jeudi 21 janvier 2010 - par
Thierry Lancino : un immense compositeur français triomphe à Pleyel
Les lecteurs d’Agoravox connaissent mes articles très critiques sur les dérives auxquelles donnent lieu le changement climatique ou le développement durable. Ils seront peut-être surpris de cette incursion dans le domaine de la critique musicale. Il existe deux raisons à cela. La première réside dans mon amour pour la musique classique (pas seulement elle d’ailleurs). L’autre, plus déterminante, est mon amitié et mon admiration pour Thierry Lancino, compositeur français remarquable, et trop peu connu de ses compatriotes. je ne pouvais manquer de me rendre à Paris, Salle Pleyel, pour assister à la première mondiale de son Requiem.
Jai fait le voyage de Poitiers à Paris, vendredi 8 janvier, pour assister à la première mondiale du REQUIEM de Thierry Lancino. J’ai été comblé au-delà de toute espérance. Certes, je m’attendais à un spectacle sortant de l’ordinaire, car j’ai pu apprécier, à l’écoute des courts extraits musicaux proposés par le site www.lancino.org , tout le talent de ce compositeur, à la carrière exceptionnelle, émaillée de diplômes et de prix, et, curieusement, presque inconnu des mélomanes français. Le REQUIEM devrait modifier cette regrettable anomalie. Thierry sait tout faire, de la musique pour solistes, pour orchestre de chambre, pour la voix humaine, aux œuvres pour grand orchestre et aux compositions vocales les plus ambitieuses, et également la musique de synthèse. Il maîtrise parfaitement les instruments et la voix, nous offre des sonorités nouvelles, invente véritablement de la musique.
Mais le grand mérite de Thierry est d’avoir su s’évader de la voie où ses maîtres avaient engagée la musique depuis une soixantaine d’années, sous l’influence de Boulez, Nono, et autres dodécaphonistes. La musique était devenue un langage ésotérique, hermétique à l’oreille du plus grand nombre, contrainte à la tyrannie de douze notes différentes successives, une musique que disaient comprendre un cénacle d’initiés et qui, malheureusement, a chassé trop de gens des salles de concert.
De l’enseignement académique et de son passage à l’IRCAM, Thierry Lancino a retiré un exceptionnel savoir faire de compositeur et d’orchestrateur, mais il a inventé son propre langage, qu’il a décidé de mettre à la portée de toutes les oreilles. Ce faisant, il a rendu la musique contemporaine à la Grande Musique, celle que nous offraient Debussy, Ravel ou Olivier Messiaen. Avec le Requiem, Thierry rejoint incontestablement le panthéon de ces illustres compositeurs français.
Tout était magique dans cette soirée de gala, Salle Pleyel. Le cadre majestueux de ce lieu mythique de la musique, certes, le grand orchestre de Radio France et ses quelques 120 instrumentistes, son immense chœur, le seul en France qui ne compte que des chanteurs professionnels et rémunérés 12 mois sur 12, un très grand chef, Eliahu Inbal, survolté, euphorique, plus en forme que jamais à 73 ans, vivant tellement la musique qu’il faisait surgir qu’il exécutait des sauts de cabri tout en conduisant, quatre chanteurs solistes inspirés (j’ai particulièrement apprécié la sopraniste Heidi Grant Murphy à la voix d’une pureté et d’une agilité merveilleuses, mais les trois autres voix ont été à l’unisson de ce remarquable succès collectif).
