J’ai fait le test : je suis devenu un homme de gauche...
J’ai fait le test : je suis devenu un homme de gauche... J’ai essayé, j’ai vendu mon âme au diable, j’ai vendu mon âme à l’épicier du coin... J’ai rendu les armes, j’ai franchi le pas. Désolé.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L448xH307/velib-bac65.jpg)
J’ai fait le test. Franchement. Je voulais connaître les doux agréments quotidiens de la vie d’un homme de gauche. Un vrai, un dur, un tatoué. Un type plein d’espérance en l’homme. Un progressiste pur jus. Un authentique anti-raciste. Un humaniste garanti sur facture. Un amoureux de l’environnement, tenaillé par l’angoisse de la « terre » qu’il va laisser aux générations futures. Un homme qui n’est jamais avare d’une franche indignation, jamais économe d’un coup de gueule « citoyen », jamais lassé d’une prise de position publique contre le capital, le patronat ou encore contre le sexisme qui fait rage à Saint-Germain-des-Prés.
Après avoir signé une pétition en faveur de la cause palestinienne, et une autre contre la guerre d’Irak, j’ai ouvert L’Internationaliste dans le métro, ligne 6. C’était sur le conseil d’une amie de Montreuil. Dieu me pardonne. Le regard concentré, mais bienveillant, je parcourais la splendide prose de cette confidentielle - mais si hype - publication bolchevique. Tout en me restaurant, avec grâce et préciosité, d’un sandwich bio vénézuélien, aux concombres, issu de l’économie équitable, je vivais un moment d’intense joie littéraire en lisant cette phrase remarquable : « Si au fond l’essence du Que faire ? réside dans la lutte contre les idées de la classe dominante au sein de notre classe, il faut savoir que la seule garantie de succès réside dans une grande quantité de travail en profondeur parmi les masses ». Plongé dans une sombre et voluptueuse introspection sur la situation des Indiens du Chiapas, sur le destin du maoïsme, sur le sens métaphysique de la lutte des classes et sur la situation précaire de José Bové, victime du complot industriello-millitaro-capitaliste, je ne fus soustrait à ma rêverie que par l’arrivée dans le wagon de deux magnifiques jeunes femmes : Aliénor et sa sœur-jumelle Hilda. Aliénor me demanda : « Monsieur, vous lisez L’Internationaliste ? Vous devez être un homme exceptionnel alors... ». Modeste, comme tous les hommes de gauche, je me perdis en dénégations, et proposa aux deux jeunes femmes quelques bouchées de mon sandwich végétarien - garanti sans OGM et sans additif issu de l’industrie chimique nord-américaine. Nous parlâmes un peu de la lutte des classes... Je fis à l’oreille d’Aliénor une synthèse brillante et drôle de l’article Natalité et transformation impérialiste dans l’offre politique du Vatican. Elle en fut très troublée. Il me parut de bon ton de glisser quelques sentences bien senties contre la chasse, la pêche et la corrida... le sujet étant toujours très porteur avec les femmes. Les deux sœurs descendirent à l’arrêt Bercy, non sans m’avoir laissé un moyen de les joindre : je leur promis de les emmener à la Fête de l’Huma, dans une voiturette électrique à énergie solaire, afin d’assister à un concert du chanteur « engagé » Renaud Séchan, fils du célèbre helléniste. Je leur fis aussi la promesse solennelle de m’engager davantage en faveur de la lutte pour les droits des femmes, pour l’avortement et pour la défense des mères célibataires en contexte urbain.
A l’arrêt Daumesnil, je pris la décision ferme - et définitive - de faire un geste citoyen. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Certainement une pulsion. Je sortis du métro afin d’enfourcher un Vélib’, je fis trois tours de la place, un, deux, trois, avec un sourire de bienheureux, puis je remis avec détermination la glorieuse monture citoyenne à sa borne métallique. La loupiotte passa du rouge au vert. Clic-clac. J’étais déjà un autre homme. J’hésitais à faire un crochet par « Paris Plages », pour étrenner mon nouveau maillot de bain « Dior Hommes », mais le fond de l’air était un peu frais.
