Plan « Espoir banlieue », l’aveu des échecs
Le 8 février, N. Sarkozy a annoncé les principales mesures de son Plan banlieue, celui-ci était attendu comme une action majeure de son quinquennat. Le décryptage des propositions inquiète, par la vision des enjeux urbains qu’elles révèlent comme par l’incertitude sur les moyens mis en oeuvre. Par ailleurs, en creux, peut s’y lire le catalogue des échecs des actions précédemment entreprises, en particulier, celles de l’ancien ministre de l’Intérieur.
Il s’y était engagé, il l’a fait, Nicolas Sarkozy a annoncé en grande pompe, le 8 février, le lancement d’un plan banlieue, qualifié de plan « Espoir banlieue ». Afin de bien montrer l’importance du sujet, il en fait un « enjeu de civilisation ». Doit-on comprendre qu’il s’agit de civiliser les barbares qui vivent en banlieue, le terme de banlieue n’incluant pas bien évidemment les communes aisées qui font aussi partie intégrante de la banlieue au sens géographique, soit tout ce qui n’est pas dans la ville-centre.
Attardons-nous sur la philosophie de ces propositions, en n’abordant pas celles portant sur les aspects scolaires qui mériteraient des analyses spécifiques. Certaines renvoient à la classique rhétorique sécuritaire : « Je veux une France qui soit juste, une France qui protège les honnêtes gens, une France qui soit plus sévère vis-à-vis de celui dont la seule idée est d’empoisonner la vie des autres et d’abord celle des habitants du quartier » ou plus loin « nous allons mettre fin à la loi des bandes, à la loi du silence, à la loi des trafics, en donnant une nouvelle impulsion aux Groupes d’intervention régionaux (GIR) ». Ceux qui pensaient que « l’efficace » ministre de l’Intérieur du mandat J. Chirac était parvenu à régler ces problèmes se retrouveront surpris d’apprendre qu’il n’en est rien.
D’autres propositions mettent l’accent sur l’accès à la propriété : « Je voudrais en finir avec ce postulat idéologique énonçant que le logement social doit être locatif, comme si on ne pouvait pas avoir des revenus modestes et devenir propriétaires », puis « On ne mesure pas le coût, dû en partie au fait que les habitants des quartiers, notamment les plus jeunes, ne s’approprient pas leur logement ». Posture classique : l’idéologie de la droite en matière de logement l’incite à penser que locatif social rime avec assistanat (vice congénital imputé à la gauche) quand accès à la propriété conduit à la responsabilité (et donc mécaniquement à enraciner le vote à droite). L’accès à la propriété limiterait donc les risques de voir s’enclencher un processus de dégradation. Or, les choses ne sont pas si simples. Que l’on sache, les quartiers des Bosquets à Montfermeil ou de la Forestière à Clichy-sous-Bois, souvent présentés comme emblématiques des difficultés des banlieues, sont des copropriétés et non des quartiers de locatif social. Par ailleurs, le problème central des jeunes est bien souvent de pouvoir décohabiter, c’est-à-dire d’avoir la chance d’obtenir un logement. La question du logement passe en l’occurrence bien avant celle du statut d’occupation. Quant à la solvabilité des ménages populaires lors de l’accès à la propriété, osons espérer que le président n’envisage pas des mécanismes similaires à ceux mis en place dans le contexte des Etats-Unis et ayant débouché sur la crise des subprimes...
L’attention portée au tissu associatif est louable : « L’Etat réglera les petites dépenses en quarante-huit heures avec un simple chéquier ». Mieux vaudrait toutefois ne pas s’interroger sur les mesures prises entre 2002 et 2007 qui ont conduit à l’extrême fragilisation de ces associations, à la suppression des soutiens, alors qu’elles constituent une strate d’acteurs intermédiaires indispensable à une structuration sociale. Il n’est que d’observer le fonctionnement des territoires où le vide associatif laisse démunis les ménages face aux difficultés qu’ils rencontrent. Prendre en considération les attentes des résidents de ces quartiers, les considérer comme des acteurs à part entière, voilà qui serait une véritable rupture dans l’approche traditionnelle des élites françaises.
Le président a affirmé la volonté que l’Etat se réinvestisse dans ces territoires, habituelle rhétorique de tous les plans de ce type. Que penser toutefois de la volonté de « création de deux cents unités territoriales de quartier en trois ans » ? De la part de celui qui a tué dans l’œuf les espoirs suscités par la « police de proximité », en lui supprimant les moyens et en humiliant ceux qui en avaient assumé la responsabilité (voir l’emblématique discours de Toulouse le 4 février 2003) ceci sonnerait-il comme la reconnaissance de l’échec du tout répressif ?
Dans de nombreux domaines, ce Plan ne constitue donc que la réaffirmation des traditionnelles politiques de droite, pimentées de quelques propositions de gauche. Le tout pâtit de multiples faiblesses.
