samedi 16 mars 2013 - par jymb

Vie, mort et histoire posthume du Dr Arthur Marissal

C’est au récit d’une histoire peu banale que je vous invite aujourd’hui, histoire qui illustre la complexité de ce que fut la France de 1944, très loin de la lecture binaire et confortable que certains se plaisent à en faire. Elle illustre aussi la très grande difficulté d’éclaircir encore actuellement les motivations, responsabilités d’alors, clarifier les attitudes d’après guerre.

 

IL est peu de cas dans l’histoire où se trouvent réunis une exécution reconnue « fait de guerre » et une victime reconnue « mort pour la France » Cela est pourtant possible. Cette histoire, inhabituelle à plus d’un titre, amena Henri Amouroux à la citer dans la préface de son dernier tome des « Français sous l’occupation » intitulé « La page n’est pas encore tournée »

Oublions donc quelques instants notre quotidien immédiat, et remontons le temps jusqu’à ces sombres années. Nous sommes le 4 mai 1944, il fait chaud, le temps est ensoleillé, Le Dr Arthur Marissal, médecin montpelliérain, débute ses consultations de l’après midi. Il est de manière inopinée sollicité pour se rendre au secours d’un blessé. La personne déguisée en policier qui avait prétexté une urgence pour s’introduire dans le cabinet tire alors, à bout portant, sur le médecin, ceci sous les yeux de son jeune fils, Jean, âgé de 13 ans. 7 balles de 11.43, un décès presque immédiat, et un nouveau drame qui s'ajoute à une période riche en souffrances de tous ordres. L’affaire Marissal débute.

 

Qui est le Dr Marissal ? Originaire de Lille, élève de Calmette qui inventa le fameux « BCG », médecin pneumologue, il fonde le premier dispensaire antituberculeux à Montpellier puis dans différents lieux de l’Hérault (Le centre de pneumologie de Lodève est actuellement toujours en activité). L’utilisation quotidienne de la radioscopie et les brûlures qui s’en suivent l’obligent à revenir à une pratique de ville. Il sera candidat malheureux aux élections municipales du 5 mai 1935. La guerre déclarée, son quotidien de médecin devient celui de beaucoup : hébergement des réfugiés, espagnols, belges, juifs (entre autres, le jour de sa mort, Dora Leder, jeune juive polonaise), réception de messages en ondes courtes sur un poste fabriqué sur mesure par un ami ingénieur, rédaction de faux certificats de tuberculose, radiographies truquées visant à échapper au STO, qui se chiffreront par centaines. Personnalité connue et appréciée, sa mort brutale va secouer la petite société montpelliéraine, ville provinciale alors assez étroite.

Le chaos de 1944

Au décours de cet assassinat sont diligentées des enquêtes, l’une menée par la police française et l’autre par la Gestapo. La veuve du Dr Marissal est convoquée par ladite Gestapo. Le capitaine Heinrich qui la dirige lui donne alors sa parole d’officier que malgré sa connaissance (!) des sentiments patriotiques et anti-collaborationnistes du Dr Marissal, il n’est pour rien dans sa mort. Fin juin 1944, suite à des dénonciations restant à ce jour obscures, un jeune homme de 18 ans est arrêté par la police allemande, il avoue rapidement sa responsabilité. Les allemands n’ayant somme toutes pas de grief direct contre lui (bien au contraire pourrions nous dire..) le remettent à la police française qui, tout aussi ennuyée dans ces journées d’incertitude qui suivent le débarquement, le livrent…à la milice. Le 17 aout, une cour martiale le condamne à mort, il est exécuté d’une balle dans la tête par un milicien (confirmation par exhumation et rapport d’autopsie après la libération)

Durant cette période, le fils aîné de la famille, dans un mouvement irraisonné, en contradiction avant les engagements paternels, et jurant de venger la mort de son père s’engage dans la milice. Son seul « fait d’arme » sera la perquisition d’un restaurant dans une affaire de marché noir. Il déclarera que « si mon père n’était pas mort, je serais entré dans la résistance » Il sera malgré tout condamné à mort dans un premier temps, peine commuée en 10 ans de rétention, puis ensuite acquitté par un tribunal militaire et définitivement bénéficiaire d’une « grâce amnistiante personnelle » émise par le Général de Gaulle le 5 juillet 1960.

Les suites immédiates, durant la libération de la ville, sont très dures pour les autres membres de la famille Marissal, conseil leur étant donné de quitter la ville devenue pour eux dangereuse. Ils passent ainsi de la situation de victime à celle de gibier. C’est donc la fuite à travers les mouvements de troupes, de réfugiés ou factions de tous bords, avec un périple heurté qui mériterait à lui seul un long métrage : à pied, en barque pour traverser les cours d’eaux, en cars se traînant sous leur gazogène, en train sur les segments de voies non détruits : Béziers, Murviels (où on leur fait rapidement comprendre que leur présence est indésirable car dangereuse…), Saint Geniez d’Olt, Bort les Orgues, Neussargues, Clermont Ferrand, Angoulême, Toulouse. Dans cette ville la famille traquée réussit à se loger à l’hôtel du « Grand Balcon » (oui, celui de Saint Exupéry et Mermoz) alors siège des FFI, partant du principe -qui s’avérera payant- que personne n’ira y chercher des proscrits en perdition, rejetés par tous les bords. Après Toulouse, Bordeaux, Orléans, Paris puis Lille - plus exactement Marcq en Baroeul - alors que commence la bataille des Ardennes.

Qui est le tireur ?

