lundi 2 octobre 2017 - par Falanchon

Catalogne : grille de lecture des rapports de force

Nous allons faire l'hypothèse que la question de l'indépendance catalane (mais non l'identité catalane en elle-même) est promue par la finance apatride pour mettre à bas l'Espagne toute entière, Catalogne y compris.

Dans le monde occidental actuel, le problème, ce n'est pas d'être de la capitale ou de la région. C'est d'être.

Le but de l'empire américain, depuis une cinquantaine d'années, est de bâtir un monde cosmopolite : c'est le Hart-Cellar Act de 1965, ce sont les politiques migratoires en Europe de l'Ouest. Toute la politique depuis ce temps consiste à réadapter les sociétés, les villes, les économies, les cultures, les mémoires, les mentalités, à ce monde cosmopolite.

De ce point de vue, il est présomptueux de prendre parti pour les Castillans ou les Catalans. Car en réalité, du point de vue des possédants cosmopolites, à qui l'Espagne doit 100% de son PIB, aucun des deux camps ne doit l'emporter.

Ce qui plane à brève échéance en Espagne y compris en Catalogne, c'est sa dissolution non plus seulement comme État souverain —déjà fait depuis 25 ans—, mais comme peuple, ou plutôt, comme continuum de peuples.

Il s'agit pour l'Espagne de suivre les pas des pays européens à l'avant-garde du progrès que sont la France, l'Angleterre, la Scandinavie, la Belgique, les Pays-Bas, l'Allemagne et l'Italie.

Un bon moyen de vérifier que ces derniers sont bien arrivés au « stade cosmopolite », est que chacune de leurs démocraties possède un parti populiste à qui échoit la tâche de s'opposer à l'immigration, et qui est généralement composé de bras cassés, de bouffons et d'infiltrés, et dont l'utilité dans le jeu politique est bien sûr d'empêcher toute reprise du pouvoir. 

En Espagne, pas encore.

L'Espagne et la Catalogne ont pourtant été métamorphosées depuis la mort de Franco. L'Espagne a connu en 40 ans, l'exode rural, la déchristianisation, le tourisme, la folie immobilière. Elle est au « stade moderne » et sur le plan des arts, la Catalogne se targue même d'être « post-moderne ».

Mais où est notre parti populiste xénophobe qui signalerait la mise en coupe réglée de la péninsule ? Nulle part. La Falange a fait 8.000 voix en 2015. Le seul parti analogue serait Vox, un parti libéral anti-islam, qui a fait 1% aux dernières européennes, dont 3% à Madrid.

Mais les Castillans qui ne pensent pas trop de mal de Franco, doivent se résigner à voter pour le PP euro-libéral et atlantiste, ou encore Ciudadanos, le nouveau parti libéral, laïcard et centraliste.

Et les Catalans qui pensent que leur identité prime avant tout, y compris sur les extra-européens, se résignent à voter pour des partis centristes, proche des milieux financiers.

Autrement dit, jusqu’en 2017, la querelle identitaire, qui prend bien sûr ses sources dans la fierté tribale la plus anti-cosmopolite, rentrait dans le jeu modéré, bourgeois.

Or aujourd'hui, avec le référendum sur l'indépendance de la Catalogne, et toutes les passions qu'il a déchaîné, cette modération vole en éclats, et les militants convoquent eux-mêmes les symboles « franquistes » et « anti-fascistes » de la guerre civile !

Et pourtant, l'Espagne ne peut pas se le permettre. Elle est en état de siège.

Alors que tous ses voisins du Nord se dissolvent complètement, l'Espagne a encore :

  • une royauté
  • un peuple fier de son identité, espagnole ou régionale
  • un gouvernement conservateur sur les questions migratoires et sociétales

Mais on n'en dira pas autant dans dix ans : le loup est déjà dans la bergerie.

Un quart des députés (Podemos) sont des républicains, antiracistes, antisexistes et antispécistes, qui ne prennent pas parti dans les questions régionalistes, mais qui sont favorables à la régularisation des clandestins et se demandent si Ceuta et Melilla devraient appartenir à l'Espagne. 

