vendredi 25 septembre 2009 - par Sandra.M

Critique d’« Inglourious Basterds » de Tarantino

 Le magazine Studio Cinélive (dont je vous parlais d’ailleurs, ici, il y a quelques jours à une autre occasion, la sortie de son hors série sur les légendes du cinéma que je vous recommande de nouveau) met chaque mois une critique de lecteur à l’honneur. J’avais donc envoyé ma critique d’"Inglourious Basterds", un film pour lequel j’avais envie de partager une nouvelle fois mon enthousiasme débordant. Si le choix de ma critique pourrait s’avérer flatteuse, il est dommage que cette critique de deux pages ait été réduite à 15 lignes et à un extrait de l’introduction et à un extrait de la conclusion (pour des raisons de place que je comprends évidemment), selon moi les passages les moins intéressants et sans grande signification sans ce qui les suit et les précède (mais n’est-ce pas là l’inconvénient des médias traditionnels par rapport à internet où finalement on peut prendre le temps d’exposer, d’expliquer alors que les premiers doivent constamment simplifier, édulcorer, réduire pour finalement souvent vider un évènement ou des propos de leur réelle signification, le souci de marquer, résumer, interpeller l’emportant souvent sur celui, alors secondaire, d’être fidèle à la réalité et/ou la vérité ?), c’est pourquoi, je vous mets de nouveau la critique en intégralité, ci-dessous :

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Dans les coulisses du Grand Journal- Festival de Cannes 2009 - Diane Krüger et Quentin Tarantino

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Dans les coulisses du Grand Journal de Canal Plus, plage du Martinez- Festival de Cannes 2009- Christoph Waltz et Diane Krüger

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Je vous ai déjà maintes fois parlé d’ "Inglourious Basterds" de Quentin Tarantino depuis sa projection cannoise dont c’est un euphémisme de dire qu’elle m’a enthousiasmée. Si son acteur principal, Christoph Waltz, s’est vu (à juste titre) remettre le prix d’interprétation masculine, une palme d’or aurait également été amplement méritée même si le jury a préféré à la flamboyance tanrantinesque l’austérité du "Ruban blanc" de Michael Haneke qui, malgré ses nombreuses qualités, aurait peut-être davantage mérité un grand prix ou un prix du jury.

 
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Brad Pitt, Quentin Tarantino, Mélanie Laurent à la sortie de la conférence de presse cannoise

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La sortie du film, dans une semaine (le 19 août) est pour moi l’occasion de vous en parler à nouveau et de vous encourager vivement à aller le voir. J’ignore ce que donne ce nouveau montage de 2H28 (ont notamment été rajoutées les scènes coupées de Maggie Cheung , scènes qui, selon la rumeur, auraient été coupées pour ne pas froisser la susceptibilité de la présidente du jury Isabelle Huppert qui devait initialement interpréter son rôle), le premier me paraissait déjà irréprochable.

Si j’ai ajouté un point d’interrogation au titre de cet article, c’est simplement pour avoir votre avis à la suite de cette note car ma réponse est indubitablement positive.

Je vous propose donc, de nouveau, ci-dessous, ma critique publiée lors du dernier Festival de Cannes :

CRITIQUE D’"INGLOURIOUS BASTERDS" DE QUENTIN TARANTINO

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Bien sûr, j’ai été envoûtée par la poésie et la mélancolie sensuelles des « Etreintes brisées » de Pedro Almodovar ( sur lequel je reviendrai et avec lequel le film de Tarantino présente d’ailleurs quelques similitudes), bien sûr j’ai été enthousiasmée par la précision remarquable de la réalisation de Jacques Audiard mais le film de Quentin Tarantino est le premier de ce festival et peut-être même le premier film depuis un moment à m’avoir ainsi hypnotisée, captivée, étonnée de la première à la dernière seconde. Le premier film depuis longtemps que j’avais envie de revoir à peine le générique achevé.

 

Pitch  : Dans la France occupée de 1940, Shosanna Dreyfus assiste à l’exécution de sa famille tombée entre les mains du colonel nazi Hans Landa ( Christoph Waltz). Shosanna (Mélanie Laurent) s’échappe de justesse et s’enfuit à Paris où elle se construit une nouvelle identité en devenant exploitante d’une salle de cinéma. Quelque part, ailleurs en Europe, le lieutenant Aldo Raine (Brad Pitt) forme un groupe de soldats juifs américains pour mener des actions punitives particulièrement sanglantes contre les nazis. « Les bâtards », nom sous lequel leurs ennemis vont apprendre à les connaître, se joignent à l’actrice allemande et agent secret Bridget von Hammersmark (Diane Krüger) pour tenter d’éliminer les dignitaires du troisième Reich. Leurs destins vont se jouer à l’entrer du cinéma où Shosanna est décidée à mettre à exécution une vengeance très personnelle.

