jeudi 14 janvier 2016 - par Salim Lamrani

Préface du livre « Hemingway, ese desconocido », de Enrique Cirules

 Enrique Cirules est une figure reconnue et admirée du paysage intellectuel cubain. Ce prestigieux écrivain et essayiste, membre de l’Union nationale des écrivains et artistes de Cuba (UNEAC), est l’auteur de nombreux ouvrages qui ont connu un vif succès lors de leur parution. Certains titres, tels que Conversación con el último norteamericano ou El imperio de La Habana, ont eu un écho international mérité et ont été traduits en plusieurs langues.

 Ce spécialiste de la culture cubaine a plusieurs thèmes de prédilection : la mer, la guerre et l’amour. D’abord, la mer : en effet, quoi de plus naturel pour un insulaire que d’être fasciné par cette immensité bleue, à la fois source d’espérances et d’angoisses. Ensuite, la guerre : Cuba, patrie de José Martí et terre d’esprits libres, a été marquée par la plus longue et la plus sanglante guerre d’indépendance de l’histoire de l’Amérique latine et subit un état de siège implacable imposé par les Etats-Unis depuis plus d’un demi-siècle, pour avoir proclamé avec éclat son désir d’émancipation. Enfin, l’amour : Cirules rappelle sans doute que la Révolution cubaine est d’abord et avant tout une déclaration d’amour aux opprimés, aux humiliés et aux écrasés de ce monde, un cri d’espoir et de révolte pour « la cariatide » – pour reprendre le terme qu’utilisait Victor Hugo pour désigner la plèbe –, le symbole de l’insoumission et de l’irrévérence des gueux, des réprouvés et des malheureux, décidés à prendre en main leur propre destin.

Mais Enrique Cirules est surtout passionné par la figure d’Ernest Hemingway (1899-1961), comme en témoigne cet ouvrage captivant intitulé Hemingway, ese desconocido. Ce livre constitue une entreprise de réhabilitation de l’auteur de El viejo y el mar et nous révèle plusieurs facettes méconnues du plus universel des écrivains étasuniens, notamment sa relation avec Cuba. Cet essai a obtenu une mention plus que méritée lors du Concours 2013 du prestigieux Premio Literario Casa de las Américas, auquel j’ai eu l’honneur de participer en tant que membre du jury.

Ernest Hemingway occupe une place à part parmi les écrivains du XXe siècle et plusieurs de ses ouvrages sont devenus des classiques de la littérature universelle. De son vivant, il a publié sept romans, six recueils de nouvelles et deux essais. Plusieurs autres écrits apparaitront à titre posthume.

Mais en plus d’être un homme d’idées, Hemingway a surtout été un homme d’action. Issu d’une famille aisée d’Oak Park, près de Chicago, le jeune Ernest, malgré ses indéniables dispositions intellectuelles, renonce à une carrière universitaire pour embrasser la profession de journaliste au Kansas City Star. En 1918, en pleine première guerre mondiale, il intègre la Croix-Rouge italienne en tant qu’ambulancier et rejoint le front. Il est grièvement blessé par un tir de mortier. Malgré ses blessures aux jambes, Hemingway n’hésite pas à secourir un soldat italien gravement atteint. Il recevra la Médaille italienne du courage pour cet acte de bravoure. Cette expérience lui inspirera son roman L’Adieu aux armes.

Hemingway a toujours eu une aversion profonde pour toutes les injustices, surtout pour celles qui frappaient impitoyablement les plus vulnérables. Antifasciste convaincu, correspondant de guerre pendant le conflit fratricide espagnol entre 1936 à 1939, il s’est dévoué corps et âme dans le combat en faveur de la République, assiégée par les hordes franquistes et ses partisans, à savoir « les gens de bien » et l’Eglise catholique, qui refusaient viscéralement l’abolition des privilèges, la répartition des richesses et la justice sociale. En 1938, il assistera jusqu'à à la fin à la Bataille de l’Ebre, ultime bastion républicain. Son chef d’œuvre Pour qui sonne le glas retrace la tragédie du peuple espagnol, abandonné à son sort par une Europe craintive d’un conflit mondial et des élites épouvantées à l’idée de voir « le joug de la disparité des fortunes » – pour citer l’inoubliable Henri Guillemin – enfin secoué et d’assister à l’émergence d’une véritable démocratie populaire et participative. Pour elles, le fascisme était un moindre mal car les structures sociales restaient intactes.