Le public ne s’est pas trompé. Là où les dodécaphonistes et autres sorciers de la destruction musicale attirent une petite centaine d’auditeurs froids et pédants, Pleyel était comble vendredi soir. Et les interprètes leur ont offert une musique exceptionnelle parce qu’elle est résolument moderne, avec de remarquables inventions sonores, mais qu’elle correspond à ce que l’oreille du mélomane ordinaire attend et comprend, qu’elle agit directement sur l’émotion, qu’elle raconte une histoire. Une musique violente parfois, surprenante par des dissonances, qui ne sont jamais gratuites, parce qu’elles expriment la révolte ou la douleur et donc qu’elles portent un message, une musique dynamique, s’appuyant sur la richesse des percussions et des cuivres, qui se développe en captant l’auditeur, sans temps morts, stimulant sans relâche les émotions. Les passages énergiques alternent avec de longs développements méditatifs, où la fusion parfaite des instruments et des voix, allant decrescendo jusqu’à ne plus constituer qu’un murmure, évoquaient le ravissement de l’infinitude céleste. Voilà de la vraie musique, qui parle, qui agit sur l’âme et sur les sens, une harmonie qui vous met en état de jubilation. Merci Monsieur Lancino, vous sauvez la musique.
Thierry Lancino est né à Civray, en 1954. Son site www.lancino.org décrit ainsi son parcours musical :
« Après des études de musicologie et de littérature à l’Université de Poitiers puis de composition et recherche électro-acoustique au Conservatoire de Paris, il se trouve associé à des institutions de premier plan ; CCRMA, centre de recherche de l’Université de Stanford (Californie) où il mène composition et travaux de recherche aux cotés de John Chowning ; il intègre l’équipe de l’Institut de Recherche et de Coordination Acoustique/Musique du Centre Pompidou (IRCAM), où il collabore étroitement avec Pierre Boulez, expérimente, enseigne et compose durant sept années. Il considère ces années comme une période d’apprentissage approfondi de son art.
« Après des études de musicologie et de littérature à l’Université de Poitiers puis de composition et recherche électro-acoustique au Conservatoire de Paris, il se trouve associé à des institutions de premier plan ; CCRMA, centre de recherche de l’Université de Stanford (Californie) où il mène composition et travaux de recherche aux cotés de John Chowning ; il intègre l’équipe de l’Institut de Recherche et de Coordination Acoustique/Musique du Centre Pompidou (IRCAM), où il collabore étroitement avec Pierre Boulez, expérimente, enseigne et compose durant sept années. Il considère ces années comme une période d’apprentissage approfondi de son art.
Pour l’ensemble de ses travaux, il est nommé en 1988 pensionnaire de l’Académie de France à Rome, et séjourne deux années à la Villa Médicis. Il acquiert ainsi son indépendance de même que nombre de commandes qui l’encouragent à s’éloigner des moyens de production électroniques. Il écrit alors exclusivement de la musique vocale, instrumentale et orchestrale. Cette période est un tournant essentiel dans son esthétique et le choix de ses moyens de production. Ses œuvres deviennent plus lyriques et sont l’expression d’une émotion forte. La musique vocale est alors naturellement un moyen d’expression qu’il privilégie. »
Dans une interview qu’il donne à France Musique, il exprime ses motivations de créateur à propos du Requiem : « j’ai voulu marier dans cette œuvre un aspect liturgique et une aspect profane, dans un langage accessible, sans aucune barrière ». « La musique a besoin d’être entendue de manière cohérente ». C’est un retour au Bel Canto, où les instruments ne dominent pas l’ensemble de l’œuvre mais se mettent aussi au service du chant.
Les poitevins peuvent être fiers de Thierry Lancino, ce prodige qui vit aujourd’hui à Manhattan, et a connu la célébrité Outre-Atlantique. La France se doit de reconquérir ce très grand compositeur. Nous perdons trop de talents. Nos chercheurs, nos ingénieurs, nos managers émigrent de plus en plus vers des pays qui offrent à leurs compétences de meilleures conditions d’expression, et il en est ainsi aussi de nos intellectuels et de nos artistes. Reviens, Thierry.
Le Requiem peut être réécouté sur le site de RADIO France :
http://web1.radio-france.fr/francemusique/_c/php/emission/popupMP3.php?e=80000056&d=395001767
http://web1.radio-france.fr/francemusique/_c/php/emission/popupMP3.php?e=80000056&d=395001767