 

De ce film, très attendu et seul film américain de cette compétition officielle 2009, je n’avais pas lu le pitch, tout juste vu la bande-annonce qui me faisait craindre une grandiloquence maladroite, un humour douteux, voire indécent sur un sujet délicat. Je redoutais, je pensais même détester ce film et ne m’attendais donc pas à ce que la première séquence (le film est divisé en 5 chapitres qui correspondent aux parcours de 5 personnages) me scotche littéralement à l’écran dès la première seconde, à ne plus pouvoir m’en détacher jusqu’à la dernière ligne du générique.

 

L’un des premiers plans nous montre une hache dans un univers bucolique que la caméra de Tarantino caresse, effleure, esquisse et esquive : finalement ce simple plan pourrait résumer le ton de ce film, où la menace plane constamment, où le décalage est permanent, où toujours le spectateur est sur le qui-vive, la hache pouvant à chaque instant venir briser la sérénité. Cette première séquence dont nous ne savons jamais si nous devons en rire, ou en frissonner de plaisir (parce qu’elle est jubilatoire à l’image de tout ce film, une première séquence au sujet de laquelle je ne vous en dirai pas plus pour maintenir le suspense et la tension incroyables qui y règne) ou de peur, est sans nul doute une des plus réussies qu’il m’ait été donné de voir au cinéma.

 

 Chaque séquence au premier rang desquelles la première donc recèle d’ailleurs cette même ironie tragique et ce suspense hitchcockien, le tout avec des plans d’une beauté, d’une inventivité sidérantes, des plans qui sont ceux d’un grand cinéaste mais aussi d’un vrai cinéphile (je vous laisse notamment découvrir ce plan magnifique qui est un hommage à « La Prisonnière du désert » de John Ford ) et d’un amoureux transi du cinéma. Rien que la multitude de références cinématographiques mériterait une deuxième vision tant l’admiration et la surprise lors de la première empêchent de toutes les distinguer.

 

 Oui, parce que « Inglourious Basterds » est aussi un western. « Inglourious Basterds » appartient en réalité à plusieurs genres… et à aucun : western, film de guerre, tragédie antique, fable, farce, comédie, film spaghetti aussi. En fait un film de Quentin Tarantino . (« Inglourious Basterds » est inspiré d’un film italien réalisé par Enzo G.Castellari). Un genre, un univers qui n’appartiennent qu’à lui seul et auxquels il parvient à nous faire adhérer, quels qu’en soient les excès, même celui de réécrire l’Histoire, même celui de se proclamer chef d’œuvre avec une audace et une effronterie incroyables. Cela commence ainsi comme un conte (« il était une fois »), se termine comme une farce.

 

Avec quelle facilité il semble passer d’un ton à l’autre, nous faire passer d’une émotion à une autre, comme dans cette scène entre Mélanie Laurent et Daniel Brühl, dans la cabine de projection, une scène qui, en quelques secondes, impose un souffle tragique poignant, époustouflant, d’un rouge éblouissant. Une scène digne d’une tragédie antique.

 

Il y a du Hitchcock dans ce film mais aussi du Chaplin pour le côté burlesque et poétique et du Sergio Leone pour la magnificence des plans, et pour cet humour ravageur, voire du Melville aussi pour la réalisation, Meville à qui un autre cinéaste (Johnnie To) de cette compétition se référait d’ailleurs. Voilà, en un endroit tenu secret, Tarantino, après les avoir fait kidnapper et fait croire à leurs disparitions au monde entier, a réuni Chaplin, Leone, et Hitchcock et même Melville et Ford, que l’on croyait morts depuis si longtemps et leur a fait réaliser ce film qui mêle avec brio poésie et sauvagerie, humour et tragédie.

 

Et puis, il y a en effet le cinéma. Le cinéma auquel ce film est un hommage permanent, une déclaration d’amour passionnée, un hymne vibrant à tel point que c’est le cinéma qui, ici, va sauver le monde, réécrire la page la plus tragique de l’Histoire, mais Tarantino peut bien se permettre : on pardonne tout au talent lorsqu’il est aussi flagrant. Plus qu’un hommage au cinéma c’est même une leçon de cinéma, même dans les dialogues : « J’ai toujours préféré Linder à Chaplin. Si ce n’est que Linder n’a jamais fait un film aussi bon que « Le Kid ». Le grand moment de la poursuite du « Kid ». Superbe . » Le cinéma qui ravage, qui submerge, qui éblouit, qui enflamme (au propre comme au figuré, ici). Comment ne pas aimer un film dont l’art sort vainqueur, dans lequel l’art vainc la guerre, dans lequel le cinéma sauve le monde ?

