lundi 16 mars 2020 - par alinea

ADA5 à Toulouse : rencontre d’Adaïstes

 

Du mouvement dada, une convergence anarchiste, sans l’art mais avec le politique … On mêle l’utile à l’agréable, le combat à la solidarité, la condamnation à la réparation.

Le bouillonnement d’idées et d’énergie, cette jeunesse même chez les plus vieux, cette bienveillance même chez les guerriers, cette générosité même chez ceux qui assument les tâches ingrates, cette curiosité chez tous renforcent le désir, l’intérêt et l’intensité des rencontres.

La voix chevrotante de la mémé ne nous laisse pas longtemps dans la crainte d’une intervention ennuyeuse, deux phrases gentilles et biens ciblées puis, avec une gaieté juvénile, une minute d’incitation au courage combatif, à l’urgence qui ne nous épargnera pas.

On se pèle dans ce hangar mal fermé, nous sommes en manteau, pieds boueux d’avoir traversé la cour après les giboulées. Marianne, on penserait plutôt qu’elle est un pilier de sacristie, on lui donne le bon dieu sans confession, mais dès qu’elle prend un peu d’aise et parle de son groupe, ses actions, ses projets, on voit qu’on n’a pas à faire à une demi-portion ! « Mes voisins ne me disent plus bonjour, mais bon… je fais des réflexions tout fort quand ils passent ! » dit-elle

Une détermination, une clairvoyance éclairent l’avenir. Et l’on sait qu’il ne faut pas se fier aux apparences.

On a installé les tables en petits cercles de dix chaises, pour trois cent cinquante personnes en bas, et cinquante en haut, sur une mezzanine ; le lendemain, les cercles s’agrandissent de retardataires, ceux qui ne peuvent pas se libérer le vendredi, ou ceux qui ont des actions ou viennent de loin.

Nous sommes un peu plus de quatre cents, presque deux fois moins qu’il y a un an à St. Nazaire, et moins qu’il y a quatre mois à Montpellier, c’est que depuis décembre, nos Gilets Jaunes sont de sortie au moins trois fois par semaine, sans compter les réunions et les ronds-points, aussi, la fatigue a-t-elle gagné un bon nombre qui a besoin du week-end pour se reposer. On dit que le mouvement s’essouffle ; ce n’est pas le mot, on s’économise parce qu’il ne s’agit pas d’un sprint mais d’un marathon ; le cœur est toujours bon.

On se rencontre aux repas, au hasard autour d’une des très rares tables ou bien en voisin de chaise, et c’est merveilleux cette prise de contact sans a priori, qui débouche le plus souvent sur une longue conversation. On se voit dans les ateliers autour d’un sujet, parfois on en continue la trame, parfois on parle d’autres choses, les actions que les uns ou les autres mènent depuis le début du mouvement, ou avant, ce sont des pépites que l’on laisse jaillir, deviner...

En attendant, pas un horizon qui ne soit bouché.

Dans les ateliers, on écoute, on planche sur un sujet, on propose le fruit de nos réflexions, c’est la mission du mandaté.

Que lie tous ces Gilets Jaunes qui restent aujourd’hui ardents à la lutte, enclins à la réflexion, sans découragement ?

Ce n’est pas un optimisme béat, personne ne rêve de miracle, mais tous ont conscience que ce que l’on vit, ensemble, aujourd’hui, c’est la Vie, cette vie confisquée dans la contrainte de l’individualisme consumériste actée dans toutes les formes de participation au social, que ce soit au travail ou pendant les loisirs, induits et aujourd’hui surveillés ; on ne peut plus aller au spectacle sans fouille !

Pas de service d’ordre, à l’Assemblée des assemblées, même ceux qui ne le savent pas sont anarchistes : l’ordre que l’on pratique soi-même sans besoin de flics extérieurs.

