lundi 16 mars 2009 - par Philippe Aigrain

Le futur de la contribution créative

La contribution créative consiste à autoriser les échanges hors marché d’oeuvres numériques entre individus en mettant en place une contribution forfaitaire de tous les abonnés à Internet haut-débit pour rémunérer et financer la création. J’ai analysé de divers points de vue les motivations et les possibilités de la contribution créative (qui n’avait pas encore de nom) dans mon ouvrage Internet & Création. La contribution créative peut être mise en place de diverses façons, par des licences collectives étendues ou des mécanismes législatifs, pour tous les médias ou pour une partie. L’essentiel est qu’elle donne effectivement des droits aux individus de partager entre eux les œuvres culturelles numériques et que son produit soit réparti en liaison avec les usages sur internet (pour la partie rémunération) et en mobilisant les créateurs, les internautes et ceux qui font vivre l’environnement de la création. Mes propositions de montant de la contribution (à débattre) sont de 5 à 7 € pour l’ensemble des médias et 1,5 à 2 € pour la seule musique.

Le groupe socialiste de l’assemblée nationale a déposé un amendement instituant la contribution créative pour la musique, laissant 9 mois aux acteurs du domaine pour un accord sur un mécanisme de licence collective étendue, la loi la mettant en place si un accord n’est pas trouvé dans ce délai. La contribution créative a occupé une part significative des débats de la première et surtout de la deuxième séance du jeudi 12 mars 2009 lors des débats en cours sur la loi HADOPI. L’amendement n’a pas été adopté, la majorité UMP et l’UDC ayant voté contre. En plus des socialistes et divers gauche, Martine Billard l’a défendu pour le groupe Verts-Communistes.

Juste après ce vote, Patrick Bloche a donné rendez-vous à la Ministre de la Culture dans trois ans lorsque l’assemblée sera réunie pour adopter la contribution créative. Je ne sais pas si ce sera à ce moment précis, mais je suis persuadé que la contribution créative n’attendra pas 3 ans pour continuer son chemin dans le débat public. Il va falloir dans les mois et années qui viennent :

  • que des études soient conduites pour détailler plus avant les analyses déjà effectuées,
  • que le sujet soit porté dans les échéances électorales, notamment européennes,
  • que le sujet soit porté au Parlement européen et vis-à-vis de la Commission européenne, pour que le cadre juridique s’ouvre plus encore qu’il ne l’est à la mise en place d’un tel dispositif et pour que les actions incitatives l’incluent comme une option prometteuse (oh combien plus que l’éternelle guerre au partage).

 

	 	


5 réactions


  • Patrick FERNER 16 mars 2009 16:12

    La contribution créative connue aussi sous le nom de licence globale est la seule voie réaliste pour rémunérer et financer la création sur internet. Au lieu de cela, on s’apprête à voter une loi dont au moins trois de ses dispositions sont anticonstitutionnelles :

    1. La présomption d’innocence est bafouée, violant l’article 9 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : "Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi".

    2.Il y a violation de la correspondance selon l’article 8 du préambule de la Constitution de 1946, repris par celle de 1958 : " Le secret de toute correspondance est inviolable. Il ne peut y être porté atteinte qu’en vertu de la loi SUR UNE DÉCISION SPÉCIALE ÉMANANT DE L’AUTORITÉ JUDICIAIRE. Or, on veut faire appliquer des sanctions par un organisme administratif, l’Hadopi, qui empiète ainsi sur le domaine judiciaire, sur la base de flics privés, stipendiés par les éditeurs, ce qui nous conduit au troisième point, le principe d’égalité devant la loi.

    3 Selon l’article premier du préambule cité plus haut, "Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux devant la loi". Or il apparaît à l’évidence que ce projet de loi, dans son esprit comme dans sa rédaction, ne sert que des intérêts corporatistes et bafoue le principe d’égalité devant la loi.

    Il va y avoir du sport car la commission européenne suit l’affaire de près, d’autant plus que ce projet de loi violerait les principes de libre concurrence. Et si ces dispositions que je viens d’évoquer étaient votées in fine, est-ce que le PS exercerait un recours devant le Conseil Constitutionnel, partagé entre ses nombreuses accointances dans le showbiz et le cinéma, et la nécessité de ne pas s’aliéner des électeurs à l’occasion des prochaines élections européennes ? A suivre...


