Changer d’éducation pour changer le monde, ou Osons le « JE » horizontal
Nous ne sommes qu’un tout jeune enfant.
Il est attristant de constater qu’un monde semble aujourd’hui dépourvu d’espérance et de sens. Dans un article précédent, j’évoquais « l’homme qu’il faut faire taire » le vieil homme – une expression qui, selon moi, résume notre héritage instinctif, tel que perçu déjà par les Taoïstes. Nos instincts primitifs, qui nous guidaient pour survivre et nous accoupler, semblent aujourd’hui relégués au second plan et se perdent dans les fantasmes civilisationels paradigmatiques. La manipulation génétique offre désormais la possibilité de sélectionner des comportements qui nous conviennent, mais est-ce réellement la solution à adopter ? Après tout, sur près de huit millions d’années d’évolution biologique, notre culture, en seulement 10 000 ans, n’est encore qu’un tout jeune enfant géologique.
Héritage évolutif et sélection naturelle
Dans certaines régions, comme sur l’île de Bornéo, on rapportait, déjà, l’existence de tribus arboricoles dont les pratiques – par exemple, la nécessité de rapporter la tête d’un aîné pour se marier – semblaient inscrire dans les gènes des comportements essentiels à la survie du groupe. Peut-on réellement admettre que la manipulation de ces comportements par la génétique ne ferait qu’inscrire nos fantasmes au détriment de la sélection naturelle ? Il semble préférable de laisser la nature décider des caractéristiques nécessaires à notre existence plutôt que d’y projeter la totalité de nos idéaux.
La tension entre nature et culture soulève une question centrale : jusqu’où faut-il intervenir pour modifier ou préserver ce que la nature a inscrit dans notre ADN ? La tentation de recourir à la manipulation génétique pour « améliorer » nos comportements se heurte à la complexité des processus évolutifs qui ont façonné nos sociétés. Cette interrogation fait écho aux débats actuels sur l’éthique en génétique et sur la nature même du progrès. « bioéthique ». Et la pensée que les maitres de la Shoah aient pu en disposer fait frémir.
L’avènement des sociétés sédentaires
La sédentarisation et l’installation autour de la production ont conduit à la formation de groupes humains de plus en plus denses, dont nos mégapoles sont l’exemple moderne. Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, regroupés en communautés de 60 à 100 personnes, entretenaient avant tout des relations interpersonnelles horizontales. Bien que ce modèle privilégiait l’égalité et la coopération, il est important de souligner que toutes les sociétés de chasseurs-cueilleurs n’étaient pas dépourvues de hiérarchies. L’avènement de l’anthropologie vers 1870 permit d’observer que, globalement, le passage à une organisation verticale – avec, souvent, des hommes occupant le sommet – résultait du stockage de nourriture, de la concentration humaine dans les cités et d’une économie fondée sur le pillage pour s’approprier la rareté.
Organisation verticale et compétition
Recevoir des directives ou des félicitations d’une personne située au-dessus de nous rejoint l’instinct primaire de la compétition entre mâles. La finalité de cette concurrence, chez les animaux, est d’être le meilleur géniteur pour assurer une descendance vigoureuse, et non d’amasser de la richesse ou de se déclarer le plus riche du monde. Accumuler des richesses ne traduit pas, en soi, la détention des meilleurs gènes ; il s’agit plutôt d’un signe superficiel, comparable à la fascination pour le ventre le plus rebondi ou la voiture la plus brillante, suggérant la capacité à prendre soin et protéger sa progéniture – voire tout un groupe.
L’émergence de la solidarité et de l’organisation horizontale
À l’opposé de l’organisation verticale, qui renforce l’individualisme et l’exploitation, la véritable communauté se construit en orientant son intérêt vers autrui. Nos ancêtres, par le biais de croyances animistes et celles qui ont suivit, exprimaient déjà cette communion avec le vivant et l’inanimé – la Terre et le cosmos – par le biais d’un savoir empirique transmis à travers le mythe et le sacré. Le christianisme, en préconisant « aime ton prochain comme toi-même », fut la première opposition significative à la hiérarchie imposée en Mésopotamie. Ce principe place l’individu (le « je ») dans une posture où sa propre affirmation s’enrichit justement par sa capacité à contribuer aux autres, sans pour autant se sacrifier. Toute fois, il existe une complexité des facteurs historiques et culturels. J’oppose une organisation horizontale, caractérisée par l’égalité et la solidarité, à une organisation verticale, fondée sur la compétition et la hiérarchie. Bien que l’argument ait du sens en soulignant l’essence de la coopération dans les petites communautés de chasseurs-cueilleurs, il est important de nuancer cette opposition. L’histoire sociale humaine n’est pas binaire et les structures horizontales et verticales se chevauchent souvent. Par exemple, même dans les sociétés dites « égalitaires », des formes de pouvoir symbolique ou informel peuvent exister verticalement.