Nous avons en commun le sens du commun, développé. Nous émanons de la société, sociologiquement et par tranche d’âge représentative – exceptée peut-être celle des trente-cinq/cinquante ans, âge du boum professionnel et des enfants à élever- la parité est spontanée, visible mais non comptée, ce qui est authentique ne se calcule pas.

Nous sommes une extraction volontaire et déterminée à retrouver le bonheur de vivre, à réinstaurer les conditions pour ce faire, mais avec peu de moyens. Non contents d’avoir peu de moyens, nous sommes calomniés, tabassés, emprisonnés comme des malfaiteurs. Ceux qui le font sont ceux qui ont acquis un complexe de classe et, à peine plus haut sur l’échelle sociale, reluquent le prochain barreau et dédaignent les inférieurs ; on leur a dit que les Gilets Jaunes étaient une populace violente et bornée ! Et comme ils sont encore tout complexés et empreints des qualificatifs disqualifiant le peuple, ils détesteraient nous être assimilés. Ils ignorent qu’en notre sein, revêtent le gilet des médecins, des avocats, des écrivains, des cinéastes… c’est dommage pour eux, nous on sait que l’intelligence collective est un miracle que l’on provoque, et que l’on vit. Quelle société cautionnent-ils qui criminalise le défenseur de l’humain ?

Mais on se passera de ces gens-là, modelables par les médias, influençables par le pouvoir, flattés jusqu’au mépris de leurs origines.

J’expliquais que nous devrions fonctionner à l’instar des sociétés traditionnelles sur un trépied synarchique : une société, comme un individu, se construit sur trois pôles nécessaires. Dans la société aucun chef n’est obligatoirement requis ! Aujourd’hui comme jadis, elle comprend les guerriers, les religieux et les paysans, correspondant aux trois composantes de l’humain : le corps, l’âme et l’esprit. Celui qui nourrit le corps, celui qui nourrit l’esprit, et donner à l’âme les conditions de se nourrir seule.

Si nous avions conscience de cette nécessité, notre petit pourcentage deviendrait fort et exemplaire, nous échapperions aux luttes pour le pouvoir, ou la reconnaissance, sachant que chacun est nécessaire, pas seulement au combat, mais à la résistance.

Sur nos ronds points, nous sommes klaxonnés gaiement, et applaudis ; les voitures qui passent devant le hangar de notre rencontre, font de même, cela nous donne espoir que nous serons rejoints par tous !

Pour l’instant, nous avons réfléchi à quelques caractéristiques, celles qui nous unissent et tiennent les autres à distance !

Les Gilets Jaunes ne craignent pas de s’asseoir sur des vieilles chaises sales ramassées à la poubelle ; ils ne craignent pas les intempéries, la boue, le froid : ce qui compte pour eux c’est la chaleur humaine, le soleil dans les yeux du voisin.

Les Gilets Jaunes ne mesurent pas leurs peines, ils sont généreux et dévoués, ils n’attendent pas la gloire ni le pognon, mais que l’humanité soit assez heureuse pour donner le meilleur d’elle-même.

Les guerriers, indispensables, ont l’audace de l’idée, et le courage de l’action, bravo, tant mieux, que les tranquilles consensuels les respectent pour ces actes voyants et percutants.

Mais que les guerriers respectent et admettent les réflexions, les partages, les échanges d’idées, de paroles, d’expériences… et que les esprits qui cogitent, haranguent ou parlent ne se vexent pas d’être parfois mis en doute.

Que chacun des trois soubassements comprennent que les deux autres sont indispensables : à l’ADA, c’est clair : celui qui met le PQ dans les toilettes sèches et qui vide les poubelles aide autant que celui qui clarifie et note les propositions de chacun ; celui qui fait le repas est aussi indispensable que celui qui réfléchit, et fait part de ses réflexions. La joie apportée au bar par les cantiniers, les prix libres, le travail et la peine et le temps donnés comme baume aux ondes qui nous traversent, ça requinque !

