Préfecture illogique : injustice violente durant une manifestation pacifique
Un kiss-in reporté, qui devait finalement avoir lieu ce mardi 18 mai, coulé par un mouvement extrémiste. Une incohérence entre les positions antérieures de la préfecture et les ordres finalement reçus par les CRS. Que s’est-il passé ce soir là ?

Si nos élus et représentants divers cessaient leur hypocrisie, au moins, j’aurais été moins surprise d’avoir reçu du gaz lacrymogène dans les yeux et la gorge ce soir ; moins surprise d’être bousculée par un CRS faisant deux fois mon poids, matraque en avant ; moins surprise d’être saluée de la même manière qu’on saluait Adolf Hitler par une petite foule tenace.
À Lyon, le samedi 15 mai, aurait dû avoir lieu un kiss-in. Il s’agit d’une manifestation pacifique : le principe est que des personnes se rassemblent, s’échangent de simples baisers durant 2 minutes environ, puis repartent. Seulement ce kiss-in a subi un traitement un peu spécial : il est organisé par des LGBT, comprendre : lesbiennes, gays, bisexuel-le-s, transexue-le-s.
À l’idée que de tels "déviants" manifesteraient leur amour en publique durant deux minutes, les groupuscules d’extrême droite, Bruno Gollnish en tête, ont foncé sur la préfecture pour obtenir l’annulation de cet évènement. Les catholiques intégristes étaient fermement ancrés à ce mouvement. En effet la place St Jean se trouve face à une cathédrale et des sites d’orientations catholiques appelaient tout bonnement à la "défense" de la cathédrale qu’il n’a jamais été question d’attaquer.
Tant et si bien que le kiss-in du 15 mai fut annulé sous le motif "délai de prévention trop court - raison de sécurité". Pourtant jusqu’au dernier moment cela ne semblait pas poser problème. Les associations se sont alors mobilisées pour fixer une date officielle, trois bonnes journées en avance comme le veut la loi. Ce fut décidé pour ce soir du 19 mai 2010, à 19h30.
Une certaine aigreur a été soulevée par les réactions vives en défaveur de ce kiss-in. Les LGBT ont alors été appelés à faire un départ de la place Bellecour pour défiler brièvement jusqu’à la place St Jean, ce qui représente 20 minutes de marche dont une bonne partie en zone piétonne. Le tout, organisé par avance, était encadré par des policiers qui assuraient les bonnes conditions de circulation et la sécurité.
En parallèle, les catholiques intégristes avaient préparé leur riposte face à l’insistance des groupes LGBT pour réaliser le kiss-in. Une demande de contre-manifestation a été déposée à la préfecture, qu’ils se sont vu refuser. Je me souviens qu’à l’annulation du kiss-in du 15 mai, l’invitation la plus vive a été faite de ne pas insister et d’éviter tout rassemblement ce soir là pour les LGBT. En revanche, la réaction des catholiques intégristes et des groupes d’extrême droite a été bien différente ! Appel a été lancé à défendre la cathédrale et à parer à cette manifestation qu’ils ont considérée exhibitionniste et extrémiste.
Pourtant, en arrivant place St Jean, ces hors-la-loi avaient bien établi leurs positions, banderole "non à la cathophobie" à l’appui et crucifix brandis, le tout en plein milieu de la place. Le cortège d’homo’, bi’ et trans’ était lui freiné dès les abords de la place par un cordon de CRS. Incompréhension dans les rangs. Les échanges de slogans commencent à fuser. Une heure passe... Pendant ce temps, le Pink Block du groupe renforce sa provocation par des slogans et chansons et les premiers saluts hitlériens et doigts d’honneur (quelle ironie...) surgissent en face. Fugace victoire côté gay : quelques-uns se sont glissés et sont parvenus à grimper sur une statue pour y déployer un rainbow-flag.
Le groupe de LGBT fait progressivement le tour d’un immeuble pour gagner une autre entrée de la place qui semble moins fermement protégée, mais aussi plus propice à la fuite en cas de charge. L’ambiance commence à ressembler à celle d’une cours de récréation dans la forme des échanges de slogans et provocations, mais une cours de récréation où l’on parlerait de religion et de liberté sexuelle en même temps. Une bonne partie des catholiques présent s’agenouille alors et se met à prier et chanter. Une autre partie continu les gestes obscènes ou provoquant, le fameux « nous sommes tous des enfants d’hétéros » et même un cri d’un ridicule achevé « vous avez le SIDA ! ». Ma pancarte en main, je commence à piétiner. Je suis venue pour un kiss-in, par pour un dialogue de sourds. Face à moi, un CRS très jeune. Certains de ses collègues, au vu du caractère humoristique des slogans et provocations, ont déjà cessé de renoncer à rire. Je plaisante sur la qualité de ses protège-tibia (je suis boxeuse à mes heures perdues) pour qu’il se détende. Une bonne partie des CRS présents face à nous semble désemparée face à cette situation bancale.
En effet, qui dit CRS dit préfecture. Or, officiellement et par avance, la préfecture a bien autorisé le kiss-in qui bientôt 2 heures après n’a toujours pas pu avoir lieu. Et elle a bel et bien interdit la contre-manifestation extrémiste et intégriste. Pourtant, au moment M, les voici sommés de tenir les LGBT à distance et de laisser les contre-manifestants en place. Incohérence...
Au bout de deux heures et demi de face à face, de maigres tentatives de kiss-in ont eu lieu sans grand succès : l’ambiance est bien trop tendue pour cela. En revanche, la préfecture semble avoir enfin pris sa décision. Un CRS apparaît, équipée d’un mégaphone, et annonce sobrement « le rassemblement est terminé » à la foule LGBT. Parmi elle, c’est l’incompréhension et un sentiment d’injustice croissant. Beaucoup crient, appellent, exigent des explications. Grave erreur, on ne demande pas des explication à un CRS : Tayo ! Voici que le cordon censé assurer notre sécurité nous fonce dessus, la matraque en travers brandie au niveau de nos flancs pour mieux nous pousser. La foule recule, beaucoup sont bousculés et tombent. Discrètement, un CRS glisse un coup de pied. Nous sommes tous en train de battre en retraite quand un invité surprise arrive : un picotement attaque mon nez, puis me brûle la gorge. Mes voies respiratoires sont brûlantes quand mes yeux commencent à couler : des bombes lacrymogènes ont été lâchées.
En face, peu après, le même sort a été réservé aux contre-manifestants. Plus tard, en rentrant chez nous avec des amis, nous croisons une bonne sœur qui se frotte les yeux et l’abordons. Nous lui expliquons qu’elle doit éviter de frotter et lui offrons une capsule de sérum physiologique. Les plus habitués aux manifestations en ont toujours sur eux. Elle nous pose alors une question qui nous cloue sur place : « Ah, vous en venez vous aussi... Mais... vous étiez avec les méchants ou avec les gentils ? » Tant de manichéisme ne pouvant être qu’une plaisanterie, nous la faisons répéter, reformuler, rien à faire. C’est donc cela un mouvement extrémiste, tout est noir ou blanc, rien d’autre n’existe. Dans un tel système, quelle place reste-t-il à la tolérance et au respect ? Ce n’est pas ce qu’on m’a appris en catéchèse, un tel comportement... Dans mon souvenir, Jésus ne crache pas sur Zachée, il lui parle en privé pour le comprendre, de même avec « la pécheresse ».
La place St Jean est vidée. Le kiss-in autorisé n’a pas eu lieu. La contre-manifestation non-autorisée a duré 2 heures.