la plus extrême. J’en veux pour preuve un éloquent paragraphe tiré du Crépuscule des idoles – ou Comment philosopher à coups de marteau, que vous pourrez lire en annexe (cf. le texte n° 4).

Pour en revenir à notre époque, il est frappant de voir à quel point les victimes de l’ordre social, loin de sympathiser, ont souvent tendance à se détester mutuellement. La colère qu’elles ont accumulée à force d’être humiliés et maltraités, elles la tournent moins vers le sommet de la pyramide que vers celles qui sont encore plus malheureuses qu’eux et qu’elles voient comme des profiteurs, des concurrents, des assistés, des gens dangereux pour l’ordre social. Comme personne ne les prend en pitié – pas même elles-mêmes – elles ne voient pas pourquoi elles devraient s’attendrir devant le malheur d’autrui.

C’est ainsi, par exemple, que la misère des Roms suscite moins la compassion que la peur, qui engendre elle-même la haine et le dégoût. On se dit : « Ces gens vivent dans de tels conditions qu’ils sont forcés de voler pour survivre. Et puis, ils sentent mauvais, ils colportent des maladies, etc. » Autre exemple bien connu : les chômeurs de longue durée, les bénéficiaires du RSA et autres minima sociaux. Loin de susciter la pitié, ils irritent bien des gens, ils font envie, même. On imagine que ces gens se prélassent sur des tas d’or tandis qu’on se crève à la tâche.

Une pitié sélective

Naturellement, le système social ne pourrait pas tenir si la pitié faisait systématiquement l’objet d’une condamnation. Tout être humain a besoin, de temps à autre, de s’attendrir un peu et de se laisser aller à la sympathie naturelle qu’il éprouve pour les autres êtres doués de sensibilité. Même Nietzsche, peut-être parce que sa maladie l’empêchait de contrôler ses émotions, a un jour été submergé par la pitié qu’il ressentait pour un cheval maltraité. Il est donc permis de s’abandonner à la pitié, mais à condition de la canaliser. On peut pleurer sur le sort de gens malheureux, à condition que les injustices sociales ne semblent pas en être la cause. C’est ainsi, par exemple, que la télévision nous encourage à nous attendrir sur les victimes d’une catastrophe naturelle ou d’une maladie génétique. Elle nous incite également à prendre en pitié les victimes des petits voyous – dont les crimes et les délits constituent un des thèmes favoris des présentateurs du « JT ». En revanche, elle nous incite rarement à réfléchir à nous poser des questions dérangeantes, du genre :

 – Les catastrophes dites « naturelles » sont-elles si naturelles que cela ? Les victimes des tsunamis et des tremblements de terre ne sont-elles pas plus nombreuses dans les pays pauvres, où les gens n’ont pas les moyens d’habiter dans des maisons protégées ?

– N’y a-t-il pas des maladies qui sont directement liées au travail et au statut social ? Est-ce un hasard, si un cadre supérieur et un ouvrier n’ont pas la même espérance de vie ?

– La délinquance n’a-t-elle pas un rapport avec les inégalités sociales et le chômage de masse ? Et puis, pourquoi la petite délinquance est-elle beaucoup plus médiatisée que la délinquance financière, alors même que celle-ci est une des causes des inégalités sociales et donc, indirectement, de la petite délinquance ?

La pitié est donc tolérée, à condition de rester marginale et de ne pas déboucher sur l’indignation ni sur une réflexion critique.

La pitié comme thérapie

Il me semble qu’il faut aller beaucoup plus loin qu’une simple tolérance à l’égard de la pitié. Celle-ci doit être valorisée, et pas simplement acceptée avec répugnance comme un mal nécessaire. Avoir pitié des autres, c’est cesser de porter sur eux un regard culpabilisateur qui les enfonce encore plus dans leur malheur. S’identifier à eux, se mettre à leur place, c’est la première étape d’une aide efficace. Ce n’est pas une condition suffisante, certes : comme je l’ai dit plus haut, la pitié doit être accompagnée de respect, d’admiration, de valorisation d’autrui pour ne pas dégénérer en commisération méprisante. Mais elle n’en est pas moins une condition nécessaire. Sans elle, nous restons froids, indifférents, égoïstes, et nos prétendues paroles de réconfort risquent d’être perçues comme autant d’agressions.