En passant devant un lycée professionnel, j’entendis des cris : de sales flics à la solde d’un Etat policier dictatorial étaient en train d’interpeller en pleine classe un enfant de couleur noire, âgé d’à peine 24 ans... en voyant passer le triste convoi jusqu’à la voiture de police, gyrophare hurlant, je pris mon courage à deux mains et cria : « C’est un scandale ! Vous êtes de sales racistes... Vous savez demain c’est mon cours de squash, au sporting club, j’en parlerai à un ami avocat à la Ligue des droits de l’homme et à SOS Racisme. ». Sans me démonter j’ai levé le poing et hurlé : « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ! ».
Comme je me sentais plein de gloire et de fierté, je pris la décision d’aller louer un DVD. Je pris un documentaire allemand sur l’histoire du féminisme, afin d’aborder en homme progressiste, et libéré des préjugés sexistes, ma nouvelle relation avec Aliénor et Hilda. Avant de reprendre le métro, je mis mon Ipod en marche, avec une chanson « générationnelle » de Vincent Delerme. Je m’endormis dans la rame de métro et fis un rêve étrange... toutes les personnalités de la gauche française faisaient une étape du Tour de France, dans les Pyrénées, au départ de Luchon-Superbagnère... Olivier Besançennot, avec sa monture de postier, et sa glorieuse gibecière en cuir, se détachait notoirement du peloton. Delanoë sur un Vélib’ en fonte sulfurisée flirtait dangereusement avec la voiture balaie. Ségolène en chiait grave avec ses talons hauts, d’autant plus que François Hollande tentait de la faire chuter en lui criant des insultes obscènes. Salope ! Salope ! Pauvre hyène ! Chienne immonde ! Des insanités atroces. Arlette Laguillier et Marie-Georges Buffet étaient sur un tandem aux couleurs de l’arc-en-ciel. Elles ne cachaient plus leur joie. Elles gloussaient et pédalaient gaiement. Hi hi hi ! Dominique Voynet, sur une patinette à moteur, fonctionnant aux agro-carburants, faisait la course avec José Bové...
Terminus, Créteil. Réveil. Un peu difficile. Comme un homme de gauche, j’arpente le bitume avec hauteur et fierté... bien conscient des problèmes des banlieues, et bien décidé à contribuer à la progression de la « citoyenneté ». Quand j’arrive chez moi, je me sers un peu de thé équitable. J’allume ma télé. Devant les programmes de TF1 et M6, je ne parviens pas à réprimer un : « Halte à la télé-poubelle ! TF1... TF-haine... ! ». Comme j’ai gueulé un peu fort mon voisin tape contre le mur. Bang, bang, bang ! Ces slogans me rappellent quelques vieilles manifs. Chouettes souvenirs. D’ailleurs, j’ai bien envie d’aller manifester... Le contact du bois des pancartes me manque. Parole. J’ai une carence aiguë en slogans simplistes, aux rimes impardonnables. J’ai envie de faire le pitre devant une poignée de journalistes avides. J’ai envie de hurler des conneries gauchistes dans la rue...
Je prends mon Blackberry et j’appelle mon ami Bob, syndicaliste SNCF, que j’ai connu au club de squash... Je lui demande si des manifs sont prévues ces prochains jours. Il consulte son calendrier du happening marxiste-léniniste bien-pensant, sur son Mac. Temps mort. J’hésite bêtement entre une petite marche des fiertés gays et lesbiennes, et une manif de cheminots musculeux contre le démantèlement du fret. J’ai toujours été un garçon indécis. « Autant que savoir, douter me plaît » (Dante). Je m’autorise à suspendre mon jugement, le temps de déguster un merveilleux petit muffin aux myrtilles, acheté à une pâtisserie de Créteil participant courageusement à une opération d’insertion d’anciens détenus pédophiles issus des minorités visibles... Je vais bien. J’ai fait le test. C’est cool. Finalement, tout compte fait... je pense que je vais devenir un homme de gauche...
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