Conservateur, voilà un mot qui commence bien mal*
Trois premiers ministres en trois mois.
Quatre ministres des finances en quatre mois.
Trois ministres de l'intérieur en moins de deux mois.
Ce cafouillage n'a pas pour théâtre une petite république d'Amérique centrale sujette aux coups d'états chroniques, mais le formidable pays sur lequel le soleil ne se couchait jamais à l'époque où son empire colonial s'étendait sur toutes les mers, le très sérieux Royaume-Uni.
Liz Truss n'aura pas été seulement la première ministre la plus périssable de tous les temps, elle restera dans les annales de la "Perfide Albion" comme la plus catastrophique. Nombre de ses prédécesseurs ont séjourné au 10 Downing Street quatre ans ou plus sans causer autant de dégâts que ceux dont elle s'est rendue responsable en seulement 44 jours. Mais le jeu de massacre semble devoir continuer sous la férule des flegmatiques conservateurs donneurs de leçons toutes catégories qui lui cherchent un remplaçant et présentent déjà son délire libertarien comme une imposture avec laquelle ils n'ont rien à voir. La sorcière qui a mis le feu à l'économie britannique va devenir le bouc émissaire idéal et sera chargée d'expier tous les péchés des Tories.
Nombre d'entre eux avaient pourtant soutenu la candidature de Mme Truss dès le départ :
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soit ils étaient convaincus que son pari baptisé "ultralibéral" par notre gauche "néolibérale" allait réussir,
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soit ils savaient qu'elle était mythomane et l'ont néanmoins soutenue par opportunisme et par ambition.
Ce qui est sûr, c'est qu'elle n'a pas amené son pays là où il en est toute seule. Son passage a été un désastre, mais ce n'était pas un accident. Quelque chose ne tourne pas rond quand un parti politique majoritaire confie deux fois de suite le poste de premier ministre à des menteurs et/ou bluffeurs. Mais le plus étonnant est que BoJo dont on disait pis que pendre quand il a jeté l'éponge risque de retrouver une virginité aux yeux de ses accusateurs et de revenir aux manettes.
Contrairement à ce qu'écrivent (a posteriori, comme toujours) les experts autorisés, Mme Truss n'a pas été un accident imprévu. Elle s'inscrivait au contraire dans la continuité de la politique des conservateurs britanniques tout au long de leurs douze ans de pouvoir. Déjà, en 2010, Cameron promettait que les "sacrifices" de sa politique d'austérité se traduiraient plus tard par l'opulence. Si la pilule était amère pour la population, le remède avait bien plu aux marchés financiers, mais le médicament n'avait pas réussi à rajeunir le patient. L'avènement d'une Grande-Bretagne florissante ne s'est jamais produit. Cette cure n'a eu d'effets bénéfiques que pour les plus riches et elle a alimenté le mécontentement et la colère dont l'exutoire a été le Brexit présenté comme la panacée à tous les maux, l'UE étant censée siphonner les richesses de l’île et expliquer les difficultés momentanées, attribuées aux travaillistes et leur "europhilie".
Après avoir laissé s'écharper la basse-cour politique sur fond de nationalisme et de noms d'oiseaux, Cameron a laissé le soin à Theresa May de nettoyer la volière. La brave Theresa a passé trois ans à essayer de trouver une réponse à cette question piège : comment gérer le Brexit sans infliger de graves difficultés à l'économie britannique ? Quand elle a déclaré forfait, le parti au pouvoir s'est livré à une lutte fratricide et le blocage de la vie parlementaire qui s'en est suivi a été déverrouillé par l'introduction d'un renard dans le poulailler du 10 Downong Street : l'outsider rusé Boris Johnson.
Or, le Brexit continuait à ne pas tenir ses promesses, et comme les conservateurs ne pouvaient pas faire face à cette évidence, ils se sont réfugiés, comme des enfants contrariés, dans les contes de fées que Mme Truss racontait à qui voulait bien l'écouter. Elle a accédé à la direction du Parti Conservateur en jouant à ses membres la musique qu'ils avaient envie d'entendre (même si elle ne chantait pas toujours juste). Les facéties de BoJo les avaient formatés pour qu'ils préférent les univers fantastiques au monde réel et les mensonges séduisants aux vérités pénibles à entendre.
A peine réveillés de ce cauchemar, et aussi incroyable que cela puisse paraître, les rêveurs ne trouvent rien à redire aujourd'hui à ce que le charlatan défenestré de Downing Street, tombé en disgrâce il y a trois mois, soit à nouveau sur les starting-blocks pour la course au pouvoir, en semblant oublier qu'il a fallu une révolte ministérielle et la démission de plusieurs membres de son propre cabinet pour le virer, mais surtout en oubliant le fait que les mensonges qu'il a racontés aux Communes font l'objet d'une enquête qui pourrait entraîner sa suspension du parlement. Or il est encore plus coupable que Mme Truss qu'il a soutenue dans l'espoir qu'elle s'autodétruirait et lui ouvrirait la porte pour un "come-back" triomphant. Il n'avait sans doute pas prévu que l'explosion serait si rapide.
Mèche courte !**
Mais qui voudrait assumer le redressement dans une situation aussi inflationniste dans un pays aussi délabré ? Les travaillistes ? Pas fous : ils n'ont pas envie d'endosser la paternité de ce qui se prépare. Chat échaudé craint l'eau froide.
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* Thierry Maulnier - Le Monde - 14 Janvier 1983