lundi 16 avril 2018 - par Mmarvinbear

Une brève Histoire de France : Avant Jeanne

Les chroniques parlent de l’an 793 comme étant l’année de l’arrivée d’une des plus puissantes vagues de conquêtes et de pillages jamais éprouvée par l’ Europe et la Francie. C’est cette année là en effet que les moines de Lindisfarne, une petite île près de l’Ecosse, furent massacrés et leur monastère pillé par des païens venus de Scandinavie, les célèbres vikings.

Ce qui est complètement faux. Les peuples scandinaves étaient connus déjà des romains et ils commerçaient avec eux, puis avec les peuples barbares qui leur ont succédé en tant que clients une fois l’empire mis à terre. Mais comme à cette époque là ce sont les envoyés romains qui se déplaçaient plutôt vers le nord, le peuple ne pouvait pas en connaître l’existence.

On ignore précisément ce qui a poussé les scandinaves à quitter leurs fjords pour explorer, piller et conquérir les rives des fleuves européens. Une poussée démographique qui a forcé à une expansion coloniale ? Un désir de revanche sur les carolingiens pour venger les Saxons dont les vikings étaient les proches voisins ?

C’est en tout cas à partir de l’affaiblissement de l’autorité impériale carolingienne que les raids vikings vont se multiplier.

Il ne faut pourtant pas voir les vikings comme étant un peuple de brutes épaisses assoiffés de sang. Les chroniques relatant leurs méfaits ont été écrits par des moines qui en ont été victimes car leurs monastères étaient des proies faciles et riches en or, ce qui biaise un peu l’objectivité du rédacteur. Avant tout, le viking est un marchand et un explorateur, ce qui n’empêche pas le pillage si la situation se présente. Leurs sociétés sont déjà très structurées et régies par des lois inspirées des coutumes locales et débattues par leurs assemblées. Les peuples scandinaves sont déjà partagés entre danois, norvégiens et suédois, même si ces Etats n’existent pas encore, le rassemblement étant uniquement linguistique : on est plus en présence de petites principautés, voir même de Cités-Etats que d’un ensemble unifié, ce qui ne sera le cas que trois siècles plus tard.

Vivant sur des terres ingrates et froides, les vikings ont poussé l’exploration pour se fournir en biens de première nécessité et pour développer leur commerce, offrant de l’ambre et de l’étain en échange de céréales, de bières et d’esclaves. Ils ont rapidement acquis un grand savoir-faire maritime en apprenant les courants, les informations portées par l’état et la couleur de la mer, des rudiments de météorologie et en concevant toute une série d’embarcations pour leurs besoins spécifiques avec leurs snekkars pour la guerre, le knnarr pour l’exploration en haute mer et le birdyng pour remonter les fleuves et piller. Oubliez les drakkars, ils n’existent pas : le mot est apparu au XIXè siècle en pleine vague de romantisme barbare à partir du mot suédois « drake » qui signifie « dragon ». Dans la réalité, les navires scandinaves n’étaient pas ornés de telles figures de proue, ce sont les illustrateurs de l’époque qui les ont imaginés ainsi avec un grand succès comme on le voit.

 

Les navires vikings étaient très bien conçus pour affronter la haute mer avec des planches fixées non pas bord à bord mais à clins afin d'obtenir un navire souple capable de se déformer sous l'action des vagues.

 

Les succès dans leurs entreprises de pillage tiennent à leur valeur combative mais aussi au fait que les armées étatiques occidentales ne sont pas adaptées : le temps de rassembler les troupes, les vikings sont déjà partis piller les rives d’autres fleuves. Cela va encourager les ducs et les comtes à bâtir les premières mottes castrales en bois qui laisseront ensuite place à des chateaux en pierre, affirmant ainsi encore plus leur autorité légitime sur les terres qui leurs sont dévolues par le roi.

A ces hommes du Nord, s’ajoutent au sud les derniers raids sarrasins qui remontent à nouveau la vallée du Rhone après un siècle de tranquillité relative mais ce qui marque aussi l’époque, c’est l’invasion à l’ Est des Magyars.

Originaires d’ Asie Centrale, les Magyars ont été parmi les derniers peuples à être chassés par les changements climatiques. Ils ont lentement investi les plaines hongroises ou ils se sont fixés, succédant dans les esprits de l’époque aux redoutables Huns qui sont encore dans les mémoires populaires. Comme les Huns, les Magyars ne vont raider les terres d’ Europe Centrale et des Francies que durant peu de temps en fait : tout comme les Huns, ils se fixent dans la Hongrie actuelle dont ils fondent l’ Etat au début du XIè siècle avec le baptême du prince Vajk qui prend le prénom chrétien Etienne pour formaliser la christianisation du peuple.