Ainsi, organiser une société, de productions ( coopératives, puisque ce n’est pas encore interdit ), de communications ( médias alternatifs, rencontres, etc. ), de réflexions, d’échanges, de fêtes, hors profit, libérera, si elle ajoute la désobéissance, le boycott, mais la solidarité et l’entraide, les énergies et elle sera forcément amenée à se développer puisque cette manière qui est immensément plus belle, jouissive et nourricière que ce que nous propose l’ultra libéralisme, se trouve être le vœu de tous les êtres sains de cette planète. Il ne s’agit donc que de se dévoiler puis se rencontrer.

Vient, après, la politique, dont le chemin sera tout facilité par l’expérience.

La révolution que nous pouvons faire, ce n’est pas ne pas vouloir se bagarrer, mais vouloir ne pas se bagarrer ; nous sommes au moins aussi nombreux que les flics de tous bords, n’est-ce pas, armés, nous vaincrions ; le problème, c’est que nous voulons faire société nouvelle et juste, pas nous venger.

Aussi, plutôt qu’une méfiance qui vient par habitude, je propose la complémentarité : nous sommes tous utiles pour peu que nous soyons tous déterminés dans le but commun.

Une Assemblée, qui nous réunit tous, c’est un moment où on se renforce parce que l’on se rencontre, parce que l’on trouve une bienveillance, facilitée il est vrai parce que nous nous sommes embarqués dans les mêmes voies, et ces voies qui s’éloignent de l’apparence, de la gloire et du pouvoir, sont bonnes pour tous : les Gilets Jaunes sont tout sauf un groupe, une secte ou un parti, ils sont une émanation vous dis-je.

Avant la dernière assemblée, plénière, où l’on fera une synthèse, ou chacun pourra lancer son message, sans chef, sans mot d’ordre, un air s’entonne qui devient hymne et qui tonne sous les tôles comme seule la ferveur populaire sait faire sonner son chant.

 



3 réactions


  • nono le simplet 17 mars 2020 08:07

    c’est une bonne idée de faire ce genre de réunion en ce moment ...

    le slogan, c’était « rendez vous à la prochaine assemblée à l’hôpital dans 15 jours »  ?

    franchement ...


    • alinea alinea 17 mars 2020 13:38

      @nono le simplet
      Mais nono, cette réunion a été décidée bien avant et a eu lieu avant que Macron décrète la panique ! qui sera peut-être plus délétère que le virus !


  • caillou14 rita 17 mars 2020 08:22
    Max Ernst - Au rendez-vous des amis 1922- René Crevel, Max Ernst, Dostoievsky, Théodore Fraenkel, Jean Paulhan, Benjamin Péret, Johannes Baargeld, Robert Desnos. Philippe Soupault, Jean Arp, Max Morise, Raphaël, Paul Éluard, Louis Aragon, André Breton, Giorgio de Chirico, Gala Éluard

    Ils étaient anarchistes, apatrides, hostiles à toute forme d’abrutissement social. C’est dire si les dadaïstes nous manquent aujourd’hui.

    Le 23 juin 1916, au Cabaret Voltaire, à Zurich, un type habillé d’un drôle de costume « cubiste », monte sur scène, et commence à réciter d’une voix monocorde un poème incompréhensible, suite d’onomatopées parfaitement calculées. La salle est bondée, des cris et des rires fusent, le type continue, impassible, plus sérieux qu’un pape, et scande sa partition dont vous ne trouverez la clé nulle part. Il s’appelle Hugo Ball. Dada est né.

    C’est parce que la foule est une masse inerte, incompréhensive et passive, qu’il faut la frapper de temps en temps, pour qu’on connaisse à ses grognements d’ours où elle est - et où elle en est. Elle est assez inoffensive malgré qu’elle soit le nombre, parce qu’elle combat l’intelligence. [...]

    Philippe Sollers dans Le Nouvel Observateur du 27 février 2014

     smiley


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