Comprendre le monde d’aujourd’hui et de demain
Nous vivons une bien étrange période. Nous avons l’impression d’être à la fin d’une époque et pourtant, tout semble continuer comme avant. Bien trop d’événements inattendus surviennent sans liens apparents entre eux et il est bien difficile de faire une quelconque prospective au-delà de quelques mois, voire de quelques semaines.
Il y a pourtant beaucoup à tirer des médias mais il faut pour cela aussi s’intéresser à ce qui s’écrit hors de l’Hexagone.
Le monde multipolaire nouveau est peut-être en train de naître sous nos yeux, par petites avancées silencieuses, avec des reculades singulières [1] ou par des discours éclairants [2].
Prenons des éléments isolés, rassemblons-les et voyons comment rendre cela cohérent sans tenir compte des délires des journalistes de courant dominant.
Le G8 ! Une image du passé ?
Les États-Unis.
Après un premier mandat durant lequel Barack Obama a essayé de rallier tous les pays du monde autour de lui avec souvent des discours rassembleurs [3] mais qui cachaient mal cette déplorable croyance en l’exceptionnalisme américain, le président est revenu pour un deuxième mandat avec des intentions beaucoup plus déterminées.
Barack Obama était littéralement tombé en admiration [4] devant les théories de Robert Kagan, le conseiller de Mitt Romney, son rival à la présidence de 2012.
Un article de ce dernier, paru dans le New Republic (janvier 2012) [5], « Le Mythe du Déclin américain » et surtout son essai « The World America Made » (2012) [6] ont convaincu Barack Obama de ne pas être le président du repli sur soi des États-Unis.
C’est à partir de cette vision des choses que l’on doit comprendre toutes les décisions qui sont prisent depuis deux ans par le président des États-Unis.
Robert Kagan n’est pas un conseiller de Barack Obama, il vit à Bruxelles, mais son épouse, Victoria Nuland, est sous-secrétaire d'État pour l'Europe et l'Eurasie (depuis septembre 2013) et elle jouit d’une très grande autonomie vis-à-vis de John Kerry. On a vu cette néoconservatrice zélée à l’œuvre dans la déstabilisation de l’Ukraine et lors de la prise de pouvoir par une junte anti-russe entièrement aux ordres de ses parrains étasuniens.
On peut résumer la théorie de Robert Kagan comme suit :
« Nous, les États-Unis, produisons 25 % du PIB mondial comme lors des 4 dernières décennies et notre armée n’a pas de rivale dans le monde. Cela ne nous permet pas de contrôler les événements mondiaux dans les moindres détails mais cela nous rend très riche, très influent et très dominant. Le véritable problème des États-Unis est son déclin économique qui influencera très vite ses capacités militaires. »
Kagan demande aux lecteurs d'imaginer les conséquences si les États-Unis devaient se rétracter de leurs engagements dans les affaires du monde qu’ils ont contribué à créer afin de se concentrer uniquement sur leurs préoccupations nationales.
Il fait valoir que les États-Unis conservent un mélange unique de caractéristiques dont aucun autre pays ne bénéficie. Tout d'abord, la situation géographique des États-Unis crée une distance avec les superpuissances mondiales dominantes. Ensuite, le mélange du capitalisme et de la démocratie américaine renforce les intérêts mondiaux américains. Enfin et peut-être le moins compris est la force militaire redoutable des États-Unis.
Par conséquent, si les États-Unis devaient disparaître de la scène mondiale, ce qui pourrait arriver, Kagan soutient qu'aucune puissance unique serait en mesure ou désireuse de les remplacer comme puissance mondiale suprême.
La seule option viable pour les États-Unis est de garder une présence militaire visible dans le monde. Ce n’est pas seulement une nécessité économique mais aussi humanitaire. (Sic)
Nous voyons donc un président des États-Unis continuellement tiraillé entre les idéalistes (néoconservateurs) qui constituent son proche entourage et les réalistes, représentés par John Kerry, Chuck Hagel avant sa démission et une partie des généraux du Pentagone qui sont plus enclins à la prudence et aux compromis.