Les raids maures et magyars ne vont durer que 10 à 30 ans mais c’est assez pour ruiner la réputation et l’autorité des derniers rois carolingiens de Francie occidentale. Charles III se résout, faute d’argent et de troupes, à confier au guerrier viking Rollon les clés de l’estuaire de la Seine. En échange de sa pleine autorité et de sa conversion au catholicisme, Rollon s’engage à mettre un terme aux raids de ses compatriotes sur la Seine et ses affluents.

Le pari s’avère payant car désormais, Paris et les autres cités fluviales de la Seine sont à l’abri des Normands. Mais Charles III ne peut pas poursuivre son oeuvre car son autorité est contestée par plusieurs Grands du royaume : la validité du mariage de ses parents, et donc de sa légitimité est douteuse et les ducs sont assez puissants pour contester physiquement une autorité royale amoindrie par les ambitions des comtes neustriens qui avec Eudes ont un temps tenu le trône lors de la minorité de Charles III. Estimant la question viking réglée, Charles III tourne son attention vers l’Est ou les évolutions politiques et familiales ( comprendre, les décès…) lui donnent la possibilité de rêver à réunir les Francies. Mais c’est tourner le dos aux ambitieux neustriens et ces derniers parviennent à affaiblir les armées royales. Rollon se porte au secours de Charles III en tant que vassal mais son armée ne peut faire la jonction et Charles se retrouve enfermé dans une prison dorée dont il ne sortira pas, laissant l’ambitieux Raoul de Bourgogne ceindre une couronne qui doit revenir normalement à son fils Louis exilé en Angleterre.

Rollon retourne sur ses terres et entreprends d’agrandir ses possessions par les armes, fondant un duché de Normandie qui va vite rivaliser en puissance et en prestige avec la Bourgogne, l’ Aquitaine et la Champagne qui constituent les provinces les plus riches du royaume.

Plus au sud, une autre colonie viking s’établit dans l’estuaire de la Loire alors que les clans poursuivent la remontée des fleuves européens pour commercer et piller : au Xè siècle, les tribus vikings ont ainsi exploré les grands cours d’eau européens et sont passés en Méditerranée ou ils vont fonder des royaumes en Sicile, dans le sud de l’Italie mais aussi en Ukraine actuelle avec la principauté de Kiev qui deviendra à l’avenir la Russie : les suédois et les danois ont en effet colonisé de façon large et massive ce qui est aujourd’hui la Russie européenne en suivant les fleuves depuis l’embouchure jusqu’à aux sources parfois. Vers l’ouest, l’exploration emporte des knarrs vers l’ Islande et le Groenland qui est à cette époque habitable sur ses rives sud et ouest. Nécessitant beaucoup de bois et ces dernières terres en étant dépourvues, certains exilés vikings voguent plus vers l’ouest et colonisent un temps Terre-Neuve, mais le manque de femmes et la grande hostilité des amérindiens rendent tout espoir de colonisation pérenne impossible. La dégradation climatique qui va suivre va chasser les vikings du Groenland et la route vers le Vinland va se perdre dans l’oubli.

 

 

En France, les colons vikings de la Loire vont se faire éliminer par les Bretons mais ceux établis en Normandie vont se fixer et faire souche. Afin de commercer plus facilement, les vikings prennent femme parmi les Francs et se convertissent en masse. Leur art va se fondre dans l’artisanat local en apportant aux habitants de la région leur expertise maritime, ce dont bénéficiera plus tard Guillaume le Conquérant.

A l’orée du XIè siècle, l’afflux de peuplement viking va se tarir : aux tribus indépendantes succèdent de véritables Etats, Norvège et Danemark qui vont faire de l’Angleterre une colonie de peuplement pour près d’un siècle. En Francie, les Normands font désormais partie de la population locale et seule demeure pour différence une toponymie qui fait abonder les noms de lieux en -fleur que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans le pays, le terme de vieux norrois « flói » qui signifie « rivière, flux » et par extension « port » étant son origine la plus probable. L’apport viking dans la population franque est la dernière qui se fasse par invasion : à partir de maintenant, les francs puis les français vont agrandir leur peuple par une extension géographique du pays vers l’Est pour les siècles à venir. Il faut bien se souvenir qu’au moment de la cession du bassin de la Seine au bénéfice de Rollon en 911, les frontières de la Francie occidentale sont loin d’être celles actuelles : les Flandres et la Catalogne font partie du royaume mais Brest, Metz, Strasbourg, Lyon, Grenoble, Marseille et Nice sont en terre étrangère et la géographie va faire que c’est vers l’Est que les frontières vont être lentement repoussées au fil des siècles.

