mardi 20 mai - par Franck ABED

Chronique de lecture : Le Joueur d’échecs – Une parabole de la résistance intérieure

Il est des récits brefs dont la puissance dépasse celle de volumes entiers. Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig appartient à cette catégorie précieuse d’œuvres où la concision ne bride pas la profondeur, bien au contraire. Sous les traits d’un récit apparemment simple, presque anecdotique — une partie d’échecs sur un paquebot — se cache une méditation saisissante sur l’esprit, la liberté et la survie de l’âme face à l’oppression.

Zweig, exilé, traqué par le monde nouveau qui se bâtissait sur les ruines du sien, écrit là une sorte de testament. À travers le personnage de Monsieur B., intellectuel autrichien isolé, humilié, brisé psychologiquement par la Gestapo mais sauvé par le jeu d’échecs, il livre une métaphore lumineuse de la résistance intérieure. Ce que d’autres appellent résilience, lui l’illustre par une discipline mentale, une ascèse douloureuse, presque christique, où la folie côtoie la lucidité.

Le roman pose alors une question brûlante, toujours actuelle : que reste-t-il de l’homme lorsqu’on lui retire tout, sauf son esprit ? Monsieur B. démontre que la liberté véritable ne se loge pas dans les institutions ou les slogans mais dans le for intérieur, cet espace inviolable où se joue le destin individuel. En cela, Le Joueur d’échecs dépasse la simple dénonciation du totalitarisme pour atteindre une portée universelle.

À l’opposé, Czentovic, le champion d’échecs rustre et arrogant, incarne la médiocrité triomphante : celle de l’homme sans culture, sans transcendance, dont le génie n’est que mécanique. Zweig le confronte à une intelligence forgée dans la souffrance, et l’opposition est sans appel. La technique sans âme est vouée à l’échec face à l’esprit habité.

Ce court roman, écrit avec une élégance sobre, témoigne d’un pessimisme lucide. Zweig ne croit plus au salut collectif, il devine que la civilisation européenne est entrée dans une nuit dont elle ne sortira pas indemne. Pourtant, il nous livre ici une ultime leçon d’espoir : tant qu’un homme peut penser librement, rien n’est tout à fait perdu.

À l’heure où les conformismes se réinstallent, où l’intimidation idéologique prend des formes nouvelles, Le Joueur d’échecs devrait être lu comme un avertissement. Il nous rappelle que les tyrannies, même modernes, redoutent toujours ce qu’elles ne peuvent contrôler : une âme formée, un esprit entraîné, un cœur libre...



3 réactions


  • Seth 20 mai 14:29

    J’ai fait une petite recherche sur l’expression « échec et mat ». J’ai trouvé « shah mat » (le roi est piégé) et plus poétique « khorshid o mah » (soleil et lune).  smiley

    A moins que ne ce soit un mélange des deux genre « khorshid mat », allez savoir...  smiley


  • Gaspard des Montagnes Gaspard des Montagnes 20 mai 16:51
    Et pourtant ! extrait de Wikipédia :Suicide : 22 février 1942

    Avec l’entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941, Zweig perd de plus en plus espoir. Il n’en continue pas moins son œuvre, dont Le Joueur d’échecs, bref roman qui sera publié à titre posthume, et qui met précisément en scène un exilé autrichien que les méthodes d’enfermement et d’interrogatoire pratiquées par les nazis avaient poussé au bord de la folie.

    Au mois de février, en plein carnaval à Rio, il apprend la chute de Singapour, principale base militaire britannique en Extrême-Orient.

    Hanté par l’inéluctabilité de la vieillesse, ne supportant plus l’asthme sévère de Lotte, et moralement détruit par la guerre mondiale en cours, il décide qu’il ne peut plus continuer à assister ainsi, sans recours, à l’agonie du monde[17]. Il se rend à Barbacena, rend visite à l’écrivain Georges Bernanos, qui tente en vain de lui faire reprendre espoir[18].

    Le 22 février 1942, après avoir fait ses adieux[19] et laissé ses affaires en ordre (il laisse un mot concernant son chien, qu’il confie à des amis[20]), Stefan Zweig met fin à ses jours en s’empoisonnant au Véronal (un barbiturique), en compagnie de Lotte qui refuse de survivre à son compagnon.


    • Wladimir 23 mai 13:20

      @Gaspard des Montagnes
      Votre commentaire est très important .
      Cela montre que l’auteur n’a sans doute compris que peu de choses de la vie ...
      Trop d’importance accordée au monde extérieur . Dès que l’on observe les religions , le salut est individuel ... C’est la vie intérieure qui prime .
      Pas de temps à perdre à lire un tel livre ....


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