Face à la barbarie nazie, Hemingway s’est une nouvelle fois engagé dans la lutte contre le totalitarisme et a fondé une agence antifasciste à Cuba, alors dominée par Fulgencio Batista, fidèle allié de Washington, qui avait trahi la Révolution de 1933. Hemingway participe même à la chasse aux sous-marins allemands au large des côtes cubaines avec son yacht Pilar. En 1947, il recevra la Médaille de Bronze de la bravoure pour son engagement contre le fascisme.

Une profonde histoire d’amour unit Hemingway à Cuba et Enrique Cirules s’évertue avec brio à rappeler ces liens indéfectibles. Ce n’est pas un hasard si l’histoire de El viejo y el mar, son ouvrage le plus célèbre, qui lui vaudra le Prix Pulitzer en 1953, se déroule dans l’île de la Caraïbe, où l’écrivain étasunien a vécu de nombreuses années entre l’Hôtel Ambos Mundos et sa propriété Finca Vigía. Une anecdote suffit à illustrer son attachement au peuple cubain. Suite à la consécration littéraire de 1954, année où il reçut le Prix Nobel, Hemingway choisit un journaliste cubain pour concéder sa première interview à ce sujet. Lui, l’Américain, déclarera avec beaucoup d’affection : « Je suis le premier Cubain à obtenir un Prix Nobel ». Hemingway, qui vit avec inquiétude la montée du fascisme à Cuba avec le coup d’Etat de Fulgencio Batista en 1952 et l’établissement d’un Etat mafieux, saluera avec enthousiasme le triomphe de la Révolution cubaine menée par Fidel Castro en 1959, avec lequel il entretiendra des rapports cordiaux jusqu'à son départ définitif de Cuba en 1960.

Enrique Cirules, par sa biographie passionnée et engagée, nous rappelle sans doute la chose la plus importante à propos d’Ernest Hemingway, au-delà de son extraordinaire talent littéraire : il a su remplir son premier devoir de citoyen libre en étant un éternel indigné.

 

*Enrique Cirules, Hemingway, ese desconocido, La Habana, Editorial Arte y Literatura, 2015.

Cet essai a obtenu une “Mention honorifique” du Prix Casa de las Américas en 2013.

 

 

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba, parole à la défense !, Paris, Editions Estrella, 2015 (Préface d’André Chassaigne).

Contact : lamranisalim@yahoo.fr ; Salim.Lamrani@univ-reunion.fr

Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel

 



8 réactions


  • César Castique César Castique 14 janvier 2016 15:36

    « Son chef d’œuvre Pour qui sonne le glas retrace la tragédie du peuple espagnol, abandonné à son sort par une Europe craintive d’un conflit mondial et des élites épouvantées à l’idée de voir « le joug de la disparité des fortunes » – pour citer l’inoubliable Henri Guillemin – enfin secoué et d’assister à l’émergence d’une véritable démocratie populaire et participative. »


    Fondamentalement, il s’agissait quand même d’empêcher Staline d’ouvrir une succursale, accessible depuis le mer Noire, à l’Ouest du continent. Personnellement, j’ai une assez piètre opinion de l’uchronie - qui n’est tien de plus qu’une vaine façon de perdre son temps -, mais je suis bien obligé de considérer que c’est toute l’histoire de l’Europe qui basculait dans le sens du bolchevisme... Et, à tout hasard, je préfère qu’il en ait été ainsi. 