Mais pour le moment, les rois ont d’autres chats à fouetter. Parvenir à se maintenir en place est déjà un travail à plein temps et s’assurer de la bonne transmission de la couronne est une tâche ardue, surtout au Xè siècle ou carolingiens et Robertiens vont alterner sur le trône.

Les Robertiens ne viennent pas de rien. La famille est d’origine neustrienne et compte des carolingiens dans leur arbre, par les femmes notamment, ce qui leur confère une aura de légitimité en cas de défaillance carolingienne à la couronne. Mais ils ne constituent pas financièrement et militairement la famille la plus puissante : les ducs de Normandie, d’ Aquitaine et surtout le comte de Champagne sont plus richement dotés sans pour autant avoir une taille critique leur permettant d’espérer plus, et ce d’autant plus que chacun met un point d’honneur à ne pas laisser les autres gagner plus d’influence. C’est ce qui permet aux derniers carolingiens de se maintenir à peu près au pouvoir, usant d’alliances régulières et alternatives, soutenus par les robertiens dont le domaine patrimonial est trop réduit pour devenir une menace à long terme : au Xè siècle, leur influence politique directe porte sur la région entre Paris et Orléans ainsi qu’aux alentours de Soissons.

Quand le Robertien Raoul meurt, Hugues le Grand renonce à lui succéder pour ne pas s’aliéner les grands du Royaume et laisse Louis IV, le fils exilé de Charles III lui succéder, restant derrière à le soutenir et à exercer ainsi une large part du vrai pouvoir. Le mouvement permettait aussi d’écarter le comte de Champagne du titre et l’exécution pour trahison de ce dernier va éliminer définitivement la maison Vermandois de la compétition car le puissant comté de Champagne se voit alors divisé à la manière franque entre les fils du défunt. Louis IV tente alors de se dégager de l’influence de Hugues mais il est capturé, officiellement par des bandits Normands mais sans doute sur ordre de Hugues. Le roi est libéré mais il doit céder ses dernières terres dont la ville de Laon. 

Le roi ne possède désormais presque plus de patrimoine propre, ce qui le laisse à la merci financière des Grands du royaume. Ayant compris la leçon, Louis IV va faire avec la présence de Hugues par dessus son épaule et se contenter de gérer les affaires courantes. Il arrive cependant à assurer l’élection de son fils Lothaire, ce qui va laisser aux Carolingiens une dernière période faste ou ils vont pouvoir retrouver un peu de leur puissance perdue. L’élection de Lothaire constitue aussi un grand changement dans la tradition franque : à partir de ce moment, le royaume ne sera plus partagé entre les fils du roi défunt, seul l’aîné bénéficiant de la légitimité successorale. C’est ainsi que Charles de Lorraine, cadet de famille, est écarté de la succession de son père Louis IV.

Cette nouvelle tradition, propre à assurer la pérennité de l’Etat naissant, les carolingiens ne vont pas en bénéficier longtemps pourtant. La famille a été réduite par le fait que de nombreux carolingiens n’ont pas eu de fils ou trop peu pour assurer la transmission générationnelle. Lothaire mort, son fils Louis V lui succède mais il meurt après moins de trois ans de règne. Il n’a pas eu d’enfant et la lignée s’arrête avec lui.

 

Louis V meurt accidentellement, heurtant son front au linteau d'une porte qu'il essayait de franchir à cheval. La lignée carolingienne s'éteindra peu de temps après lui.

 

Selon les lois successorales de l’époque, son oncle Charles de Lorraine est le mieux placé pour lui succéder mais les Grands du royaume, réunis et influencés par l’évêque Adalberon de Reims, ne veulent pas de lui pour diverses raisons : il lui est reproché un mariage avec une femme de condition inférieure, mais aussi sa mauvaise réputation licencieuse, ce qui est un peu hypocrite quand on connait les moeurs de l’époque en matière de fidélité conjugale.

Mais le grand reproche fait à la candidature de Charles est le fait qu’il est avant tout un prince germanique et non franc. Il est un proche de l’empereur Otton et ne parle presque pas le roman. Il a certes deux fils qui pourront assurer la poursuite de la lignée mais il est très majoritairement perçu comme étant étranger à la Francie : la fin du Xè siècle est le moment ou les Francies se sont assez éloignées culturellement, linguistiquement et politiquement pour se considérer l’une l’autre non pas comme des nations soeurs issues d’un ancien empire, mais comme deux Etats voisins, différents et rivaux. Il est dès lors hors de question de laisser un prince perçu comme étranger accéder à la couronne, quelque soit son droit héréditaire : le sentiment national vient d’apparaître et il va lentement se diffuser au sein de la population après avoir conquis l’élite, mais il faudra encore quelques siècles pour cela.