C’est bien cette dichotomie dans l’administration étasunienne qui fait que Barack Obama semble toujours être un président hésitant, voire parfois confus.
L’Europe.
L’Europe est une grande déception en diplomatie internationale. Catherine Ashton qui est restée 5 ans à la tête des affaires étrangères européennes symbolise bien le manque de poids de l’Europe dans les affaires du monde.
Catherine Ashton.
On peut actuellement voir le « couple » franco-allemand essayer de faire le grand écart diplomatique pour sauver la paix en Europe mais on sent bien que ce sera en vain. Ce sont bien les États-Unis avec leurs puissants relais médiatiques et politiques en Europe ainsi que l’OTAN au niveau militaire qui tirent les ficelles du drame ukrainien. L’Europe fera sans doute partie des perdants politiques et économiques de ce conflit avec le divorce qui s’annonce avec la Russie. Une poussée salvatrice viendra peut-être des Balkans ou du sud de l’Europe [7] mais sans doute trop tard.
La Russie.
Elle traîne encore toujours son image négative de l’époque communiste en Occident. Elle a pourtant bien changé ; elle n’a rien à voir avec la caricature qu’en font les médias dominants occidentaux. Il est d’ailleurs à noter que la plupart de leurs journalistes n’ont soit jamais mis les pieds en Russie, soit refusent de décrire des situations contraires à leur doxa ou soit n’ont que des contacts avec l’opposition pro-occidentale non parlementaire et principalement moscovite.
La Russie avait bien imprudemment ouvert son économie aux échanges commerciaux et aux liens financiers avec les Occidentaux (au contraire de la Chine) et elle est maintenant prisonnière de ces décisions. Vingt-cinq ans de rapports politiques tumultueux ont fini par avoir raison de leur patience et aujourd’hui, de moins en moins de Russes croient encore dans les « valeurs occidentales ». [8]
Le pays s’est relevé de la catastrophique période qui a suivi la fin de l’URSS mais la classe d’oligarques issue de cette période trouble garde encore une grande influence dans le pays. Les milieux bancaires, endettés à l’Ouest, une bonne partie du gouvernement Medvedev, la Banque centrale russe et bien d’autres organismes de l’État mènent de discrètes opérations de déstabilisation en ne relayant pas les décisions du gouvernement. Avec les blogueurs-organisateurs de manifestations et les ONG financièrement aidées par les Occidentaux, ce sont eux que Vladimir Poutine nomme la cinquième colonne.
Contrairement à ce que prétendent la plupart des médias occidentaux, le président russe ne gouverne pas par ukases. Il n’y a aucune commune mesure entre lui et le comportement d’un tsar comme Pierre le Grand par exemple, sauf la volonté de vouloir construire une Russie forte et respectée.
Dmitry Rogozine et Sergei Glariev.
Vladimir Poutine consulte beaucoup : l’opposition parlementaire, les milieux d’affaires, les oligarques et bien sûr ses proches conseillers que sont Sergueï Lavrov ou Sergueï Glaziev [9] par exemple. Il peut compter sur les siloviki, sur le complexe militaro-industriel, sur l’armée russe complètement réhabilitée ainsi que sur un soutien populaire massif pour mener sa politique.
C’est ainsi qu’il prend ses responsabilités et en les soumettant à un vote à la Douma si c’est nécessaire pour respecter la constitution du pays. Il signe aussi des lois qui sont d’initiative parlementaire comme la « Loi sur la protection de la jeunesse » qu’on appelle « Loi homophobe » chez nous et qui, on ne rappellera jamais assez, avait été voté à l’unanimité moins une abstention à la Douma
Tant que Vladimir Poutine gardera le soutien de ses concitoyens, il pourra maintenir le cap. Les « sanctions » occidentales et leurs conséquences seront acceptées par les Russes parce qu’ils sont en majorité plus attachés à leur pays et à ses valeurs (Родина) qu’à des biens matériels.
