jeudi 4 juillet 2013 - par Taverne

Chansons des Années folles : 1920 - Du gris, du gri-gri, du grivois !

En 1920, les vedettes du music-hall tiennent l'affiche. Il faut dire que le cinéma est encore muet. La radio commence seulement à émettre en France. Quant à l'enregistrement, il est de piètre qualité et deux systèmes incompatibles se font concurrence : les disques à aiguille et les disques à saphir (enregistrement vertical). Dans ce contexte, le "spectacle vivant" comme on dit aujourd'hui, triomphe. Le couple Chevalier-Mistinguett en particulier. "Du gris", chante Georgel. Mistinguett chante "le gri-gri d'amour" et c'est du...grivois !

Dans l'immédiat après-guerre, la femme s'émancipe. Majoritaires dans la société après l'hécatombe masculine, elles ont aussi appris aussi l'autonomie. Les amuseurs veulent faire oublier au public les années sombres. Ces deux conditions sont propices à l'émergence de Mistinguett qui connaît la gloire à 45 ans avec "Mon homme", une chanson qui, si on la prend au pied de la lettre, n'exprime pas l'émancipation féminine, bien au contraire. C'est tout le paradoxe de ces Années Folles.

La femme émancipée s'amuse, elle danse. Le tango fait fureur, ainsi que le charleston et, depuis peu, le fox-trot. La femme suit la dernière mode et s'habille, donc, à la garçonne. Un roman, "La Garçonne", de l'écrivain Victor Marguerite, connaît d'ailleurs un franc succès. 

La femme émancipée fume...

Justement, Renaud reprend un succès écrit pour Georgel en 1920 : "Du gris". Laissez-vous griser !

Il est aussi de bon ton de s'encanailler ou, du moins, de s'en donner l'air en fréquentant les lieux de plaisir mal famés. Maurice Chevalier et Mistinguett cultivent leur accent gouailleur. Mistinguett tombe franchement dans la grivoiserie.

Le tandem Chevalier-Mistinguett

Les deux artistes ont vécu en couple durant une dizaine d'années. Des liens forts et indéfectibles les relient. Selon Wikipedia, Minstinguett est allée jusqu'à devenir espionne pendant la guerre pour faire libérer son amoureux qui était prisonnier des Allemands.

En 1920, c'est Maurice Chevalier qui s'apprêtait à interpréter "Mon homme" mais évidemment en adaptant le texte. L'anecdote veut que Mistinguett dédaignait toutes les dernières créations des auteurs. Ceux-ci (Jacques-Charles, auteur, Albert Willemetz et Maurice Yvain) travaillent à la prochaine revue "Paris qui jazz". Dans une villa sur la côte normande, ils préparent des chansons. Soudain, alors que Jacques-Charles lit la pièce "Mon homme" de Francis Carco qu'il doit adapter pour les Etats-Unis, Yvain se met à taper sur son clavier. La chanson est née. Mistinguett fait la fine bouche. Maurice Chevalier est sur le point de la prendre à son compte en se disant à quelque chose près "mon Homme c'est pour ma pomme". Mais on connaît la suite...

Chantée par Mistinguett, la chanson "Mon homme" n'est pas à prendre au premier degré. Elle ne prêche pas la soumission de la femme au mâle. Cette chanson connaîtra une gloire internationale, reprise successivement par, notamment, Billie Holiday en 1952, Barbra Streisand en 1965, Sarah Vaughan en 1967, Colette Renard en 1997. Qui osera prétendre que les succès de cette année-là sont oubliés ? Pas Renaud ! Pas, non plus, Nicole Martin qui reprend "mon homme" dans son album Cocktail (2010) ni Lea Michele, dans la saison 2 de Glee en 2011.

Des reprises et un plagiat, de chansons de 1920

Comme on savait (re)rire en ce temps-là (pensez, le mouvement Dada colle des moustaches à la Joconde., les Charlots l'ont compris. Dans les années 70, ils reprendront deux titres de 1920 : "Cache ton piano" (vidéo) de Dréan. "Si tu n'veux pas payer l'impôt, cache ton piano, cache ton banjo...". Encore un succès d'actualité en 2013 où l'impôt sur le revenu (créé pour financer la Grande guerre) connaît de plus en plus d'affiliés. Les mêmes Charlots reprennent "Tu finiras sur les planches" de Georgel.