Pour succéder au défunt Louis V, le choix se porte naturellement sur le fils d’Hugues le Grand, Hugues Capet : il est fin politique et compétent militairement parlant, il est Franc de naissance et de culture, sa famille a déjà porté la couronne trois fois ces deux siècles passés et il est apparenté à Charlemagne par les femmes.

Les Grands du royaume ne voient donc aucune raison de rejeter sa candidature, surtout que le domaine des Robertiens est resté très modeste et qu’il ne peut pas faire de l’ombre aux puissantes Normandie et Aquitaine. L’élection de Hugues Capet marque l’évènement de la troisième dynastie, les Capétiens.

A ce moment là, les Grands pensent pouvoir contrôler le nouveau roi mais ce dernier profite de son statut de souverain sacré pour assurer la continuité dynastique : une fois Charles de Lorraine enfermé à vie, Hugues prétexte de la nécessaire continuité du pouvoir pour faire sacrer son fils et l’associer au trône de son vivant : Adalbéron s’y oppose dans un premier temps car il espère, ainsi que les autres grandes familles, que la couronne tournera parmi les Grands afin de limiter les risques d’émergence d’une famille puissante unique. La mort prématurée des fils de Charles provoque l’extinction des Carolingiens et donne à Hugues tous les arguments pour soutenir son point de vue. Adalbéron ne peut pas trouver d’argument valable contre et il est contraint de sacrer Robert, ce qui de fait limite les candidatures pour l’élection du nouveau souverain à un seul candidat possible, le fils aîné du roi.

Hugues a été prudent car il meurt dès 996 mais à ce moment là, son fils Robert II a déjà 9 ans d’expérience de règne derrière lui et il va à son tour faire sacrer son fils Henri de son vivant. Au XIIè siècle, Philippe Auguste estimera la tradition bien ancrée et se passera de ce rite, estimant la position des Capétiens comme étant définitivement assurée sur le trône.

La fin de la partition des territoires a diverses conséquences : déjà, cela permet l’émergence des Etats-nations avec la fin de la recomposition régulière des terres selon les héritages.

Mais cela engendre aussi des frustrations : les cadets de famille savent qu’ils sont exclus de l’héritage principal ou la terre constitue la richesse première. Ils sont poussés à faire une carrière militaire ou à entrer dans les ordres, ce qui limite leurs possibilités d’avoir aussi des enfants et de troubler les successions futures.

Cette richesse est si importante que les premiers rois de France, très peu dotés, vont faire de l’extension du domaine royal leur priorité absolue afin de jouer un jour d’égal à égal avec les Grands du royaume. Pour cela, tous les moyens légaux sont bons : achats de terre, héritage, mais aussi mariages et confiscations des terres si un seigneur local s’avisait de passer les limites.

Les disputes légales existent aussi sur le plan local, ce qui permet au roi de légiférer et d’intervenir dans des successions ou des transactions douteuses. Le droit royal acquiert de plus en plus force de loi au détriment des législations locales, ce qui renforce la main-mise du roi sur des seigneurs plus puissants que lui.

Comme l’Eglise pousse les rivaux locaux à ne plus user des armes pour régler les conflits, il s’ensuit des troubles politiques et militaires car l’épée est encore à cette époque le meilleur moyen de régler un problème. Afin de mettre au pas tout ce beau monde et de voir se dépenser cette énergie guerrière à des fins plus utiles, la papauté incite les nobles européens à partir en Croisade afin de reprendre des mains des musulmans les Lieux Saints.

Offrant la rémission automatique de tous leurs péchés si les participants venaient à y mourir, l’Eglise fait aussi comprendre aux cadets de famille que le Proche Orient regorge de terres à conquérir facilement, n’ayant aucun propriétaire. Aucun propriétaire chrétien en tout cas.

 

Les Croisés ont une image plutôt positive mais quand les musulmans prennent Jérusalem en 638, ils laissent les chrétiens et les juifs libres de vivre dans la ville. Reprise par les Croisés en 1099, les musulmans y sont massacrés. Les Croisés sont définitivement chassés en 1187 et le libre accès aux lieux saints dépendra de l'humeur des dirigeants de la ville.

 

Les monarques ne sont pas en reste et participent, soit financièrement, soit personnellement, c’est une question d’image et d’honneur aussi. Et aussi pour conquérir plus de nouvelles terres que les voisins saxons ou germaniques, si possible.