Et les sociaux-libéraux du PSOE font alliance avec eux dans toutes les villes et provinces du pays où ils le peuvent déjà.

Autrement dit, le spectre qui menace l'Espagne, ce n'est pas le séparatisme, mais le nihilisme.

Or, quel a été le jeu de Podemos, ainsi que des autres organes en faveur du cosmopolitisme, en Espagne et au-delà ? Non pas de prendre parti pour Madrid ou Barcelone, mais de demander un référendum. En sachant très bien que cela ne ferait qu'envenimer la situation pour les deux camps !

L'indépendance est une question piège.

Il est tout à fait justifié que des peuples et des régions laissées pour compte réclament l'autonomie :

  • la mondialisation et le rétrécissement des distances rend difficile la survie d'un peuple sans l'appui d'un gouvernement qui reconnaît et protège l'identité et les intérêts de la région
  • en outre, la déchristianisation de l'Occident fait apparaître une fracture linguistique irréconciliable ; de même que Gutemberg a suscité le réveil germanique, cinq siècles après, la chute de la religion suscite le réveil des petites nations. 

Mais il y a un monde entre quête d'autonomie et indépendance : l'une peut être pensée de manière harmonieuse, comme le respect de toutes les identités à leur juste mesure, pour le bénéfice commun ; l'autre, l'indépendance, est une chimère qui implique une abstraction complète du réel.

Car bien évidemment, un pays de quelques millions d'habitants ne peut pas être indépendant au sens propre. Seuls les États-Unis, la Chine et la Russie, peuvent agir à peu près indépendamment, et quelques autres grands pays du G20 peuvent faire entendre leur voix. Les autres suivent, marchent ou crèvent.

L'arrivée de la question de l'indépendance empoisonne donc le débat. Aussitôt, les régionalistes sont embourbés dans la question de leurs éventuels rapports avec l'UE ou le TAFTA. Mais alors que les autonomistes modèrent leurs prétentions, les indépendantistes se vendent aux plus offrants. Voilà pourquoi la question de l'indépendance revient sans cesse sur le tapis : parce qu'elle fait oublier le réel, elle ne sert plus qu'à la subversion du pays tout entier.

Résultat de l'opération, à chaque fois, c'est une victoire de l'empire cosmopolite. Les régionalistes qui défendent leur peuple quand ils sont autonomistes, se font berner par les puissances financières qui leur agitent le hochet d'une indépendance inaccessible.

Ce qui est confirmé par les quatre exemples de partis indépendantistes en Occident :

  1. au Québec, le Parti québecois, qui a perdu deux référendums sur l'indépendance en 1980 et 1995
  2. en Flandres, la N-VA, qui est entrée au gouvernement en 2011
  3. en Écosse, le SNP, qui a perdu un référendum sur l'indépendance en 2014,
  4. en Catalogne, la Convergence démocratique, et la Gauche républicaine, qui font donc l'actualité en 2014 et 2017.

Chacun de ces partis fut galvanisé par l'échec du référendum d'indépendance (ou l'accession au gouvernement pour la N-VA), mais une fois au gouvernement régional, ils ne servent plus qu'à vendre la même soupe relativiste. Mais on garde la belle étiquette qui fait local pour attirer le chaland.

Nous prévoyons donc que les véritables vainqueurs de ce référendum, ne seront ni le peuple catalan, ni le peuple espagnol, mais la finance cosmopolite, qui à travers les partis bourgeois, cherche à détruire les solidarités traditionnelles qui permettraient de vivre sans les euros de Londres et Francfort. 

Au matin du 2 octobre 2017, le gouvernement catalan devrait comme il a prévu déclarer son indépendance, en vertu des résultats d'hier. Madrid, dans sa logique, refuse.

Pour arbitrer, il est probable que nous assisterons à la mise en place d'une coalition cosmopolite, entre :

- la gauche qui déteste les penchants nationalistes de Madrid

- la droite libérale qui déteste les penchants nationalistes de Barcelone

Car bien évidemment, la coalition inverse, identitaire, est impossible depuis que la Guardia Civil s'en est prise à des Catalans, et inversement !

