La règle et l’exception
Notre gros problème, c’est que nous avons la mémoire courte. Qui se souvient qu’il n’y a pas encore si longtemps, le repos du dimanche était la règle ? Et qui se souvient que cette règle du repos dominical qui avait seulement 111 ans avait été accordée juste pour ne pas user trop vite le salariat au turbin ?
« N’achetez pas mesdames, n’achetez pas,
Laissez-nous l’dimanche, dimanche,
Dimanche, Laissez-nous le dimanche,
Mesdames, n’achetez donc pas. »Ils sont 3 000 employés, à Bordeaux, ce 28 février 1904 à reprendre leur chanson en chœur :
« Viens la foule,Viens donc manifester,
Plutôt que d’acheter. Viens en foule,
Viens, viens dire à ce pantin,
D’fermer le dimanche matin. »Source : La reconquête du dimanche, Fakir, aout 2011
Bien sûr, toute règle a ses exceptions et, pour la plupart, elles sont pertinentes et justifiables. Ainsi, même au temps de sa gloire, le repos dominical connaissait un très grand nombre d’exceptions.
Ce qui caractérise l’exception, c’est précisément qu’elle ne soit pas la règle, c’est ce qui est hors de la règle commune, qui parait unique
. Sauf que depuis 10 ans, le repos dominical est constamment attaqué dans son principe et que d’exceptionnelles, les ouvertures du dimanche et des jours fériés sont devenues habituelles.
Nous ne doutons pas que le bulldozer législatif de l’été aura tôt fait de faire du dimanche un jour travaillé comme un autre et d’éborgner plus que sérieusement la notion même de travail de nuit ou de repos hebdomadaire !
De l’exception à l’habituel
Par principe, je ne vais pas dans la société marchande le dimanche et les jours fériés. Le problème, c’est qu’à force d’un patient travail de sape, dont notre actuel roitelet a eu sa part, la possibilité maintenant de magasiner 7/7 jours existe et que quand quelque chose est accessible, on finit toujours par avoir une bonne raison d’y aller.
Dans mon cas, c’est parce que le matelas gonflable de l’invitée avait rendu l’âme dans la nuit du samedi au dimanche.
Me voilà donc à découvrir l’hypermarché du coin un dimanche matin… bondé de monde. J’arrive à la caisse, un peu vraiment honteuse d’être là et de participer à l’exploitation de la classe laborieuse dont je fais aussi partie et je m’en ouvre à la caissière.
— Mais c’est tous les dimanches comme cela ou c’est juste parce que ce sont les vacances ?
— C’est mon premier dimanche, mais oui, pour ce que j’en sais, c’est tous les dimanches comme cela.
— Mais les gens n’ont pas assez de toute la semaine pour faire leurs courses ?
— Faut croire que non… mais en fait, c’est surtout parce qu’ils s’ennuient chez eux et qu’ils ont pris l’habitude de se retrouver ici le dimanche matin.
— Super ! Et pour les gens qui sont obligés de venir travailler aujourd’hui, qui ont des frais en plus, ce n’est pas cool du tout !
— Mais non, c’est sur la base du volontariat et puis, le dimanche, ce sont des étudiants qui tiennent la caisse, ça leur rend bien service.
Vaguement dubitative malgré cet intéressant échange, je n’informe auprès de la caissière qui doit avoir à peu près mon âge.
— C’est cool, vu comme ça… vous étudiez quoi ?
— Heu… bon, en fait, moi, ce n’est pas pareil, je viens d’arriver… alors, exceptionnellement, on m’a demandé de venir renforcer les effectifs par rapport à l’affluence…
Extension du domaine de l’exception
Ce qui est amusant, quand on y pense, c’est que pendant qu’on banalisait la consommation du dimanche, la démarche absolument inverse s’est appliquée à l’accessibilité aux services publics, pourtant autrement plus indispensables à la vie quotidienne de la population que la possibilité de pousser un caddie n’importe quand et n’importe comment.
Je ne me souviens plus très bien du moment où j’ai été informée de la première fermeture exceptionnelle d’accueil de la CAF de mon département. Entre 2012 et 2013, l’accès libre, qui était la norme, a été de plus en plus restreint et la prise de rendez-vous est devenue la règle exclusive en 2014. Bien sûr, cela a été présenté comme un progrès. Surtout grâce à la magie de la dématérialisation !
Si vous vous présentez à l’accueil sans rendez-vous, des outils en libre service restent à votre disposition : demande d’une attestation de paiement, dépôt ou retrait d’un formulaire, montant de vos prochains paiements…
Le conseiller d’accueil vous accompagne dans l’utilisation de la Borne ou du Caf.fr mais ne répond qu’aux questions générales et vous propose de prendre rendez-vous avec votre technicien conseil en cas de besoin.
Puis est arrivée la première fermeture exceptionnelle… et les suivantes.
À situation exceptionnelle, moyens exceptionnels… c’est quelque chose de facile à comprendre. Je sais que dans d’autres CAF, les fermetures exceptionnelles ont commencé bien plus tôt et qu’elles sont à présent bien plus généralisées. On comprend tout à fait qu’une brusque augmentation d’activité produit une surcharge de travail. Pour la CAF, une dégradation des conditions sociales doit logiquement produire un engorgement des dossiers.
Quand le dysfonctionnement devient habituel, c’est qu’il n’est plus accidentel, conjoncturel, mais bien structurel et délibéré.
Que penser d’un engorgement récurrent ? De la répétition des fermetures qui d’exceptionnelles deviennent habituelles ? Que la situation sociale est nettement plus dégradée qu’on pourrait le penser ? Les agents des services publics sociaux sont en première ligne et pourraient en témoigner. Mais n’est-ce pas aussi le résultat d’une politique délibérée qui est le plus grand plan social de notre pays et qui ne dit pas son nom : le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux ?
Autre mauvaise nouvelle pour la fonction publique, le non-remplacement de fonctionnaires partant à la retraite, confirmé ce mercredi par le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner. « 570.000 départs à la retraite » (dans la fonction publique) sont prévus pendant le quinquennat. « Il ne s’agit pas de faire des ratios, 1 pour 2, 1 pour 3, 1 pour 4 ou 1 pour 1(…) mais on est dans une réorganisation en profondeur de notre administration dans ses objectifs et sa façon de travailler« , a-t-il expliqué.
Source : Point d’indice, non-remplacements… et carence : les fonctionnaires, premières victimes du quinquennat ?
Les fermetures exceptionnelles des services publics engorgés par l’explosion de la demande et l’écrasement des moyens, tant humains que matériels, sont donc en passe de devenir la norme, le nouveau mode de fonctionnement normalisé. Avec de la casse à tous les étages, tant dans la population que dans les rangs des travailleurs sous la pression d’une organisation du travail qui ne vise plus que les économies de moyens et leur transfert vers les centres de profit, sans aucune considération pour la casse collatérale.