Les préparatifs sont rapides et bien menés, ce qui permet la prise de Jérusalem et la fondation des Etats Chrétiens d’Orient qui vont exister cahin-caha pendant deux cent ans. Mais ces Etats ne sont déjà plus au centre de l’intérêt des monarques. Le Tombeau du Christ est libéré, ils n’ont plus rien à y faire et ils vont y laisser des cadets et des administrateurs de second ordre pour gérer les conquêtes. Et malgré toutes les incitations, très peu de colons accepteront de quitter le servage pour une terre plus libre mais plus périlleuse : le manque criant de colons face à des musulmans qui veulent avant tout reprendre pied en Palestine va être un facteur important de l’échec militaire et politique des Croisades.

Car l’esprit des rois est avant tout tourné vers leurs terres principales, à la gestion bien plus complexe que les oasis palestiniennes. On l’a vu, le mariage est une façon, pour le roi comme pour les nobles, de s’enrichir en mariant une jeune femme qui apporte un bien matériel en dot. De cette façon, les diverses provinces voient se complexifier leurs arbres généalogiques, la tendance, dès cette époque, étant au mariage entre proches pour ne pas disperser les terres plus que nécessaire. L’Eglise veille en théorie à ce que les époux soient assez distants sur le plan familial mais les exceptions et les exemptions sont nombreuses, pour le bien de l’Etat naturellement.

A l’orée du XIè siècle, la féodalité est pleinement mise en place et va structurer la société pour les sept siècles à venir. Au bas de l’échelle, se trouve le serf. Libre en Droit mais attaché à sa terre, le paysan travaille sa terre tout au long de l’année et doit divers services au Seigneur du lieu en échange de sa protection policière et militaire. Il a le droit de se marier mais si sa promise est d’ une autre terre il doit demander l’autorisation du Seigneur. Les serfs constituent alors l’immense majorité de la population, peut-être 80 % des Francs de l’époque. 

Les religieux se répartissent entre la cure et les divers ordres monastiques. Ils jouissent de certains privilèges et s’en octroient aussi quelques autres. Le célibat des prêtres n’est pas encore dans le canon de l’Eglise et les religieux s’arrangent aussi souvent avec le devoir de chasteté. Cela au vu et au su de tous car Rome finit par intervenir, les scandales sexuels se multipliant dans les ordres monastiques. Les monastères se voient imposer une sérieuse remise à niveau et les cas les plus flagrants traités avec la sévérité qu’il convient par une politique de défroquage menée tambour battant pour satisfaire les canons de l’Eglise et le besoin du Peuple de se raccrocher à un exemple valable. Les abbayes de Cluny et de Citeaux vont établir de nouveaux canons monastiques bien plus exemplaires, ce qui va donner aux ordres de nouvelles sources de revenus qui vont remplir par contrecoup les caisses de Rome.

La population citadine est très réduite encore : Paris ne compte que 50 000 habitants au XIIIè siècle et c’est pourtant une des villes d’ Europe les plus peuplées. Les habitants sont avant tout des commerçants, des artisans et des étudiants. Les faubourgs vont se peupler avec les premiers exodes ruraux de serfs qui vont tenter leur chance en montant à la ville pour échapper à leur condition.

Enfin, la noblesse complète la population. De force très réduite, elle possède pourtant l’essentiel du pouvoir politique et territorial. L’antique système clientéliste romain inspire encore un peu la pyramide sociale du pays : à la base, les seigneurs locaux sont alliés à des ducs ou des comtes à qui ils répondent de leurs actes et ces derniers sont sous l’autorité du Roi qui les dominent tous du fait de son Sacre, qui en fait un représentant direct de Dieu sur Terre. Les puissants seigneurs ne peuvent pas s’en prendre au Roi sans courir le blasphème. Aussi, le plus souvent, ils s’en prennent à sa politique en attaquant ses ministres ou ses conseillers, qui eux ne sont pas couverts par l’ Hommage dû au Roi pour les terres qu’ils administrent.

Cette pyramide sociale permet de donner une société stable, mais uniquement quand elle s’exprime au sein du même Etat : le concept de frontière à cette époque est un peu flou encore et le jeu des conquêtes, des héritages et des mariages entre nobles donnent parfois à un seigneur des territoires sous l’autorité de souverains étrangers, ce qui complique parfois les choses : il n’est pas rare de voir, aux frontières de l’Est, des seigneurs devant rendre Hommage au roi de France pour certaines de leurs terres et aussi à l’Empereur pour d’autres. Quand les tensions politiques sont fortes, ces nobles sont tiraillés entre leurs serments et souvent leurs actes sont dictés par leurs intérêts propres.

