Catalogne : grille de lecture des rapports de force
Nous allons faire l'hypothèse que la question de l'indépendance catalane (mais non l'identité catalane en elle-même) est promue par la finance apatride pour mettre à bas l'Espagne toute entière, Catalogne y compris.
Dans le monde occidental actuel, le problème, ce n'est pas d'être de la capitale ou de la région. C'est d'être.
Le but de l'empire américain, depuis une cinquantaine d'années, est de bâtir un monde cosmopolite : c'est le Hart-Cellar Act de 1965, ce sont les politiques migratoires en Europe de l'Ouest. Toute la politique depuis ce temps consiste à réadapter les sociétés, les villes, les économies, les cultures, les mémoires, les mentalités, à ce monde cosmopolite.
De ce point de vue, il est présomptueux de prendre parti pour les Castillans ou les Catalans. Car en réalité, du point de vue des possédants cosmopolites, à qui l'Espagne doit 100% de son PIB, aucun des deux camps ne doit l'emporter.
Ce qui plane à brève échéance en Espagne y compris en Catalogne, c'est sa dissolution non plus seulement comme État souverain —déjà fait depuis 25 ans—, mais comme peuple, ou plutôt, comme continuum de peuples.
Il s'agit pour l'Espagne de suivre les pas des pays européens à l'avant-garde du progrès que sont la France, l'Angleterre, la Scandinavie, la Belgique, les Pays-Bas, l'Allemagne et l'Italie.
Un bon moyen de vérifier que ces derniers sont bien arrivés au « stade cosmopolite », est que chacune de leurs démocraties possède un parti populiste à qui échoit la tâche de s'opposer à l'immigration, et qui est généralement composé de bras cassés, de bouffons et d'infiltrés, et dont l'utilité dans le jeu politique est bien sûr d'empêcher toute reprise du pouvoir.
En Espagne, pas encore.
L'Espagne et la Catalogne ont pourtant été métamorphosées depuis la mort de Franco. L'Espagne a connu en 40 ans, l'exode rural, la déchristianisation, le tourisme, la folie immobilière. Elle est au « stade moderne » et sur le plan des arts, la Catalogne se targue même d'être « post-moderne ».
Mais où est notre parti populiste xénophobe qui signalerait la mise en coupe réglée de la péninsule ? Nulle part. La Falange a fait 8.000 voix en 2015. Le seul parti analogue serait Vox, un parti libéral anti-islam, qui a fait 1% aux dernières européennes, dont 3% à Madrid.
Mais les Castillans qui ne pensent pas trop de mal de Franco, doivent se résigner à voter pour le PP euro-libéral et atlantiste, ou encore Ciudadanos, le nouveau parti libéral, laïcard et centraliste.
Et les Catalans qui pensent que leur identité prime avant tout, y compris sur les extra-européens, se résignent à voter pour des partis centristes, proche des milieux financiers.
Autrement dit, jusqu’en 2017, la querelle identitaire, qui prend bien sûr ses sources dans la fierté tribale la plus anti-cosmopolite, rentrait dans le jeu modéré, bourgeois.
Or aujourd'hui, avec le référendum sur l'indépendance de la Catalogne, et toutes les passions qu'il a déchaîné, cette modération vole en éclats, et les militants convoquent eux-mêmes les symboles « franquistes » et « anti-fascistes » de la guerre civile !
Et pourtant, l'Espagne ne peut pas se le permettre. Elle est en état de siège.
Alors que tous ses voisins du Nord se dissolvent complètement, l'Espagne a encore :
- une royauté
- un peuple fier de son identité, espagnole ou régionale
- un gouvernement conservateur sur les questions migratoires et sociétales
Mais on n'en dira pas autant dans dix ans : le loup est déjà dans la bergerie.
Un quart des députés (Podemos) sont des républicains, antiracistes, antisexistes et antispécistes, qui ne prennent pas parti dans les questions régionalistes, mais qui sont favorables à la régularisation des clandestins et se demandent si Ceuta et Melilla devraient appartenir à l'Espagne.
Et les sociaux-libéraux du PSOE font alliance avec eux dans toutes les villes et provinces du pays où ils le peuvent déjà.
