lundi 12 février 2018 - par Sylvain Rakotoarison

Henri Salvador, la bonne humeur dans un siècle noir

« J’ai cru être au bout de l’aventure, mais mon cœur, lui, me murmure qu’il y a tant de rêves à vivre encore. » (Chanson "J’ai vu" dans l’album "Chambre avec vue", sorti le 17 octobre 2000).



Comment pouvoir jouer au rigolo, faire le clown, montrer sa bonne humeur, et finalement, éclater de rire de manière permanente dans un XXe siècle qui a été si désastreux, si désespérant, si attristant, si funeste ? Certains y sont arrivés, et parmi ceux-ci, un grand de la chanson française qui fut considéré un peu comme un ringard dans les années 1990.

Le chanteur populaire Henri Salvador est né au 19 rue de la Liberté à Cayenne, en Guyane (ça ne s'invente pas), il y a un petit peu plus qu’un siècle, le 18 juillet 1917, et il est mort en doyen de la chanson française, à Paris il y a dix ans, le 13 février 2008. Plus de deux mille cinq cents personnes, et parmi elles, de nombreux admirateurs comme le Président Nicolas Sarkozy, lui ont rendu hommage lors de ses funérailles le 16 février 2008 en l’Église de la Madeleine, à Paris. Il est enterré au cimetière du Père-Lachaise, pas très loin notamment de Paul Éluard, Jacques Duclos, Paul Vaillant-Couturier, Édith Piaf, Guy Môquet, Christian Pineau, Louis Ducatel et Michel Leiris.

Commandeur de la Légion d’honneur, commandeur de l’Ordre national du Mérite et commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres, Henri Salvador a reçu de nombreuses récompenses, dont quatre Victoires de la musique (la Victoire d’honneur le 12 février 1996 pour l’ensemble de son œuvre, la Victoire du meilleur chanteur et la Victoire du meilleur album le 17 février 2001 et la Victoire du meilleur concert le 9 mars 2002), trois prix du disque de l’Académie Charles-Cros (1949, 1971, un d’honneur en 2000), et la Médaille d’or de l’Académie française en 2001. En 1996, sa Victoire d’honneur avait été attribuée avec un duo extraordinaire avec Ray Charles (1930-2004), "Le blues du dentiste".



Ce qui est frappant avec Henri Salvador, c’est la diversité de ses talents. Il a commencé dans les années 1930 et a eu une "carrière" qui a duré soixante-quatorze ans. Parmi ses partenaires (paroliers ou compositeurs) et amis, on peut citer Boris Vian (1920-1959), Bernard Michel (1919-1992), Michel Legrand (né en 1932) et Maurice Pon (né en 1921). Parmi ses amis, Georges Brassens et Jacques Brel.

Arrivé à Paris à l’âge de 12 ans, Henri Salvador n’a pas poussé beaucoup sur les études, au grand dam de son père qui l’aurait vu avocat ou médecin. Il a découvert le jazz américain en 1933 (en écoutant des disques de Louis Armstrong et Duke Ellington) et il a commencé sa "carrière" dans des cabarets, puis fut guitariste de jazz dans des orchestres comme celui de Ray Ventura (1908-1979) ou, auparavant, auprès de Django Reinhardt (1910-1953).

Comment avoir envie tout le temps de rire et être le fils d’un fonctionnaire des impôts ? Son rire, communicatif, c’était sa grande valeur ajoutée. Quand il était adolescent, un dimanche, il a fait tellement rire ses voisins de gradins au cirque Medrano que le grand clown Rhum l’a fait venir à sa loge et lui a dit : « C’est bon d’avoir ton rire dans la salle, il entraîne les autres. Eh bien, tu viendras à l’œil tous les dimanches. » et il lui a appris quelques rudiments de clownerie.

Avec l’orchestre de Ray Ventura, il participa à une tournée au Brésil, Argentine, Colombie, etc. entre décembre 1941 et décembre 1945, ce qui a fait que notamment au Brésil, où il est retourné dès 1945 en carrière solo, Henri Salvador était très connu et apprécié (l’Amérique latine ne lui était pas indifférente, lui, l’Antillais avec du sang espagnol du côté de son père). Il s’est mis à son propre compte en 1946, délaissant ses anciennes collaborations (notamment avec son frère André).