La fin de la poursuite d’une ère horizontale.
À la fin des Trente Glorieuses, nous assistons à la disparition progressive de relations interpersonnelles véritablement horizontales du « Je ». L’autre n’est plus perçu comme un « camarade » au sein d’une communauté solidaire, mais plutôt comme une source de profit – une sorte de « machine à sous ». L’offre s’est alors caractérisée par l’envolée des publicités, symbolisant une relation hiérarchisée où nous ne détenons qu’illusion d’un pouvoir, celui de bénéficier de baisses de prix qui nous paraissent avantageux. La prolifération des grandes surfaces en est la démonstration concrète : elles ne créent pas de richesse, elles prélèvent la monnaie directement dans nos poches en nous incitant à dépenser toujours plus.
L’essor d’une organisation d’entreprise hiérarchisée
À partir des années 1990 – et plus marqué dès 1998 – un nouveau changement se profile avec l’émergence d’institutions telles que le MEDEF. Sa philosophie consiste à organiser la vie autour de l’entreprise, non pas pour générer des emplois, mais pour rentabiliser les investissements. Nous sommes ainsi invités à nous inscrire dans un mouvement qui, plutôt que de s’intégrer à la communauté, s’y substitue. Dans ce modèle, le pouvoir n’est plus issu d’un véritable regroupement communautaire, mais imposé de manière hiérarchique, bien à l’opposé des Scops.
De la dépendance à la responsabilité individuelle
Lorsque l’individu embrasse pleinement son être, nourri tant physiquement que psychologiquement, il peut orienter ses forces vers autrui. Apporter une contribution permet de renforcer le sens du « je » et de rompre avec la constante recherche de reconnaissance fondée sur le jugement extérieur – qui, de toute manière, maintient un rapport hiérarchique. À l’inverse, dans une société verticalisée, le citoyen perd sa capacité à entreprendre pour la communauté et se replie dans l’attente d’un pouvoir paternaliste, qu’il s’agisse d’un patron, d’un parti ou d’un État. Cet état est le propre de la relation dominant/dominé avec laquelle nous naissons et si difficile à maitriser pour franchir le pas vers un monde civilisé.
Réformes et réflexions économiques
La critique des structures verticales s’étend également au système de punition hérité de siècles de pratiques archaïques : les prisons, vestiges de barbarie, nous renvoient à un système punitif dont l’efficacité a depuis longtemps été mise en question. Bien que dans l’actualité elle retrouve un essor, démontrant notre incapacité à endiguer les conséquences de la verticalité.
De plus, l’économie, longtemps dominée par la logique de la demande – « qu’est-ce que je peux faire pour vous ? » a cédé la place au marché de l’offre, où l’individu ne pense qu’à ce qu’il peut obtenir en ne servant que ses intérêts personnels, comme l’affirmait Adam Smit. Ce glissement illustre une rupture entre des modes de vie basés sur la solidarité et l’égoïsme exacerbé. La valeur de la confiance dans les relations interpersonnelles.
Les relations interpersonnelles horizontales reposent sur une confiance mutuelle : croire en l’autre permet de tisser des liens profonds et de voir autrui en véritable « camarade ». Cette confiance est la base pour trouver refuge et soutien au sein de la communauté. Le socialisme, en mettant en avant la notion de classe, a cherché à cultiver ce type de relation. Certes, l’organisation proposée autour de la classe est une spécificité par rapport à l’idée d’une communauté globale du vivant, mais elle constituait néanmoins un moyen de rassembler les individus.
4. L’érosion du lien de confiance et le repli sur soi
Progressivement, le sentiment de lien – ce sentiment de fraternité entre « camarades » – s’est effiloché, en même temps que s’affaiblissait la cohésion de la classe ouvrière. Le mouvement antagoniste qui s’est développé n’était pas le fruit d’une véritable éducation horizontale, celle qui se transmettrait dès l’enfance. À titre d’exemple, le bouddhisme offre une approche des relations interpersonnelles fondée sur la compassion et l’égalité, contrastant avec les modèles hiérarchisés. En France, dès les années 1990, les rares structures s’appuyant sur un sentiment de classe – plutôt que sur une éducation fondée sur la confiance – se sont désagrégées. Selon une étude de 1999, la majorité des Français comptait désormais sur l’entreprise pour inventer l’avenir, tant leur propre affirmation du « je » s’était atrophiée. Ce repli se manifeste aussi par une préférence à compter sur la famille plutôt que sur une communauté élargie, et par l’attente que l’État intervienne de manière personnalisée, à l’image d’un parent protecteur. Au fil du temps, le doute, la méfiance et la défiance se sont installés dans des esprits que, selon certains, les médias avaient vidés de leur substance. La gestion du COVID-19 a servi de catalyseur à cette tendance.