Le meilleur exemple est celui produit par la conquête Normande de l’Angleterre en 1066. S’estimant trahi par Harold qui a pris le trône anglais à la mort d’Edouard le Confesseur alors qu’il avait promis de soutenir la candidature de Guillaume, le duc de Normandie traverse la Manche avec armes et bagages pour prendre de force ce qu’il estime être son Droit. L’armée de Guillaume est forte mais il a aussi la chance de voir le norvégien Harald tenter de débarquer au nord de l’ Angleterre afin d’y reprendre d’ anciennes terres danoises dont il en a hérité en théorie. Harold le vainc puis doit refaire le chemin inverse pour affronter Guillaume. La fatigue de ses troupes et une mauvaise tactique provoquent la défaite anglaise et l’établissement du duc normand comme roi d’Angleterre. De nombreux vassaux en profitent pour se tailler des fiefs et se retrouvent à la tête de seigneuries réparties des deux cotés de la Manche.

 

La tapisserie de Bayeux est un document unique en son genre, d'une valeur inestimable. Mais elle est incomplète, la dernière séquence figurant sans doute le couronnement de Guillaume comme roi d'Angleterre ayant été perdue.

 

On a alors une situation inédite ou un monarque doit s’incliner face à un autre pour l’ Hommage rendu pour les terres normandes. Et quand la situation se tend par la suite entre la France et l’Angleterre, menaçant de guerre, les seigneurs normands doivent choisir entre risquer de perdre leurs terres anglaises s’ils remplissent leurs devoirs de vassaux contre le roi anglais ou perdre leurs terres françaises s’ils se parjurent et soutiennent le monarque anglais.

Avec le temps et les conflits, la rupture va se faire tout naturellement et quand Philippe Auguste s’ empare de la Normandie pour l’intégrer au Domaine Royal en profitant des troubles causés par la succession difficile de Richard Coeur de Lion, la confiscation touche également les seigneurs locaux qui se trouvent de fait privés de leurs terres françaises. L’expédition met de fait un terme à l’existence de l’empire Plantagênet, une suite de terres sous l’autorité du roi d’Angleterre et qui couvrait la façade Atlantique entre l’ Ecosse et les Pyrénées.

 

Descendants de Guillaume, les Plantagenets vont régner sur un vaste territoire mais qu'ils ne parviendront jamais à unifier sur le plan du droit et de la monnaie. Suite à une sanglante guerre civile, la famille perd la couronne anglaise au profit des Lancastre, qui forment une branche cadette du clan.

 

Ce premier conflit entre la France et l’Angleterre laisse au roi insulaire le contrôle de la Guyenne à qui il rend l’Hommage au roi de France pour ce fief. Les rois français vont alors tenter de reprendre possession du duché aquitain en misant sur des alliances matrimoniales : les rois anglais prennent pour coutume d’avoir une femme issue des capétiens, ce qui permet de garder une grande influence diplomatique, mais qui a l’inconvénient aussi de multiplier avec le temps les prétentions dynastiques.

Au début du XIVè siècle, la dynastie capétienne a bénéficié depuis presque 350 ans d’un terrain favorable : en ces temps ou sur 5 enfants, seuls deux accèdent à l’âge adulte, les rois de France ont eu, à l’exception de Louis VIII, chacun un règne long qui a permis d’imposer une politique de long terme mais surtout, ils ont toujours eu au moins un fils à qui transmettre tranquillement la Couronne à la mort de son prédécesseur. Quand Philippe le Bel monte sur le trône, rien ne permet de penser qu’il en ira autrement : il va avoir trois fils en bonne santé.

C’est pourtant avec eux que la lignée des capétiens directs va s’éteindre. La succession est perturbée par l’affaire de la Tour de Nesle. Deux des brus du roi sont convaincues du pire crime possible pour elles : l’adultère. Elles sont enfermées à vie et Philippe tente de briser leurs mariages par une annulation en bonne et due forme. Mais le siège pontifical, seul autorité compétente, est vacant et va le rester des années, Rome étant le cadre d’une guerre d’influence entre les familles romaines qui toutes briguent le Saint Siège. Pour le roi, c’est une catastrophe : à ce moment là il n’a qu’une petite fille, Jeanne, que l’enfermement de sa mère fait soupçonner de bâtardise. Il doit absolument permettre à ses fils de se remarier pour prolonger la lignée. Il a bien un petit-fils, mais par le biais de sa fille Isabelle, mariée au roi anglais Edouard II, ce qui exclut celui-ci de la succession car étranger.

Les brus de Philippe ont alors la bonne idée de mourir en captivité. Il ne fait guère de doute que la nature a été un peu aidée, leurs conditions de détention se détériorant régulièrement et rapidement. Veufs, les fils du roi se remarient mais les héritiers attendus ne vont pas venir.