Outre l’inquiétude sur les moyens humains et financiers qu’un Etat prétendument « en faillite » sera capable d’allouer à un tel plan, se pose la question de la mobilisation des acteurs territoriaux, en particulier les communes, qui sont les plus adaptées à piloter les initiatives sur les territoires qu’elles gèrent. À cela s’ajoute la faiblesse de la réflexion sur les dynamiques du système urbain. Les territoires sur lesquels vont se concentrer les efforts ne sont pas des îles dissociées du tissu urbain voisin. Les interactions sont multiples et semblent ignorées. En cela, il est difficile de donner tort à la ministre du Logement, C. Boutin qui a indiqué le 14 janvier : « Je ne crois pas en un plan banlieue, mais en une autre politique de la ville ».
La question des transports est déterminante, les « quartiers de la relégation » sont le plus souvent des quartiers mal desservis, le constat n’est pas neuf. Mais, dans ce domaine, qui dispose des compétences et des moyens pour agir ? Si la communauté d’agglomération constitue l’échelon le plus pertinent, dans le cas particulier de l’Île-de-France, seule la région peut donner une cohérence, en hiérarchisant les priorités et en mobilisant les programmes d’investissement qui leur seront liés. Le plan « Espoir banlieue » n’intègre pas cette dimension.
Dans le cas de l’habitat social, certains de ces territoires souffrent d’un désinvestissement patent des bailleurs. Comment vivre dignement quand les halls d’immeuble sont systématiquement squattés, quand les gardiens ne peuvent se maintenir sur place, quand l’entretien minimal n’est pas assuré. N. Sarkozy quand il était ministre de l’Intérieur s’était attaqué à ces questions en pénalisant le squat des lieux de passage. Attitude caractéristique : s’attaquer aux conséquences, mais non aux causes qui les génèrent. Peut-on disposer d’un bilan sur cette politique répressive ou s’agit-il d’un sujet tabou ? Face à ces différents problèmes, l’une des réponses envisageables consisterait à établir des cahiers des charges beaucoup plus stricts avec les bailleurs afin de les inciter à agir quand il est encore temps et non quand la dégradation a atteint un stade irréversible.
Va-t-on mettre en place une véritable péréquation entre communes riches et communes pauvres comme avait commencé à le faire M. Rocard en 1991 ? F. Amara y semble favorable : « Toutes mes propositions n’ont de sens que si l’on engage une réforme de la fiscalité locale, vers davantage de solidarité partagée », disait-elle le 22 janvier. Ce sujet est éminemment sensible en particulier dans la région Île-de-France où les écarts sont les plus criants. Que des communes ou plutôt des communautés de communes ou d’agglomération bénéficient, comme le leur permet la loi Chevènement de 1999, d’un retour sur investissement conséquent lorsqu’elles ont fait des efforts pour attirer des entreprises cela s’entend, mais que dire des communes bénéficiant d’une considérable rente de situation sans avoir mis en place la moindre initiative dans ce sens. Puteaux ou Courbevoie peuvent se targuer de ne quasiment pas faire payer d’impôts à leurs résidents, ceci n’est pas le fruit de leurs compétences budgétaires, mais de la manne que reverse le quartier de la Défense. Que l’on sache, jamais le président du Conseil général des Hauts-de-Seine que fut N. Sarkozy ne s’est offusqué de cette situation.
Le leitmotiv du taux de propriétaires à augmenter sur les communes populaires renvoie à la question qui fâche, celle du nécessaire renforcement de la loi SRU du 13 décembre 2000 imposant le renforcement du nombre de logements sociaux sur les communes déficitaires. Loi que l’actuelle majorité continue à détester sans être parvenue, malgré ses multiples tentatives, à complètement la vider de sens. Rappelons la tentative du maire de Rueil, P. Ollier, ayant conduit l’abbé Pierre le 24 janvier 2006, lors de l’une de ses dernières interventions publiques à venir à l’Assemblée nationale faire part de sa totale désapprobation.
Le président adore les indicateurs et prétend vouloir être jugé sur ses résultats. Interrogeons-nous sur les critères qui pourraient être pertinents et déboucher à moyen terme sur une évaluation « objective » des effets de sa politique et par voie de conséquence par une notation de celui qui en fut l’instigateur ; plusieurs peuvent être proposés : taux de ménages non imposés sur les communes (en tendance et en comparaison à d’autres territoires), écarts fiscaux entre les communes les plus riches et les plus pauvres, profil social des ménages entrant et sortant de la commune, images des territoires à réaliser par une grande enquête sur la perception des lieux, enquête de satisfaction à réaliser auprès des maires de ces communes, des acteurs de la vie associative, des ménages y résidant. Les méthodologies permettant d’aborder ces thématiques ne sont pas particulièrement complexes à mettre en œuvre, les sociologues comme les géographes les appliquent fréquemment.
Au final, le plan de N. Sarkozy pour les banlieues pourrait ainsi être résumé : des mots, usant et abusant de la référence à Marshall, qui ne peuvent effacer les maux ; des gesticulations qui masquent l’incapacité à inscrire une politique dans la durée ; une vision cloisonnée et non systémique des enjeux. En attendant le prochain...