mardi 2 mars 2021 - par Vincent Delaury

Patrick Dewaere en BD !

« Je ne serai jamais vieux, moi. On devient vieux à partir du moment où on a peur du lendemain. Je n’aurai jamais peur du lendemain. » (Patrick Dewaere)

Finir en BD, ou en dessin animé (comme en leur temps les Beatles ou les Jackson Five), c’est, à mes yeux, la gloire assurée ! Patrick Dewaere (1947-1982) Forever (Photos de l’auteur de l’article, sauf les n° 4 et 6).

JPEG - 134.6 ko
Couverture de la BD À part ça, la vie est belle (Patrick Dewaere) de Bollée & Hrachyan

À part ça, la vie est belle  : il s’agit du premier roman graphique de l’Arménienne Maran Hrachyan (scénario du biopic BD : Laurent-Frédéric Bollée), paru le 6 janvier 2021 aux éditions Glénat.

Mes 5 films préférés avec cet écorché vif, acteur bord-cadre (il me donne toujours l’impression d’un électron libre qui va fuir par les bords de l’image, pour rejoindre définitivement ses zones d’ombre) dont on ne cesse d’entendre, depuis un certain temps déjà, son nom chez les apprentis acteurs et actrices, comme référence suprême, dans les cours et stages de théâtre : 1) Les Valseuses (1974) de Bertrand Blier 2) Coup de tête (1979) de Jean-Jacques Annaud 3) Série noire (1979) d’Alain Corneau 4) Un mauvais fils (1980) de Claude Sautet 5) La Meilleure Façon de marcher (1976) de Claude Miller.

Numéro 1 : Les Valseuses (1974, Bertrand Blier) car c’est un film culte libertaire des seventies qui fait un bien fou quand on le revoit, tant sa liberté de ton, au parfum de scandale, est toujours aussi saisissante, presque cinquante ans après sa réalisation, que son trio choc (Dewaere + Depardieu + Miou-Miou) est des plus attachants et que ses répliques, ô combien légendaires, font toujours autant mouche, telle celle-ci : « On n’est pas bien ? Paisibles, à la fraîche, décontractés du gland... et on bandera quand on aura envie de bander. » Cultissime ! Et un film, avec un tel langage provocateur, ne serait plus possible aujourd’hui dans l’Hexagone, hélas, à mon avis.

Numéro 2 : Coup de tête (1979, Jean-Jacques Annaud) parce que c’est une très bonne comédie grinçante sur les dérives du foot fric et que Patrick Dewaere, avec son personnage de footballeur revanchard qui va se payer, un par un, tous les notables pourris et hypocrites d’une petite ville de province - « Allez Trincamp ! » - l’accusant d’un viol non commis y déploie, aux côtés d’une pléiade de seconds rôles masculins fort talentueux du cinéma français de l’époque, à commencer par Jean Bouise en inénarrable président de club, toute la palette riche de son je(u) incandescent : il y est tour à tour candide, voire christique, décontracté, calme, cassant, fier, vengeur et surtout très drôle.

Numéro 3 : Série Noire (1979, Alain Corneau) car ce long métrage parle tellement bien de Dewaere notamment lorsque son personnage, un représentant de commerce à la vie minable, et écorché vif tout comme lui, se cogne réellement la tête dans un terrain vague au matin, face à la toute jeune Marie Trintignant (âgée alors de 16 ans pendant le tournage), sur le capot de sa voiture dans une scène... devenue mythique au fil du temps, tant son réalisme noir et poisseux, mettant même mal à l’aise le spectateur (le comédien a refusé d’être doublé par un cascadeur), épouse au plus près, rétrospectivement, la trajectoire brinquebalante et suicidaire de cet acteur tourmenté, qui était drogué pendant le tournage. L’artiste s’est montré tellement investi dans son personnage qu’il n’a pas hésité une seule seconde à se servir de ses souffrances les plus profondes pour l’habiter à 200% et ainsi lui « donner vie », via un jeu naturaliste exacerbé façon Actors Studio. Et ça se voit à l’écran, son interprétation désespérée d’un être toujours sur un fil - il y met toutes ses tripes - est des plus bouleversantes. Tel un autoportrait ou une mise en abyme ; on pense ainsi à la fameuse phrase de Rivette rappelant qu’un film de fiction est toujours « un documentaire sur son propre tournage ».

