vendredi 10 avril 2020 - par Lucchesi Jacques

Confinés

Depuis un mois maintenant nous vivons un confinement forcé. Mais qu'est-ce que signifie, symboliquement et concrètement, cette situation inédite ?

Si le mot “confins” signifie l'extrême limite du monde – songeons à Ovide, exilé en Scythie, bien loin de Rome, par un décret de l'empereur Auguste - , alors sa déclinaison en verbe et en substantif (confiner, confinement) peut être entendue, dans le contexte actuel, comme une relégation loin de l'espace public, donc au plus près de nous-mêmes. Dans ce morceau d'espace clos qu'est notre appartement (ou notre maison), chacun est mis face à sa part incompressible, voire essentielle. Ce serait une situation idéale pour méditer sur soi et son parcours existentiel si nous n'étions pas, la plupart du temps, confrontés à d'autres individus, d'autres consciences, qui partagent – famille oblige – le même espace restreint avec leurs exigences propres.

Cette mesure sanitaire qui pèse sur nous depuis le 16 mars dernier a, sans nul doute, surpris tout le monde. Personne n'était préparé à la restriction, inédite et soudaine, de notre liberté de mouvement et d'échanges. Néanmoins, nous ne sommes pas tous égaux face à cette contrainte. Et les gens qui avaient déjà la possibilité de travailler chez eux seront certainement moins pénalisés que tous ceux pour qui le travail constitue un arrachement quotidien à leur foyer.

Il est cependant difficile de ne pas éprouver un sentiment de punition, même si le confinement que nous subissons n'a pas la violence d'une peine d'emprisonnement. Il ressemble plutôt à une sorte de pénitence – et il n'aura pas échappé aux chrétiens qu'il a commencé en plein carême. Pour certains cette crise sanitaire ravivera leur culpabilité à l'égard de la planète : “la terre se venge de nous et nous devons changer de mode de vie”. D'autres, au contraire, l'éprouveront comme une forme d'injustice : ”après tout, je n'ai rien fait qui soit répréhensible pour mériter ça”. D'où une plus grande tentation à transgresser l'injonction gouvernementale à rester chez soi.

Il est vrai que la nature ignore les soucis qui nous accablent. Et que le retour du printemps exerce sur nous le même appel à sortir, la même attraction à se mélanger avec les autres. Il faut, en effet, une grande force d'âme pour rester chez soi quand le soleil brille et que les arbres reverdissent. Nous ne l'avons pas, dans notre immense majorité, quand bien même nous nous répéterions toute la journée la sentence de Pascal selon laquelle “tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos, dans une chambre”. Du reste, ce n'est pas tant de se balader que de se parler et de se toucher qui augmente le risque de propagation du coronavirus. Autrement dit c'est la sociabilité la plus immédiate qui nous est présentement interdite. Un vrai cauchemar pour des animaux sociaux comme nous.

Certes, les technologies numériques nous avaient progressivement éloignés de la vie sensible, pour faire de nous des espèces de monades flottant dans un univers virtuel. Mais cette épidémie et ses conséquences parachèvent ce processus d'abstractisation de l'existence humaine. Des cinq sens dont nous avons été dotés, trois d'entre eux (le toucher, l'odorat et le goût) sont directement incriminés ou menacés. Il nous reste heureusement l'ouie et la vue pour continuer à jouir du monde. Plus que jamais nous sommes ainsi renvoyés à notre vie intérieure et aux instruments qui la nourrissent quotidiennement (livres, tablettes, télévision, ordinateurs). C'est beaucoup et peu à la fois pour assurer l'équilibre d'une vie humaine. C'est mieux, cependant, que vivre constamment hors de soi-même. Une occasion pour revoir à la baisse ses appétits consuméristes et réévaluer ses priorités d'existant.

