mercredi 8 février 2012 - par IanO

Le sous-prolétariat de l’ombre

Imaginez au coeur de notre pays, des hommes et des femmes qui travaillent. Leur salaire minimum horaire est égal à moins de 50% du SMIC de l'année N-1. Ca, c'est pour les plus chanceux, celles et ceux qui ont un salaire fixe, car beaucoup sont uniquement rémunérés "à la pièce". Ces hommes et ces femmes n'ont de congés payés, pas d'assurance chômage, pas d'indemnités maladie ou accident du travail, pas de cotisations retraite. Ils sont souvent payés encore moins que la norme officielle, ont souvent des horaires variables, n'ont pas de contrats de travail avec l'entreprise qui les exploite ainsi. Pour expliquer cela, il faut dire qu'ils n'ont ni le droit de grève, ni de droits syndicaux. Il ne s'agit pas d'une uchronie, pas du dernier rêve de Parisot, ni de clandestins victimes de réseaux illégaux. Ces hommes et femmes, sur tout le territoire français, travaillent dans ces conditions parfaitement légalement, pour des entreprises qui vantent même leur profil social. Il s'agit de prisonniers et prisonnières.

Aujourd'hui, une séance un peu spéciale des prud'hommes devait se tenir (finalement renvoyée au 12 septembre). Une détenue a osé utiliser les outils à la disposition des citoyens français et porter plainte pour licenciement abusif auprès de MKT, l'entreprise pour laquelle elle travaillait en prison. Ces chances de gagner sont très faible, tant les droits du travail ne s'appliquent pas aux taulards (les avocats de la détenue tenteront de faire jouer le fait qu'il existait concrètement les 3 éléments matériels nécessaires à une relation salariale à savoir la prestation de travail, la rémunération et le lien de subordination juridique, ce qui justifierait une qualification tacite en CDI), mais cette affaire aura au moins l'avantage de mettre un peu en lumière une réalité méconnue, et, surtout, elle montre qu'on peut être au placard, déshumanisé, privé de ses droits, et malgré tout garder la tête haute et se battre. Un message important pour tous les taulards mais aussi pour toutes celles et tout ceux qu'on essaye de priver de moyens de défense (sans-papiers, intérimaires, précaires, femmes de chambre) mais qui malgré tout mènent de nombreuses luttes ces temps-ci.

Pour se donner une idée des conditions de travail en prison, on peut lire un rapport de visite à la maison d'arrêt de Versailles (p 24 à 28 sur le travail). Intéressant également (atterrant serait peut-être un mot plus juste), ce texte du blog ban public et celui-ci tirés d'un autre blog nous en apprennent beaucoup sur le monde où le droit du travail n'existe pas.

Le travail des détenus n'est qu'une des illustrations du travail de déshumanisation des prisonniers et prisonnières. On ne peut pas se contenter de réclamer l'application du droit du travail en prison, puis laisser ces êtres humains à leurs conditions de non-citoyens. Cependant, c'est une question primordiale. Travailler dans des conditions décentes permettrait une amélioration nécessaire des conditions matérielles et morales de détention. Surtout, cela redonnerait un statut de travailleurs à ces êtres humains, les redonnerait leur légitime appartenance à la classe ouvrière, leur redonnerait des outils pour se battre. Car une des données du problèmes est là. La déshumanisation des taulards (surtout des longues peines) à en grande partie eut raison des luttes des prisonniers de droits communs (les politiques, de par leur appartenance à une mouvance extérieure, les combats auxquels ils participaient déjà antérieurement, les liens et soutiens organisés qu'ils gardent, seraient à traiter à part). Celles-ci sont aujourd'hui rares et d'autant plus invisibilisées, que le mouvement ouvrier organisé les ignore généralement superbement, entrant ainsi dans le jeu du pouvoir. La lutte pour l'application du droit du travail en cabane permettrait également de concerner les travailleurs et travailleuses dits libres qui subissent de fait une pression sur leurs conditions de travail du même ordre que le chantage à la délocalisation (de l'aveu même de l'entreprise MKT sur leur site internet, "la production au sein des établissements pénitentiaires apporte une solution très concurrentielle par rapport aux deux autres modes de production traditionnels" comprendre les plateformes en France et celles délocalisées). L'auteur Gonzague Rambaud parle d'ailleurs de délocalisation sur place.

L'émancipation des prisonniers viendra des prisonniers eux-mêmes, c'est sûr. Mais quand on est au ballon, c'est pas simple de se battre, on a plus de droits, plus même le sacro-saint droit à la liberté d'expression. D'où l'importance de relayer leurs combats pour la dignité humaine depuis l'extérieur.

Les organisations politiques doivent se saisir de la question des taulards, utiliser la présidentielle pour la médiatiser, s'en faire l'écho dans leur presse, organiser des conférences, des expos sur le sujet. Les syndicats doivent prendre en compte ces milliers de travailleurs (en 2008, ils étaient plus de 16000) dans leur activité qui n'est pas censée exclure de catégories de travailleurs, il faut multiplier les modalités d'alerte, les manifestations et parloirs sauvages (sous les fenêtres des prisons), leur montrer que dans leurs cages, ils ne sont pas seuls, que s'ils se battent ils ne seront pas seuls.