 

 

Comment ne pas non plus évoquer les acteurs : Mélanie Laurent, Brad Pitt, Diane Krüger, Christoph Waltz, Daniel Brühl y sont magistraux, leur jeu trouble et troublant procure à toutes les scènes et à tous les dialogues (particulièrement réussis) un double sens, jouant en permanence avec le spectateur et son attente. Mélanie Laurent qui a ici le rôle principal excelle dans ce genre, de même que Daniel Brühl et Brad Pitt qui, depuis « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford », le chef d’œuvre d’Andrew Dominik ne cesse de prendre de l’épaisseur et nous surprendre.

 

Que dire de la BO incroyable qui, comme toujours chez Tarantino, apporte un supplément de folie, d’âme, de poésie, de lyrisme et nous achève…

 

Si Quentin Tarantino a déjà remporté la palme d’or en 1994 (et a notamment présidé le jury en 2004, remettant la palme d’or à Michael Moore pour « Fahrenheit 9/11 », il a également donné une leçon de cinéma l’an passé), il pourrait bien renouveler l’exploit. A défaut, il mériterait le prix de la mise en scène auquel pourraient également prétendre Jacques Audiard et Pedro Almodovar, deux films de ce point vue également parfaits... Il est en tout cas impossible qu’il ne figure pas au palmarès, même si les dissensions avec Isabelle Huppert qui avait effectué le casting pour « Inglourious Basterds » pourraient compliquer encore la tâche.

 

Quentin Tarantino avec ce septième long-métrage a signé un film audacieux, brillant, insolent, tragique, comique, lyrique, exaltant, décalé, fascinant, irrésistible, cynique, ludique, jubilatoire, dantesque, magistral. Une leçon et une déclaration d’amour fou et d’un fou magnifique, au cinéma. Ce n’est pas que du cinéma d’ailleurs : c’est un opéra baroque et rock. C’est une chevauchée fantastique. C’est un ouragan d’émotions. C’est une explosion visuelle et un ravissement permanent et qui font passer ces 2H40 pour une seconde !

 

 Bref, il se pourrait bien qu’il s’agisse d’un chef d’œuvre… Je vous laisse en juger par vous-mêmes lors de sa sortie en salles le 21 août et lors de la proclamation du palmarès de ce festival de Cannes 2009 dont il est impossible qu’il ne l’honore pas… A contrario de ses « bâtards sans gloire », Tarantino mérite indéniablement d’en être auréolé ! « Inglourious Basters » était le film le plus attendu de ce festival 2009. A juste titre.

 

Qu’a pensé Pedro Almodovar, également présent à la séance à laquelle j’ai vu ce film ? Sans doute que tous deux aiment passionnément le cinéma, et lui rendent un vibrant hommage (la dernière réplique du film de Tarantino fait ainsi écho à celle de celui d’Almodovar).

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
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8 réactions


  • Hadrien Hadrien 25 septembre 2009 13:42

    Comme d’habitude. L’Amérique a courte mémoire ne connaît pour Histoire que la Seconde Guerre Mondiale, les vilains nazis et les méchants français collabos et un peu du genre « surrender monkeys ».

    Et les 2000 ans d’avant ? A la poubelle. Pas assez culpabilisant, trop glorieux pour un petit pays qu’il faut recadrer et remettre à sa place.

    http://www.youtube.com/watch?v=KEcYAbtJcKk


    • Mmarvinbear mmarvin 25 septembre 2009 16:33

      Quel est le rapport ? Le sujet du film est la deuxième guerre mondiale, ce n’est pas une hagiographie.

      Ils sont pénibles, les trolls...


  • Zord Zord 25 septembre 2009 16:33

    J’ai adoré ce film et plus particulièrement la maîtrise dont fait preuve Tarantino pour instaurer et jouer avec la tension dans les chapitres et (longues) scènes. On est maintenu à bout de souffle par la tournure fatalement dramatique que vont prendre les choses, mais en même temps Tarantino est un sadique ,prends son temps, et joue avec le spectateur. On aime ou on aime pas, c’est certains que le style peut en rebuter beaucoup, la violence du film aussi (sur 5, on était 4 à avoir aimer, mais 1 n’est pas rentré dedans et à vraiment détester).

