mardi 6 mai - par Giuseppe di Bella di Santa Sofia

Che Guevara : l’icône sanglante derrière le mythe révolutionnaire et romantique

Ernesto "Che" Guevara, visage immortalisé par la photo d’Alberto Korda, incarne pour beaucoup l’idéal révolutionnaire. Mais derrière l’aura du guérillero romantique se cache une figure beaucoup plus complexe, mêlant ferveur idéologique et brutalité implacable, loin des t-shirts et des slogans.

JPEG

 

Les racines d’un révolutionnaire : une jeunesse marquée par l’idéalisme

Ernesto Guevara naît le 14 juin 1928 à Rosario, en Argentine, dans une famille bourgeoise cultivée. Son père, architecte, et sa mère, intellectuelle féministe, lui offrent un cadre propice à la curiosité. Atteint d’asthme chronique, le jeune Ernesto développe une résilience qui forge son caractère. Ses lectures, de Jack London à Karl Marx, nourrissent une sensibilité aux injustices sociales, tandis que ses voyages à vélo à travers l’Argentine rurale l’exposent à la misère des paysans. Ce contact direct avec la pauvreté plante les graines d’un idéalisme révolutionnaire, encore vague mais puissant.

 

Che Guevara young – Color by Klimbim 0.1

 

En 1952, son périple sud-américain avec Alberto Granado, relaté dans Carnets de voyage, marque un tournant. De l’Amazonie aux mines chiliennes, Guevara découvre l’exploitation des indigènes et des ouvriers, souvent sous l’égide de multinationales américaines comme la United Fruit Company. Ces expériences, décrites dans ses écrits avec une prose poétique, transforment l’étudiant en médecine en un critique virulent du capitalisme. Pourtant, ses notes révèlent aussi une arrogance juvénile, une tendance à juger les populations qu’il rencontre, parfois avec dédain, comme lorsqu’il qualifie certains paysans de "primitifs".

 

 

Cette période formative, bien que romantisée, montre un Guevara déjà ambivalent. Son empathie pour les opprimés coexiste avec une rigidité idéologique naissante. Ses biographes, comme Jon Lee Anderson (Che Guevara : A Revolutionary Life), soulignent que son marxisme, encore embryonnaire, s’ancre dans une vision manichéenne du monde, où la révolution devient la seule réponse aux maux sociaux. Cette conviction, renforcée par sa rencontre avec Fidel Castro en 1955, le propulse vers un destin où l’idéalisme cède souvent à la violence.

 

98012718 | Fidel Castro, Cuba, Comandanate en Jefe, líder, R… | Flickr

 

La révolution cubaine : du guérillero au bourreau

Rejoignant le Mouvement du 26 juillet de Castro, Guevara s’embarque en 1956 sur le yacht Granma pour renverser le dictateur cubain Fulgencio Batista. Dans la Sierra Maestra, il se distingue par son courage et sa discipline, gagnant le grade de commandant. Ses hommes admirent son ascétisme : malgré son asthme, il partage leurs épreuves, soignant les blessés et alphabétisant les recrues. Cette image de "moine soldat" alimente le mythe du héros désintéressé.

 

1958: las decisivas batallas de Camilo y Che

 

Mais la guérilla révèle aussi son intransigeance. Guevara exécute sans hésiter les déserteurs et les traîtres présumés, instaurant une discipline de fer. Des témoignages, comme celui de Luciano Medina, un ancien compagnon, dépeignent un homme froid, ordonnant des exécutions sommaires, y compris de paysans accusés à tort de collaborer avec Batista. Ces actes, justifiés par la "nécessité révolutionnaire", traduisent une vision où la fin – la victoire – excuse les moyens, même les plus brutaux.

Après la chute de Batista en 1959, Guevara devient procureur suprême du tribunal révolutionnaire de La Cabaña, supervisant des centaines d’exécutions où les suspects sont fusillés, la plupart du temps sans procès équitable. Policiers, militaires, mais aussi civils suspectés d’opposition, périssent sous ses ordres. Guevara écrit dans ses mémoires : "Les exécutions sont une nécessité pour le peuple de Cuba mais également un devoir imposé par ce peuple". Cette phrase terrible révèle un homme convaincu que la terreur est un outil légitime pour consolider la révolution, marquant un tournant vers un autoritarisme assumé.