Il est évident que de leur côté, les Russes tiennent avec le gaz une arme explosive contre l’Europe. À court ou à moyen-terme, il n’y a pas d’alternative au gaz russe et dans tous les cas, elle coûterait plus cher. Fermer les vannes peut être considéré comme l’arme choc à utiliser en dernier recours, en cas de déconnexion des banques russes du système SWIFT par exemple. Ce serait le dernier niveau d’escalade avant une guerre chaude…
Il n’y a pas encore de rupture définitive entre l’Europe et la Russie. Vladimir Poutine, de sa position centriste, voudrait garder des liens politiques et économiques, même à un niveau inférieur à la dernière décennie, mais on ne sait pas jusqu’où la crise ukrainienne va dégénérer et une rupture diplomatique totale n’est pas à exclure.
Voilà pourquoi, la Russie a pris des mesures pour ne plus être dépendante des Occidentaux le plus vite possible.
Une phrase d’un des derniers discours de Vladimir Poutine a particulièrement retenu mon attention : « Les sanctions auront un effet sur la Russie mais d’ici moins de deux ans, nous serons sortis de la crise »
Vladimir Poutine est entouré de conseillers sérieux et s’il évoque 2 ans, cela doit correspondre à quelque chose de concret qui aura changé d’ici là.
Il ne peut pas prédire une baisse de la pression des Occidentaux. Une remontée du rouble est aléatoire et la Russie n’a que peu d’influence sur les cours du pétrole.
Deux ans, ce sera aussi le moment du départ de Barack Obama mais cela ne signifie pas nécessairement le départ des néoconservateurs !
C’est vrai que d’ici deux ans, l’armée russe aura atteint de seuil à partir duquel elle sera sans conteste la deuxième armée du monde en termes d’équipements modernes mais cela ne résoudra pas les problèmes financiers et économiques de la Russie.
Une restructuration de l’économie russe en moins de deux ans est impossible.
Il y a peut-être une autre explication que je développerai plus loin dans l’article.
La Chine.
Depuis son retour à l’avant-plan planétaire, la Chine n’a pas eu d’attitude belliqueuse envers ses voisins.
On peut dire que l’annexion du Tibet en 1951 est beaucoup plus complexe que l’histoire à l’eau de rose contée par quelques romantiques pour nous attendrir. Avant son annexion par la Chine, le Tibet était bel et bien un État féodal avec des serfs attachés à leur terre et c’est la Chine qui y mit fin.
La région autonome du Xinjiang fait partie de l’Empire chinois depuis 1759. Les troubles y sont provoqués par des éléments al-qaïdistes subventionnés par des fondamentalistes issus du Golfe et sans doute aussi par des officines secrètes étasuniennes.
Les revendications chinoises sur les îles Diaoyu /Senkaku sont largement justifiées vu que ces iles ont été annexées par le Japon en 1895 et que la Déclaration du Caire de 1943 dit que le Japon doit être expulsé de tous les territoires qu’il a acquis par la force.
Les iles Paracels et Spratleys, pratiquement inhabitées, sont aussi revendiquées par la Chine pour des raisons économiques et pour leurs situations stratégiques.
La Chine sait qu’elle est menacée de « containment » par les États-Unis. Elle ne peut pour le moment répondre à la pression que ces derniers exercent sur elle à partir des zones maritimes.
Voilà pourquoi la Chine cherche des rapprochements avec les puissances asiatiques continentales et surtout avec la Russie qui, en cas de basculement dans le camp occidental, menacerait tout le nord du pays. La Chine perdrait aussi l’accès sécurisé aux réserves d’énergie russe dont elle a impérativement besoin pour sa sécurité.
L’Inde.
Voilà bien un pays dont a du mal à situer la position politique. Depuis l’époque soviétique, l’Inde a été un partenaire stratégique fiable de l’Union soviétique et ensuite de la Russie et inversement aussi. Dans les années soixante, la Russie et la Chine étaient en conflit (idéologique et territorial). Il y eut même une mini guerre entre les deux pays en 1969 [10] qui faillit dégénérer en conflit nucléaire.