De la même manière, la pitié à l’égard de soi a une vertu thérapeutique à condition d’être accompagnée d’estime de soi. Prendre pitié de soi, ce n’est pas forcément s’enfoncer dans une tristesse morbide. C’est plutôt prendre conscience de sa tristesse, se connecter avec ses émotions, cesser de se martyriser et se réconforter soi-même comme si on devenait sa propre mère. « Prendre sur soi », « serrer les dents » comme si de rien n’était, cela peut sembler être courageux. En réalité, c’est bien souvent un héroïsme mal placé, qui peut cacher une soumission à des règles sociales inutilement dures. Il ne faut surtout pas pleurer sur son sort, dit-on souvent, comme si nier la souffrance pouvait la faire disparaître. Hegel, philosophe qu’on ne saurait suspecter de verser dans la sensiblerie, a écrit de très belles lignes sur le pouvoir thérapeutique des larmes : pleurer, ce n’est pas entretenir sa souffrance, mais au contraire l’évacuer, la mettre à distance (cf. le texte n° 5 en annexe). Bien entendu, les larmes et la pitié ne suffisent pas : quand quelqu’un est gravement dépressif, ce n’est pas le fait de pleurer tous les jours sur son sort qui le guérira. Mais ce n’est pas parce qu’une condition n’est pas suffisante, encore une fois, qu’elle n’est pas nécessaire.

Le pouvoir subversif de la pitié

Ce qui vaut au niveau individuel vaut aussi au niveau social. Notre société est malade de sa dureté. De ce point de vue, la pitié que nous pouvons éprouvons pour nous-mêmes et pour les autres est déjà un début de guérison. S’identifier à ceux qui souffrent d’une injustice, c’est déjà commencer à remettre en question cette injustice. Encore faut-il, naturellement, que cette pitié ne soit pas superficielle ni sélective, sans quoi elle ne débouchera que sur quelques actes de charité isolés, et non sur une remise en cause du système social. Il faut également que cette pitié soit accompagnée d’une analyse de la société. L’émotion toute seule n’est guère utile. Mais l’intelligence toute seule est toute aussi impuissante. C’est ce que Nietzsche, je crois, avait très bien compris. Les injustices sociales ne peuvent subsister et se perpétuer que parce que nous avons été contraints à nous endurcir et à mépriser la pitié. Il y a beaucoup à apprendre des réactionnaires comme Nietzsche. Souvent, ils sont bien plus lucides que de prétendus humanistes qui tentent de justifier l’ordre établi à l’aide de fables grotesques. En montrant tous les dangers de la pitié pour l’ordre social, Nietzsche nous a donné une précieuse clé. Puissions-nous nous en servir sans fausse honte. Tout est bon à prendre pour s’insurger contre l’injustice. Des émotions comme la pitié ou l’indignation sont certes insuffisantes, mais elles n’en sont pas moins indispensables, et peuvent être extrêmement bienfaisantes si elles débouchent sur des actions concrètes et sont éclairées par la raison.

 

Annexes

Texte 1 : définition de la pitié par Rousseau

La pitié est un sentiment naturel, qui modérant dans chaque individu l'activité de l'amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l'espèce. C'est elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir ; c'est elle qui, dans l'état de nature, tient lieu de lois, de mœurs et de vertu, avec cet avantage que nul n'est tenté de désobéir à sa douce voix ; c'est elle qui détournera tout sauvage robuste d'enlever à un faible enfant, ou à un vieillard infirme, sa subsistance acquise avec peine, si lui-même espère pouvoir trouver la sienne ailleurs ; c'est elle qui, au lieu de cette maxime sublime de justice raisonnée : Fais à autrui comme tu veux qu'on te fasse, inspire à tous les hommes cette autre maxime de bonté naturelle bien moins parfaite, mais plus utile peut-être que la précédente : Fais ton bien avec le moindre mal d'autrui qu'il est possible. C'est, en un mot, dans ce sentiment naturel, plutôt que dans des arguments subtils, qu'il faut chercher la cause de la répugnance que tout homme éprouverait à mal faire, même indépendamment des maximes de l'éducation.

Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes

Texte n° 2

APITOIEMENT – Quoique l’on associe parfois la compassion, la sympathie et la miséricorde à l’apitoiement, celui-ci se révèle être une attitude négative engendrée par de une tristesse excessive qui mène le plus souvent à se recroqueviller sur soi-même et à se sentir victime de la vie et des autres. « Pauvre petit de moi, c’est donc pas drôle ce que je vis. » Se plaindre, gémir, trouver des excuses, s’auto-justifier, se prendre en pitié et s’attendrir sur ses difficultés et problèmes sont des actions liées à l’apitoiement. Il sert souvent de refuge à celui qui ne veut pas prendre ses responsabilités, tout en désirant attirer l’attention et la pitié d’autrui. Souvent celui qui s’apitoie facilement développe aussi l’habitude de se récompenser de mauvaises manières : il le mérite bien avec tout ce qu’il endure !