Philippe le Bel meurt et Louis X lui succède. Il meurt après deux ans de règne seulement, laissant la régence à son cadet Philippe dans l’attente de la naissance de son enfant à venir : c’est un fils, aussitôt proclamé roi mais Jean Ier meurt cinq jours après sa naissance. Son oncle Philippe devient roi mais la dysenterie l’emporte à son tour, sans qu’il n’ait eu de nouvel enfant après la mort précoce de son fils. Charles lui succède mais disparait à son tour, laissant sa veuve enceinte.

Cette fois-ci, c’est une fille et le royaume, pour la première fois depuis 4 siècles, se retrouve sans prétendant évident.

Les grands du royaume se retrouvent à devoir choisir le nouveau souverain. Une forte minorité se porte sur Philippe de Valois, le neveu de Philippe le Bel, mâle le plus proche encore en vie du défunt roi. Mais le duc de Bourgogne et le comte de Champagne préfèrent Jeanne de Navarre, la fille de Louis X. Le soupçon de bâtardise n’est selon eux pas constitué et le fait qu’ils soient apparentés de façon proche à la jeune femme n’est sans doute qu’une coincidence à leurs yeux…

De l’autre côté de la Manche, Edouard III, qui vient de déposer et sans doute de faire exécuter discrètement son sodomite de père, clame ses droits. Philippe de Valois est le neveu de l’ancien roi mais lui en est le petit-fils, ce que soulignent certains Grands.

 

Il est très probable qu'Edouard II ait été bisexuel. Les rapports homosexuels sont formellement condamnés par l'Eglise mais l'autorité religieuse a tendance à regarder ailleurs quand la bougrerie concerne les puissants. 

 

Cette crise successorale permet de préciser des points laissés en jachère lors de l’avènement des Capétiens. La candidature d’Edouard III est unanimement rejetée non pas parce qu’il tiendrait ses droits de sa mère, mais parce qu’il est considéré comme anglais et donc étranger.

Cet épisode permet tout de même de poser la question à ce moment là : une femme peut-être transmettre un droit qu’elle ne possède pas ? La réponse est dans la question et les juristes du royaume estiment que non. Jeanne de Navarre est formellement écartée en tant que femme, car elle ne peut selon le Droit Canon bénéficier du Sacre, qui fait du Roi un membre de l’Eglise. Elle se voit attribuer un pécule et des terres en compensation mais le ver est dans le fruit et Edouard III profite de l’affaiblissement de Philippe de Valois pour revendiquer à nouveau la Couronne de façon formelle.

Une guerre de succession vient de commencer et personne n’imagine à ce moment là qu’elle va durer plus d’un siècle.



15 réactions


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 16 avril 2018 11:30

    Merci pour ces rappel historiques bien nécessaire à l’heure actuelle, alors que l’histoire semble dans un tournant. Une peite allusion au coeur en or de Anne de Bretagne eut été bienvenue ;


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 16 avril 2018 11:42
    Lire : Le lys d’Evreux : tragédie en cinq actes et en versPar E. Loyau de Lacy (d’Amboise, pseud. Jonas.)

  • Montdragon Montdragon 16 avril 2018 13:01

    Humm..en 1098, Jérusalem est turque et les seldjoukides freinent fortement le pèlerinage.
    Le moyen-Orient n’est pas non plus vierge de tout changement politique.
    Sinon, excellent.


    • Mmarvinbear Mmarvinbear 16 avril 2018 15:11

      @Montdragon

      L’histoire du Proche-Orient est longue et compliquée, cela nécessiterait une encyclopédie rien que pour le sujet, un brin de simplification ne nuit pas.

      Il reste vrai qu’à l’arrivée de l’ Islam dans la région, les califes et l’émir de Bagdad vont se montrer bien plus tolérants que les Croisés qui viendront plus tard essayer de rechristianiser les lieux.

    • Montdragon Montdragon 17 avril 2018 10:34

      @Mmarvinbear
      Mais vous oubliez encore qu’entre temps, une horde turque, la première, prend le pouvoir dans la région.


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 16 avril 2018 14:00

    L’un des deux c’était à cause d’un cochon. Pas très glorieuse comme mort,...


    • Mmarvinbear Mmarvinbear 16 avril 2018 15:15

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      On ne choisit généralement pas le moment et le lieu de son décès.

      Henri III est sur sa chaise percée quand le moine Clément lui porte le coup fatal.

      Sic transit...

    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 16 avril 2018 15:19

      @Mmarvinbear


      Beaucoup fut dit sur ce décès. J’ai lu toute l’histoire sur Google. Très intéressant,..il y a du symbolique dans cette mort. Nicolas Flamel. question : Vos recherches historiques sont-elles puisées dans la fameuse collection Fayard, spécialisée en la matière ?