Numéro 4 : Un mauvais fils (1980, Claude Sautet) pour ses scènes de retrouvailles tendues entre père (campé par Yves Robert) et fils puis la jolie scène au cours de laquelle Patrick Dewaere, interprétant un jeune paumé à la forfanterie blessée désirant échapper au poids des réalités sociales et aux carcans d’une société normative trop corsetée, se met subitement face caméra tout nu, sous le regard amusé de la charmante Brigitte Fossey, pour finir par se jeter littéralement à l’eau, tel un histrion en roue libre ; ce saut dans le vide étant là encore comme un signe avant-coureur de son suicide à venir. Ce mal-être tout au long de son existence viendrait en fait, selon la biographie dessinée signée Bollée & Hrachyan, d’un problème d’identité lié à des traumatismes non résolus, tels une enfance ballottée entre plusieurs foyers, un père biologique inconnu ainsi qu’un viol subi durant l’enfance vécu, par l’intéressé lui-même maintenant d’ailleurs une certaine opacité face à ce trauma, comme une profonde blessure. Une scène de « saut de l’ange... noir » inoubliable pour un film particulier (Un mauvais fils, donc) concernant ce feu follet, et « agent perturbateur », qu’était Dewaere car il est sorti en salles en France lorsque l’acteur, qui se battait contre la drogue à ce moment-là, a subi un véritable boycott des médias suite à un violent coup de poing porté contre un journaliste (cf. « l’affaire de Nussac » ; dans la presse, on ne le mentionnait plus du tout ou, si on l’évoquait, ce n’était que par les initiales à connotation péjorative « P. D. »), l’acteur connu pour ses humeurs en dents de scie, excès de violence et autres colères noires n’ayant pas supporté qu’une plume du Journal du dimanche (Patrice de Nussac, critique de cinéma) dévoile, sans son consentement, des éléments (un prochain mariage annoncé) sur sa vie privée.

Et enfin Numéro 5 : La Meilleure Façon de marcher (1976, Claude Miller) car c’est un beau film, très sensible, sur le droit à la différence et la lutte contre l’intolérance (l’homosexualité et les tabous l’environnant) et que le tandem contrasté, là-dedans, de deux moniteurs d’une colonie de vacances (Dewaere y campe un grossier personnage, grande gueule et sportif macho, face à un Patrick Bouchitey réservé et secret), y est tout à fait mémorable.

La Meilleure Façon de marcher, Un mauvais fils, Série Noire, Coup de tête, Les Valseuses : ces titres, auxquels on peut ajouter les suivants (Psy, Beau-père, Préparez vos mouchoirs, Les matous sont romantiques), parlent tellement bien, soit dit en passant, de cet amoureux de la vie qu’était l’artiste Patrick Dewaere ; on les dirait programmatiques, avec la mort tapie dans l’ombre. Merci la vie (quand même), comme dirait Bertrand Blier, l’un de ses cinéastes fétiches.

Bien sûr, sa mort prématurée, doublée d’un talent hors normes (il a insufflé, via une filmographie dense et exigeante (Boisset, De Broca, Faraldo, Granier-Deferre, Jessua, Téchiné, Verneuil…), un vent nouveau dans les années 1970 en France dans le jeu d’acteurs, sans oublier, au passage, son compère, et frère d’armes. Gérard Depardieu), le fait entrer direct dans la légende, façon James Dean ou Marilyn.

Mais, quand on le voit à l’écran, au hasard d’une rediffusion d’un de ses films à la télé ou en cinémathèques, ou même en lisant cette BD biographique réussie qui, en croisant habilement tragédie et humour, n’élude rien de ses démons (bagarreur, colérique, coutumier de relations toxiques et sujet à des addictions en tous genres), on ne peut s’empêcher de se demander quel acteur serait-il devenu au fil du temps : aurait-il décroché des rôles à l’étranger (il avait un potentiel de star internationale) ? Quel choix de films aurait-il fait ? Comment aurait-il évolué physiquement ? Se serait-il embourgeoisé, « pépérisé » ? Serait-il passé à la mise en scène ? Etc.