 On dit que l'apitoiement sur soi-même est une faiblesse des plus néfastes et affaiblissantes que nous connaissions et qu'il constitue un obstacle à tout progrès personnel. Parce qu'il exige des doses excessives d'attention et de sympathie de la part des autres, il ne peut que nuire aux relations avec l’entourage.

 Il existe une deuxième forme d’apitoiement qui consiste à s’apitoyer sur les autres. Malheureusement, lorsqu’on prend les autres en pitié on leur envoie le message qu’ils sont faibles et impuissants à changer leur vie. Pour certains, cela va contribuer à consolider leur rôle de victime impuissante (voir victimite), une habitude qui ne peut que leur faire du tort et les maintenir dans le malheur.

Texte trouvé sur le site de Diane Borgia, « bachelière en criminologie-psychothérapeute – Spécialiste en gestion des émotions – Traitement de la dépendance affective et codépendance

http://www.dianeborgia.com/2012/06/28/apitoiement-tir%C3%A9-du-petit-dictionnaire-du-bonheur/

 

Texte n° 3

« L’aristocrate révère en soi l’homme puissant et maître de soi, qui sait parler et se taire, qui aime exercer sur soi la rigueur et la dureté, et qui respecte tout ce qui est sévère et dur. « Wotan a mis dans ma poitrine un cœur dur », dit une vieille saga scandinave ; c’est faire parler comme il se doit un fier Viking. Un tel homme s’enorgueillit précisément de n’être point fait pour la pitié ; c’est pourquoi le héros de la saga ajoute cet avertissement : « Celui qui n’a pas dès la jeunesse un cœur dur n’aura jamais un cœur dur. » Les aristocrates et les braves qui pensent ainsi sont aux antipodes de la morale qui voit dans la pitié ou dans le dévouement à autrui ou dans le désintéressement la marque distinctive de l’acte moral. La foi en soi-même, la fierté de soi, une hostilité foncière et ironique à l’égard du désintéressement sont en effet partie intégrante de la morale des nobles, ainsi qu’un léger mépris et une certaine méfiance à l’endroit de la compassion et des « cœurs chauds ». »

Nietzsche, Par-delà le bien et le mal

Extrait du paragraphe 260 – p. 268 dans la collection 10/18 – Ouvrage paru en 1973 chez Christian Bourgois éditeur sans mention, malheureusement, du nom du traducteur.

Texte n° 4

« La question ouvrière. La sottise, ou plutôt la dégénérescence de l’instinct qui est de nos jours la cause de toutes les sottises, apparaît dans le fait même qu’il existe une question ouvrière. Il est des sujets sur lesquels on ne pose pas de questions : c’est le premier impératif de l’instinct. – Je ne vois absolument pas ce que l’on entend faire de l’ouvrier européen, à partir du moment où l’on a fait de lui une question. Il se trouve en beaucoup trop bonne posture pour ne pas poser peu à peu de plus en plus de questions indiscrètes. Après tout, il a pour lui le nombre. Il faut renoncer à l’espoir de voir se développer chez nous, et se constituer en classe, un type d’homme modeste et frugal, une sorte de Chinois : ce qui aurait été conforme à la raison, et même à la stricte nécessité. Et qu’a-t-on fait ? – Tout ce qu’il fallait pour étouffer dans l’œuf tout ce qui l’aurait permis – on a, par un aveuglement irresponsable, radicalement détruit les instincts grâce auxquels le travailleur est possible en tant que classe sociale, et possible à ses propres yeux. On a fait de l’ouvrier un conscrit apte à porter les armes, on lui a donné le droit d’association, le droit de vote politique… Faut-il s’étonner si aujourd’hui l’ouvrier ressent déjà sa condition comme une calamité (ou, en termes de morale, comme injuste) ? Mais que veut-on, au fait ? C’est la question que je persiste à poser. Si l’on veut une fin, il faut aussi en vouloir les moyens : si l’on veut des esclaves, il faut être fou pour leur donner une éducation de maîtres. »

Nietzsche, Crépuscule des idoles, traduction de Jean-Claude Hémery – Gallimard – Folio essais – 1988)

 