Je l'ai dit, une des principales atrocités à l'encontre des taulards concerne la liberté d'expression, il est plus facile pour le système de faire comme si ces personnes qu'on enferme n'existaient plus, de nier cette zone de non-droits et quand on t'apprend pendant des années à fermer ta gueule, tu gardes le pli, sans compter que la prison est considérée comme honteuse pour les détenus et proche de détenus (mais pas pour ceux qui créent et gèrent ces prisons !) ce qui fait que beaucoup d'anciens détenus ou de proches continuent à se taire. D'où l'importance pour ceux qui sont dehors d'aider à propager la parole des enchristés et de leurs proches, voici quelques adresses sur la toile qui y participent :

- le journal l'envolée, journal anticarcéral.

- un forum pour familles et amis de prisonniers

-sur prisons 2 France : témoignages d'anciens détenus.

- Nous Femmes de Détenus (NFD) : témoignages de détenus et ex-détenus.

- sur ban public : nombreux témoignages

- NFD, le forum

- prison.free (ce n'est pas une blague) publie aussi pas mal de témoignages.



8 réactions


  • Ronald Thatcher rienafoutiste 8 février 2012 15:00

    ça s’appel payer sa dette à la société !


    • Traroth Traroth 9 février 2012 11:07

      On pourrait même dire « payer sa dette à la Société Anonyme », en fait.

      Il est totalement injuste de laisser des entreprises faire leur beurre de cette manière sur le dos des prisonniers. Si vraiment on estime qu’il est nécessaire de punir les prisonniers en les sous-payant (ce que je désapprouve. La punition, c’est l’emprisonnement, pas l’exploitation ou la torture ou je ne sais quoi. Le cadre légal est en principe parfaitement fixé. On exploite simplement un vide juridique, là), qu’on oblige les entreprises à payer malgré tout l’équivalent des charges sociales et sur SMIC, et qu’on verse la différence aux caisses et à l’état. Au nom de quoi ces entreprises font-elles ces bénéfices ?

      Même si vous n’avez pas de compassion pour les prisonniers, vous ne vous rendez pas compte que ce type d’emploi met une pression énorme sur les salariés français ?


  • ce SOUS-PROLETARIAT EXISTE MEME DANS LA FONCTION PUBLIQUE jusqu a 30% dans certaines administrations.............
    les femmes en sont souvent les victimes....temps pariTel non voulu...dans LES hypermarchés c’est encore plus flagrant....ELLES MANGENT UNE POMME A MIDI DANS LA VOITURE POUR ACHETER DU PAIN OU DES NOUILLES A LEURS...ENFANTS...allez donc faire vos courses aux hard discount...riches elus....

    notre bouffon-président parle du modèle allemand qu’i lne connait pas comme il ne connait pas les problèmes du peuple francais...LE BLING BLING ce n’est pas la vie des sous-proletaires

    ou des sous-chomeurs.ou des femmes isolées élevant des gosses

    CE NE SONT PAS LES GOURDES COMME BACHELOT...PECRESSE..NORA BERRA...MORANO QUI DEFENDRONT LE SOUS-PROLETARIAT FEMININ
    ont elles une seule fois mis les pieds dans un hard discount CES MEGERES...,,,, ????


  • PascalR 9 février 2012 10:44

    En France, ce qu’il y a de curieux, c’est l’énergie que mettent certains à défendre les « taulards », le bien connu culte du voyou très prisé dans notre beau pays, et le peu de compassion exprimée à l’égard de leurs victimes.
    Les morts, les violés, les traumatisés, les déglingués, les paralysés, les déprimés, bref les victimes, on s’en tapent.
    Du grand n’importe quoi !!


    • Traroth Traroth 9 février 2012 11:09

      Quel rapport avec l’article ? La punition prévue par la loi, c’est l’emprisonnement, pas l’engraissage d’entreprises privées. Vous vous rendez compte du mal que fait ce type d’emploi aux luttes des salariés ?


  • RougeVif 9 février 2012 11:01

    Merci à l’auteur pour cet article.

    @PascalR : vous n’avez décidément rien compris. Cet article parle moins de la défense des « taulards » que de l’exploitation qu’en font certaines entreprises, mais ce niveau de lecture vous a apparemment échappé. Je rajouterai que l’on peut faire de la prison pour avoir vendu du canabis (moins dangereux que l’alcool qui est légal selon les époques) ou alors avoir été pris à 180km/h sur une autoroute déserte à 4 voies dégagée en plein jour et en ligne droite avec une voiture fabriquée pour les dépasser largement. J’espère que vous prenez les transports en communs.


  • Annie 9 février 2012 12:07

    Je conseillerai de lire le rapport de visite. Bien qu’il ne porte qu’en partie sur le travail et les conditions de travail des détenus, il donne une bonne idée des conditions de détention, de la vétusté des locaux, des privilèges accordés à certains et pas à d’autres, des prévenus incarcérés avec des condamnés, ou de mineures dans le cas présent partageant la cellule d’une « terroriste ». Le diable est dans les détails.
    Concernant le travail, c’est effectivement non seulement un scandale mais aussi contre-productif de faire travailler par exemple des détenues pendant 3 mois pour 50 euros. Leur punition est la privation de liberté, pas leur exploitation, mais ce qui est choquant est que finalement l’enseignement qu’elles peuvent tirer de cette situation est que l’état peut impunément enfreindre ses propres lois. Peut-être pas le meilleur enseignement que l’on peut dispenser à des détenus.


Réagir