Autrement dit, le spectre qui menace l'Espagne, ce n'est pas le séparatisme, mais le nihilisme.
Or, quel a été le jeu de Podemos, ainsi que des autres organes en faveur du cosmopolitisme, en Espagne et au-delà ? Non pas de prendre parti pour Madrid ou Barcelone, mais de demander un référendum. En sachant très bien que cela ne ferait qu'envenimer la situation pour les deux camps !
L'indépendance est une question piège.
Il est tout à fait justifié que des peuples et des régions laissées pour compte réclament l'autonomie :
- la mondialisation et le rétrécissement des distances rend difficile la survie d'un peuple sans l'appui d'un gouvernement qui reconnaît et protège l'identité et les intérêts de la région
- en outre, la déchristianisation de l'Occident fait apparaître une fracture linguistique irréconciliable ; de même que Gutemberg a suscité le réveil germanique, cinq siècles après, la chute de la religion suscite le réveil des petites nations.
Mais il y a un monde entre quête d'autonomie et indépendance : l'une peut être pensée de manière harmonieuse, comme le respect de toutes les identités à leur juste mesure, pour le bénéfice commun ; l'autre, l'indépendance, est une chimère qui implique une abstraction complète du réel.
Car bien évidemment, un pays de quelques millions d'habitants ne peut pas être indépendant au sens propre. Seuls les États-Unis, la Chine et la Russie, peuvent agir à peu près indépendamment, et quelques autres grands pays du G20 peuvent faire entendre leur voix. Les autres suivent, marchent ou crèvent.
L'arrivée de la question de l'indépendance empoisonne donc le débat. Aussitôt, les régionalistes sont embourbés dans la question de leurs éventuels rapports avec l'UE ou le TAFTA. Mais alors que les autonomistes modèrent leurs prétentions, les indépendantistes se vendent aux plus offrants. Voilà pourquoi la question de l'indépendance revient sans cesse sur le tapis : parce qu'elle fait oublier le réel, elle ne sert plus qu'à la subversion du pays tout entier.
Résultat de l'opération, à chaque fois, c'est une victoire de l'empire cosmopolite. Les régionalistes qui défendent leur peuple quand ils sont autonomistes, se font berner par les puissances financières qui leur agitent le hochet d'une indépendance inaccessible.
Ce qui est confirmé par les quatre exemples de partis indépendantistes en Occident :
- au Québec, le Parti québecois, qui a perdu deux référendums sur l'indépendance en 1980 et 1995
- en Flandres, la N-VA, qui est entrée au gouvernement en 2011
- en Écosse, le SNP, qui a perdu un référendum sur l'indépendance en 2014,
- en Catalogne, la Convergence démocratique, et la Gauche républicaine, qui font donc l'actualité en 2014 et 2017.
Chacun de ces partis fut galvanisé par l'échec du référendum d'indépendance (ou l'accession au gouvernement pour la N-VA), mais une fois au gouvernement régional, ils ne servent plus qu'à vendre la même soupe relativiste. Mais on garde la belle étiquette qui fait local pour attirer le chaland.
Nous prévoyons donc que les véritables vainqueurs de ce référendum, ne seront ni le peuple catalan, ni le peuple espagnol, mais la finance cosmopolite, qui à travers les partis bourgeois, cherche à détruire les solidarités traditionnelles qui permettraient de vivre sans les euros de Londres et Francfort.
Au matin du 2 octobre 2017, le gouvernement catalan devrait comme il a prévu déclarer son indépendance, en vertu des résultats d'hier. Madrid, dans sa logique, refuse.
Pour arbitrer, il est probable que nous assisterons à la mise en place d'une coalition cosmopolite, entre :
- la gauche qui déteste les penchants nationalistes de Madrid
- la droite libérale qui déteste les penchants nationalistes de Barcelone
Car bien évidemment, la coalition inverse, identitaire, est impossible depuis que la Guardia Civil s'en est prise à des Catalans, et inversement !
Voilà à quoi a servi le référendum : déchirer le pays de façon irrémédiable. Pour ceux qui se demanderaient, oui, Soros est encore dans le coup.
On ne doit pas bien dormir au Palais royal...