Texte n° 5

« Au rire, comme c’est bien connu, sont opposés les pleurs. De même que, dans celui-là, la consonance du sujet avec lui-même, ressentie aux dépens de l’ob-jet risible vient à se traduire corporellement, de même dans les pleurs, s’extériorise le déchirement intérieur, provoqué par un négatif, de l’[être] sentant, – la douleur. Les larmes sont l’exutoire critique – donc, non pas simplement l’extériorisation, mais, en même temps, la séparation d’avec soi par extériorisation – de la douleur ; par conséquent, dans le cas de grandes souffrances présentes de l’âme, elles agissent sur la santé d’une façon aussi bienfaisante que la douleur qui ne fond pas en larmes peut devenir funeste pour la santé et pour la vie. »

Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques – III. Philosophie de l’esprit – addition au paragraphe 401 – p. 459 – Traduction B. Bourgeois – Librairie philosophique J. Vrin – Paris – 1988)

 



19 réactions


  • Le p’tit Charles 31 août 2015 09:11

    Pitié..ou Misérabilisme...comme tu veux tu « choilles »... ?

    Le « misérabilisme ambiant me fait pitié... »

    La pitié n’est peut-être, au fond, que de la lâcheté.
    Citation de Rémy de Gourmont ; Des pas sur le sable (1914)

  • Gabriel Gabriel 31 août 2015 11:26

    Quand il y a de la pitié, c’est qu’il y a de l’injustice car où il y a de la pitié, il y a de l’injustice.


    • Gabriel Gabriel 31 août 2015 11:37

      @Aline
      Alors plutôt que de constater et geindre sur les effets attaquons nous aux causes. Les principales étant les injustices tribales, sociales et financières. Elémentaire !!!!! 


    • Le p’tit Charles 31 août 2015 12:24

      @Gabriel
      Bonjour...On peut avoir pitié d’un gros comme d’un maigre ou d’un riche même d’un pauvre (éventuellement..)..Pitié d’une bête..l’injustice n’étant qu’une infime partie..

      Un raccourci surprenant de votre part.. ?


    • Gabriel Gabriel 31 août 2015 12:42

      @Le p’tit Charles
      Injustice naturelle se heurtant aux critères physiques de la beauté... Toujours chercher l’origine de ce qui déclenche cette pitié.


    • Le p’tit Charles 31 août 2015 13:11

      @Gabriel... David Hume observe que la pitié, qui est composée d’une grande partie de bonne volonté, est une proche alliée du mépris, qui est une forme de dégoût, augmenté de fierté... ?


    • Gabriel Gabriel 31 août 2015 15:04

      @Le p’tit Charles

      La compassion est à la pitié ce que l’impermanence est à l’indifférence. Pour cela je compatis en vers mes frères d’infortune et n’éprouve de la pitié que pour ceux qui les écrasent et les humilient en pillant les fruits de leur travail et en les réduisant de ce fait à une misère qu’ils ont programmé. 


  • Enabomber Enabomber 31 août 2015 11:53

    Ce n’est pas vraiment la compassion qui a remplacé aujourd’hui la pitié dans la terminologie, mais plutôt l’empathie au caractère moins subjectif. Ce qui permet entre autres d’aller en chercher les racines chez nos cousins animaux, et de mieux comprendre comment elle contribue au niveau individuel à la structuration d’une société. Et comment sa carence peut à la fois refléter et présager de l’échec de cette société.


  • gogoRat gogoRat 31 août 2015 13:16

    Rappelons d’abord ce mot du logicien et philosophe Bertrand Russell :
    ’ La logique est la science qui fonde les idées vraies, la psychologie la science qui explique les idées fausses. ’
     -------
     Cela pourra alors peut-être tempérer la ’prétention à abstraire que j’oserai tenter à mon tour ci-après.
     
     Je retiens ici deux pistes d’explications’pourquoi tant de haine ? ’) esquissées par l’auteur de cet article (Jordi Grau) :
     - D’une part :

    •   « nous sommes intoxiqués par une idéologie dont la fonction est de protéger l’ordre établi. » ...
    • " ils ne vont pas chercher à critiquer radicalement l’injustice du système qui les fait souffrir. Consciemment ou non, ils ont intériorisé le discours des dominants, selon lequel chacun est « responsable » de son sort. - «  
    • ... »éloge de la dureté« 
     - et, d’autre part :
    •   » la misère des Roms suscite moins la compassion que la peur, « 

     La seconde piste nous ramène, comme par hasard, à ce concept de compassion (= souffrir avec ) autour duquel tourne l’article proposé, et qui m’a rapidement rappelé l’ouvrage du fameux psy Christian Dejours, ainsi que la thèse qu’il défend dans »Souffrance en France« , qui se termine quasiment par ces mots :
     
     [ Celui qui veut agir rationnellement ] doit aussi être capable d’endurer la souffrance, car pour agir, il faut aussi être en mesure de supporter la passion et d’éprouver la compassion, qui sont à la source même de la faculté de penser ou, comme le dirait Hannah Arendt, de »la vie de l’esprit".