La force du lien communautaire et la nécessité d’une éducation renouvelée.
En retraçant un chemin historique allant de l’ère horizontale des relations communautaires à un modèle hiérarchisé imposé par des logiques économiques modernes, j’offre une lecture. Toutefois, c’est loin d’être aussi simpliste tant il a existé des chevauchements. Mais aujourd’hui l’impact des publicités, la multiplication des grandes surfaces et l’essor des institutions économiques (comme le MEDEF) s’inscrivent dans un même processus d’individualisation et de délégation du pouvoir. S’en effacent même les souvenirs de l’œuvre horizontale apportée par l’espérance dans le socialisme et les luttes ouvrières. Exemple, plus de 270 millions de travailleurs, soit environ 8,2 % de la main-d'œuvre mondiale travaille pour le tourisme issu des congés payés, que ceux qui détenaient le pouvoir vertical considéraient être une demande de fainéants. C’est encore le cas aujourd’hui quand le pouvoir incite à travailler plus longtemps.
Contrairement à l’image des communautés horizontales ou des enseignements bouddhistes par exemple, la relation hiérarchique imposée par un système économique exploite l’individu. Pourtant c’est dans cette exploitation que la majorité des Français portent leur confiance. Ceci va de pair avec leur défiance envers la politique et les syndicats démontrant, s’il le fallait, que la confiance, pierre angulaire de la solidarité, s’est progressivement érodée. Nous pouvons suivre cela dans une étude de données contemporaines.
La performance économique conciliable avec l’impact social et environnemental
Les Français font plus confiance aux entreprises qu’aux politiques pour changer les choses. L’enseignement à en tirer est le suivant : l’entreprise serait, pour les personnes interrogées, le principal moteur de la société. En conséquence, les Français placent en elles des attentes qui outrepassent les simples considérations économiques. Ainsi, 83 % des Français estiment que la performance économique ne doit pas aller à l'encontre de l'impact social et environnemental. Les salariés réclament par exemple une plus grande transparence de la part des entreprises sur leurs engagements de responsabilité sociale, sociétale et politique (RSE). 74 % des salariés sont susceptibles d’intégrer une entreprise en fonction de ses engagements RSE. Toujours dans une dimension sociale, 58 % des Français attendent que l’entreprise agisse pour contribuer à l’égalité homme/femme au travail. « juin 2024 »
La dichotomie est totale entre la responsabilisation adultérante et la dépendance infantilisante, entre la connaissance de l’histoire de l’évolution sociale horizontale et l’influence d’une information aliénante d’emprise de la verticalité. Le « Je » qui dois’enrichir de sa propre affirmation par sa capacité à contribuer aux autres, sans pour autant se sacrifier, disparaît au bénéfice de la servitude séculaire au maitre. Rien de bien moderne et progressif, si ce n'est dans le langage des communicants politiques néolibéraux.
Nous en revenons au modèle paternaliste en plein 21e siècle, et de rappeler qu’en 1864, le comité des forges, qui était un patronat paternaliste, a regroupé les principaux maitres de forges français, leur permettant d'étendre leur sphère d'influence dans le monde des affaires, de la finance et de la politique. Cette étude démontre la régression que nous accomplissons, ou l’information l’emporte sur les connaissances didactiques des bacheliers qui en deviennent des analphabètes de leur temps.
Rôle de l’éducation et de la transmission des valeurs qui représentent la nécessité de repenser l’éducation pour renouer avec des valeurs horizontales. Cette exigence est forte et offre une ouverture constructive. Pour l’instant, seul actuellement des associations proposent des pistes concrètes d’éducation ou des initiatives qui cherchent à redonner à l’individu sa place dans une communauté fondée sur la confiance.
Institutions et communautés : Comment les institutions modernes (systèmes éducatifs, associations, gouvernements) pourraient-elles réintégrer des mécanismes favorisant l’émergence de liens horizontaux sans sacrifier l’efficacité nécessaire à la coordination d’une société complexe, et les nécessités de coordination à grande échelle ?
Nouvelles technologies et socialisation : Dans un monde dominé par les réseaux sociaux et le numérique, quelle stratégie adopter pour restaurer la confiance interpersonnelle et lutter contre l’isolement individuel induit par une logique consumériste ? Dans un monde où la robotique remplacera l’humain dans une multitude de tâches et qui avec le développement des technologies numériques détruira des emplois, le seul travail ne pourra plus servir de base au développement social et au financement de ressource des citoyens.