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Son démarrage réel a eu lieu le 18 octobre 1947 (il avait 30 ans) sur la scène de Bobino avec le début d’un succès durable dans la chanson française. Jusqu’à la fin de sa vie, il n’a pas arrêté de chanter et de rire. Ses chansons étaient aussi des occasions d’amusement. Souvent, il se déguisait, jouait un rôle, se moquait de lui-même ou des autres, toujours gentiment, comme un gosse qui taquinait.

Henri Salvador a excellé dans deux domaines de la chanson, la chanson humoristique (face A), toujours très appréciée par les gens, et la chanson douce (face B). Parmi ses musiciens, il a recruté notamment, en 1951, Michel Legrand, le (futur) célèbre compositeur de musiques de films.

Très curieusement, Henri Salvador fut l’un des précurseurs du rock’n roll en France, mais pour une mauvaise raison.

Georges Unglik a en effet raconté : « En mai [1956], Michel Legrand revient d’une tournée aux États-Unis où on l’a affectueusement surnommé Big Mike (…). Dans ses bagages, il rapport quelques disques de rock’n roll, genre qui commence à faire fureur outre-Atlantique (…). Entre le 31 mai et le 5 juin [1956], ce nouveau rythme fait deux adeptes : Henri Salvador et Boris Vian. En une après-midi, et en rigolant comme des fous, nos trois compères écrivent et composent les quatre premiers rock’n roll français à 100%. » (site boris-vian.net).

La version "légèrement" différente de Jean-Claude Hemmerlin : « De retour à Paris, [Michel Legrand] espère bien contaminer Boris Vian. Déception : immunisé par le jazz, sa passion, celui-ci déclare le rock juste bon à exciter des teenagers frustrés… bref, pour lui, mieux vaut en rire (…). Né sous le signe (humiliant) de la parodie, le rock français voyait son premier cri enregistré par un certain… Henry Cording. » (site boris-vian.net).

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Ainsi, le 23 juillet 1956, avec des textes de Boris Vian (sous le pseudonyme de Vernon Sinclair) et une composition de Michel Legrand (sous le pseudonyme de Mig Bike), Henri Salvador (sous le pseudonyme d’Henry Cording) a sorti un disque enregistré le 21 juin 1956 avec quatre chansons de rock pour s’en amuser, dans un but de dérision, ce qui a fait de lui l’un des premiers chanteurs rock français ! Michel Legrand a mis en musique "Va t’faire cuire un œuf, man !" alors que ce fut lui-même qui a mis en musique "Rock hoquet". En octobre 1956, pour la deuxième édition de ce disque, le nom véritable des auteurs fut révélé. Le disque a eu un grand succès, pris au sérieux, au premier degré, et le rock lui-même a eu un grand avenir.





En 1994, Henri Salvador a affirmé : « On m’a dit : "Tu vas faire du rock". Mais c’est moi qui ai créé le rock en France ! Ce n’est pas de la supermusique, c’est du mauvais jazz. Et puis moi, je suis un crooner. Mais ils m’ont envoyé en Amérique, j’ai fait du rock et ça a pris un bide. Mais alors un de ces bides ! Alors, j’ai arrêté. » ("Le Figaro" du 14 février 2008).

Ce fut après la mort de Boris Vian qu’Henri Salvador quitta Philips (sa maison de disques) pour créer en 1964 le premier label indépendant, Rigolo, grâce à sa deuxième épouse Jacqueline qui s’occupait de tout.


Parmi les chansons célèbres d’Henri Salvador, on peut citer "Zorro est arrivé" (1964), qui, à l’origine, n’avait pas été mise en valeur par sa maison de disque Rigolo, n’imaginant pas son potentiel de succès, mais ce fut compensé par les stations de radio qui l’adoptèrent rapidement.