Avant les Charlots, c'est "Charlot" lui-même qui utilise une chanson de 1920, "La violetera" de Raquel Meller (en espagnol) sur une musique de José Padilla. On entend la chanson dans les Lumières de la ville en 1931. Dalida l'interprétera en français et en espagnol en 1956.

Si je vous dis : "Quand vous voyez la Lisette / Vous en perdez la raison / Mais vous perdez aussi la tête / Dès que vous voyez Lison", vous me répondez Dany Briant. Perdu ! C'est un succès de 1920, "Lison-Lisette" (paroles). Hasard ? Plagiat ? Clin d'oeil ?

Quelques autres grands succès de 1920

Le tango de Manon par Georgette Plana en 1968
Il était syndiqué
Le gri-gri d'amour par Mistinguett soi-même en duo (grivois) avec Louis Boucot. Tiré de la revue "Paris qui jazz".
Le tapis vert de Bérard
Tu voudrais me voir pleurer d'Emma Liébel

Autres titres :

Dans les faubourgs
Y'a du jazz band partout paroles : Julsam musique : Harold de Bozi, interprètes : Alibert (1920), Andrex
Oh ! la la oui, oui (international)
Ouin !
La Royale
Salomé (international)
Si vous rencontrez une blonde
 



18 réactions


  • Fergus Fergus 4 juillet 2013 10:22

    Salut, Taverne.

    Voilà un article et des liens qui complètent ma propre plongée musicale dans cette période. J’avais en effet déjà abordé ce sujet dans un long article de novembre 2012 intitulé « Chanson française : de la Grande guerre aux Années folles ».

    Un article qui faisait suite à un autre opus intitulé « La chanson française à la Belle époque ».

    Un troisième volet (10 ans de chanson française avant la Seconde Guerre mondiale) est en préparation.

    A toutes fins utiles, je me permets également de mettre en lien deux autres articles en rapport avec la chanson d’avant-guerre : « Des roses blanches pour... Berthe Sylva  » (mai 2011) et Splendeur et déchéance : Fréhel, 60 ans déjà ! (février 2011).

    Personnellement, j’aime beaucoup écouter ces vieux airs, et surtout ces voix, souvent autrement plus prenantes et séduisantes que la majorité de celles d’aujourd’hui.

    Bonne journée.


    • Taverne Taverne 4 juillet 2013 10:34

      Salut Fergus,

      Je viens de relire avec plaisir tes deux articles. Celui sur la Belle Epoque aurait pu tout aussi bien s’appeler « les grands succès du phonographe » ! Il est très renseigné avec plein de liens pour écouter. Cela m’arrange bien, je n’aurai pas besoin de rechercher à droite et à gauche pour ma compilation personnelle.

      Vu que tu prépares un "10 ans de chanson française avant la Seconde Guerre mondiale", je vais explorer la période juste antérieure pour mon prochain papier : les années 1920 à 1930. Comme cela, on se concerte.

      Agoravox pointe désormais vers des articles pertinents en fin d’article publié.


  • sagesse 4 juillet 2013 13:35

    Un grand merci pour avoir remis en lumière toute cette période de la chanson française que j’adore !
    Mes enfants sont fan de Maurice Chevalier, ils ne comprennent pas vraiment la portée des paroles (et tant mieux, ils sont encore jeunes) mais ils se laissent embarquer par le rythme et la joie qui émanent de ces vieilles chansons. Idem pour les Frères Jacques !!!


    • Taverne Taverne 4 juillet 2013 15:00

      Ouais, sacré Maumau ! Pour la période, c’est vrai qu’elle est sympa.

      Je me suis limité à l’année 1920 pour le moment et l’on voit déjà la richesse de la moisson... Mais je ne ferai pas un article par année, ce serait trop. J’essaierai de regrouper pat thèmes.


  • Abou Antoun Abou Antoun 4 juillet 2013 14:33

    Merci Taverne pour cette évocation qui complète les articles de Fergus. Pour la chanson de Briant j’étais sûr que c’était une reprise mais incapable de trouver laquelle.
    Les rédacteurs d’AV ne sont jamais si bons que lorsqu’ils parlent de ce qu’ils connaissent ou de ce qu’ils aiment.
    Compliments.


    • Taverne Taverne 4 juillet 2013 15:04

      Merci. J’ai retrouvé d’autres plagiats. Par exemple, la chanson qui a inspiré « Il est 5 heures, Paris s’éveille ». J’en parlerai à l’occasion dans l’article approprié car je n’ai plus le titre de la chanson en tête...


