Découverte d’un mammifère fossile de type loutre remontant au Jurassique
Présentée ainsi, cette découverte semble n’être qu’une lubie de spécialiste. Pourtant, même pour le grand public, ce nouveau fossile de mammifères est riche d’enseignements.
Comme plus
personne ou presque ne l’ignore depuis le film de Spielberg, le Jurassique est
l’époque du milieu de l’ère secondaire, ou Mésozoïque, qui fut marquée par
l’explosion évolutive des dinosaures. Leur âge d’or devait se poursuivre durant
la très longue période suivante, le Crétacé, pour se terminer dans la brutalité
cosmique -la thèse de la météorite tueuse étant la plus en vogue actuellement-
que tout le monde sait. Toujours dans l’imagerie populaire, la période suivante
est celle de l’essor des mammifères, libérés du joug des « brutes
stupides » qu’auraient été les dinosaures.
Ce
scénario, hérité du XIXe siècle, où la chasse aux dinosaures sensationnels
devint subitement une attraction de premier plan en Europe et en Amérique du
Nord, est en réalité faux.
Faux, car
la lignée des mammifères avait commencé à se diversifier bien avant celle des
dinosaures, à partir de la fin du Paléozoïque (Primaire). Elle connut un coup
d’arrêt brutal à la fin de celui-ci, au Permien, qui se conclut par une
extinction de masse bien plus sévère que celle de la fin du Crétacé. Surmontant
ce coup d’arrêt brutal, la lignée mammalienne recommença à se diversifier au Trias
(début du Mésozoïque), avant d’être concurrencée à la fin de cette période par
celle des archosauriens (« reptiles dominants »), dont les
représentants les plus célèbres sont les crocodiles, les dinosaures et les
oiseaux.
Donc, les
mammifères ne sont pas le couronnement de la création remplaçant les
dinosaures. « Partis » bien avant ces derniers, ils furent éclipsés durant
le Jurassique et le Crétacé. Mais cette éclipse fut toute relative, comme le
prouvent de nombreuses découvertes, dont celle de cette espèce de loutre jurassique,
Castorocauda lutrasimilis (« queue de castor semblable à la
loutre »).
Par sa
taille d’environ un demi-mètre et sa spécialisation, Castorocauda prouve que
les mammifères du Jurassique étaient loin de n’être que les minuscules sortes
de musaraignes ne sortant que de nuit pour échapper aux terribles dinosaures.
Du reste, un fossile du Crétacé, Repenomamus giganticus, qui atteignait un
mètre de long, prouve que les mammifères pouvaient même se comporter en
prédateurs de petits ou jeunes dinosaures
Tout ceci
pour dire que même durant l’ère dite des dinosaures, même s’ils n’avaient pas
développé de formes géantes, les mammifères étaient abondants et diversifiés,
peut-être même plus que leurs contemporains dinosauriens. Par la facilité de
fossilisation de leurs gigantesques os, ces derniers ont focalisé toute
l’attention depuis le XIXe siècle, au point d’accréditer l’image d’une
domination massive des dinosaures. En réalité, il y eut partage de l’espace
vital, analogue à celui qu’on observe de nos jours au sein même des
mammifères : aux ongulés (les mammifères à sabots tels que bœufs, chevaux,
éléphants, etc., auxquels s’ajoutent les baleines) les formes de grande taille, et
aux onguiculés (un terme tombé en désuétude, qui regroupait notamment primates,
chauves-souris, rongeurs, carnivores...) une grande part du reste.
Bref, les
mammifères ne sont pas le dernier ni le plus jeune groupe de vertébrés, poussés
par une supposée supériorité évolutive ou quelque « dessein
intelligent » pour remplacer toute une kyrielle de « brutes épaisses »,
mais sont une lignée évolutive déjà très ancienne. Tout comme celle, plus
jeune, des dinosaures et des oiseaux, elle a connu des aléas, qu’elle a
surmontés grâce à la persistance de formes dites généralistes, bonnes à tout et
à rien en période d’abondance, mais adéquates pour surmonter les périodes de
crise telles que celle de la fin du Crétacé. En conséquence, si l’homme
disparaissait pour cause de déséquilibre excessif du milieu (réchauffement
climatique, au hasard), il entraînerait certainement avec lui tous les grands
mammifères et oiseaux, mais le renouveau viendrait sans doute de petites
espèces opportunistes de type rat ou musaraigne. Et comme au début du
Cénozoïque (Tertiaire), il ne faudrait que quelques millions d’années pour que
ressurgissent des formes variées ou de grande taille, adaptées à différents
milieux. Mais ce serait sans nous, ce qui serait dommage.