Beaucoup de chansons sont devenus des "classiques" ou alors sont restées aussi loufoques et fantaisistes qu’à l’époque (ou les deux), comme "Maladie d’amour" (1948) qui fut un succès mais pollué par une mauvaise polémique sur l’origine des paroles, "Une chanson douce" (1950), "Faut rigoler" (1960), "Le lion est mort ce soir" (1962) qui était un remake, "Syracuse" (1963), "Le Martien" (1963), "Twist SNCF" (1964), "Le travail, c’est la santé" (1965) et "Juanita banana" (1966) qui était un remake.



















Henri Salvador a participé à de nombreuses émissions de télévision et a même animé ses propres émissions télévisées, et certains extraits sont restés très intéressants à écouter ou regarder, notamment des versions des fables de La Fontaine dans ses émissions "Dimanche Salvador" le 25 novembre 1973 ("Le corbeau et le renard") et 2 décembre 1973 ("Le lièvre et la tortue"), ou encore "Irma" (paroles de Bernard Michel) dans l’émission "Dimanche Salvador" du 23 décembre 1973, et "La femme d’affaire" (paroles de Bernard Michel) dans l’émission "Salves d’or" du 26 décembre 1968.









Après une vingtaine d’années sans beaucoup de créations, Henri Salvador a redémarré sa "carrière" en 2000 avec son nouvel album "Chambre avec vue" (produit par Virgin Records) coécrit notamment par Benjamin Biolay, ce qui fut un très grand succès (plus d’un million d’exemplaires vendus). Cela lui a valu trois (autres) Victoires de la musique en 2001 et 2002.



Travailleur infatigable malgré ses 90 ans, Henri Salvador a fait ses adieux avec son public le 21 décembre 2007 lors de son dernier spectacle au Palais des Congrès de Paris et il a encore enregistré une émission de radio quelques jours avant sa mort, émission qui fut diffusée le lendemain sur Europe 1.



"Dans mon île" (1957), il avait chanté :


« Un parfum d’amour
Se faufile
Dès la fin du jour.
Elle accourt,
Me tendant les bras dociles,
Douce et fragile,
Dans ses plus beaux atours,
Ses yeux brillent
Et ses cheveux bruns
S’éparpillent
Sur le sable fin. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 février 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Henri Salvador.
Jeanne Moreau.
Johnny Hallyday.
Barbara chantée par Depardieu.
Le cinéma parlant.
Mimie Mathy.
Acting.
Jean Gabin.
Alice Sapritch.
Thierry Le Luron
Pierre Dac.
Coluche.
Charles Trenet.
Georges Brassens.
Léo Ferré.
Christina Grimmie.
Abd Al Malik.
Daniel Balavoine.
Édith Piaf.
Yves Montand.
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8 réactions


  • Olivier Perriet Olivier Perriet 12 février 2018 11:26

    Henri Salvador a reçu la Victoire d’honneur le 12 février 1996 pour l’ensemble de son œuvre

    Et il a aussitôt commenté :
    « Vous avez tellement attendu pour me la donner, j’ai cru que vous attendiez ma mort. Ah ah ah ! »

    Mon Dieu, épargnez nous des Victoires de la Musique comme nous épargnons nos ennemis.

    L’année dernière, c’est l’affaire Théo qui était portée au top de cette pitoyable cérémonie.

    au secours !


    • Diogène diogène 12 février 2018 11:56

      @Olivier Perriet

      « Vous avez tellement attendu pour me la donner, j’ai cru que vous attendiez ma mort. Ah ah ah ! »

      la citation exacte est : « Il s’en est fallu de peu pour que ce trophée soit posthume »

    • velosolex velosolex 12 février 2018 14:03

      @Olivier Perriet
      « Les victoires de la musique », où les victoires du piston, ( pour le petit tiers qui n’est pas fils ou fille de....) dans cette société du spectacle, où les « people » se congratulent entre eux, se trouvent géniaux, incontournables. 

      Un courant d’air frais qui sent le moisi et les vieilles bouteilles bouchonnées, trop longtemps gardés, qui finissent par être madérisés. 

      C’est plus ou moins comme les foires au vin, dans les grandes surfaces.

       Il faut persuader le pékin que c’est bon au palais, ou au oreilles, avec un gout de framboise, et de fruits des bois. Une belle étiquette, une médaille d’or collée dessus, « aux victoires du pif » et on parvient ainsi à vendre de la daube. 