Voilà à quoi a servi le référendum : déchirer le pays de façon irrémédiable. Pour ceux qui se demanderaient, oui, Soros est encore dans le coup.

On ne doit pas bien dormir au Palais royal...



9 réactions


  • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 2 octobre 2017 11:38

    « Voilà à quoi a servi le référendum : déchirer le pays de façon irrémédiable. »


    C’est surtout la répression violente et disproportionnée du gouvernement central qui a provoqué ce déchirement (dont la ligne de faille était toute tracée). Inutile d’aller chercher Soros. Podemos fait sans doute partie de la panoplie US et les indépendantistes sont forcément manipulés, mais le sale boulot a été fait par Madrid et là, votre démonstration est un peu courte !

    La contradiction à résoudre pour comprendre (et je n’ai pas la clé) est la suivante : si la Catalogne obtenait son indépendance, elle ne pourrait pas intégrer l’Europe puisque Madrid mettrait son veto. Alors pourquoi les éminences grises comme Soros fomenteraient-elle un coup de force qui ne peut aboutir ? Les articulations entre état, nation et peuple ne sont pas bien définie, parce que les contours de ces entités sont floues.

    Personne n’a envie de connaitre une deuxième guerre civile en Espagne.

    • Falanchon 2 octobre 2017 13:52

      @Jeussey de Sourcesûre
      Le but de Soros & cie n’est pas de soutenir l’indépendance catalane, mais de soutenir l’indépendantisme... nuance.

      Il s’agit d’affaiblir Madrid en incorporant
      à leur coalition anti-nationale, les régions périphériques. Ce qui est très facile maintenant que Madrid passe pour franquiste. Relisez la fin de mon article pour la prospective.

      La réaction de Madrid est explicable culturellement (je ne la juge pas). L’histoire de l’Espagne moderne et de ses rejetons en Amérique, montre bien la tendance anarchique de la culture ibérique, ce qui par contre-coup a produit quantité de régimes militaires afin de faire régner un semblant d’ordre. Dans le cas du référendum, les indépendantistes voulaient l’indépendance sans seuil de participation, et leurs opposants ne voulaient pas se déplacer. Tandis qu’Écossais et Anglais avaient accepté les règles du jeu. C’est donc culturel.


    • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 2 octobre 2017 14:19

      @Falanchon

      votre réponse ne résout pas le dilemme juridique exposé dans mon premier commentaire :

      l’UE est composée d’états disposant d’un droit de veto. Quel que soit le pays concerné, il est probable (mais certain pour l’Espagne) que les états adhérents s’opposent à l’entrée dans l’union d’une nouvelle entité elle-même issue d’un différend profond. On se trouve devant le même genre de contradiction que pour la réduction du mille-feuille administratif en France : quand les seuls acteurs disposant d’un levier pour faire changer les choses ont intérêt à ce qu’elles ne changent pas, il y a peu de chances pour que l’évolution se passe dans le calme. Ma remarque ne porte ni sur la légitimité des Catalans à prétendre à une autonomie au nom de l’histoire, de l’économie ou de la culture, ni sur les raisons bonnes ou mauvaises de Madrid de s’y opposer, mais sur le fait que cette opposition est juridiquement facile à faire valoir pour le gouvernement central. Si les Catalans sont manipulés, (et ils le sont sans doute, qui ne l’est pas ?), les manipulateurs sont doublement dangereux, car ils envoient dans le mur une population qui subira des représailles si elle échoue et se retrouvera en culotte courte si elle réussit.

      Forcément, si Soros & Cie sont assez puissants pour se foutre du droit international et sont capables de passer outre des accord multilatéraux entre états de droit, alors, la vrai totalitarisme est déjà là et il n’y a plus qu’à attendre que le salut vienne des Chinois ou des Indiens. Et de ce côté là, ça n’est pas rose non plus !


    • Falanchon 2 octobre 2017 14:43

      @Jeussey de Sourcesûre
      Je ne suis pas juriste, mais on n’a pas besoin de tirer des plans sur la comète. L’indépendance catalane n’aura probablement jamais eu lieu, comme dans les 3 autres cas. Ça n’est qu’une manœuvre dilatoire le temps que la capitale centrale capitule totalement face aux cosmopolites. La preuve, quand le référendum échoue on en fait un deuxième, voire un troisième... pour maintenir en place l’hystérie.