     
     ( Notons au passage que souffrance n’est pas synonyme de faiblesse ! )
     

     Pour faire court, je traduirais ainsi la thèse de Dejours, quitte à la schématiser à la hache :
     nous avons tous tendance à vouloir nier la souffrance (autant celle d’autrui que la nôtre) parce que l’idée même de cette souffrance nous fait peur : nier la réalité des injustices est alors une tentative d’écarter l’hypothèse-même que nous puissions en être un jour affectés.
     Ce qui pourrait être reformulé sous cet angle de vue : ce qui passe élogieusement pour une dureté ’méritante’ ne serait en fait qu’une fuite, une lâcheté !

     
     Un peu d’abstraction, pas nécessairement froide, pourrait sans doûte nous laisser entrevoir que l’ordre établi pour lequel nous abdiquons notre libre arbitre et notre propre entendement n’est ni une vérité divine, ni une loi de la physique : il reste artificiel et partial. Idem pour ce qui est des jugement portés sur un optimisme ou pessimisme des uns ou des autres. Si une souffrance ou une injustice existe, est-il vraiment courageux ?, optimiste ? d’arriver à ne pas la voir ? à (se) convaincre qu’elle n’est pas là ?
     Celui ou celle qui est capable d’envisager le pire serait-il ipso facto moins courageux que celles et ceux qui n’en supportent même pas l’évocation théorique ?
     Sans vouloir pour autant s’aligner sur une philosophie utilitariste, un minimum de cohérence pertinente n’est-il pas indispensable ?


  • christophe nicolas christophe nicolas 31 août 2015 15:07

    Normalement, le sentiment noble est la « charité » dont la pitié est le premier sentiment nécessaire mais très insuffisant car prise seule, elle en deviendrait anxiogène. La charité peut elle même devenir anxiogène s’il y a des causes non matérielles comme des manipulations en amont.


  • kalachnikov lermontov 31 août 2015 22:57

    @ Jordi Grau

    Concept nietzschéen de pitié ici :

    https://fr.wikipedia.org/wiki/L’Ant%C3%A9christ_%28Nietzsche%29


    • kalachnikov lermontov 1er septembre 2015 11:21

      Le lien donné précédemment est erroné. Ici, donc :

      https://fr.wikipedia.org/wiki/L’Ant%C3%A9christ_%28Nietzsche%29

      "Nietzsche analyse la place du christianisme dans l’histoire de la genèse des valeurs occidentales. Il oppose la falsification opérée par les prêtres sur le message du Christ aux système de castes des sociétés aristocratiques. Sa thèse est que, malgré la violence et la barbarie de ces dernières sociétés, ce sont elles qui permettent de parvenir à une valorisation de la culture, par un processus d’intériorisation dans lequel les anciennes hiérarchies prennent une forme spirituelle. Le christianisme, au contraire, en posant l’égalité absolue entre les hommes, interdit tout désir de distinction, et, partant, abaisse l’homme et empêche le processus de sublimation des pulsions condamnées par la morale : il tend alors à maintenir l’homme dans la barbarie. Au lieu de stimuler l’activité de l’homme, au lieu de chercher à accroître son sentiment de puissance qui pourrait trouver à se satisfaire dans l’art et la pensée, et la morale moderne (incarnée par Schopenhauer), le christianisme, en se fondant sur la pitié, met en valeur un sentiment qui entretient la misère humaine et rend l’existence humaine plus malheureuse que ce qu’elle pourrait être. C’est pourquoi Nietzsche condamne avec virulence la pitié des faibles et les valeurs fondées sur elle, parce qu’il estime que la pitié est un instrument de combat contre l’affirmation de la vie, le bonheur terrestre, et la joie d’être soi : de ce fait, la pitié est une négation de la vie".