    • Olivier Perriet Olivier Perriet 12 février 2018 14:06

      @diogène

      Mon souvenir était un peu embrouillée mais le sens général y était


  • JC_Lavau JC_Lavau 12 février 2018 13:29

    Il était une fois, dans la jungle terRrible, un enfant d’éléphant, d’une insatiable curiosité...
    Notre enfant d’éléphant, d’une insatiable curiosité, suivant sa troupe à travers la jungle terRrible, avise un animal étrange, rampant sur le sol de la jungle terRrible. Dans son insatiable curiosité, il s’écarte de la sente, et l’interroge poliment :
    - Bonjour ! Qui tu es, toi ?
    - Ssss ! Je suis le serpent !
    - Mais comment fais pour avancer ? Tu n’as pas de pattes.
    - Je me débrouille sans pattes. Tu vois, je rampe, et ça va très bien.
    - Ah ? Merci !

    Et l’enfant d’éléphant se hâte de rejoindre sa troupe de grands éléphants. On a beau être d’une insatiable curiosité, on n’en est pas moins petit, dans la jungle terRrible.
    Dans son insatiable curiosité, il se ravise, et revient vers le serpent :
    - Excuse-moi, je n’ai pas compris. Comment fais-tu pour manger ? Tu n’as pas de trompe.
    - Je n’ai pas besoin de trompe. J’ouvre ma gueule toute grande, et j’avale un oeuf, voilà !
    - Ah bon ! Merci !

    Un temps. L’enfant d’éléphant observe longuement la reptation du serpent, et pose une troisième question :
    - Mais comment fais-tu pour te reproduire ? Tu n’as pas de couilles !
    - Je n’en ai pas besoin. Je ponds des oeufs, et ça marche très bien comme ça !
    - Tiens ? Curieux... Merci !

    Et l’enfant d’éléphant se hâte de reprendre la sente qui sent bon le passage des éléphants à travers la jungle terRrible. Il se ravise à nouveau et revient vers le serpent :
    - Attends  ! Tu rampes, tu as une grande gueule, et tu n’as pas de couilles. Tu ne serais pas inspecteur de l’Education Nationale, toi ?


  • velosolex velosolex 12 février 2018 14:14

    C’est bien de faire un article sur une vedette, mais à quoi bon lui cirer les pompes, si l’on ne peut même se mirer dedans ; 

    je veux dire par là qu’ici on n’est pas limité par les mots d’ordre de tempérance de la direction, et qu’ainsi on peut dire ce qu’on ne trouve pas ailleurs, ou presque, dans cette presse officielle où trop souvent on est respectueux des icônes ! Alors pourquoi s’en priver ?..
    J’avais entendu dire que Salvador était loin d’être un rigolo à temps complet. Voilà donc des suppléments à l’article.....Il semble d’une façon générale que les humoristes semblent vouloir priver dans leur vie civile qu’ils sont loin d’être drôles.....
    C’est à se demander s’il ne vaut mieux pas partir en vacances avec un inspecteur des impots, en vertu de cette loi du paradoxe.


  • JC_Lavau JC_Lavau 12 février 2018 15:13

    A l’époque, la concurrence en chansons vomitives, c’était Bourvil et sa salade de fruits. Plus quelques oubliés.


  • bob de lyon 27 février 2018 09:01

    27/02/2018 08:49

     

    D’abord, quand j’étais petit : « Une chanson douce… » ensuite ses solos de guitare – un excellent guitariste – puis tout le reste : Zorro, Syracuse, ...

    Son rire, ses émissions de télé et puis vint ce que l’on ignorait et que, peut-être, on ne devrait jamais apprendre : les abandons, les petites crasse professionnelles, une vanité hypertrophiée, un ratiocineur de cachets, son (très mauvais) caractère… qui embrayent nos jugements intempestifs sur le bien, sur le mal.

    Comme Rossi (Tino) qui flanqua à la porte l’auteur de Marinella revenu de déportation et qui venait lui demander un coup de main. Papa Noël en prenait un sacré coup sur le caillou.

    Vaut mieux ne pas trop en savoir.


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