    • Fergus Fergus 4 juillet 2013 16:17

      Bonjour, Abou Antoun.

      Pour ce qui est de Lison Lisette, la chanson est effectivement due à Lina Margy, dont on connaît mieux « Le petit vin blanc ». On sait peu que cette presque « compatriote d’Auvergne » (car née en Corrèze à Bort-les-Orgues, à quelques pas du Cantal) aurait pu faire une carrière beaucoup plus anonyme : lorsqu’elle est montée à Paris, c’est en effet comme dactylo à la TCRP (ancêtre de la RATP) qu’elle a commencé à travailler avant de tenter sa chance dans la chanson.

       


    • Fergus Fergus 4 juillet 2013 16:22

      J’ai oublié de préciser que Lina Margy se nommait plus prosaïquement Marguerite Verdier, un nom très répandu dans le Massif Central. Quant à la chanson « Le petit vin blanc », si c’est elle qui l’a créée, elle a été écrite par Jean Dréjac pour les paroles et... je ne sais plus qui pour la musique...


    • Abou Antoun Abou Antoun 4 juillet 2013 17:17

      Wiki suggère celle-ci comme ’inspiratrice’ de ’Il est 5 heures’. L’esprit et la chute y sont.


    • Abou Antoun Abou Antoun 4 juillet 2013 17:28

      Fergus, vous êtes vraiment l’encyclopédie de la chanson. Mais c’est bien. Dans les chansons d’une époque il y a toute cette époque. Une chanson c’est un livre d’histoire à elle toute seule. Les chansons contiennent les faits, mais plus encore comment ils sont ressentis. L’état d’esprit des gens cela se décrit mal dans un ouvrage académique ; une chanson dit tout en peu de mots. Même les musiques parlent, tour à tour tristes et enjouées.
      Je n’ai pas connu le temps du ’petit vin blanc’ mais les années qui ont suivi avec ce qu’il restait des guinguettes où la danse avait disparu pour faire place à la restauration familiale. Les bords de Loire étaient remplis, dans les années 50 de ce genre d’établissements qui servaient exclusivement la friture du fleuve avec le vin blanc local. J’ai voulu emmener ma femme pour une expérience gastronomique de ce genre. Impossible d’en trouver un seul.


    • Abou Antoun Abou Antoun 4 juillet 2013 17:47

      Tableau de Paris à 5 heures (avec musique) extrait d’une émission de Pascal Sevran.


    • escartefigue 4 juillet 2013 17:51

      la musique de Ah le petit vin blanc est de Jean Paul Chardonnay .


    • Shawford42 4 juillet 2013 17:56

      Déjà pressé de déguster le vin de messe ? 


      En principe, c’est toi qui déguste le chianti à la fin, gaffe smiley

      Ou alors c’est un acte de foi inédit ?

    • Abou Antoun Abou Antoun 4 juillet 2013 18:14

      @escartefigue
      Normal, Chardonnay est un cépage blanc.


    • Fergus Fergus 4 juillet 2013 20:00

      @ Abou Antoun.

      Sympa aussi les guinguettes des bords de Loire. Celles où l’on se régalait d’anguilles et où l’on buvait le muscadet. Ah ! ce vin, si exquis lorsqu’il est bien vinifié et dégusté frais. Un vin qui chauffe le tempérament : « Le muscadet qui brille, nous fait aimer les filles » dit la chanson de mariniers de Loire intitulée Gueule de Serpent en hommage à une figure bien connue des navigateurs du fleuve. Une bien jolie chanson (ici les paroles et là en musique).

      Bonne soirée.


  • Abou Antoun Abou Antoun 4 juillet 2013 17:38

    « La violetera » de Raquel Meller (en espagnol) sur une musique de José Padilla.
    En voici une interprétation par une grande chanteuse croate, Tereza Kesovija.


    • Taverne Taverne 4 juillet 2013 20:40

      En croa-te, en crois-tu tes oreilles !

      La chanson sur Paris est bien celle à laquelle je faisais allusion. Bien joué ! On voit bien que c’est tout copié : le principe d’énumération de métiers, La Villette, et la chute « Tout Paris s’éveille...Allons nous coucher. » à peine modifiée dans la version de Dutronc.


  • escartefigue 5 juillet 2013 08:49

     ça l’ irrite  alors il croate .


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