      Et si l’indépendance devait avoir lieu, ça ne pourrait se faire qu’avec le soutien des États-Unis, ce qui règlerait la question de l’aval de leurs 28 colonies.


    • Stratediplo 3 octobre 2017 17:55

      @Falanchon
      La clef que vous cherchez est l’article 7 du Traité de l’Union Européenne : Bruxelles a la possibilité d’interdire à l’Espagne de s’opposer à l’admission formelle de la Catalogne, sous peine de mise en faillite. Les raisons et les détails de ce chantage à mener par la Commission Européenne grâce au moyens fournis par les Etats-Unis sont dans la Neuvième Frontière.


    • Laurent 47 3 octobre 2017 19:21

      @Jeussey de Sourcesûre
      J’étais à Paris en Mai 1968, et j’ai suivi et photographié la plupart des affrontements qui ont eu lieu au Quartier Latin, entre les étudiants, et les casseurs de banlieue d’une part, et la Police Nationale, les C.R.S., et la Gendarmerie d’autre part.
      Le bilan de ces affrontements a été de 2.800 blessés, et de 2 ou 3 morts ( ça n’a jamais été déterminé ).
      Et pourtant, ni le gouvernement, ni la France n’ont explosé !
      Alors, s’il n’y a eu que 90 blessés en Catalogne, ça m’étonnerait qu’on sorte la guillotine pour couper la tête à Mariano Rajoy ou à qui que ce soit du gouvernement espagnol !
      Au contraire, je trouve ce bilan plutôt rassurant, compte-tenu du contexte.
      L’indépendance de la Catalogne est un leurre, car elle est interdite par les articles 2 et 155 de la Constitution espagnole de 1978, que les catalans ont acceptés ( ce qu’ils oublient de dire ).
      En outre, s’ils s’obstinent à sortir de l’Espagne par la force, ils sortent de la Communauté Européenne et ne pourront plus y revenir en temps qu’état demandeur, car toute demande d’adhésion d’un nouvel état doit passer par un vote des 27 pays-membres, et l’unanimité est requise !
      Autant dire mission impossible ! Mais les catalans qui le savent pertinemment, s’imaginent peut-être que la Communauté Européenne va changer ses statuts pour leur faire plaisir !
      L’Europe que nous connaissons a mis des siècles pour arriver à une certaine stabilité, alors elle ne va pas se saborder en coupant les pays en rondelles !


  • leypanou 2 octobre 2017 12:33

    L’auteur est obsédé par le cosmopolitisme mais à mon avis la Catalogne -aussi bien que le Scottish National Party d’Écosse- ne cherchent pas vraiment une indépendance mais une séparation administrative de Madrid.

    Car qui dit membre de l’UE dit dépendance vis-à-vis des structures et orientations de l’UE, en particulier en matière de défense (la Hongrie, la République Tchèque et la Pologne en savent quelque chose).

    Cet article donne une autre grille de lecture de ce qui est en train de se passer.


    • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 2 octobre 2017 13:59

      @leypanou

      merci pour ce lien dont le paragraphe 5 est particulièrement pertinent (traduction brute de décoffrage : 
      « Comme pour le « Kurdistan », la notion d’« indépendance » n’a aucun sens si l’état qui en résulte se révèle totalement dépendant et lié à l’hégémonie occidentale et ses institutions de tutelle qui agissent surtout au détriment des états membres ou mandataires, qu’ils soient kurdes ou catalans. »


    • Falanchon 2 octobre 2017 14:16

      @leypanou
      Je vous remercie du lien mais je constate que Sign of The Times est d’accord avec moi pour dire que les indépendantistes sont des vendus. Ce qui est logique, puisque l’indépendance est d’après mon analyse, un non-sens, une chimère destinée à faire accepter toutes les couleuvres. On fait détester Madrid pour faire désirer Bruxelles.

      Sinon, le SNP est bel et bien indépendantiste (pour le « oui » à l’indépendance en 2014, et pour un nouveau référendum) et européiste.


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