    Concernant toutes les critiques sur l’aspect historique du film, gnagna monsieur n’a pas respecté l’histoire, monsieur fait sa propagande, soyons sérieux 2 minutes, Tarantino fait du Tarantino depuis 20 ans, à quoi vous vous attendiez ?


  • Bertrand Du Gai Déclin Bertrand Du Gai Déclin 25 septembre 2009 17:21

    Je n’ai pas vu le film, et n’irais pas le voir. Je ne suis pas client.
    Par contre, j’ai beaucoup aimé cette autre critique dithyrambique d’une autre admiratrice énamouré du réalisateur spécialiste de la violence gratuite et de l’hémoglobine-business.

    Quelques extraits :
    "Un grand GRAND film. Un grand film de cinéma, d’amour au cinéma, de joie de faire du cinéma, de bonheur d’être en vie derrière une caméra, devant une caméra...
    (...)es acteurs phénoménaux (le mot est faible), pleins de Nazis scalpés en gros plans, étripés en gros plans, battus en gros plans... que du bonheur...
    (...)J’ai vu le film à Paris. Dommage. Il paraît que dans les salles israéliennes à chaque nazi éventré c’est à qui lancera le plus de popcorn sur l’écran en poussant des cris de joie.
    (...)voici un extrait vidéo où, après avoir présenté au public l’immense comédien de son film, Quentin demande à un auditoire conquis : so you guys ready to kill some nazis ? (yeah !) are you ready to fuck up some nazis ? (yeah ! et encore yeah !)"

    ...Bon, je vous laisse, il faut que j’aille vomir.

     


    • Zord Zord 25 septembre 2009 18:18

      Titre de l’article : critique d’Inglorious Basterds
       « Je n’ai pas vu le film, et n’irais pas le voir. »


  • Maximus 25 septembre 2009 20:13

    Cher auteur,

    je suis allé voir ce film mais je ne partage pas tout à fait votre enthousiasme, plus exactement je peux approuver totalement vos propos dithyrambiques sur les meilleures parties du film, mais je ne peux pas en dire autant des deux heures trente du film.

    Pourquoi ? J’aime moins certains passages. Le début, la scène avec Diane Kruger dans l’auberge sont mémorables. Je trouve formidable aussi l’étranglement de Diane Kruger (une revisistation de la scène des ciseaux de « Le crime était presque parfait » d’Hitchcock qui bifurque par rapport à l’original). Par contre, j’aime bien moins les scènes avec Shoshana, que je trouve trop mélodramatiques, les scènes de projection avec Hitler ou la scène avec les exécutions de prisonniers allemands (je la trouve peu intéressante cinématographiquement).

    Le film reste remarquable et a révélé un grand acteur, qui a mille fois mérité son prix d’interprétation. Ce personnage cynique est une réussite absolue, dans sa conception, sa mise en scène et son interprétation.

    Un grand mérite de ce film est de rompre avec les clichés sur le plan plastique. On en avait assez soupé de ces sempiternelles teintes sépia, certes devenues moins populaire, avec la systématisation du gris argenté avec une légère teinte bleutées (histoire de montrer que l’on est bien dans un « Age de Fer » avec la botte nazie), dans les innombrables films et ttéléfilms « patrimoniaux » inregardables. Les couleurs vives du film tranchent radicalement avec ses sous-produits télévisuels et cinématographiques, montrant tout ce qui sépare un vrai cinéaste de tâcherons produisant les mêmes nullités à la chaîne.

    Ce film m’a, pour finir, bien plus car cela faisait un moment que j’attendais de voir à nouveau sur les écrans un film traitant de manière comique de la Seconde Guerre Mondiale. On ne sait plus parler de cette période que sous le registre de l’émotion facile, avec tout le monde qui bêle en coeur contre le mal absolu. Paradoxalement, un film comique peut aider à voir un sujet de manière plus lucide, plus objectif, sans être « esclave de nos fantasmes » (ce que dit Guillaume de Baskerville dans le roman Le nom de la rose). Un tel film peut nous aider à pouvoir envisager à nouveau cette période sous l’angle de l’analyse et de la réflexion.


  • mojique mojique 25 septembre 2009 20:51

    Il suffit d’une scene grandguignolesque et je ne trouve plus le film violent. L’effet est désamorcé.

    Je n’ai pas trouvé ce film violent . Meilleure scène pour moi : la taverne. 


    • Maximus 25 septembre 2009 21:15

      Pas mal le picto sur Giorgione.

      On pourrait débattre sur la meilleure scène, mais c’est incontestable que celle de la taverne est une grande réussite.


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