C’est à cette période que l’Inde et la Russie se sont rapprochées. Ils avaient un ennemi en commun : la Chine.
Un missile BrahMos.
La coopération militaire entre l’Inde et la Russie est d’un haut niveau. Il faut mentionner la participation des deux pays dans le programme d’avion de 5me génération PAK FA T-50 et la réussite du missile de croisière supersonique BrahMos [11] aussi issu d’une coopération entre les deux pays.
Il n’y eut jamais de faille dans leurs relations mais récemment, l’Inde a fait un pas vers l’Occident en y achetant beaucoup de matériel militaire. Cela a été contrebalancé par la vente d’hélicoptères au Pakistan [12] et d’avions SU 35 [13] à la Chine.
La dernière visite de Vladimir Poutine à Delhi fut très fructueuse en conclusions de contrats et l’accueil fut très chaleureux. Il en fut de même lors de la visite de Barack Obama en Inde. Il est donc bien difficile de deviner la position de l’Inde pour autant qu’elle en ait une. Ce pays semble plutôt être dans une position d’équilibre et semble attendre le plus longtemps possible et pour pencher d’un côté ou de l’autre de la balance suivant l’évolution de la crise entre la Russie et l’Occident.
Il faut aussi mentionner que le système libéral occidental exerce une très forte attractivité sur les jeunes diplômés et que les meilleurs d’entre eux viennent souvent grossir les effectifs de nos laboratoires de recherche. Des dizaines et peut-être des centaines de milliers d’Indiens travaillent pour les États-Unis et l’Occident en général dans le secteur délocalisé des services administratifs grâce à Internet. Les autorités indiennes doivent aussi en tenir compte.
D’un autre côté, l’Inde ne voudrait pas rater sa participation au projet chinois de « La nouvelle route de la soie » qui est clairement un projet dont les États-Unis seront exclus.
En conclusion, on peut affirmer que l’Inde a besoin de l’Occident pour son économie mais elle désire être respectée et surtout, elle ne désire pas être traitée comme une vassale ne fût-ce que par la première puissance du monde et pour cela, elle a intérêt à adhérer de l’OSC.
L’OSC.
L’Organisation de Coopération de Shanghai a été créée en 2001 et a, comme son nom ne l’indique pas, son siège à Pékin. L’OSC regroupe 6 pays : la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. La vocation de l’alliance est essentiellement sécuritaire : la lutte contre le séparatisme, le terrorisme, l’extrémisme islamiste, le trafic de drogue ainsi que contre l’impérialisme des États-Unis.
Cinq pays y ont le rôle d’observateurs : l’Inde, le Pakistan, l’Iran, la Mongolie et l’Afghanistan.
La Russie préside l’OSC en 2015 et elle ambitionne d’élargir l’Organisation à l’Inde et au Pakistan lors du sommet d’Oufa. L’Iran en cas de levée des sanctions et la Mongolie, pourraient suivre la même voie.
Rien n’est définitivement décidé mais les négociations vont bon train.
L’or.
On doit remonter à l’origine préhistorique des échanges de biens pour comprendre le rôle de l’or dans le commerce. Un simple troc ne nécessite pas de fixer un prix exprimé en une quelconque monnaie. Beaucoup de petits garçons ont échangé leurs billes (une belle pour deux ordinaires) dans des cours de récréation sans connaitre le prix de la bille exprimée valeur monétaire.
Le commerce devint plus complexe quand il fallut l’étendre à un plus grand nombre de personnes et sur une aire géographique plus large.
Des cauris en or !
Divers objets (outils, cauris etc.) servirent alors de monnaie locale d’échange et finalement l’or et l’argent en lingots ou en pièces finirent par s’imposer au niveau mondial grâce à leur rareté et à leur inaltérabilité.