 

Le ministre et l’idéologue : une utopie au bord de l’échec

Nommé ministre de l’Industrie et président de la Banque nationale, Guevara tente de transformer Cuba en un modèle socialiste. Sa vision, inspirée par le marxisme-léninisme, prône l’abolition des incitations matérielles au profit d’un "homme nouveau, motivé par l’altruisme. Il lance des campagnes d’alphabétisation et de réforme agraire, qui remportent un succès relatif. Mais ses politiques économiques, comme la centralisation et l’industrialisation forcée, se soldent par des désastres. En 1962, il admet lui-même que son plan économique est "absurde, déconnecté de la réalité".

Son passage au ministère révèle une incompétence administrative, aggravée par son mépris pour la bureaucratie. Des usines inachevées témoignent de son échec à traduire ses idéaux en résultats concrets. De plus, il initie les camps de "travail et de rééducation", précurseurs des Unités militaires d’aide à la production (UMAP), une sorte de goulag tropical, où homosexuels, religieux et dissidents sont internés. Ces camps illustrent une facette bien sombre de son projet : l’intolérance envers toute déviation idéologique.

 

undefined

 

Guevara, pourtant, reste fidèle à ses convictions. Ses discours enflammés, comme ceux prononcés à l’ONU en 1964, dénoncent l’impérialisme américain avec une éloquence qui séduit les tiers-mondistes. Mais son inflexibilité et ses critiques de l’URSS, jugée trop conciliante, l’isolent. Castro, pragmatique, s’en méfie. En 1965, Guevara quitte Cuba, poussé par son idéalisme autant que par des tensions politiques. Ce départ marque son refus de compromettre ses principes, mais aussi son incapacité à naviguer dans les réalités du pouvoir.

 

undefined

 

L’errance finale : un martyr en quête de révolution

Désireux d’exporter la révolution, Guevara s’engage dans des guérillas au Congo (1965) et en Bolivie (1966-1967). Au Congo, son aventure tourne au fiasco : mal préparé, il sous-estime les divisions politiques locales, comme le souligne Maurel dans son analyse de son Journal du Congo. En Bolivie, son ultime combat, il espère rallier les paysans contre la dictature militaire. Mais, isolé, trahi par des informateurs et abandonné par ses alliés, il est capturé et exécuté le 9 octobre 1967 à La Higuera, sous les ordres de l’armée bolivienne et avec l’implication de la CIA.

 

 

Ces échecs révèlent un Che aveuglé par son dogmatisme. Ses méthodes, centrées sur la guérilla rurale, ignorent les contextes locaux. Les paysans boliviens, loin de le soutenir, le perçoivent comme un étranger. Pourtant, sa mort, à 39 ans, scelle son mythe. L’image de son corps exposé, christique, amplifie son aura. Fidel Castro orchestre un culte quasi religieux, faisant de Guevara un symbole intemporel de résistance, occultant ses échecs et ses exactions.

Cependant, des voix s’élèvent pour nuancer ce récit. L'écrivain et journaliste Christopher Hitchens argue que le mythe de Guevara repose sur son échec : "S’il avait vécu, son aura aurait pâli". Les témoignages d’exilés cubains dénoncent sa brutalité et son intolérance. Ces critiques rappellent que le Che, bien que sincère, était un homme de contradictions, incapable de concilier ses idéaux avec les réalités humaines.

 



17 réactions


  • jocelyne 6 mai 18:53

    On ne peut voir si la main gauche a bien été coupée...


    • Bonsoir @TSS (...tologue),

      Vous avez tout à fait raison ! D’ailleurs, les marxistes ont toujours admiré Robespierre.

      Lorsque le Congo-Brazzaville était encore marxiste-léniniste (République populaire du Congo), Robespierre était mis à l’honneur tous les ans lors de la célébration de la fête nationale...


    • chantecler chantecler 7 mai 07:08

      @Giuseppe di Bella di Santa Sofia
      Et Robespierre était subjugué par les philosophes des lumières ....
      Un but partout, la balle au centre !


  • juluch juluch 6 mai 21:29

    Comme tous ces leaders communistes, leurs fanatismes leur ont fait commettre des ignominies.

