vendredi 9 février 2007 - par Jérôme Delacroix

Cher client...

Et si le CRM consistait d’abord à s’intéresser vraiment au client, c’est-à-dire à lui porter de l’attention ?

C’est en tout cas ce qui ressort des entretiens que nous avons réalisés dans le cadre de la rédaction du livre “Cher client”, présenté le 7 février au musée Dapper et téléchargeable gratuitement sur le site de l’EBG...

Pendant longtemps, les entreprises ont fait de la relation client sans le savoir. Plutôt, elles n’étaient pas là pour parler de relation client. Elle étaient là pour fabriquer des produits et rendre des services, le mieux possible. Sous la poussée de divers facteurs, allant du renforcement de la concurrence aux mutations technologiques, les entreprises ont pris conscience de l’importance de la relation client. Au « silence radio » sur le client a succédé l’ère des grands discours en son honneur qui se traduisaient, dans la pratique, par une approche défensive : il s’agissait bien souvent de contenir ses ardeurs en l’enfermant dans un process. Aujourd’hui, nous vivons le dépassement de ces deux phases contradictoires : les entreprises considèrent la relation comme partie intégrante de leur métier. Elle n’est plus une couche ajoutée aux processus de l’entreprise, elle irrigue tous ces processus.

Dans ce contexte, les sociétés que nous avons rencontrées sont révélatrices des enjeux auxquels font face toutes les autres. Le premier de ces enjeux est le devenir de la relation lorsque le contrôle des clients est de moins en moins possible. Il y a encore quelques années, les consommateurs étaient isolés. La dissymétrie d’information entre les entreprises et leurs clients était telle que les marques pouvaient maîtriser assez facilement leur image et les discours à leur sujet. Cette maîtrise de la communication avait nourri l’illusion d’une maîtrise de la relation. Désormais, les consommateurs bénéficient de nouveaux outils pour communiquer entre eux et avec les marques, notamment à travers le Web participatif. Ces «  foules intelligentes » échangent et disposent de beaucoup plus d’informations que par le passé.

C’est pourquoi les entreprises ne peuvent pas maîtriser la relation entre les clients et pourront de moins en moins diriger la relation avec eux. Paradoxalement, le renoncement à une pratique top - down de la relation client, dans laquelle les entreprises sont à l’origine de tous les messages et parlent plus qu’elles n’écoutent, va les conduire justement à une plus grande maîtrise, au lieu d’un fantasme de maîtrise. En effet, constatant tous les aléas qui interviennent entre le moment où elles lancent une campagne de mailing ou d’e-mailing et ses impacts sur les ventes, elles ont une approche de plus en plus empirique, expérimentale. Elles mesurent, quantitativement et qualitativement, tous les effets de leurs campagnes relationnelles, ce qui leur donne une bien meilleure visibilité sur leur efficacité. Prenant acte du nouveau pouvoir des consommateurs, les entreprises adoptent également une attitude plus modeste. Celle-ci est visible dans la communication des sociétés les plus en pointe : elles ne prétendent plus être infaillibles, elles sont fières de faire de leur mieux. C’est ce qui les conduit aussi à prêter un intérêt plus sincère aux clients, à recueillir leurs questions et leurs remarques comme autant d’informations qui augmentent leurs connaissances et les aident à progresser. C’est la fin du « traitement des demandes clients » et le début de la prise de conscience qu’elles sont une valeur pour l’entreprise. Nul doute que cette nouvelle vision va modifier les pratiques du management du marketing ces prochaines années.

Le deuxième enjeu est celui de la rencontre entre le virtuel et le réel. D’un côté, la relation avec la marque passe de plus en plus par le virtuel : serveurs vocaux interactifs, sites Web, e-mail, SMS et sites mobiles jouent un rôle croissant. Les frontières de l’espace sont brouillées : la relation se fait de plus en plus à distance, le client se tient physiquement à l’écart de l’entreprise mais, simultanément, celle-ci le rejoint au cœur même de son intimité et de ses moments de vie personnelle par les SMS et le marketing mobile en émergence. Ainsi se crée une relation qui n’est plus centrée sur le client mais qui est « enveloppante », ubiquiste. Le client est en même temps à distance des marques et simultanément les marques sont partout. Les récentes avancées des technologies vont amplifier ce phénomène : panneaux d’affichage communiquant via Bluetooth, publicités magazine rendues interactives grâce aux codes barres que l’on peut photographier avec son téléphone, géolocalisation... Minority Report n’est plus très loin. D’un autre côté, les entreprises que nous avons interrogées insistent sur la place cruciale des vendeurs pour créer un lien humain et des points de vente pour recueillir des données fraîches. Il va donc leur falloir inventer des solutions originales pour tirer le meilleur parti des deux mondes.