Pendant des siècles, l’or fut l’étalon de référence du commerce national et international autrement dit, les valeurs d’un objet ou d’un service étaient déterminés par leur compensation en or (ou en argent)
Le dollar.
C’est en Chine, au XIe siècle que nait le papier monnaie. Il faudra attendre le XVIIe siècle pour le voir apparaitre en Europe. Ces billets étaient remboursables contre une quantité donnée de métal précieux monétaire ou étaient garantis par des biens de l’État (assignats).
Cette garantie disparut petit à petit et finalement, avec les accords de Breton Woods en 1944, le dollar devint la seule monnaie convertible en or sur base de 35 dollars pour une once d’or. Il faut dire que les États-Unis avaient accumulé tout l’or de leurs alliés en payement des fournitures livrées pendant la Seconde Guerre mondiale et que ces pays avaient encore des dettes faramineuses à rembourser.
Jusqu’en 1971, lorsque Richard Nixon mit fin à la convertibilité du dollar, posséder des dollars était comme posséder de l’or.
Depuis, le dollar est devenu la monnaie de référence pour le commerce mondial. Un privilège dont les administrations étasuniennes ont abusé pour mettre de plus en plus de dollars en circulation. Ce système leur permettait de mener des politiques internationales couteuses sans faire de réels efforts d’économie. Une anomalie dont les États-Unis se sont arrogé le droit en tant que vainqueur de la Seconde Guerre mondiale et comme vainqueur autoproclamé de la guerre froide.
C’est un peu comme si un pays avait des plages pleines de cauris [14] et qu’il lui suffisait de se baisser pour les ramasser. Il ne lui serait alors plus nécessaire de produire des biens vu qu’il peut les acheter sans effort. (Du pétrole par exemple pour les États-Unis.)
Cette situation est évidement inacceptable pour une partie des autres grandes puissances mondiales, surtout celles qui ne sont pas inféodées aux États-Unis.
Voilà pourquoi ces dernières ont un grand intérêt à mettre un système alternatif en place.
L’alliance.
Contrairement aux prévisions des « experts » occidentaux de ces dernières années, la coopération entre la Russie et la Chine se renforce toujours davantage pour devenir un partenariat stratégique prioritaire pour les deux pays. Les rencontres entre les deux chefs d’États se multiplient et on peut supposer que ce n’est pas pour se dire des banalités.
Il y a bien sûr les gigantesques contrats gaziers conclus entre les deux pays et aussi des contrats d’armement mais les aspects sécuritaires vis-à-vis des États-Unis doivent aussi prendre une place importante dans leurs entretiens.
La Russie, actuellement sous les pressions militaire et économique et financière des États-Unis et de l’Occident en général, est la première intéressée par une réorganisation de l’ordre mondial qui est aujourd’hui dominé par les États-Unis. Elle sait que pour trouver son autonomie, elle devra passer par la dé-dollarisation dans ses échanges commerciaux avec ses partenaires ainsi que par l’abandon de sa dépendance au système financier contrôlé par les États-Unis.
La Russie s’est d’ailleurs déjà débarrassées de beaucoup de ses bons du Trésor US sachant très bien qu’ils pourraient être saisis en cas de crise aigüe avec les États-Unis.
Des accords commerciaux ont déjà été conclus avec de nombreux pays avec l’utilisation de leurs monnaies nationales respectives. Il s’agit principalement d’accords avec la Chine, avec l’Inde, avec l’Iran, avec l’Égypte, avec la Turquie et avec divers autres pays dans le monde.
Le principal partenaire pour cette utilisation de monnaies nationales est la Chine avec qui la Russie a procédé à un échange de devises (Swap) [15] entre leurs banques centrales.
C’est ici qu’il est important de s’intéresser au blog de Sergei Glaziev [16], un des principaux conseillers économiques de Vladimir Poutine.
Que peut-on apprendre dans ce blog.
- Sergei Glaziev constate que les États-Unis utilisent les organisations internationales comme l’OMC, la Banque mondiale ou le FMI à des fins politiques et à leur principal profit. (Le récent prêt de 17 milliards de dollars à l’Ukraine en est le plus parfait exemple.)