  • asterix asterix 14 janvier 2016 20:29

    Deux anecdotes concernant Hemingway :
    - la première est qu’avant de quitter définitivement Cuba, il fut invité par Fidel qui essaya par tous les moyens de le faire changer de décision. Il lui répondit : non je pars et je ne remettrai jamais les pieds ici. Tu as complètement détourné le cours de la révolution pour ta seule cause personnelle, descarado de mierda.
    - la seconde concernant Hemingway personnellement : A Londres durant la seconde guerre mondiale, un V2 s’est abattu tout près de l’hôtel où il logeait et il fut atteint d’une coupure au front. Les docteurs de l’hôpital tout proche tentaient à tout prix de sauver les victimes les plus atteintes et vint faire un foin un individu barbu : Je suis Hemingway, le plus grand correspondant de guerre américain. J’exige que vous me soignez en priorité, sinon vous aurez des nouvelles de mon ambassade.

    Comme d’habitude, je vais recevoir un tas d’injures des pro-cubains qui hantent ce site.
    Coucou Maugis, tu n’as pas encore été convoqué chez les flics ?


    • L'enfoiré L’enfoiré 15 janvier 2016 08:32

      @asterix,

       Mais non, ma poule Maugienne, ne viendra pas. 
       Il est convoqué justement chez les flics et ce qu’il a dit a été à peu près la réflexion de Hemingway.
      - Je veux être jugé tout de suite, je n’ai pas le temps d’attendre. Je dois répondre à asterix sur Avox et comme les articles y disparaissent très vite, je n’ai pas le temps d’entendre vos carabistouilles.
       smiley smiley
       

    • LOKERINO LOKERINO 15 janvier 2016 10:55

      @asterix
      ce ne sont pas des« pro cubains » mais des « pro castriste »
      Même si l’histoire leur donnera tors, même si le peuple cubain sera un jour libéré de ce système , ils ne changeront jamais d’avis
      Ils peuvent pas avoir eu tors c’est impossible de l’admettre, ils défendront l’indéfendable jusqu’au bout


  • LOKERINO LOKERINO 15 janvier 2016 10:52

    article recup,
    qu’elle serait le constat d’Hemingway sur 60 ans de Totalitarisme Castriste si il était notre contemporain ?
    Il semble bien( et plus que ca ) que les dérives de la révolution l’ont fait quitter irrémédiablement e la Havane malgré son amour pour Cuba et son peuple
    Il avait pris ses distance et n’aurai pas supporté l’avènement du bolchevisme
    Un tiers de ses documents furent brulé après sa mort laissant planer a jamais toutes les suspicions possible
    Alors 55 ans après , la récupération de ce grand écrivain pour un enieme article à la gloire de Castro est pathétique
    Castro n’est pas cuba, l’auteur , il y aura un après Castro !! vive Cuba , vive Cuba libre !!


    • L'enfoiré L’enfoiré 15 janvier 2016 17:59

      @LOKERINO, 

      Bonne question et bonne réponse. 
      Si Castro a monopolisé pendant deux générations Cuba, il faut seulement se rendre compte, que comme c’est une pays jeune, la plupart d’eux n’ont rien connu d’autre que ce régime à l’intérieur avec le seul atout de la « Revolucion » sans souvent pouvoir aller puiser l’information de l’extérieur via Internet. 
      Ce sont les plus vieux qui ont rêvé d’un changement. Eux n’ont pu rêver d’un ailleurs que par les on-dits de quelques touristes occidentaux. 

    • LOKERINO LOKERINO 15 janvier 2016 21:00

      @L’enfoiré
      L’après Castriste sera forcement aussi une période difficile

      Assistée jusqu’au « prêt à penser » , la population qui n’a connu que ce systeme sera déboussolé et cette période sera celle de tout les dangers

      Le prix a payer mais faut bien en sortir 

      Dans d’autres contrés , cela me sidère qu’en raison du marasme et la guerre certain s’affiche nostalgique d’un ordre disparut d’un dictateur libyen ou Irakien !! 


    • LOKERINO LOKERINO 15 janvier 2016 21:05

      @L’enfoiré
      Pourquoi ce lien sur la chanson sur le Che ?
      Légende inter générationnelle .. mais dans les faits funeste ministre de la justice sanguinaire pour le moins expéditif et exécutif ... !!


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