Nous devrons repenser l’économie et le « Je » solidaire, pour ne pas dire le socialisme adultérant façonnera l’avenir pour ne pas succomber au nationalisme et à l’égologisme dévastateur du vivant.
Éthique de la manipulation génétique : Au-delà des considérations évolutionnistes, quelles en seraient les implications morales et sociales, quand les désirs des « Je » sont, comme d’antan avec des moyens plus probants, l’éternité et la jeunesse ?
Modèles éducatifs alternatifs : Quelles approches pédagogiques pourraient être mises en œuvre dès l’enfance pour cultiver la coopération, la solidarité et la capacité à voir autrui comme un véritable camarade plutôt que comme un simple consommateur ou un profit potentiel ?
Cette réflexion, en croisant l’évolution des relations interpersonnelles, les transformations économiques et l’importance d’une éducation renouvelée, offre un éclairage stimulant sur les défis sociétaux actuels. Elle invite à repenser notre rapport à l’autre et à réévaluer les fondements mêmes de notre cohésion sociale.
Dimension économique et sociale. Le passage à la rationalité économique – baisse des prix, prolifération des grandes surfaces, et la logique entrepreneuriale du MEDEF – montre bien comment l’économie se sert de stratégies marketing pour créer l’illusion du pouvoir d’achat. Cependant, le lien avec la transformation de la société reste parfois implicite. Cette logique influence le tissu social et la perception de soi, aussi bien que la perception de ce que peut-être l’espérance dans l’avenir.
La transition d’une économie de la demande à celle de l’offre ci-dessus permet d’illustrer les conséquences d’un modèle social individualiste sur nos modes de production et de distribution. Cependant, le lien entre ces modèles économiques et la structure sociale (verticale versus horizontale) se mesure à partir de la fin de la guerre 40/45. L’évolution technologique a boosté la consommation de biens et services avec son corolaire à partir des années 77 du blocage des salaires engageant la montée du chômage, de la délinquance et de la criminalité qui les accompagne. Avant la Deuxième Guerre, le développement du socialisme représentait et représente toujours l’organisation horizontale, quels qu’en fussent ses échecs pour avoir ignoré la place de la biologie des comportements. L’on ne transforme pas ceux-ci qu’avec des idéaux, le christianisme en donne l’exemple dans le passé.
Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réflexion ambitieuse et multidimensionnelle en reliant l’évolution biologique, l’organisation des sociétés humaines et les transformations économiques. Nous devons aussi repenser notre rapport à la nature qui oppose une sélection naturelle authentique à une manipulation génétique purement guidée par des fantasmes culturels économiques sur nos interventions actuelles dans le vivant.
Dualité entre confiance et hiérarchie.
Le contraste entre les relations basées sur la hiérarchie et les relations interpersonnelles ont avant tout besoin de foi : de croire en l’autre pour que se tisse la vraie communauté humaine, qui s’étend même à l’appartenance au vivant et à l’inanimé – la Terre, ce TOUT dont nous avons pris conscience. Ainsi, pour pérenniser cette cohésion, il sera indispensable de repenser l’éducation de nos enfants afin de cultiver dès le plus jeune âge cette confiance mutuelle, gage d’une véritable solidarité.
Nous devons purger ce « Je » de sa voracité suicidaire qu’il soit athée ou religieux, imaginer disposer la paix par la détention d’armes nucléaires en fixe toutes les limites de sa débilité, malgré ses prouesses technologiques.
Osons poser la question aux États la possédant, s’ils s’en serviraient. S’ils répondent NON, autant qu’ils les détruisent. S’ils se taisent ou nous expliquent préserver la paix, c’est qu’ils s’en serviront. Osons donc !
Ce texte est une invitation à repenser nos fondements sociaux et nos choix évolutifs, en prônant une forme de solidarité qui valorise à la fois l’individu et la communauté du vivant. Il interroge sur l’artificialisation de notre nature et sur la manière dont la culture moderne pourrait, en opposant systématiquement l’intérêt personnel à la collectivité, nous éloigner de valeurs ancestrales fondées sur la coopération et l’équité.
En somme, la réflexion que je propose est riche et stimulante. Elle interpelle sur l’essence même de notre évolution, la transformation des rapports sociaux et la quête d’un équilibre entre le respect de notre nature et l’ambition d’un progrès éclairé. Ces questionnements, au croisement de la biologie, de l’anthropologie et de la philosophie sociale, méritent d’être approfondis pour envisager les défis du futur de manière plus nuancée et intégrée.