- Les pays qui ne se soumettent pas aux exigences politiques des États-Unis peuvent être sanctionnés par l’administration ou par les tribunaux étasuniens et voir leurs comptes en dollars bloqués ou confisqués.
- Sergei Glaziev propose de sortir de ce paradigme et, avec d’autres pays importants, d’inventer un système alternatif tout-à-fait déconnecté du dollar.
Suivant des modalités encore en discussion, les fluctuations entre les devises des pays concernés devraient être limitées de manière ne pas compromettre les contrats à moyen ou à long terme.
Nous avons tous vu que la Russie et la Chine ont acheté de grandes quantités d’or depuis quelques années. Il s’agit évidemment d’achat d’or physique, pas des certificats papiers (ZKB Gold) émis par les banques. Elles seraient d’ailleurs tout-à-fait incapables d’honorer ces certificats si tous les détenteurs voulaient les convertir en or.
La Chine, la Russie, le Kazakhstan ou l’Iran sont des pays ayant une faible dette souveraine, des réserves de change importantes ainsi que de grandes réserves d’or [17].
Ce nouveau marché eurasiatique de plus de 3 milliards d’habitants (si l’Inde s’y joint) pourrait donc fonctionner avec des monnaies garanties par les stocks d’or et en dehors de toute spéculation monétaire et financière occidentale.
Il n’y aurait pas de convertibilité avec les monnaies occidentales, cela fonctionnerait uniquement entre les pays ayant adhérés au système. L’OSC serait un cadre idéal pour le gérer.
Le projet chinois des nouvelles routes de la soie (parce qu’il y en aurait plusieurs, des terrestres et des maritimes) est le projet emblématique autour duquel les pays participants devraient s’unir. Ce projet affranchira ces pays de leur dépendance au système actuel et il facilitera le développement économique de tous les pays traversés.
La nouvelle Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB), une création de Pékin, et la banque des BRICS seront là pour soutenir ces projets.
Tout ceci est en discussion pour le moment. Il n’y a que peu d’informations qui transpirent des négociations mais le sommet d’Oufa en juillet prochain devrait nous en apprendre davantage.
Les échanges commerciaux avec les pays occidentaux devaient se faire suivants des modalités encore à convenir.
Vladimir Poutine et Xi Jinping laissent encore la porte entrouverte pour des négociations avec les États-Unis notamment concernant le fonctionnement du FMI et de la Banque mondiale mais mon sentiment est que ce ne sera pas possible avec l’administration actuelle.
À mon avis, Vladimir Poutine pensait à cela quand il avait dit que dans moins de deux ans, la Russie sera sortie de la crise : 2015 pour signer les accords, sans doute au sommet d’Oufa, et commencer à les mettre en œuvre et 2016 pour voir les premiers résultats.
Risques de guerre.
Il est inacceptable pour les États-Unis de permettre la dé-dollarisation d’une grande partie des échanges commerciaux dans le monde et personne ne sait jusqu’où ils sont capables d’aller pour bloquer le projet russo-chinois.
Il y a un grand danger de guerre régionale ou mondiale impliquant la Russie et on sait que cette dernière est prête à utiliser son arsenal nucléaire pour défendre ses intérêts vitaux comme lors de l’annexion de la Crimée comme on a pu l’apprendre récemment par Vladimir Poutine [18].
L’élargissement de l’OTAN à de nouveaux pays, le bouclier antimissiles étasunien [19] et la déstabilisation de pays alliés ont acculé la Russie dans ses derniers retranchements. Elle ne fera plus de compromis qui l’affaiblirait encore davantage.
Une mauvaise évaluation des risques de la part des États-Unis pourrait déclencher un conflit général dont on ne peut évaluer les conséquences.