  • McGurk McGurk 16 avril 2018 20:07

    * "Dans la réalité, les navires scandinaves n’étaient pas ornés de telles figures de proue, ce sont les illustrateurs de l’époque qui les ont imaginés ainsi avec un grand succès comme on le voit.« 

    Ce n’est pas totalement faux. Les beaux navires avec proue ont bien existé mais plutôt pour des chefs de clan influents, il y en a encore quelques uns dans certains musées et qui sont, malgré l’âge, d’une grande beauté.

    Pour ce qui est des guerriers, je crois me souvenir qu’il y avait aussi bien des paysans (les fameux »cerfs libres") mais également des soldats professionnels (Huscarls)- qui n’existaient pas en Europe.

    Ils combinaient effectivement à la fois le côté commerce - avec des contacts jusqu’au Moyen-Orient et des caravanes qui parcouraient l’Europe/Afrique) - et pillage opportuniste.
     


  • Taverne Taverne 17 avril 2018 10:19

    Vaste panorama est instructif.

    Pourquoi n’avez-vous pas nommé les rois avec leurs sobriquets si parlants ? Charles III le Simple et Louis V le Fainéant. Tout est dit !

    Les Robertiens sont les ancêtres des Capétiens. Ils avaient acquis le pouvoir réel. Louis IV donna à Hugues le Grand le titre de « dux Francorum » (duc des Francs) faisant de lui une sorte de vice-roi.

    La durée de règne des premiers capétiens fut garante d’une stabilité après cette guerre des puissants qui l’ont précédés. Philippe Ier : 47 ans de règne ! Son petit-fils Louis VII le Jeune : 43 ans ! le fils de celui-ci, un certain Philippe Auguste : 42 ans ! Et enfin le petit-fils de l’Auguste Louis IX : 43 ans !

    « En France, les colons vikings de la Loire vont se faire éliminer par les Bretons ». Ceci expliquerait pourquoi la Bretagne a ensuite repoussé Clovis et éloigné Charlemagne ? 
     


    • Taverne Taverne 17 avril 2018 10:52

      Aux lecteurs : attention, petite subtilité  : si Louis V est dit le Fainéant, il ne fait pas partie des « rois fainéants » qui, eux, font partie de la dynastie précédente, à savoir les mérovingiens. Ces derniers mérovingiens avaient perdu le pouvoir au profit de Pépin de Herstal, maire du palais d’Austrasie. À partir de la mort de Thierry III en 691, c’est lui qui fait et défait les rois. Il a eu un fils célèbre, un certain Charles Martel...


    • Mmarvinbear Mmarvinbear 17 avril 2018 13:59

      @Taverne

      « fainéant » est ici à prendre, comme d’ailleurs pour les rois mérovingiens qualifiés ainsi, dans le sens « n’ayant rien fait de remarquable », et non pas « paresseux ».

      Les sobriquets sont le plus souvent attribués après la mort du souverain pour illustrer le caractère majeur de leur règne.

      En revanche, la justesse de ce surnom est parfois sujette à caution car parfois attribués par des chroniqueurs à qui ils ont déplu par le passé.

    • Taverne Taverne 17 avril 2018 14:31

      @Mmarvinbear

      Qui n’ont rien fait, qui ont « fait néant » et le dernier n’a pas fait d’héritier. Les numéros des monarques ont été attribués bien des siècles plus tard pas des historiens mais les surnoms sont souvent authentiques car ils étaient bien utiles pour distinguer les homonymes : Louis le Gros (qui était gros), Louis le Jeune (parce qu’il était plus jeune que son aîné mort avant lui et qui, pour la petite histoire, finira gros lui aussi !). Et avant eux : Capet (de « cape » ou chapeau), Robert le Pieux, Charles le Magne (le Grand), Philippe (premier de ce nom et donc unique en son temps, prénom qui vient du russe et que sa mère Anne de Kiev lui avait donné)...Le Philippe suivant sera Auguste parce qu’il est né au mois d’août, puis avec la légende il est devenu auguste...


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 17 avril 2018 14:38

    Chaque génération a toujours tendance à dénigrer la précédente,....Ancien et nouveau Testament. Classique. les conflits de génération ne datent pas hier. Je me suis toujours sentie plus proche de mes grands-parents que mes parents. Nous n’avions pas grand-chose à voir entre nous. et le plus désagréable pour eux, c’est que je leur rappelait leur propre parents et leur monde plus attaché « aux traditions » qu’ils avaient tenté de fuir. Expo 1958,....Quand nous marchions ensemble, je me tenais toujours derrière, à trois mètres d’eux,.. 


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