 

Jacques Lucchesi



12 réactions


  • Clark Kent Séraphin Lampion 10 avril 2020 17:50

    « reclus » serait peut-être plus adapté que « confiné »

    en Anglais, « confinment » signifie « accouchement » et la situation de quarantaine intégrale que nous connaissons est un « lock-out », qui peut aussi signifier « fermeture » ou « grève », ou encore « sanitary containment ».

    La sémiologie révèle toujours un positionnement spécifique pour un groupede locuteurs.


    • Abou Antoun Abou Antoun 10 avril 2020 18:42

      @Séraphin Lampion
      Les Ricains utilisent ’quarantine’ pour tous ces types de situations (isolement préventif d’individus ou de populations).
      Les Russes l’ont repris tel quel : ’карантин’.


  • Yann Esteveny 10 avril 2020 17:58

    Message à Monsieur Jacques Lucchesi,

    Ce n’est pas un confinement mais une assignation à résidence à dureé indéterminée délivrée par le régime. Vous avez raison de souligner que cette mesure dommage nos sens du toucher, de l’odorat et du goût. Le coronavirus se contente lui d’altérer provisoirement les deux derniers.

    Cette assignation à résidence est un enferment dans la caverne de Platon avec un poste de télévision pour nous servir les ombres du réel.

    Respectueusement


  • rogal 10 avril 2020 18:35

    Le confinement a l’avantage de nous permettre d’écrire des articles sur le confinement.


  • Lucchesi Jacques 10 avril 2020 18:45

    On ne peut mieux dire, Rogal.


  • Lucchesi Jacques 10 avril 2020 18:48

    Comme exégète, Séraphin, vous êtes encore plus fort qu’Alain Rey. 


  • Armand Griffard de la Sourdière Armand Griffard de la Sourdière 10 avril 2020 21:15

     Emprisonné à domicile , j’échafaude un plan pour organiser ma future évasion !

     j’ai écrit à madame Belloubet pour demander conseil  smiley


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 10 avril 2020 21:23

      @Armand Griffard de la Sourdière

      Franchement pour échafauder des plans y’a mieux que la mère Belloubet a la REM . Y’a du canon chez les dépitées .


  • Eric F Eric F 10 avril 2020 22:21

    "Il est cependant difficile de ne pas éprouver un sentiment de punition, même si le confinement que nous subissons n’a pas la violence d’une peine d’emprisonnement. Il ressemble plutôt à une sorte de pénitence« 

    Il y a en effet un sentiment de »punition« , qui est accentué par la communication politico-médiatique. Ainsi, chaque mesure restrictive est présentée comme une sanction collective à la désobéissance ou à l’incivisme de certains. Ce qui n’empêche pas qu’il y a de gros trous dans la raquette du contrôle, le quart des parisiens a migré en province après l’annonce du confinement, et ça s’est accentué avec les »vacances« (curieuse notion alors que les écoles sont fermées).

     »Une occasion pour revoir à la baisse ses appétits consuméristes et réévaluer ses priorités d’existant"

    Trouver en toute contrainte une opportunité de progresser, voilà qui est la maxime d’un sage smiley


  • caillou14 rita 11 avril 2020 07:54

    Con fini ?

    Le pays arrêté par la gestion calamiteuse de la macronie !

     smiley


  • Taverne Taverne 11 avril 2020 17:07

    « songeons à Ovide »

    Les Métamorphoses qu’Ovide a écrites auraient-elle quelque rapport avec les mutation du Covid ? Ou sont-ce les êtres humains qui seront eux-mêmes métamorphosés après cette période très particulière ?

    Certains confinés ne songent qu’au vide de leur existence et ne pensent qu’au vide d’après, d’autres songent Covid. Enfin, quelques rares personnes songent qu’Ovide pourrait nous aider.

    Je n’ai pas de réponse. Ce sont là des pistes de réflexion philosophique.


  • Lucchesi Jacques 12 avril 2020 17:06

    Avec vous, au moins, Taverne/ La poésie n’est pas en berne.


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