  • yvesduc 17 mars 2009 09:36

    En désespoir de cause, à défaut de parvenir à faire payer les consommateurs, je ne suis pas défavorable à cette proposition en raison de son montant modéré et malgré qu’elle consiste à faire payer le non-consommateur. J’imagine par contre que les sites payants aujourd’hui resteront payants ? (iTunes par exemple)


    • Philippe Aigrain Philippe Aigrain 17 mars 2009 09:51

      Je ne crois que la proposition conduise "à faire payer le non-consommateur". Si le partage d’oeuvres numériques hors marché est reconnu comme une activité légitime, je doute qu’il y ait des internautes qui n’en bénéficient pas, fut-ce indirectement. Il ne faut pas, à mon sens, projeter sur la nouvelle situation le discours actuel du "téléchargement illégal" et l’argument qui va avec du "vous allez faire payer ceux qui ne téléchargent pas" : ce n’est pas de téléchargement qu’il s’agit, mais bien de partage et d’échanges entre internautes. Enfin, c’est un détail de vocabulaire, mais je ne crois pas qu’il faille considérer une activité hors marché comme relevant de la consommation. Je préfère parler d’usage dans ce cas.


    • yvesduc 17 mars 2009 22:00

      Merci pour votre réponse. Néanmoins, s’il ne s’agissait que de « partage et d’échanges entre internautes », comme lorsqu’on prêtait hier un CD à un ami, ce serait différent. Le « partage » a pris de telles proportions qu’il transforme les disques durs des « internautes » en alternative aux magasins et aux échanges commerciaux. Et notez que le prêt prive (temporairement) le propriétaire de son bien ; pas la duplication. Mais après tout, admettons : si des gens aiment pratiquer l’accumulation boulimique sur leur disque dur et si d’autres préfèrent s’approvisionner auprès des premiers plutôt que dans les magasins virtuels ou réels, ça ne me dérange pas une seconde tant que les artistes sont rémunérés. Si la contribution créative résout le problème, alors tout va bien dans le meilleur des mondes mais les « partageurs » accepteront-ils de la payer ?

       
      Pour l’anecdote, j’ai un voisin qui pratique l’accumulation boulimique (illégale), ce qui toujours pour l’anecdote lui coûte entre 200 et 300 euros par an en disques durs (toujours plus gros, toujours à la pointe) et en DVD vierges (piles de 100 achetées par lots de 4). Ramené au volume téléchargé, c’est rentable. Alors, si la licence au forfait, avantageuse pour les gros consommateurs, peut ramener quelques brebis dans le troupeaux des gens qui rémunèrent les artistes, ce sera toujours ça de gagné.

  • thomthom 17 mars 2009 10:35

    Je suis depuis longtemps favorable à cette contribution créative ou licence globale... j’ai déjà plusieurs fois réagit à ce sujet dans des articles d’Agoravox et rédigé plusieurs articles à ce sujet. ( http://thominetweb.free.fr/benjamin/LEN_DADVSI_HADOPI.doc )

    Par contre, je suis opposé à ce que cette contribution soit imposée sous forme de taxe.

    Je revendique le droit pour les internautes à échanger des oeuvres, moyennant une "contribution... en fait un redevance qui leur octoierait ce droit (une forme de licence équivalente à ce qui est déjà en place pour les radios)

    Cependant, je suis convaincu que cette redevance ne doit pas etre imposée, liée à l’abonnement internet ... notre pays n’a pas besoin d’un taxe de plus, et tous les modèles économiques doivent avoir le droit d’essayer de se déveloper. En imposant la licence globale à tous, on signe l’arret de mort de tous les autres modes de diffusion de la culture (y compris le principe des échanges totalement gratuits d’oeuvres sous licence creative commons). Ce serait d’autre part une mesure injuste car tous ceux qui ne souhaitent pas échanger des oeuvres (ou échanger uniquement des oeuvres libres) devraient payer.

    Donc la seule licence globale, ou contribution créative, acceptable est celle qui ne s’impose qu’à ceux qui souhaitent échanger des oeuvres "copyrightées". Sans cela, tout projet de ce genre sera à mes yeux inacceptables (mais cependant toujours moins imbécile que le projet HADOPI). Evidemment, dans ce contexte, les tarifs de la licences seront un peu plus élevés... mais jusqu’à 10 euros par mois pour la musique et les vidéos, je pense que ca reste acceptable.


Réagir