Raoul Batany est né le 6 janvier 1926, écolier à Bordeaux puis Tarbes. Clairement patriote et désireux d’agir, Il s’illustre en 1943 par des actions démonstratives (distribution de tracts, inscription de croix de Lorraine) puis est recruté par le réseau « combat » comme agent de liaison, enfin, il entre dans les groupes francs de la libération où il lui est demandé de faire ses preuves en exécutant un milicien. Une liste de noms et adresses lui aurait été remis (par qui ? c’est le cœur de l’énigme) il déclarera avoir choisi le nom du Dr Marissal qu’il ne connaissait aucunement, n’étant pas montpelliérain.

 

L’ après guerre : le combat d’un homme seul.

Durant ces années les honneurs se multiplient autour de Raoul Batany, qui va bénéficier à titre posthume d’honneurs, décorations (Légion d’Honneur, Médaille de la Résistance et Croix de Guerre) articles de journaux multiples s’éloignant souvent des faits réels, honneurs vécus comme particulièrement choquants pour la famille Marissal, portant le deuil d’un père et époux dont l’engagement résistant ne faisait pas de doute.

L’épouse du Dr Marissal refusera ainsi la légion d’honneur qui lui était proposée, ne pouvant accepter recevoir la même décoration que le meurtrier de son époux. Elle bénéficiera du statut de veuve de guerre, et ses enfants mineurs seront pupilles de la Nation. Plusieurs d’entre eux quitteront Montpellier. Seul Jean Marissal fera carrière dans cette ville tout en continuant une œuvre de recherche et de mémoire. Il va ainsi se retrouver en opposition quasi frontale durant des décennies avec plusieurs personnalités et le journal local « Midi Libre »

En 1962 et 1965, exaspéré de n’être jamais écouté, il martela le nom du meurtrier de son père sur la plaque commémorant les résistants montpelliérains. Poursuivi pour cet acte, il fut défendu par Maître Delmas, alors maire de Montpellier, (prédécesseur immédiat de George Frèche) Jean Marissal fut condamné alors à de la prison avec sursis, peine assortie d’articles de journaux cinglants et de courrier de menace de mort ..

 

Les années 2000 les pistes de réflexion

Il est tentant de penser à une simple méprise, un nom glissé par erreur sur une liste de collaborateurs notoires à abattre, hypothèse cependant bien peu crédible dans une communauté provinciale où l’action et la vie de chacun était connue. C’est l’opinion actuelle de certains, tel le site des « résistants en Gironde » qui la met en avant.

 Après la libération, la résistance a défendu quand à elle, sans l’étayer, l’hypothèse de l’influence exercée par un agent infiltré de la Gestapo.

Une réflexion un peu plus appuyée soulève une éventualité tout aussi crédible, mais moins facile à admettre, moins consensuelle, soit l’exploitation d’une main armée étrangère à la ville, patriote et volontariste, envoyée en mission pour faire disparaître une personnalité résistante potentiellement influente dans le Montpellier de l’après guerre qui se profilait. Y aurait–il eu opposition entre différents courants de la résistance ? Les derniers développements des difficiles recherches faisaient s’interroger quand à l’influence éventuelle d’un mouvement, coordonné par une personnalité alors de premier plan, Gilbert de Chambrun. Hélas ce dernier, bien que contacté, est décédé sans avoir pu ou voulu transmettre d’éventuels éclairages.

Il y a un an, le 1er avril 2012, s’éteignait Jean Marissal qui jamais n’avait pu oublier la mort de son père, gravée pour toujours dans sa mémoire d’adolescent. Jusqu’aux derniers jours, il s’acharna à trouver la réponse à la question lancinante : pourquoi et au bénéfice de qui ?

Le livre est-il définitivement refermé ? Le temps qui passe voit les témoins disparaîtres mais également les intérêts personnels et partisans s’amoindrir, et le débat éventuellement s’ouvrir.

Aujourd’hui si vos pas vous amènent lors d’une flânerie montpelliéraine dans la cour du 2 rue Stanislas Digeon, non loin du palais de justice et de la rue Foch, entrez, une plaque commémorative vous remettra en mémoire cette histoire, petit fragment douloureux de la grande Histoire, témoignage de la complexité des faits et des hommes.

 

Et pour aller plus loin, lire ou relire l’ouvrage d’Henri Amouroux sus cité ; « L’épuration sauvage » de Philippe Bourdrel ( Perrin), mais également les « mémoires d’un pot de terre » de Jean Marissal déposées aux archives départementales de l’Hérault, cote 11F355, et le livre de Yagil Limor « Chrétiens et juifs sous Vichy 1940-1944, sauvetage et désobéissance civile », (Cerf 2005) qui parle de l’engagement du Dr Arthur Marissal.



3 réactions


  • exocet exocet 16 mars 2013 16:17

    Bien difficile, d’enquêter sur cette période : il suffit de lire quelques livres de Boudard, par exemple, authentique résistant de la première heure.
    Et là on comprend que les « résistants tardifs », surtout après 1942, année qui voit les alliés enfoncer partout les forces de l’axe, n’avaient pas tous de nobles idéaux.
    Voire pour certains, d’anciens truands collaborateurs tortionnaires de la gestapo, qui trouvaient là en retournant discrètement leur veste, l’occasion de se refaire une virginité.

    Il semblerait que la guerre permette aux assassins d’exprimer leur nature ; elle tue aussi, souvent, les gens les plus courageux, affame les faibles et les plus honnêtes, et voit s’engraisser les plus hypocrites....


  • Jorge Atlan 16 mars 2013 19:55

    merci pour ce témoignage


  • jymb 16 mars 2013 20:57

    Merci pour votre lecture... en espérant que la diffusion de ce récit pourra faire émerger de nouvelles données éclairantes.


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