    • Jordi Grau Jordi Grau 1er septembre 2015 14:40

      @lermontov

      Merci pour cette référence. Il serait trop long de réfuter l’antiégalitarisme de Nietzsche. Si vous avez du temps et que la question vous intéresse, je me permets de vous renvoyer immodestement à mon blog. Vous pourrez y trouver un essai que j’ai écrit pour mettre en question un certain nombre d’idées reçues concernant l’égalitarisme. Une de ces idées, c’est que le triomphe de l’égalitarisme serait une catastrophe d’un point de vue culturel et artistique. Contre cette idée, on peut faire valoir deux ou trois arguments :

      - L’égalité, ce n’est pas la même chose que l’uniformité. Deux amis peuvent être égaux, et cela ne les empêche pas d’avoir chacun sa personnalité voire, pourquoi pas, un génie créateur.
      - La domination des masses par une minorité privilégiée permet certes à cette minorité de jouir d’un temps libre qui lui permet de se consacrer à la haute culture. Cela est en tout cas vrai dans les sociétés d’ancien régime, car depuis le triomphe de la bourgeoisie, le culte du travail et la cupidité sans limites ont contaminé les élites dirigeantes. Toujours est-il qu’une petite minorité peut trouver son compte, d’un point de vue culturel, dans une société inégalitaire. Mais l’oppression dont souffre la majorité des gens n’est pas sans impact sur le niveau culturel d’une civilisation. Car tous ces gens qui n’ont pas les moyens matériels ou culturels de produire des oeuvres intellectuelles ou artistiques, qui nous dit qu’ils seraient incapables de faire de grandes choses s’ils avaient davantage de temps, d’argent et d’éducation ? Qui nous dit qu’une société vraiment égalitaire serait peuplée d’individus médiocres et incultes ? Ce pourrait être au contraire un vivier artistique et intellectuel dont nous n’avons pas idée.
      - Le désir de distinction peut très bien exister dans un groupe d’égaux. Même Nietzsche le reconnaissait : les aristocrates aiment à se mesurer à leurs égaux, et non à des gens qu’ils considèrent comme inférieurs. Une société égalitaire ne serait donc aucunement un frein à l’émulation.
      - Le désir de distinction ne joue peut-être pas un rôle si grand qu’on le croit dans la créativité (qu’elle soit artistique, philosophie, scientifique....). Il me semble qu’un grand artiste ou un grand intellectuel porte en lui un monde intérieur, et que ce n’est pas seulement pour briller, ni même pour être « puissant » qu’il se consacre à son art ou à son domaine d’étude.


  • soi même 31 août 2015 23:24

    @ l’auteur, vous posez une question importante ( Pourquoi tant de haine ? ) dommage que vous restez dans le grand ordinaire de la pense.
    Car vous posez probable la question la plus importante de notre époque .... !


    • Jordi Grau Jordi Grau 1er septembre 2015 14:41

      @soi même

      Merci pour cet éloge, aussi mitigé soit-il. Et vous-même, avez-vous une réponse un peu moins ordinaire à apporter à cette grande question ?


    • soi même 1er septembre 2015 20:51

      @Jordi Grau,il est évident quand l’on aborde certaine question qui ont une portée métaphysique, il est vivement encouragé de chercher la réponse en dehors des chemin battues.
      A vous de découvrir l’économie spirituel, si ce n’est pas une abstraction vos questionnement tous où tard vous allez trouvez la réponse dans des rencontre humaines .


  • elpepe elpepe 6 septembre 2015 13:18

    In fine, reste que la compassion est une attitude positive car elle place les deux individus a egalite, la pitie, necessite deja que celui qui la ressent soit superieur, autrement dit son aumone il peut se la carrer ou je pense
    Sinon votre article est plutot interressant, mais il aborde trop de sujets complexe sans vraiment les approfondir
    En effet les pauvres haississent les plus pauvres car ils leur renvoient leur propres images de leur decheance, et de facon contradictoire leur permettent de se valoriser, l humain est ainsi fait, bizarre ...
    Cela vient aussi que l humain ne peut discerner la decheance morale de la decheance economique, la derniere etant un simple depouillement.
    Une autre fable, ou lachete consiste a assimile le success a l intelligence, mais cela demande une intelligence extreme pour comprendre qu il n en est rien,
    Comme dirait St Ex, l essentiel est invisible pour les yeux
    Ma foi, bonne journee


    • Jordi Grau Jordi Grau 6 septembre 2015 22:51

      @elpepe

      Merci pour votre message. Il est certain que je pourrais pu davantage approfondir la question, mais mon article était déjà très long....


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