Il existe bel et bien un mystère, voire une énigme, Patrick Dewaere... Et de l’importance aussi de ces trois points de suspension accolés, comme définitivement, à son nom. Tel le symbole d’une trajectoire grandiose arrêtée nette, via son suicide, un certain 16 juillet 1982. Par une balle d’une carabine 22 Long Rifle offerte par son pote Coluche. Tu parles d’un cadeau ! « Trente-cinq ans... Tu te rends compte de la perte... Quelle époque de cons ! Dixit Patrick Dewaere dans Préparez vos mouchoirs (1978, Bertrand Blier) à propos de Mozart. Le pauvre mec, il est mort à 35 ans ! »

Ironie du sort, Patrick Amadeus Dewaere est également mort à 35 ans.

Pauvre mec, on t’aime !

Bande dessinée À part ça, la vie est belle : roman graphique de Maran Hrachyan (dessin) et Laurent-Frédéric Bollée (texte). Éd. Glénat, 136 pages, 22€.

(Visuels : 1) Couverture de la BD À part ça, la vie est belle (Patrick Dewaere) 2) + 3) + 5) cases et planche issues de cette bande dessinée 4) Portrait de la dessinatrice résidant à Angoulême, Maran Hrachyan 6) L’acteur Patrick Dewaere dans Coup de tête (1979, Jean-Jacques Annaud) interprétant le rôle de François Perrin)

 

JPEG - 177.8 ko
case issue de cette bande dessinée
JPEG - 103.9 ko
case issue de ce roman graphique
JPEG - 225.3 ko
Portrait de la dessinatrice résidant à Angoulême, Maran Hrachyan
JPEG - 145.8 ko
Planche issue de la bande dessinée
JPEG - 30.8 ko
L’acteur Patrick Dewaere dans Coup de tête (1979, Jean-Jacques Annaud) interprétant le rôle de François Perrin)


2 réactions


  • velosolex velosolex 2 mars 2021 11:31

    Un grand péteur de plombs. Immature, impulsif, jaloux. Voilà notre héros. Grand acteur ?Comme tant d’autres, dans ce monde du cinéma où les enfants gâtés des stars du show bizz reprennent la boutique de papa maman, avec quelques apparitions tombées du ciel comme Depardieu, repéré dans une boite de nuit par Agnès Varda où il assurait le boulot de gorille.

    C’est quand même le boulot qui offre la trajectoire la plus facile entre l’anonymat et la réussite financière décomplexée. Digne des 1001 nuits et de son « Cézame ouvre toi ! » . Le café de la gare a distribué des tickets de confort à tous les copains. Est ce que ça suffit pour être heureux ? .

     Le danger vient du vertige lié à la popularité à la facilité, et de tout ce qui peut amener à une lent éloignement avec les lois communes. On ne paie pas cash ses erreurs, mais à un certain moment elles s’accumulent, et le destin vient vous présenter la facture dans ce thème Faustien. La difficulté du métier d’acteur ne viendrait elle pas plus de la nécessité de redescendre du plateau, plutôt que d’y jouer. « Je dis ça je dis rien ! Comme on dit maintenant. Une formule que Shakespeare n’aurait pas retenue...En ce temps là les acteurs étaient de vrais discriminés, et les hommes choses incroyables devaient jouer les rôles des femmes. 

    A quoi tient un destin quand même ? ...Au cadeau saugrenu d’une carabine que Coluche offrit à Dewaere, qui n’avait pas de casque, et même trop une tête très solide dessous. »Et vous trouvez ça drôle" nous disait Coluche !

    Finalement, privilégier l’ascension de la vie par la face nord, à mains nus. Plus difficile, mais enivrant. On y croise le soir le prince Bouddah qui s’est échappé du palais où ses parents voulaient en faire un acteur


  • t_lapeyre 2 mars 2021 20:49

    « Mille milliards de dollars » est toujours d’actualité.
    « Adieu poulet » est la rencontre de la « vieille France » et de la génération dégénérée soixante-huitarde. Les repères versus les libertés.
    Le numéro 1 est dans l’esprit « soixante-huitard » qui mène à l’autodestruction.


Réagir