    Lui, Staline, Les khmers rouges, les vietminh etc

    Des dingues ayant un pet au casques et perdant toutes limites humaines.

    Des fanatiques poussé au maximums par une secte.

    Le Che n’a pas échappé à la règle et comme il ne suivait pas les règles justement, et qu’il etait un électron libre, tous ses « camarades » l ’ont laissé tomber.

    Il a eu son destin.


  • SilentArrow 7 mai 03:54

    @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

    On pourrait se demander par quel hasard il a essayé de porter la révolution en Bolivie à ce moment précis.

    Certes, René Barrientos Ortuño était un dictateur militaire pro américain mais les paysans et les mineurs étaient peu disposés à cette époque particulière à s’engager dans une aventure révolutionnaire. 

    Et pour cause, sous la présidence précédente de Victor Paz Estenssoro les paysans venaient d’obtenir une redistribution des terres et les mineurs, la nationalisation des entreprises minières.

    Fidel Castro ne l’aurait-il pas envoyé dans cette pétaudière de crainte qu’il ne commence à lui faire de l’ombre à Cuba ?

    Il aurait peut-être aussi fallu évoquer les suspicions de trahison d’Ernesto Guevara par votre compatriote Régis Debray, toujours bien en vie, lui.


  • Radix Radix 7 mai 09:53

    Bonjour

    Discutant avec un collègue du génocide des Khmers rouge il m’a dit :« On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs » Ce à quoi je lui ai répondu :« On change rapidement d’avis lorsque l’on est du coté des œufs ! »

    Cela a mis fin à la discussion

    Les Guévara et les Pinochet en herbe sont plus nombreux que l’on ne le croit, ils leurs manque juste le pouvoir !

    Radix


    • cevennevive cevennevive 7 mai 10:08

      @Radix, bonjour,

      Oui, on a cela aussi chez nous. Une poignée de dictateurs en herbe, à l’image d’une secte, menés par un chef haineux et des groupies insupportables.

      Heureusement, les dictateurs finissent mal. Mais avant cela, ils font beaucoup de dégâts !


    • Radix Radix 7 mai 10:21

      Bonjour cevennevive.

      Staline, Mao, Pinochet, Franco etc... Sont tous morts dans leurs lits !

      Radix


    • tonimarus45 8 mai 07:57

      @Radix«  »« Staline, Mao, Pinochet, Franco etc... Sont tous morts dans leurs lits ! »«  » pas guevara.Il est quand meme rare que quelq"un perde la vie pour ses idees.Quant a une revolution la fleur au fusil ,cela n’existe que tre,tres rarement, surtout quant on est confronte a un animal feroce que sont les etats unis


  • Spartacus Lequidam Spartacus Lequidam 7 mai 10:40

    Une ordure gauchiste comme toutes les ordures criminogènes sont admirées par les gauchistes..

    Sous leur « beaux sentiments » les gauchistes sont tous des haineux jaloux, et ce qu’ils dénoncent c’est les plus riches que eux et ceux qui réussient plus que eux.

    Le gauchiste admire ceux qui font du mal aux gens libres, ces gauchistes sont le ressentiment de frustrés.

    Che Guevar, Pol Pot, Mao, Staline, CHavez, Maduro les ordures qu’ils ont admirés ou admirent ne sont que le refelt de ce qu’ils sont. Des frustrés.


  • Luniterre Luniterre 7 mai 15:24


    "Cette période formative, bien que romantisée, montre un Guevara déjà ambivalent. Son empathie pour les opprimés coexiste avec une rigidité idéologique naissante. Ses biographes, comme Jon Lee Anderson (Che Guevara : A Revolutionary Life), soulignent que son marxisme, encore embryonnaire, s’ancre dans une vision manichéenne du monde, où la révolution devient la seule réponse aux maux sociaux."


    Histoire ou agit-prop ? Le bouquin de Jon Lee Anderson, qui a également servi de base essentielle au film de Steven Soderbergh, « Che », est donc une sorte de biographie « US officielle » du Che. Un pavé quasi exhaustif sur le personnage par un reporter de guerre US qui a enquêté sur le terrain et notamment permis de retrouver la dépouille du Che en Bolivie.