Le troisième enjeu qui découle du précédent est celui de l’équilibre entre une relation médiatisée par la technologie et le contact humain direct. Dans le passé, les entreprises ont eu tendance à répondre par la technique à des problèmes relationnels. Les clients se plaignaient-ils du temps passé à attendre qu’un conseiller soit disponible au téléphone  ? On a mis « à leur disposition » des serveurs vocaux interactifs. Les files d’attentes étaient-elles trop longues dans les agences bancaires  ? On a « répondu à leur attente » grâce à des guichets automatiques de banque. Les internautes ont-ils du mal à trouver des informations sur les sites Web des marques ? Qu’à cela ne tienne : des agents virtuels peuvent prendre en compte leurs demandes. Tout ceci a été présenté comme des avancées motivées par le souci de répondre aux attentes du client. En réalité, le client n’est pas en attente de plus d’automatisation mais de plus d’attention humaine. On en arrive aujourd’hui à des situations absurdes dans lesquelles les entreprises tentent de réhumaniser la relation en remplaçant par exemple les SVI par des ... automates traitant le langage naturel ! Autrement dit, nous sommes en présence d’une tentation de répondre à un besoin de reconnaissance humaine par une sophistication toujours accrue du leurre technologique. Les entreprises qui sauront sortir de ce dilemme risquent fort de gagner les faveurs de nombreux clients...

Il ressort des entretiens que nous avons menés que les entreprises sont au commencement d’un voyage dans la relation client. Elles disposent aujourd’hui de tous les outils techniques et des concepts leur permettant de créer ce lien plus étroit auquel elles aspirent, mais aussi leurs clients, dès lors que ce lien leur apporte vraiment de la valeur. C’est un long périple parsemé d’embûches. Puisse ce livre leur servir de guide...


Télécharger le livre dans son intégralité



3 réactions


  • alberto (---.---.109.157) 9 février 2007 16:19

    J’ai bien apprécié votre article, M. Delacroix, qui bien qu’interessant, est un peu...noyé sous le concert médiatico-électoral sur AgoraVox !

    Avant d’avoir lu votre livre, je peux vous livrer deux ou trois réfexions sur ma perception de la relation client :

    1 Ce concept est plutôt d’origine anglo-saxone, le but premier étant de la part des industriels une tentative de fidèlisation de leurs client.

    2 Aux USA, dans les années 60/70, un certain Ralph Nader entreprit de créer des associations de consommateurs afin de permettre à ceux-ci de se présenter en tant qu’interlocuteurs crédibles face à la puissance des trusts industriels.

    3 Arrivée plus tardivement en France ce concept de relation client s’est plutôt développé également sous la pression des associations de consommateurs

    4 Toujours d’origine anglo-saxone, des instituts de certification de « Qualité » tels « ISO », ont introduit dans leurs conventions un paragraphe de « satisfaction client »...

    5 Les entreprises et industriels français y sont allés en trainant un peu les pieds : pas dans leur culture

    6 Sous la pression conjuguée des instituts de certification, mais surtout de la part de celle de leurs clients étrangers les français ont fini par se rallier à prendre en compte cette relation, stimulés également par l’exemple des sociétés étrangères installées en France qui l’avaient développées avant elles et avec succès.

    7 Si vous observez bien la façon dont a évoluée la mise en place de cette relation client, vous remarquerez que dans la pratique les nombreux gadgets que vous décrivez dans votre article (internet, repondeur vocal, ...) sont plutôt utilisés pour maintenir le client à distance et compliquer ses revendications éventuelles.

    Ma conclusion : je ressents la perception qu’ont les entreprises française comme :« le client est un mal nécessaire » et que la devise serait plutôt du style :« sell and forget » .

    Vous me trouverez sans doute un peu dur, mais pour l’avoir pratiquée (à mon corps défendant) de l’intérieur, je crains que les principes de ce concept n’ont pas encore irrigué la nomenclentura de nos belles entreprises.

    Bien à vous.


  • voyageur51 (---.---.212.136) 11 février 2007 14:20

    Le français est une langue riche et vaste. J’ai eu beau chercher sur plusieurs dictionnaies, point de CRM. 

    Ah oui, c’est vrai, celui qui a écrit ce truc tout en tête de l’article doit se sentir extraordinairement puissant. De la pure branlette intellectuelle.


  • kasko (---.---.104.204) 11 février 2007 19:38

    Article intéressant, mais une observation simple explique beaucoup d’errements et d’erreurs sur le terrain.

    Une véritable approche client consiste à tout bâtir en partant du client, notamment les processus de l’entreprise. Ceci conduit à construire certains processus « à l’envers » c’est-à-dire dans le sens opposé à celui de son exécution. Exemple : le processus de livraison qui se termine chez le client doit être conçu en partant du client c’est-à-dire en commençant à répondre aux questions telles que : quelles sont les attentes du client ? quels sont ses critères de satisfaction ? quelles sont ses critiques actuelles ? quelles sont ses priorités ?

    Cette démarche est totalement contraire à notre culture et à nos habitudes. D’où peu de résultats concrets, et une motivation réelle faible, toute en apparence et en grands discours creux. La plupart du temps le changement d’état d’esprit, j’allais écrire de « logique », est sous-estimé, donc la démarche est inappropriée.

    Le recours ou non à telle ou telle technologie, à tel ou tel mode de relation n’a aucune importance en soi. Le seul critère est : permet-il de bien/mieux répondre aux attentes du client ? Les entreprises ont souvent le tort de porter trop vite leur attention sur les outils, sans avoir approfondi les attentes clients. La précipitation, toujours la précipitation ! Plus l’arrogance de tout savoir du client sans aller le questionner !

    Un retraité qui a fait pas mal de CRM


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