Il faut aussi mentionner, et c’est inquiétant, le manque de réalisme de certains conseillers du président étasunien. On ne sait pas très bien si certains discours de Barack Obama servent à rassurer ses compatriotes ou s’adressent directement à Vladimir Poutine. Je cite ici pour exemple sa déclaration disant que la Russie n’est qu’une puissance de second ordre alors qu’elle est la deuxième puissance militaire de la planète ou lors de son interview à « The Economist » [20] où lui ou son équipe de communication se sont basés sur des statistiques périmées pour parler de la Russie.
Selon moi, cette croyance en leur supériorité absolue est un grand danger pour la paix dans le monde parce que les États-Unis mettent leurs capacités politique et militaire uniquement au service de leurs intérêts propres.
Aussi, on retrouve dans les idées néo-conservatrices des concepts et des notions trotskystes. Par exemple, dans la théorie trotskyste, nous trouvons les idées de " révolution permanente " et de " parti d'avant-garde ". Chez les néo-conservateurs, l'idée de " guerre permanente " est très présente. Ils prônent l'usage de la force pure pour mener cette " guerre permanente ".
Avec la guerre civile en Ukraine, l’Europe se trouve exposée aux conséquences d’une intervention étrangère dans ce pays et même à un débordement du conflit au-delà des frontières ukrainiennes comme au Moyen-Orient avec la Syrie.
La question que tout le monde devrait se poser est : l’Europe doit-elle se suicider pour satisfaire la volonté des États-Unis de rester la seule superpuissance de la planète ?
Conclusion.
Les années 2015 et 2016 s’annoncent très incertaines pour l’Europe ainsi que pour la Russie et la Commission européenne précédente porte une lourde responsabilité dans cette situation.
En effet, c’est elle qui avait pris l’initiative du Partenariat oriental qui devait associer l’Ukraine à l’Union européenne sans concertation avec la Russie, le principal partenaire économique de l’Ukraine. Le texte de cet accord a longtemps été tenu secret mais on peut le consulter maintenant en anglais sur le blog de Sergei Glaziev [21]. On y découvre 906 pages de conditions et de contraintes que même l’Ukraine de 2013 était tout-à-fait incapable de réaliser sans un plan d’aide de plusieurs dizaines de milliards d’euros et sans doute même de plus de cent milliards d’euros. Avec les contraintes techniques, il s’agissait et il s’agit toujours d’une mise sous tutelle économique de l’Ukraine par l’Union européenne et aujourd’hui par les États-Unis.
Il faut aussi mentionner le TITRE II à partir de la page 12 qui oblige l’Ukraine à s’aligner sur la politique étrangère de l’Union européenne.
Je fais un rapprochement avec cet autre projet européen, l’Union pour la Méditerranée, qui a finalement aussi débouché sur des révolutions, des guerres et le chaos.
Alors, l’Union européenne, prix Nobel de la Paix ! Était-ce bien mérité ?
Pour conclure, je ne peux m’empêcher de penser à Albert Einstein à qui on avait demandé comment se déroulerait une troisième guerre mondiale. Sa réponse pleine de bon sens fut : « Je ne sais pas comment la Troisième Guerre Mondiale sera menée, mais je sais comment le sera la quatrième : avec des bâtons et des pierres. »
Essais de prospectives et dernières questions.
La rupture entre l’Europe et la Russie aura des conséquences très négatives pour l’Europe. Jusqu’ici, il y avait un certain équilibre vu que l’Europe achetait du gaz russe et la Russie achetait des produits finis européens : produits agro-alimentaires, voitures et autres produits industriels. Une grande partie de ces produits seront dorénavant fabriqués localement ou seront fournis par des pays non européens tandis que le gaz russe devra toujours être acheté par les pays européens. Ce déséquilibre commercial et ses conséquences n’ont pas encore été calculés par les économistes mais il se chiffrera certainement en dizaines de milliards d’euros au détriment de l’Europe.
Vladimir Poutine pense qu’il y a une offensive occidentale contre la Russie pour la soumettre aux dictats des États-Unis. Je pense qu’il a raison et qu’il y aura encore d’autres agressions contre les intérêts russes.