    Ayant lu il y a quelques années déjà le bouquin original de Jon Lee Anderson, qui est toujours dans ma bibliothèque, je n’ai pas du tout le souvenir d’une sorte de vision manichéenne du personnage telle que décrite dans cet article, qui semble simplement enchaîner les poncifs habituels sur le sujet.


    Sur le lien entre Jon Lee Anderson et Steven Soderbergh :

    https://cdn-media.festival-cannes.com/film_film/0001/89/c31dc22f36be410e543e5955d0a2ba97c407b8e9. pdf


    Dans la mesure où il s’agit d’un article présenté comme un sujet d’histoire il aurait donc été logique que vous étayiez vos affirmations sur au moins un extrait suffisamment significatif de la source à laquelle vous vous référez.

    En tout cas il y a, pour le moins, un décalage d’ensemble assez net entre la somme de Jon Lee Anderson, généralement considérée comme la bio de référence sur le personnage, et votre papier.

    Surprenant, ou pas, c’est une autre question... Personnellement j’évite d’aborder les sujets que je n’ai pas suffisamment étudiés, et même ainsi il faut admettre que l’on n’est jamais à l’abri d’une lacune ou d’une erreur d’interprétation, et donc éventuellement l’admettre et en faire un point de départ pour un nouvel approfondissement.

    Luniterre



  • La Bête du Gévaudan 8 mai 00:04

    Encore un bourgeois marxiste inculte et sanguinaire...C’est hallucinant quand on regarde les grands criminels socialo-communistes : la plupart sont issus des classes aisées... Ca devrait quand-même interroger leur doctrine déterministe de la conscience ! Mais d’un autre côté, quand on regarde leurs visages, ils n’ont pas l’air de respirer l’intelligence.

    Ca donne plutôt l’impression d’une clique de ratés recyclés dans le gangstérisme politique. Bref, des vrais fachos. Aujourd’hui ils militent pour la Palestine et le HAMAS, et ils sont toujours aussi haineux et violents. 

    C’est toujours rigolo de voir des mecs qui dénoncent « l’exploitation » et « l’impérialisme » se comporter 100 fois pire que le système qu’ils prétendent dénoncer. 


  • ETTORE ETTORE 8 mai 11:12

    «  »« capturé et exécuté le 9 octobre 1967 à La Higuera, sous les ordres de l’armée bolivienne et avec l’implication de la CIA »«  »

    ...................................................................... .......................................................

    C’est tout ce qui est à retenir !

    de l’autre côté de la page collée de l’histoire.


  • ricoxy ricoxy 8 mai 13:28

     

    El Che ? Un tueur sans pitié. À New York en 1964, à la tribune de l’ONU, Che Guevara déclare, déclame : « Nous avons fusillé ; nous fusillons et nous continuerons de fusiller tant qu’il le faudra. »

     


  • Ffgismo 9 mai 17:51

     Nous sommes soixante huit millions et ils sont six cent mille parasites, profiteurs, bandits, voleurs le Giuseppe en fait partie et sa a beaucoup trop duré…


  • AmonBra AmonBra 10 mai 14:46

    Buongiorno Giuséppé !

    Les colonialistes pro-nazis camouflés en démocrates costard-cravates, que leur refus de condamner le nazisme en AG de l’ONU a dévoilé, et que leur soutien éhonté aux ukronazis en ex Ukraine, ainsi qu’aux judéonazis en Palestine a confirmé, gouvernant l’occident depuis trop longtemps, notamment grâce aux « mougeons » conditionnés les élisant régulièrement, n’auront réussi qu’a gagner du temps, quelques centaines de milliard$ de plus mais, surtout, faire du « Ché » un martyr et un symbole bien plus dangereux mort que vivant et votre article, cher auteur, n’y changera absolument rien, notamment chez les Peuples ayant « goûté » au suprémacisme occidental, excusez le pléonasme.

    Par ailleurs, en matière de flot de sang et de larmes versés, même le combattant révolutionnaire déterminé qu’était Ernesto Guevara, me semble un enfant de cœur face aux « assassins que craignent les panthères et dont tremble un poignard quand leur main l’a touché », comme les décrit si bellement le poète. . .


Réagir