Je pense que le président Obama est déterminé à maintenir coute que coute le leadership des États-Unis dans le monde mais qu’il n’aura pas le temps de le faire avant la fin de son mandat. L’Ukraine est en pleine crise, la Syrie et l’Irak en guerre totale, l’Iran ne cèdera pas sur l’essentiel de son programme nucléaire, le nord de l’Afrique est en pleine ébullition et déjà se profile un nouveau conflit au Venezuela. De plus, l’Europe ne voit pas le bout du tunnel de sa crise avec sa croissance économique en berne et avec l’endettement endémique de la plupart de ses États.
Je ne pense pas qu’une issue pacifique de la crise ukrainienne ne sera possible rapidement. Beaucoup d’aspect ne sont pas évoqués dans nos médias comme par exemple le vœu des Ukrainiens de voir la disparition du régime oligarchique.
Je ne crois pas que les Ukrainiens accepteront les conditions que le FMI veut leur imposer sans réagir violemment.
Pour le moment, des milices anti-russes soutenues par des oligarques ukrainiens sévissent dans tout le pays. Je crois qu’un mouvement de révolte et peut-être même une guerre de partisans discrètement armés par Moscou finira par apparaitre. Si c’était le cas, ce serait l’anarchie dans tout le pays. Le vent de fronde contre la mobilisation souffle déjà dans le pays et il donne un aperçu de l’état d’esprit des Ukrainiens. Il faut aussi tenir compte de la démobilisation de soldats de retour du Donbass et dont on connait l’animosité envers leur hiérarchie.
Quelques questions à se poser.
Y aura-t-il une rupture entre les grands pays européens et les États-Unis ?
Quel avenir pour l’OTAN après la crise ukrainienne ?
Quel avenir pour l’Union européenne avec les divisions politiques qui se profilent ?
Là, personne ne peut prédire ce qu’il adviendra.
[1] Le renoncement du bombardement de la Syrie en 2013 par exemple.
[2] Voir par exemple le discours de Munich de Vladimir Poutine en 2007.
[3] Le discours du Caire, le bouton de redémarrage avec la Russie, la stratégie de retrait d’Irak et d’Afghanistan, la promesse de fermeture du camp de Guantánamo…
[4] President Barack Obama is personally enamored with a recent essay written by neoconservative writer Bob Kagan , an advisor to Mitt Romney , in which Kagan argues that the idea the United States is in decline is false. (Foreing Policy 20 janvier 2012)
[5] (Lien.)
[6] (Lien.)
[7] Les États-Unis ont politiquement et économiquement beaucoup investi en Europe du Nord-Est (Pologne, Pays Baltes etc.) en négligeant le sud de l’Europe qui se sent laissée-pour-compte et qui peut voir l’arrivée au pouvoir de majorités contestatrices comme en Grèce ou en Hongrie par exemple.
[8] (lien.) L’opposition pro-occidentale représente moins de 5 % en Russie. La vraie opposition russe est le parti communiste. Si demain il y avait des élections honnêtes dans ce pays, il arriverait sans doute en tête des scrutins.
[9] (lien.)
[10] (lien.)
[11] (lien.)
[12] (lien.)
[13] (lien.)
[14] (lien.)
[15] (lien.)
[16] (lien en russe.)
[17] L’Iran ne dévoile pas le montant de ses réserves d’or mais vend son pétrole contre de l’or avec certains pays. La Russie convertit en or une partie des dollars qu’elle perçoit pour la vente de son pétrole et de son gaz.
[18] (lien.)
[19] Les États-Unis ont mensongèrement prétendu pendant des années que le bouclier antimissile n’était pas orienté contre la Russie. Avec la crise actuelle, les masques tombent et la vérité apparait dans toute sa crudité. Ils ont bonnes mines tous ces journalistes qui parlaient de la paranoïa des Russes.
[20] (lien.) L’équipe de communication de Barack Obama qui a collationné les déclarations d’Obama à une interview de The Economist.
[21] (lien.) Traité d’association.